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1582Glenn Greenwald a publié son dernier texte (le 31 octobre 2013) dans le Guardian en tant que collaborateur intégré de ce quotidien. (Bien entendu, il est assuré que ce n’est pas le dernier article de Greenwald qu’on lira dans le Guardian.) Le texte est évidemment symbolique, à la fois de l’action menée par Greenwald en collaboration avec le quotidien britannique, à la fois du passage du journaliste à ce qui s’affirme comme une dimension supérieure d’un outil de combat du système de la communication.
Il s’en va, entouré de bruissements divers s’interrogeant, – comme le fait Bill Keller, du New York Times, le 27 octobre 2013 : «Is Glenn Greenwald the Future of News?», cela suivi d’un abondant échange de courrier entre «Dear Glenn» et «Dear Bill». Tout cela se passe comme si Bill Keller, c’est-à-dire le New York Times se trouvait placé devant le miroir de la méchante Reine, et interrogeant : “Miroir, dis-moi si je suis encore le journal de référence, parangon de la vertu d’objectivité de cette contre-civilisation sans alternative, ou bien ce moustique de «Dear Glenn», avec ses dix chiens, est-il en passe de me détrôner ?”. A Washington, c’est ce qu’on nomme «a conversation».
Il est rarissime, et même sans précédent à notre sens, de voir une telle collaboration entre une institution comme le Guardian et un homme seul, Greenwald, ayant acquis une telle dimension, et collaborant avec son journal quasiment de puissance égale à puissance égale. (Cela est considéré sans la moindre évocation hypothétique d’un rapport de force à coloration antagoniste entre les deux parties, – qu’il y en ait eu un ou pas, – mais simplement pour évoquer la substance notablement élastique et surprenante de ce qu’est la puissance aujourd’hui, qui passe nécessairement par le système de la communication, qui écarte le moyen de la brute force, qui joue sur la subtilité exceptionnelle des effets sur la perception, sur la psychologies, etc.)
Ce qui est encore plus exceptionnel, c’est que cette “collaboration”, commencée normalement par le passage d’un journaliste déjà fameux, d’un site actif (Salon.com) à un quotidien puissant (le Guardian), s’est transformée avec la formation du groupe Snowden-Greenwald en une seule énorme bataille sur le champ du monde globalisé, contre la puissance du monstre-NSA, et à ce moment effectivement avec la sensation de deux puissances autonomes évoluant sur un pied d’égalité, Greenwald et le Guardian, et plutôt Greenwald comme inspirateur. En comptant l’énorme effet global de cette crise sur le Système, le cas met en évidence l’extraordinaire puissance, exempte de toute brute force, que des (deux) individus isolés peuvent acquérir dans leur bataille antiSystème. Cela mesure les changements formidables apportés par le passage à l’ère psychopolitique avec la toute-puissance du système de la communication.
«I'm gratified by my 14-month partnership with the Guardian and am particularly proud of what we achieved together over the last five months. Reporting the NSA story has never been easy, but it's always been invigorating and fulfilling. It's exactly why one goes into journalism and, in my view, is what journalism at its crux is about. That doesn't mean that the journalists and editors who have worked on this story have instantly agreed on every last choice we faced, but it does mean that, on the whole, I leave with high regard for the courage and integrity of the people with whom I've worked and pride in the way we've reported this story.»
Bien entendu, Greenwald donne quelques indications déjà un peu plus précises sur son avenir proche. Le nouveau site de masse qui va être ouvert en coopération avec le jeune milliardaire Omidyar (voir le 17 octobre 2013) devrait commencer à fonctionner, comprend-on, dans quelques semaines. («We do not yet have an exact launch date for the new outlet, but rest assured: I'm not going to disappear for months or anything like that. The new site will be up and running reasonably soon.») Les précisions de Greenwald sont sans surprise, et elles mêlent effectivement, les mettant sur un même rang d’importance qui rompt avec l’omniprésence suprématiste de la finance dans le capitalisme-Système, aussi bien le financier de l’aventure que lui-même et les antiSystème déjà partants. Il est manifeste que l’équipe Greenwald est prête.
«As many of you know, I'm leaving the Guardian in order to work with Pierre Omidyar, Laura Poitras, Jeremy Scahill and soon-to-be-identified others on building a new media organization. As I said when this news was reported a couple of weeks ago, leaving the Guardian was not an easy choice, but this was a dream opportunity that was impossible to decline. [...]
»In the meantime, I'll continue reporting in partnership with foreign media outlets (stories on mass NSA surveillance in France began last week in Le Monde, and stories on bulk surveillance of Spanish citizens and NSA’s cooperation with Spanish intelligence have appeared this week in Spain’s El Mundo), as well as in partnership with US outlets. As I did yesterday when responding to NSA claims about these stories, I'll also periodically post on my personal blog – here – with an active comment section, as well as on our pre-launch temporary blog. Until launch of the new media outlet, the best way to learn of new stories, new posts, and other activity is my Twitter feed... [https://twitter.com/ggreenwald].»
La substance de l’article de Greenwald réaffirme bien entendu la poursuite de la guerre contre la NSA, comme on l’a vu, mais surtout une déclaration de principe fondamentale contre l’offensive constante de la censure-Système contre les antiSystème. Greenwald ne manque pas de signaler la désormais fameuse et ignominieuse déclaration d’un Premier ministre britannique aussi anonyme que sa fonction d’outil du Système, – ici des services de sécurité qui sont, dans ce cas, les courroies de transmission du Système.
«As I leave, I really urge everyone to take note of, and stand against, what I and others have written about for years, but which is becoming increasingly more threatening: namely, a sustained and unprecedented attack on press freedoms and the news gathering process in the US. That same menacing climate is now manifest in the UK as well, as evidenced by the truly stunning warnings issued this week by British Prime Minister David Cameron: “British Prime Minister David Cameron said on Monday his government was likely to act to stop newspapers publishing what he called damaging leaks from former US intelligence operative Edward Snowden unless they began to behave more responsibly. ‘If they (newspapers) don't demonstrate some social responsibility it will be very difficult for government to stand back and not to act,’ Cameron told parliament, saying Britain's Guardian newspaper had ‘gone on’ to print damaging material after initially agreeing to destroy other sensitive data.’”»
Effectivement, la déclaration de Cameron au Communes, ce lundi, a fait petite sensation – “sensation” parce que grotesquerie un peu plus grotesque qu’à habitude et “petite” parce que l’argument et le personnage le sont. Bref, Cameron a évoqué, comme Greenwald le signale, le spectre d’une censure brutale et le conseil d’une autocensure bien dans la tradition de ces périodes de basses eaux. Russia Today rapportait en les commentant, le 30 octobre 2013, les déclarations en question, où Cameron évoque l’emploi des D-Notices, requêtes officielles faites aux médias de ne pas publier telle information au nom de la sécurité nationale ; l’argument lumineux étant que, puisqu’on vit dans un pays libre, il faut s’attendre à ce que le gouvernement use de méthodes de contraintes contre cette liberté, en vue de la protéger (recette US au Vietnam : “démolir le village pour protéger le village”).
On laissera de côté l’argument sécurité versus liberté dans le contexte où la sécurité se trouve dans la lutte au sein de la “guerre contre la Terreur”, parce que, tout de même, il ne faut pas trop gaspiller son temps dans les arcanes de l’infantilisme-expert qui domine la pensée de cette contre-civilisation depuis 9/11. La “guerre contre la Terreur” a été visitée et revisitée, et mise dans sa perspective réelle d’artefact-Système, de symbole fabriqué et d’artifice de déflection pour tenter dérisoirement de détourner l’attention de la crise autodestructrice d’effondrements du Système.
«“We live in a free country so newspapers are free to publish what they want. ,” Cameron told the House of Commons Monday, adding that The Guardian, in particular, has made “this country less safe.” “I don’t want to have to use injunctions or D-Notices or other tougher measures. I think it’s much better to appeal to newspapers’ sense of social responsibility. But if they don’t demonstrate some social responsibility it would be very difficult for government to stand back and not to act.”»
Exemples parmi mille autres de cette autocensure à laquelle seul le Guardian échappe, cet article de Matthew Holehouse, du Telegraph, évoquant le 31 octobre 2013 un “débat” aux Communes, et choisissant comme titre la révélation du jour : «GCHQ revelations may be treasonous, MP claims – The Guardian newspaper may be guilty of treason after revealing the existence of a secret web surveillance programme, a Conservative MP has claimed.» De l’autre côté, face à cette masse amorphe que constitue l’ensemble de la presse britannique, soit amorphisme agressif comme le Telegraph, le Daily Mail ou le Times, soit amorphisme muet comme The Independent, le Guardian s’en donne à cœur joie.
John Kampfner, le 31 octobre 2013 parle du «UK debate about NSA spying [...] as nuanced as a James Bond film... [...] Over here, in Britain? Nothing but obsequiousness, ignorance and threats. [...] [...T]he discussion about security, civil liberties and the right to know has been characterised by torpor... [...] [..W]e Brits are so slavishly loyal to the Americans [...] Britain, thanks to a national conversation about espionage that has the intellectual sophistication of a James Bond movie, is becoming ever more isolated.»
Certes, le Guardian n’est pas sans faiblesses ni sans inclinations critiquables, tant s’en faut, mais dans cette affaire il pousse les feux parce qu’il sait bien que, dans ce pays flamboyant de l’anglo-saxonisme suprématiste et inventeur des “valeurs” occidentalistes, où la jactance supplée à l’influence, les feux sont aujourd’hui aussi tristes qu’une allumette qui s’éteint, même plus amulette de la gloire du temps passé.
Le Royaume-Uni, plus qu’aucun autre, représente, dans son obstination, dans son mutisme, le dernier bastion de l’asservissement aveugle au Système et à sa représentation idyllique que sont les USA, – lesquels continuent à évoluer dans le sens d’une national conversation accroissant le désordre intérieur et l’épuisement des luttes fratricides. Le Guardian, qui navigue sur le vent claquant de la vertu journalistique, publie un éditorial (le 29 octobre 2013) où il donne en exemple le surprenant revirement de la sénatrice Dianne Feinstein, fort peu documenté par ailleurs comme toutes les choses qui comptent, et le met sous le nez des autorités et des commentateurs de l’ex-Empire devenu arrière-boutique des souvenirs de la gloire de l’Empire, - comme s’il semblait dire : “même les USA font leur autocritique, à belles dents...”
«Britain's politicians should take careful note of what is happening in Washington – and in a succession of European and other capitals too, most recently in Madrid. Responsible investigative journalism has unearthed a situation that the oversight system had no idea was taking place. The right response to that is the one that Senator Feinstein, in common with many other US legislators including the drafter of the Patriot Act, has now embraced. The NSA was not under proper control. It has extended its reach too far. It has misled the politicians. The systems of oversight and law therefore need to be re-examined. The problem is the surveillance programmes, not the journalism that has told the story.
»Britain's parliamentarians have not yet measured up. It is time they did. Like the Americans, they need to focus on the message, not the messenger. They need to use their powers – they are there to be used – to probe and question the agencies and the oversight regime. They need to understand better, because Britain, like the US, needs a better balance between security and liberty in an era transformed by technologies that most politicians barely know exist. They need to look beyond Whitehall to Europe and the US. Look at the remarks of Senator Feinstein. She has set up a review of all intelligence surveillance programmes. If she can, why can't we?»
Les USA justement, c’est-à-dire Washington, où les uns et les autres se dévoilent et se dévorent (les “belles dents”), dans l’esquisse déjà bien tracée d’affrontements fratricides qui en disent long sur la fragmentation du pouvoir, les concurrences des centres de pouvoir, les divergences, voire les antagonismes désormais à ciel ouvert entre les autorités politiques et la communauté de sécurité nationale. D’un côté, Alexander accuse le pouvoir politique, et notamment le département d’État, d’être responsables, par leurs demandes d’information, des outrances devenues outrages dans le chef de l’espionnage de dirigeants étrangers.
Cela se passait à Baltimore, lors d’une conférence que donnait le directeur de la NSA au Council of Foreign Relations de la ville (voir le Guardian, le 1er novembre 2013). Un ancien ambassadeur des USA en Roumanie du temps de Clinton, devenu sénateur de l’État du Maryland, James Carew Rosapepe, apostropha Alexander en lui demandant comment la sécurité nationale antiterroriste pouvait justifier d’espionner des dirigeants politiques alliés et des dirigeants d’entreprise («We all joke that everyone is spying on everyone. But that is not a national security justification.»)
«Alexander replied: “That is a great question, in fact as an ambassador you have part of the answer. Because we the intelligence agencies don't come up with the requirements. The policymakers come up with the requirements.” He went on: “One of those groups would have been, let me think, hold on, oh: ambassadors.” Alexander said the NSA collected information when it was asked by policy officials to discover the “leadership intentions” of foreign countries. “If you want to know leadership intentions, these are the issues,” the NSA director said.»
Tout cela fit bien rire l’assistance, d’autant que Rosapepe ne se le tint pas pour dit et tint au contraire à répliquer. Dans tous les cas, voilà qui illustre la distance qui grandit entre les deux complices devenus adversaires et se renvoyant la responsabilité des choses indignes pour l’apparence vertueuse du Système. Ce constat, d’autant plus qu’une déclaration officielle a encore approfondi la fracture qui se développe à Washington et acte de plus en plus ce qui est désormais devenu un conflit interne institutionnalisé, régulièrement alimenté et avivé par le torrent des révélations-Snowden.
C’est la première fois qu’un des plus hauts représentants du gouvernement, John Kerry, met en cause officiellement la NSA pour ses outrances, qu’il les attribue en plus à une insuffisance de contrôle, c’est-à-dire à l’incompétence et à la faiblesse de la direction, et reconnaissant par le fait que la NSA est un monstre autonome qui fait ce qui lui plaît, et qu’Alexander n’est qu’un bouffon de convenance trônant dans son fauteuil type-Star Trek de sa situation room. Cette mise en cause circonstanciée est définie précisément selon la plus haute autorité («The president and I»), comme si Obama lui-même parlait à la NSA... Tout de même, Kerry reste prudent dans son phrasé : le «we are going to try to make sure...» ne nous rassure pas vraiment sur la capacité du gouvernement de Saint-Obama de dompter la Bête. (Le Guardian toujours, obviously, le 1er novembre 2013)
«In the most stark comments yet by a senior administration official, Kerry promised that a previously announced review of surveillance practices would be thorough and that some activities would end altogether. “The president and I have learned of some things that have been happening in many ways on an automatic pilot, because the technology is there and the ability is there,” he told a conference in London via video link. “In some cases, some of these actions have reached too far and we are going to try to make sure it doesn't happen in the future.”»
... Ainsi le départ du Guardian de Greenwald ne fait pas craindre une réduction de l’intensité de la crise, au contraire. Les soutiens au journaliste-missionnaire qu’est Greenwald apparaissent de plus en plus d’une façon proéminente, comme celui d’un autre Cohen (Roger, du New York Times, après le tournant pro-Snowden de Cohen, Richard, du Washington Post), qui fait un portrait du journaliste suite à une rencontre à Rio, portrait qui nous confirme l’amour fou de Snowden pour les chiens et ses chiens et introduit l’idée qu’il faut que les autorités US garantissent solennellement la sécurité de Greenwald pour que celui-ci puisse revenir aux USA s’il le souhaite.
Cette idée a toutes les chances, d’une part de trouver de plus en plus de partisans, d’autre part de déclencher des polémiques de plus en plus vives, parce qu’un retour “officiel” et “sécurisé” de Greenwald aux USA se ferait certainement dans le cadre d’auditions au Congrès. Ce serait un événement tout simplement explosif, qui ne pourrait être concurrencé, après tout, que par la venue de Snowden à Washington... Un peu de patience, nous y viendrons. (Dans le New York Times le 1er novembre 2013.)
«A young American lawyer comes to Brazil in 2005, falls in love, finds that his gay relationship confers greater legal rights than back home, starts a blog called Unclaimed Territory focusing on illegal warrantless eavesdropping by the National Security Agency, takes a place in the hills of Rio with a bunch of rescue dogs, denounces the cozy compromises of “establishment journalists,” gets hired to write a column by Britain’s Guardian newspaper, is sought out by the N.S.A. whistle-blower Edward J. Snowden, becomes the main chronicler of Snowden’s revelations of global American surveillance, is lionized for work that prompts a far-reaching debate on security and freedom, files repeated thunderbolts from his leafy Brazilian perch, and ends up, in just eight years, as perhaps the most famous journalist of his generation.
»These things happen. At least they happen in the empowering digital age, and they happen to Glenn Greenwald. With his gray shirt, black backpack, regular features and medium build, he merges into the Rio crowd, the ordinary man. Over a Thai lunch, he tells me he is sleeping five hours a night, running on adrenaline. So what does he do to relax? “Roll around in the mud with my 10 dogs.” [...]
»Would Greenwald enjoy First Amendment protection after publishing top-secret information? The record of the Obama administration is ominous. He says his lawyers are unable to get clarification. His mother in Florida asks: “What if I am on my deathbed and cannot see you?” [...] He has testified before the Brazilian Senate, and should be allowed to testify before the U.S. Senate. He says, “I am definitely going back, I refuse to be exiled for a lie.” He deserves assurance that he can return to the United States without facing arrest.»
Tout cela nous nous fait poursuivre, finalement, l’observation d’un spectacle complètement caractérisé par son déséquilibre, son paradoxe constant, l’antagonisme entre des puissances massives et globalisées mais sans la moindre force efficace et même agissant contre elles-mêmes, et des réseaux antiSystème souples et réduits générant une puissance extraordinaire parce que la brute force inefficace a été remplacée par l’influence d’une exceptionnelle capacité de pénétration des psychologies qui constituent le premier réceptacle et le tamis des effets de la crise. En quelque sorte, la forme de l’action de ces réseaux, leur dynamique, séduisent les psychologies et ont une efficacité à mesure.
Le contexte déstructuré, contingent jusqu’à l’ivresse des narrative et autres qui emportent la raison affaiblie par le Système des défenseurs du Système, caractérisant un monde complètement décérébré, “apolaire”, sans référence de structure, privé de toute référence pérenne et principielle par l’action du Système (cette tension vers “dd&e”, – déstructuration-dissolution-entropisation), tout cela conduit à brouiller complètement les notions de légalité, de légitimité, d’autorité, à confondre les perspectives, à tordre les architectures et à déformer les géométries. La puissante contre-civilisation de l’achèvement du “déchaînement de la Matière” flotte dans l’ether des qualifications incertaines, aussi molle qu’une montre de Dali répétée à l’infini.
Les “conversations” (terme washingtonien en vogue pour qualifier ces débats surréalistes) ont lieu tranquillement entre des centres antiSystème soumis à l’anathème accusateur du Système (“traître”, “vendu”, etc.) et les menaces de liquidation sommaire de divers services officiels, et des initiatives individuelles, et même collectives dans le cadre de la querelle-NSA Europe-USA, émanant de centre-Système notoires. Les journalistes-parangons-de-vertu du New York Times conversent avec Greenwald, qui ne peut envisager de rentrer aux USA sous peine d’une perspective qu’on admet ouvertement comme une arrestation totalement illégale exercée par une autorité qu’on continue à saluer comme légale et légitime, – mais sans vraiment trop y croire, puisque tout est contingent, flottant, incertain... Un député allemand, ou bien est-ce l'ambassadeur de Berlin à Moscou, va consulter, dans son refuge près à Moscou, le “traître-vendu” Snowden, que la justice US veut emprisonner et que la CIA rêve de liquider d’une façon la plus sommaire possible, pour préparer une audition officielle au Bundestag, – soit sur place, à Berlin, soit sous la forme d’une délégation à Moscou, – le Bundestag s’installant temporairement à Moscou comme en exil du Système, pour auditionner le “traître-vendu”. Valsez, saucisses, aurait dit Albert Paraz.
Un tel agencement des choses, qui ne se caractérise que par le paradoxe et la contradiction, rend la raison qui accepte d’évoluer dans les apparences du Système complètement impuissante à saisir l’essence de la situation, par conséquent impuissante non seulement à parer les coups, mais à renverser un courant qui ne cesse de se faire de plus en plus tempétueux. Aucune prévision raisonnable n’est possible, et les plus habiles, les mieux armés dans cette occurrence, sont ceux qui acceptent de ne rien prévoir ; et comme il s’agit en général d’antiSystème, cette reconnaissance de ses propres limites devient une vertu, parce que l’esprit qui ne prévoit rien est ouvert à tout et réagit bien plus vite, et mieux, à l’imprévu ; et Dieu sait qu’avec la filière Snowden-Greenwald et son flot de révélations à débit continu dont plus personne ne peut dire ni le schéma ni le sens, l’imprévu est partout, dans l’espace et dans le temps.
Les seules possibilités de prospective d’expansion et de bouleversement entretenues par cette crise concernent des cas où ses effets viendraient se greffer sur des situations de crise ou de tension déjà existantes. A partir du moment où l’on saisit la prospective hypothétique d’une situation déjà établie, on peut envisager l’effet ajoutée de la crise Snowden/NSA. On comprend que c’est particulièrement le cas envisagé dans notre Bloc-Notes de ce 1er novembre 2013, où l’on observe les effets de la crise Snowden/NSA dans l’évolution des États de l’Union. On voit qu’il s’agirait d’une prospective de dévolution, par définition antiSystème, tenue pour archaïque et contre-révolutionnaire dans le sens d’“antimodernes” (voir ci-dessous) par la dialectique du Système.
Le paradoxe ultime se révèle donc dans ce que cette crise s’avère absolument de plus en plus antiSystème, et par conséquent “antimoderne”, non seulement dans sa tactique mais aussi dans sa stratégie la plus fondamentale, alors qu’elle est un événement extraordinairement moderne dans tous ses composants, ses contradictions et ses déséquilibres et que les opérateurs et inspirateurs “antimodernes” de la crise sont particulièrement modernistes dans leur emploi, leurs capacités, leur modus operandi. La crise Snowden/NSA répond parfaitement, du point de vue opérationnel, à la définition qu’André Compagnon donnait d’un antimoderne dans le chef de Charles Péguy : «Celui qui peut dire “nous modernes” tout en dénonçant le moderne.» Dieu sait si la crise Snowden/NSA peut se dire “nous modernes”, et Dieu sait qu’elle ne cesse de dénoncer le moderne... De cette façon, comme dans de nombreuses autres façons déjà explorées, elle s’avère de plus en plus comme la “crise centrale”, comme la “crise première”, au cœur du Système et –au cœur de la “crise haute”, ou crise d’effondrement du Système, peut-être comme la clef secrète de cette crise d’effondrement.
... Les plus hautes puissances veillent sur nous, cela va sans dire.