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1821Depuis dimanche, se succèdent les interprétations du “coup d’État” interne réalisé par le président Morsi dans de remarquables conditions de surprise, de rapidité et d’efficacité. Diverses étoiles de maréchaux et de généraux se trouvent dispersées, d’autres aussitôt regroupées dans les fonctions ainsi laissées vacantes. Ce “coup” suit les diverses péripéties des “attaques” terroristes dans le Sinaï, elles-mêmes soumises à de bien diverses interprétations.
Quelques jours après l’événement, alors que le sable soulevé par l’audace de l’acte commence à retomber, – à sa place initiale ou dans d’autres selon le vent qui souffle, – alors que nombre d’articles et d’analyses ont été publiées sans qu’aucune ligne précise ne s’impose, alors que la direction égyptienne et Morsi en particulier continuent à jouer un jeu subtil qu’on apparenterait aux habituelles attitudes d'un sphinx qui sait ce qu'il veut, on doit tenter de proposer une vision plus claire où l’intuition poursuivie des évènements d’Egypte aura sa place à côté des commentaires et des observations diverses. Ce qui se passe dépend de l’Histoire devenue métahistoire bien plus que de la manœuvre politique.
A tout seigneur, tout honneur… Enfin, “seigneur”, c’est vite dit. Dans cette affaire et ce qui a précédé, les visites à grande fanfare et grande pompe, au Caire, d’Hillary et de Panetta successivement, pour remettre de l’ordre dans les rangs, il semble que les USA aient montré leurs habituels aveuglement et méconnaissance (et non l’inconnaissance, certes) ; cela, pour les affaires égyptiennes comme pour toutes celles, en général, qui ne sont pas strictement made in USA. Ils n’ont rien vu venir et n’ont pas vu grand’chose passer. Hillary et Panetta ont embrassé Tantawi sur la bouche, comme s’il devait durer aussi longtemps que le sphinx de Gizeh, Tantawi comme puissance tutélaire tenant Morsi à la culotte, quelques jours avant son élimination par Morsi.
Alors, on se console comme on peut. Le Pentagone a fait grand cas d’un coup de téléphone rassurant du nouveau ministre de la défense, le général al-Sissi. AFP retranscrit fidèlement la satisfaction de Panetta, le 14 août 2012… «“General al-Sissi expressed his unwavering commitment to the US-Egypt military-to-military relationship, which has been really an anchor of stability in the Middle East for more than 30 years,” Panetta told reporters after a phone conversation with his new counterpart earlier in the day. “I in turn indicated to him that I look forward to working with him and to continuing the relationship that we have had with Egypt over those years.”»
Tout va bien dans le meilleur des Nil possibles. Pour dire le vrai, on aurait mal compris qu’al-Sissi prît son combiné pour insulter le secrétaire US à la défense et lui annoncer la fin de la coopération avec les USA. D’ailleurs, al-Sissi est considéré par tous les experts US du domaine, qui ne cessent de montrer leurs visions à long terme, comme “un homme des USA”, ce qui serait amplement démontré par son fait d’avoir suivi des études de perfectionnement d’officier général dans le fameux War College de l’U.S. Army.
Certes… Mais est-ce bien sûr ? On veut dire : est-ce une garantie d’orthodoxie type-BAO, ce studieux séjour au War College ? Issandr el Amrani, du site Arabist.net, a retrouvé une étude du deuxième homme nouvellement aux commandes, le général Sedky Sobhy nommé chef d’état-major général des forces armées. (Voir sur ce site, le 13 août 2012.) Cette étude, visible sur le site du U.S. War College, date du 18 mars 2005, dans le cadre du USAWC Strategy Research Project, sous le titre de «The U.S. Military Presence in the Middle East : Issues and Prospects». C’est la thèse, si l’on veut, de Sobhy, après une année de perfectionnement au U.S. Army War College, (USAWC) – très orthodoxe, là aussi… (Orthodoxe du point de vue du statut comme on le perçoit, mais qui n’a jamais hésité, le USAWC, à publier des travaux qui ne l’étaient nullement, cela faisant la réputation de qualité de l’établissement.)
…Et la thèse n’est pas, elle, vraiment orthodoxe. On en appréciera quelques extraits choisis, en ayant à l’esprit la modération que met un officier non-US qui fait une thèse dans un établissement de si grand prestige et si complètement au cœur de la communauté de sécurité nationale des USA, à une époque où l’orthodoxie (encore ce mot) du régime égyptien (Moubarak) était indiscutée.
• Sur la présence militaire US “visible”, d’unités régulières, au Moyen Orient : «…However, it was this level of United States military presence in the region that invited the destabilizing ideological effects that gave rise to radical Islam and Al Qaeda terrorist activities. Thus, the focus should be on the total withdrawal of United States ground forces from the region.» … Et sur le substitut de cette présence militaire US, avec le remplacement des unités régulières par des unités de forces spéciales et autres groupes semi-clandestins de la sorte : «… It is almost certain that Arab societies will view the presence and the operations of such United States military units in the Middle East with suspicion if not outright hostility. The lack of transparency that accompanies the presence and the operations of United States special forces formations will be viewed by the “Arab street" and the popular mass media outlets in the Middle East as potentially undermining or manipulating national democratization processes.»
• Sur les relations des USA avec Israëll : «Nothing defines better the ideological struggle that the United States has to overcome in the Middle East than the hostility and negative perceptions that exist in the region because of the U.S. unique and one-sided strategic relationship with Israel.» …Et sur l’exemple intéressant du traitement que font les USA de la question du nucléaire iranien par rapport au “traitement” (?) du nucléaire israélien : «For example, in the current debate centering on the potential use of the Iranian civil nuclear program for the clandestine development of nuclear weapons the United States has carefully abstained from discussing Israel's possession of a nuclear arsenal. This strategy and its concrete implementation will be a potent weapon in the war of ideas that the United States so far is waging rather unsuccessfully among the broader masses of the Muslim populations in the Middle East (the “Arab street”).»
• Sur la stratégie US en général au Moyen-Orient… «The United States regional strategy in the Middle East needs to be redefined since it cannot continue to simply revolve around the issues of national security for Israel and military security of the Middle Eastern oil supplies and reserves. This redefinition must include the direct constructive engagement of all actors in the Middle East, and must be expanded to include non-state actors and groups.»
• Sur la conclusion, enfin… «The solutions of security challenges in the Gulf will not necessarily be solely found in Baghdad or in the Gulf itself. These solutions will find their ideological underpinning if the U.S. were to truly work for a permanent settlement of the Palestinian-Israeli conflict. The U.S. can continue to pursue its current strategy in the Gulf that is largely based on its U.S. military presence and potential. This strategy will not lead to the solution of political problems that are deeply rooted in ideological, religious, and cultural causes. The U.S. and its willing partners will continue to be immersed in a long-term asymmetric military conflict without clear political and ideological goals.»
…Par conséquent, nous constatons que ce qu’écrivait en 2005 le général Sedky Sobhy, au U.S. War College, pourrait avoir été écrit aujourd’hui par un général syrien ou par un général iranien. Un précurseur, en un sens.
Maintenant, le président Morsi… Il est l’objet d’un soupçon persistant de la part principalement de deux segments du large spectre qui prétend composer la force antiSystème général. (Il y aurait beaucoup à dire sur cette “force”-là, et sur sa qualification d’antiSystème ; on en a dit ici et là, et l’on en dira encore.) L’un des deux segments fait partie de la frange radicale anti-globaliste, fondée essentiellement sur la mise à jour du complot sans fin des forces de la globalisation considérée comme une machine de guerre coordonnée, parfaitement efficace et sans cesse en progrès, – malgré ses nombreuses “victoires décisives”, qui semblent chaque fois remises en cause par elle-même, cette machine de guerre, pour une “victoire [encore plus] décisive”.
Cette vision fait de Morsi un homme-lige. Dans ce cas, la référence contre lui devient la démocratie alors qu’en général le slogan de la démocratie est utilisé à l’avantage de la machine de guerre globalisante contre ceux qui lui résistent (Poutine en Russie). Morsi est donc accusé de bafouer la démocratie que le “printemps arabe” nous faisait espérer, pour pouvoir mieux servir la machine de guerre globalisante. S’y ajoute la thèse Sunnites versus Chiites… C’est l’analyse très fouillée et documentée de Tony Cartalucci, de LandDestroyer, le 13 août 2012. Bien que défini comme un dictateur qui bafoue la démocratie, Morsi est défini comme n’étant ni un “extrémiste” ni un “islamiste”. Pourtant, il est du camp qui rassemble l’“extrémisme sectaire” contre le hezbollah, la Syrie et l’Iran. Le complot est complexe.
«Morsi himself is by no means an “extremists” or an “Islamist.” He is a US-educated technocrat who merely poses as “hardline” in order to cultivate the fanatical support of the Brotherhood's rank and file. Several of Morsi's children are even US citizens. Morsi will gladly play the part of a sneering “anti-American,” “anti-Zionist”, “Islamist,” but in the end, no matter how far the act goes, he will fulfill the West's agenda.
»Already, despite a long campaign of feigned anti-American, anti-Israel propaganda during the Egyptian presidential run-up, the Muslim Brotherhood has joined US, European, and Israeli calls for "international" intervention in Syria. Alongside the CIA, Mossad, and the Gulf State despots of Saudi Arabia and Qatar, the Muslim Brotherhood's Syrian affiliates have been funneling weapons, cash, and foreign fighters into Syria to fight Wall Street, London, Riyadh, Doha, and Tel Aviv's proxy war. […]
»With the NATO-created terrorist safe-haven of Libya to Egypt's west, and the epicenter of Arab World despotism, Saudi Arabia to its east, a corporate-financier underwritten terrorist empire is rising from the barren north of Mali, to the oil rich shores of Saudi Arabia, Qatar, and the United Arab Emirates.
»There is no revolution. Instead, a violent, extremist multinational front has been assembled, as it was planned since 2007, to array sectarian extremists against the collective influence and interests of Hezbollah in Lebanon, the government of Syria, and the Islamic Republic of Iran. By consequence, this brazen geopolitical conspiracy targets both Russia and China as well, setting the stage for even greater global conflict. It is a conspiracy that will be paid for with secular, moderate Muslim, and non-Muslim blood across the region, the destruction of ancient culture and traditions, and the regression of all social and economic progress made since the fall of the Ottoman Empire.»
Le second segment du front soi-disant antiSystème hostile à Morsi est celui de l’orthodoxie doctrinale, prise encore plus comme un principe de morale rigoureuse d’action en toutes choses, et sans le moindre compromis tactique, que par rapport à une idéologie. C’est notamment le cas du site WSWS.org, qui juge certes du point de vue trotskiste, mais qui entend surtout appliquer dans son jugement sur les autres domaines idéologiques ou sur l’action politique en général, la même rigueur idéologique qui le caractérise lui-même, pour son compte.
Pour WSWS.org, Morsi fait donc partie d’une organisation dont la collusion avec les forces capitalistes est avérée. C’est de cette façon que le site a jugé son action lors des troubles dans le Sinaï, à partir du 5 août. Le 9 août 2012, on lit sur le site : «Egypt’s Muslim Brotherhood government has launched a crackdown after an armed raid at the Rafah checkpoint near the border with Gaza and Israel killed 16 Egyptian soldiers and wounded eight more. The action testifies to how closely the Brotherhood now works with Israel and the United States.» Le 13 août 2012, le texte de commentaire sur le “coup” du président Morsi est plus incertain. On note que Morsi est “dictatorial”, “réactionnaire”, donc du côté de la “bourgeoisie réactionnaire”, – mais sans vraiment insister ni développer de critique idéologique, – après tout, Tantawi l’était tout autant, “dictatorial”, “réactionnaire” et ainsi de suite, et il est dans la charrette remplie sur ordre de Morsi.
Au milieu de ce torrent d’interprétations (il y en a d’autres, ci-dessous, à suivre, on s’en doute), il y a tout de même des faits. On a vu la thèse du général Sobhy, en voici un autre complètement d’actualité. Il a été signalé notamment par Jazon Ditz, de Antiwar.com, le 14 août 2012 ; et il n’est pas rien. Il implique, fort discrètement et en termes très mesurés, – Morsi et ses hommes sont diablement prudents, – rien de moins que l’Anathème lui-même (majuscule, pour la cause) : la remise en cause d’un aspect fondamental du Traité de paix, donc du traité. (Pour certains commentateurs, comme Gregory L. Chang de Breitbart.com, le 15 août 2012, ces déclaration sont au moins aussi importantes que le “coup” du 10 août : «Good Bye, Camp-David accords»…)
«US officials railing about Egypt’s comparatively small military presence in the Sinai Peninsula seem to forget that under the Camp David Accords the amount of troops they’re “allowed” to keep there is limited, and increases require Israeli approval. With new President Mohammed Mursi looking to escalate a crackdown against militants along the border with Israel that aspect of the treaty may well be under review, according to a top aide of Mursi.
»In an interview with an Egyptian paper, aide Mohamed Gadallah says Mursi is looking at the possibility of amending the treaty to declare full sovereignty over the peninsula, presumably allowing Egypt broader leeway to act unilaterally in the area.»
Gardez à l’esprit ce terme-là, qui vaut tout le reste et fait anticiper l’incursion dans le fondamental de la position égyptienne et des rapports de l’Égypte avec Israël et les USA : “full sovereignty”… Le fondamental parce que nous entrons dans le domaine du Principe, par le biais d’un des principes fondamentaux, – principes structurants contre déstructuration.
Ce signal alimente les arguments de ceux qui voient dans le “coup de Morsi” une avancée politique vers un changement fondamental de la position égyptienne, vers une position anti-israélienne et anti-US. C’est bien entendu le cas de DEBKAFiles qui, dès l’origine, a suivi une ligne d’analyse fondamentalement hostile à Morsi (et à l’évolution égyptienne depuis janvier 2011), c’est-à-dire privilégiant l’analyse de l’évolution radicale de l’Égypte.
Le dernier texte de DEBKAFiles sur le cas, le 13 août 2012, confirme complètement cette interprétation. En quelques lignes est résumé ce que le site juge être l’impact majeur des évènements du 10 août sur Israël…
«Sunday, at 10:00 a.m. Netanyahu warned his ministers that no threat was worse than a nuclear Iran. At 17:55 p.m., Egyptian Muslim Brotherhood President Mohamed Morsi dropped a bombshell in Cairo. In one fell swoop, he smashed the Egyptian military clique ruling the country for decades, sacked the Supreme Military Council running Egypt since March 2011 and cut the generals off from their business empire by appropriating the defense ministry and military industry. That fateful eight hours-less-five-minutes have forced Israel’s leaders to take a second look at their plans for Iran… […]
»Netanyahu now faces one of the hardest dilemmas of his political career – whether to go forward with the Iran operation, which calls for mustering all Israel’s military and defense capabilities – especially for the repercussions, after being suddenly confronted with unforeseen security challenges on its southwestern border, for thirty years a frontier of peace.»
C’est certainement le commentateur indien M K Bhadrakumar qui développe le plus ce thème d’un “coup” réorientant fondamentalement la politique égyptienne. D’abord, quelques mots sur son blog (Indian PunchLine), le 14 août 2012. M K Bhadrakumar se place du point de vue de la thèse courante et conformiste actuellement en vogue de la rivalité entre Sunnites et Chiites, avec les Saoudiens derrière l’activisme sunnite. Il rappelle ce que fut l’alignement de l’Égypte sunnite de Moubarak sur la politique saoudienne, anti-iranienne, et constate que cet alignement était beaucoup plus politique (deux “vassaux des USA”) que confessionnel… Mais tout change, désormais.
«But the equations are changing although both Egypt and Saudi Arabia will forever remain Sunni countries. The high probability is that Egypt’s president Mohammed Morsi will attend the NAM summit in Tehran en-August and the visit will herald a normalisation of political and diplomatic ties between the two countries… […] Consider the following. Last Sunday, Morsi moved decisively against the Egyptian top brass and asserted the civilian supremacy. Iran seems pleased with the ascendancy of the elected leadership in Cairo. But, amazingly, Saudi Arabia takes a dim view. The Saudi daily Asharq Al-Awasat has a nasty opinion piece by its editor-in-chief on Morsi’s consolidation of power. It says Morsi is becoming a dictator and that goes against the spirit of the Egyptian revolution, apart from posing a “threat” to the Egyptian nation. Yes, “herein lies the danger” — that the Sunni-dominated Islamist leadership in Cairo is consolidating political power!»
L’argument de M K Bhadrakumar est beaucoup plus large et beaucoup plus général dans Strategic-Culture.org, le 15 août 2012. Il ne fait plus aucun doute pour le commentateur que l’orientation choisie par Morsi est désormais acquise, et constitue une divergence politique sensible et de plus en plus accentuée par rapport aux USA et à Israël. Ce qui est le plus remarquable, c’est l’incapacité où se trouvent les USA, notamment et particulièrement, de prévoir les évènements et l’orientation de Morsi et de l’Égypte… David Ignatius, qui y a été d’un commentaire mi-figue mi-raisin qui ne peut cacher le désarroi washingtonien, a défini la tâche des USA par rapport à l’Égypte de Morsi, selon cette expression fameuse : “chevaucher un tigre”…
«The US understands that it is not within its power to reverse what has happened. Sunday’s events testify to the dramatic decline in the US’ influence in Egypt in the past year. But Washington has quickly covered up by arguing that the new defence minister Abdel Fattah al-Sissi appointed by Morsi is a “known” figure who underwent training at a US staff college some three decades ago.
»This is parrying the real issue. The heart of the matter is that Morsi’s move goes far beyond a matter of new military faces. He also cancelled the constitutional declaration aimed at curbing presidential powers and gave the military legislative powers and other prerogatives. He has amended the interim constitution to deny the military any role in public policymaking, the budget and any role in picking a constituent assembly for drafting a new constitution. This is nothing short of a takeover by the Muslim Brotherhood of the levers of power.
»Clearly, Morsi has acted according to the Muslim Brotherhood leadership’s collective decision. It is a considered decision and its ramifications for the future trajectory of Egyptian policies remain to be seen. Ignatius summed up, “The Israelis are said to be more concerned by Sunday’s purge, worrying that Morsi is taking a series of steps that may be leading toward a collision with Jerusalem. But for both the United States and Israel, watching developments in Egypt is a bit like riding a tiger – potentially very dangerous, but impossible to steer”.»
Finalement, l’argumentation de M K Bhadrakumar est peut-être, outre d’être convaincante, la plus éclairante sur le phénomène en cours en Égypte, – mais aussi en Syrie en un sens, et aussi en Turquie, et peut-être en Arabie, et ainsi de suite, comme un caractère fondamental du “printemps arabe” et, au-delà, des évènements généraux en cours, dans le cours de la crise haute en constant renforcement : leur rapidité, leur rythme, leur capacité de se générer eux-mêmes en quelque chose de différent. Son argumentation va en effet plus loin que le cas lui-même qu’elle entend traiter. Elle devient simplement exemplaire, au travers d’un cas qui ne cesse de nous stupéfier par son rythme, du rythme d’un séquence historique devenue métahistorique.
On dirait une fois de plus que l’Histoire accélère, et comme ce constat était déjà fait le 1er février 2011, on dira alors qu’elle ne cesse d’accélérer. (Déjà, le 30 janvier 2011, un parlementaire US cité dans le texte référencé disait : «We’re still trying to get our hands around this. We’re not sure what to say yet. […] Things are moving so fast, it’s hard to really know what is happening [inside Egypt] with real certainty.») Ou bien, l’on dira encore, variation sur un même thème qui montre l’infini richesse du phénomène, que le temps se contracte, ce qui était le même constat fait, déjà, le 22 février 2011, par l’amiral Mullen, alors président du comité des chefs d’état-major US. («“It’s stunning to me that it’s moved so quickly,” America's highest-ranking military officer said of the revolts. “We've talked about the underlying issues for a long time, but it's the speed with which this is happening,” he told reporters.»)
C’est à la lumière de ces constats qu’il faut examiner les évènements, notamment en Égypte, beaucoup plus qu’à l’éclairage falot et faiblard de nos lampes de poche pour stratèges de comptoir. Il s’agit de découvrir leur sens profond et, naturellement, fondamental.
Ainsi, au-delà des variations et humeurs des uns et des autres, sur le sens du “printemps” qui ne serait pas printanier, sur les intrigues, les complots, les corruptions qui sont de tous les temps, les enquêtes sur Morsi et les mannes de dollars répandus par la CIA, etc., il s’avère et se confirme qu’il y a une sorte d’unicité et d’exceptionnalité du phénomène. La chose dépend moins du sapiens comploteur habituel, et des grands stratèges washingtoniens et israéliens qui ne cessent de nous promettre depuis 2005 leur attaque ultime, surprise et ultra-rapide (contre l’Iran, par exemple), que des forces désormais en mouvement, et irrésistiblement en mouvement.
Nous ne faisons pas l’histoire, c’est l’Histoire qui nous fait à sa guise. Dans cette occurrence, bien entendu, les évènements vont dans un seul sens possible, qui est antiSystème, qui est une résistance dynamique et une riposte formidable aux situations de glaciation déstructurée qui furent établies ces dernières décennies par le Système.
Si Morsi agit comme l’éclair, dans quel sens voudrait-on qu’il agît sinon dans celui de l’antiSystème ! On perd un peu trop vite de vue qu’en Égypte, ce qui a été détruit et ce qui est en cours de destruction, c’est une situation déstructurée, vassalisée et ossifiée absolument acquise au Système (Moubarak). Tout ce qui bouge va contre cette situation, et si les choses bougent vite… L’affrontement, finalement, se fait entre la glaciation des situations statiques (le Système) et les dynamiques métahistoriques de bouleversement (nécessairement antiSystème). Qui n’admirera cette ironie de la métahistoire de faire un enjeu de la bataille antiSystème d’une “glaciation” (du Système) dans les pays des grands sables et du grand soleil ; cela (la “glaciation”), la nature du monde, enfin libérée, ne peut que le rejeter…
Cet ensemble dynamique se retrouve naturellement sur une grande idée, une structure exceptionnelle qui, seule, peut fédérer les forces en mouvement. L’idée de souveraineté, pour un Egyptien, après ce que l’Égypte a du subir pendant des décennies, ne peut être qu’irrésistible. Là aussi, ce n’est ni question de choix, ni d’idéologies, ni d’imbroglio religieux ni de manoeuvres tactiques… Le domaine est celui de l’évidence, parce que c’est celui du Principe fondateur de toutes choses.
Lorsque se produisent des incidents dans le Sinaï, quels que soient les arrangements et les manigances, quels que soient les organisateurs de la chose, et que les Égyptiens sont obligés d’aviser les Israéliens, comme pour avoir leur autorisation, qu’ils amènent quelques chars et quelques hélicoptères pour intervenir sur leur propre territoire, quel réflexe peut-on attendre sinon celui de constater l’intolérabilité de voir le principe de la souveraineté en cet état de constante violation ? Il en découle ce que Morsi a fait dire aussitôt, savoir que son but est de rétablir l’intégralité de la souveraineté égyptienne.
Ainsi la mécanique est-elle en marche pour broyer ce chiffon de papier qui organise depuis trente ans la vassalité de l’Égypte au Système. Désormais, il n’y aura de cesse de voir le Traité de 1979 dépouillé de toute substance et, par suite logique, de toute existence. Le chemin de la rupture est ouverte, et Washington devra encore pagayer ferme pour y comprendre quelque chose lorsque la chose sera accomplie.
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