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19227 juillet 2013 – Nous allons analyser deux tendances fondamentales, quoique manifestées discrètement et documentées plus encore, affectant les deux puissances que sont les USA et la Russie. Il s’agit de tendances ni spécifiquement politique, ni économique, ni idéologique, bien qu’il y ait nécessairement de tout cela à la fois.
Il s’agit de tendances plus générales, que nous pourrions renvoyer à une catégorie dite du “phénomène structural”, – que ce soit de structuration ou de déstructuration, de structuration dans un sens ou l’autre, de déstructuration dans un sens ou l’autre, etc. Ce “phénomène structural” engendre ou non c’est selon, des effets de dissolution, éventuellement d’entropisation, ou bien des effets de restructuration dans l'autre sens. C'est un phénomène d'agitation et de transformation des structures..
Nous envisageons d’abord le cas des USA ; puis le cas de la Russie. Les sources de constat de ces différents aspects du “phénomène structural” sont très peu nombreuses et discrètes, comme on l’a vu. C’est le cas, aujourd’hui, pour les événements fondamentaux. Par contre, ces sources sont à notre estime très compétentes et décrivent des événements parcellairement appréciées mais aussi très profonds et essentiels.
Parfois, un article ou l’autre s’intéresse au phénomène ; l’un pour en écarter l’importance et le sens profond, l’autre pour effleurer l’un et l’autre. Les articles du premier type sont un peu moins rares que ceux du second. Lorsque Valerie Richardso propose le titre «Is one-party rule dividing America? Concentration of power can lead to overreach, backlash», le 28 juin 2013 dans le Washington Times, elle se garde bien de donner une réponse à la question posée (l’Amérique est-elle en train de se diviser ?).
Beaucoup plus intéressant quoique, à notre sens, incomplet dans ses conclusions, est l’article de Robert Reich, du 9 juin 2013 sur Truthdig.org. Le titre lui-même renvoie, par un mot, au caractère de discrétion de l’événement : «The Quiet Closing of Washington» Cela pourrait se traduire par quelque chose comme “Washington ferme discrètement boutique“.
Reich décrit d’abord les conditions qui ont amené à la véritable “mise en faillite” de Washington. On passera sur l’aspect partisan, le fait de faire porter toute la responsabilité de cette situation sur les républicains, et particulièrement sur Tea Party. (La thèse avait été développée, notamment par Joe Biden le 3 août 2011, dans des termes particulièrement rudes pour les parlementaires de tendance Tea Party, à l’issue de l’échec des négociations sur la dette qui avaient abouti à la mise en place de la législation de séquestration dont tout le monde jugeait qu’il ne s’agissait que d’une mesure de contrainte pour forcer, d’ici fin 2012, à un accord raisonnable : «Biden, driven by his Democratic allies’ misgivings about the debt-limit deal, responded: “They have acted like terrorists.”».) Reich :
«Conservative Republicans in our nation’s capital have managed to accomplish something they only dreamed of when tea partyers streamed into Congress at the start of 2011: They’ve basically shut Congress down. Their refusal to compromise is working just as they hoped: No jobs agenda. No budget. No grand bargain on the deficit. No background checks on guns. Nothing on climate change. No tax reform. No hike in the minimum wage. Nothing so far on immigration reform.
»It’s as if an entire branch of the federal government — the branch that’s supposed to deal directly with the nation’s problems, not just execute the law or interpret the law but make the law — has gone out of business, leaving behind only a so-called “sequester” that’s cutting deeper and deeper into education, infrastructure, programs for the nation’s poor, and national defense. The window of opportunity for the President to get anything done is closing rapidly. Even in less partisan times, new initiatives rarely occur after the first year of a second term, when a president inexorably slides toward lame duck status.
»But the nation’s work doesn’t stop even if Washington does. By default, more and more of it is shifting to the states, which are far less gridlocked than Washington. Last November’s elections resulted in one-party control of both the legislatures and governor’s offices in all but 13 states — the most single-party dominance in decades. This means many blue states are moving further left, while red states are heading rightward. In effect, America is splitting apart without going through all the trouble of a civil war.»
...Suit une description impressionnante de la façon dont les États de l’Union, en quelques mois, et grâce à des majorités homogènes de droite (républicains) ou de gauche (démocrates) mettent en place des législations spécifiques sur des problèmes fondamentaux (impôts, dépenses publiques, ventes libres d’armes à feu, sécurité sociale, etc.). Cela aboutit à une situation où, si vous passez d’un État à l’autre, vous vous trouvez dans un régime totalement différent, comme s’il s’agissait d’un pays différent. A New York, il devient presque impossible d’acheter une arme à feu ; mais il vous suffit de passer un week-end à Kansas City pour en acquérir un lot et revenir à New York armé jusqu’aux dents. «Federalism is as old as the Republic, but not since the real Civil War have we witnessed such a clear divide between the states on central issues affecting Americans», conclut Reich pour ce passage. Puis il va aux enseignements généraux qu’il tire de ces diverses observations... «But the trend raises three troubling issues.
»First, it leads to a race to bottom. Over time, middle-class citizens of states with more generous safety nets and higher taxes on the wealthy will become disproportionately burdened as the wealthy move out and the poor move in, forcing such states to reverse course. If the idea of “one nation” means anything, it stands for us widely sharing the burdens and responsibilities of citizenship.
»Second, it doesn’t take account of spillovers — positive as well as negative. Semi-automatic pistols purchased without background checks in one state can easily find their way easily to another state where gun purchases are restricted. By the same token, a young person who receives an excellent public education courtesy of the citizens of one states is likely to move to another state where job opportunity are better. We are interdependent. No single state can easily contain or limit the benefits or problems it creates for other states.
»Finally, it can reduce the power of minorities. For more than a century “states rights” has been a euphemism for the efforts of some whites to repress or deny the votes of black Americans. Now that minorities are gaining substantial political strength nationally, devolution of government to the states could play into the hands of modern-day white supremacists.»
Sa conclusion finale va enfin à l’essentiel, quoiqu’en des termes feutrés et à peine suggérés. Mais l’on sait bien que lorsqu’un tel ton est adopté pour un problème de cette importance chez un commentateur qui, comme Reich, reste partie du Système malgré ses conceptions plus radicales que la norme, c’est que la chose est singulièrement importante... Ce que Reich met donc en évidence à ce propos, c’est bien la crainte que les USA se désagrègent par la balkanisation, et ne forment plus un pays uni : «A great nation requires a great, or at least functional, national government. The Tea Partiers and other government-haters who have caused Washington to all but close because they refuse to compromise are threatening all that we aspire to be together.»
Le paradoxe de cette situation se désigne comme une démesure, un déséquilibre évident entre cette rupture entre Washington et le reste pour cause d’absence et de faillite de Washington, et l’activisme extraordinaire de Washington dans tous les domaines de ce qu’on nomme, d’une façon désormais obsolète “sécurité nationale”. (L’expression “sécuritéSystème” conviendrait bien mieux, et nous ne l’écarterons pas de notre arsenal dialectique.)
Ainsi s’établit une double tension agissant dans le même sens de la production d’un courant dévolution-balkanisation. Cette formule s’installe pour l’instant sans autre forme de procès, sans remous notable ni réaction quelconque, parce qu’aucune interférence majeure n’est encore intervenue. (Par “interférence majeure”, nous entendons, par exemple, une sollicitation de forte importance du “centre” aux États pour une de ses entreprises de type sécuritéSystème.) Bien entendu, la nouveauté de l’“arrangement” interdit toute appréciation sérieuse de la situation.
D’autre part, ce qui est remarquable dans cette situation nouvelle, et explique également et d’une façon plus fondamentale que “cette formule” se soit installée “sans autre forme de procès, sans remous notable ni réaction quelconque”, c’est qu’elle n’est en aucune façon la conséquence d’une organisation humaine ni même d’une tendance politique organisée. L’originalité de cette situation réside sans aucun doute dans son caractère d’automaticité paradoxale : elle a été bel et bien imposée par l’absurde emprisonnement de la séquestration, qui a été explicitement voulu comme absurde pour forcer à trouver un arrangement convenable sur les réductions budgétaires et écarter son application, avec l’échec qu’on sait. Ainsi la cause initiale reste tout de même la paralysie washingtonienne (l’incapacité de trouver un arrangement convenable).
Parlons de la Russie maintenant et de sa “transformation”, parallèlement à celle des USA. Nous serons nécessairement plus long parce que l’évolution russe est coordonnée, voulue en un sens, donc plus complexe à exposer que l’évolution US qui est quasiment de l’ordre de l’automatisme. C’est principalement à partir d’un texte (de plusieurs textes) de l’excellent commentateur français résidant à Moscou, Alexandre Latsa, que nous allons procéder.
Ce que nous retenons essentiellement, c’est cette idée, exposée à plusieurs reprises par Latsa, de la “spiritualisation” du régime et du cadre politique général russe, – de ce que Latsa désigne comme le “modèle russe”. Nous-mêmes avons largement abordé ce problème, notamment et singulièrement depuis le début 2012 et les présidentielles de mars. (Voir le 3 mars 2012, le 5 mars 2012, le 23 avril 2012, le 23 avril 2013 encore, le 15 juin 2012, le 21 août 2012, le 15 juin 2013.)
C’est essentiellement à partir du texte de Latsa du 19 juin 2013 sur RIA Novosti (et le 25 juin 2013 sur son site Dissonance) que nous allons procéder. Dans ce texte, Latsa présente l’évolution et l’identification de ce qu’il juge être le “modèle alternatif” que présente désormais, de plus en plus nettement, la Russie. Le facteur essentiel est effectivement celui de la “spiritualité”, sous la forme religieuse classique, mais très spécifique à la Russie avec une église orthodoxe clairement identifiée et engagée aux niveaux national er politique...
«Mardi 12 juin la Douma russe (la chambre basse du parlement russe) a adopté un projet de loi visant à lourdement sanctionner les offenses aux croyants, via une amende allant jusqu’ à 500.000 roubles (12.500 euros) et un an de prison aux personnes “menant une action publique qui témoigne d'un évident manque de respect envers la société dans le but d'offenser les sentiments religieux des croyants”. La loi comprend aussi un volet qui augmente la peine de prison si l’offense est commise au sein d’un lieu de culte et enfin vise aussi la “profanation intentionnelle de littérature religieuse et d'objets de culte” ou encore le fait “d'empêcher illégalement l'activité religieuse”.
»Le terme d’offense (d’outrage peut on dire) aux croyants a sans aucun doute été grandement inspiré des actions menées par quelques groupuscules qui on s’en souvient avaient l’été dernier entamé une véritable croisade contre les églises et les croyants en Russie et en Ukraine, continuant leurs activités d’agents provocateurs aujourd’hui principalement en France, en s’attaquant d’ailleurs aux croyants Chrétiens comme musulmans.
»Cette défense des croyants devrait être sous peu renforcée par un autre projet de loi actuellement en cours d’élaboration qui devrait viser à neutraliser les menaces contre la sécurité nationale liées à l'activité des organisations religieuses en Russie. Le projet prévoit notamment un alourdissement des peines pour appels publics à l'activité extrémiste, incitation à la haine, organisation d'une communauté extrémiste ou encore organisation de l'activité d'une organisation extrémiste.»
Latsa parle ensuite d’une «conception religieuse de la famille» en citant les récents actes législatifs institués d’une façon totalement, et volontairement antagonistes à la tendance actuelle dans le bloc BAO (le “mariage gay” et tout son train, dans ses dimensions sociétale et déstructurante). Écartant les diverses pressions des lobbies bien de notre temps-Système de la modernité, les intervention horrifiées des grandes démocraties de notre bloc BAO, etc., les lois ont été votées, et «[l]a Russie a confirmé qu’elle est un pays souverain qui ne cède pas aux pressions...». Ainsi retrouve-t-on, actée dans le cadre de la loi, cette conception énoncée en 2005 selon laquelle «la famille traditionnelle est la base de la souveraineté d’une nation». Il faut apprécier le rapprochement et l’extrême intimité de la notion de “Tradition” (la majuscule est pour nous une extrapolation évidente de l’expression “famille traditionnelle”) et du principe de souveraineté. On retrouve toutes nos références antiSystème.
Latsa conclut : «Ces deux lois s’inscrivent dans le cadre du nouveau modèle de société qui est en train de se constituer en Russie et dont j’avais en décembre dernier énuméré les quatre piliers fondateurs: Patriotisme, Eurasisme, État et Religion. [...] La Russie semble donc inexorablement renforcer son statut de modèle alternatif.» Cette référence à un texte “de décembre dernier”, du 5 décembre 2012 (RIA Novosti) renvoie effectivement à des observations impliquant une transformation fondamentale, nous dirions non seulement de la Russie mais du destin russe dans l’actuelle crise générale de civilisation...
«Par conséquent le nouveau modèle russe doit pour maintenir équilibre et harmonie dans la Fédération de Russie s’éloigner du modèle libéral démocrate, laïque et libertaire de l’Union Européenne, pour évoluer vers un modèle religieux, traditionnel et avec un état fort, nécessaire pour affirmer son autorité face aux inerties territoriales et identitaires qui découlent tant de la taille du pays que de la variété de population qui y réside. Cela explique pourquoi ces derniers mois ont vu en Russie un regain d’influence des idées “patriotes étatistes” au détriment des idées “étatistes libérales” et le mouvement devrait sans doute s’accentuer. [...] Pour l’analyste Alexandre Rhar, lors de la dernière réunion du club de Valdaï, Vladimir Poutine a utilisé une rhétorique très conservatrice et montré “qu’il préparait la Russie à autre chose” et notamment au fait qu’elle n’appartient pas à l’Ouest, comme c’était plus ou moins admis jusqu'à récemment.»
On peut, on doit compléter cette analyse générale par une référence à un texte de Olga Chetverikova, sur Strategic-Culture.org, le 2 juillet 2013. Chetverikova fait allusion au cercle Bilderberg et aux interventions qu’on a déjà signalées (voir le 7 juin 2013) du CEO de Google, Eric Schmidt, lors d’une réunion de Google précédant celle du Bilderberg. (On verra ce qu’on veut, – coïncidence bien improbable si l’on veut, – dans le fait qu’à deux semaines d’intervalle ces deux réunions ont eu lieu dans le même hôtel de la banlieue de Londres, le Grove Hotel.) On retrouve Schmidt au Bilderberg, qui devient sous la plume de Chetverikova le Googleberg.
Il s’agit d’exposer un projet, qui se marrie assez bien avec ce que nous avons déjà vu des ambitions de Schmidt. Parlons grossièrement d’une évolution vers le couple homme-machine, aboutissant à une transmutation et à l'annexion de l’un par l’autre (on vous laisse deviner qui est qui dans le “l’un par l’autre”), c’est-à-dire à une transformation de sapiens en quelque chose de supérieur, de plus maniable, de plus efficace et ainsi de suite, – et dont on attendrait, probablement, qu’il soit parfaitement convaincu des vertus du Système. Quelques extraits du texte de Chetverikova, s’achevant par une invocation divine après des références stupéfaites au transhumanisme de Huxley et au “posthumain” :
«W orld events are showing more and more clearly that the most important goals of the world elite are the total restructuring of human consciousness and even changing the essence of humans. In fact, this is both the end and the means of building a «new world order». The last meeting of the Bilderberg Group, which took place on June 6-9, 2013 at the Grove Hotel in a London suburb, was especially telling in this regard... [...]
»What Eric Schmidt is advocating is called transhumanism, which is a mindset which assumes that it is possible and desirable to fundamentally change the species homo sapiens using advanced technologies in order to create a “posthuman”. This concept was first used in the work Religion without Revelation by biologist and evolutionist Julian Huxley, called the “Maltus of the 20th century”. For him transhumanism became a new ideology and even a new “faith for Mankind”. And that is what it is for modern “prophets” who offer ways to reconstruct man, turning him into a manageable and obedient biorobot. A mass of such biorobots is to replace modern humanity.
»We see that the elite's methods of government are undergoing changes which allow them to transition from a covert to an overt level of governance. Under these circumstances the significance of summits, conferences and secret negotiations changes as well. This was demonstrated by the last meeting of the Bilderberg Group, which can be described as “anticonspirological”. The fight is being taken to a new level, the level of an informational and spiritual confrontation which presents humanity with the choice between the anticivilization of unpeople and the civilization of people created in the image and likeness of God.»
Nous croyons volontiers à ces ambitions, à ces projets. Nous-mêmes en avons parlé d’une façon détaillée, en envisageant leurs perspectives et la signification de cette tendance du scientisme à prétention de transformation radicale du monde et de l’espèce (voir le 13 mai 2013 et le 7 juin 2013 déjà cité). Plutôt que d’y voir la poursuite jusqu’à la rupture totale avec ce qu’il reste du monde tel qu’il nous fut donné, au profit du triomphe de l’esprit humain selon la conception de ces gens, nous verrions plutôt dans cette agitation pseudo-philosophique et pseudo-métaphysique, et certainement high-tech, le signe de l’intense panique qui habite aujourd’hui le Système dans le chef des élites-Système qui en dépendent, devant la résistance de la “matière humaine” à la transformation-Système qui leur est offerte.
Certes, on reconnaît un de nos thèmes favoris. Ce qui nous attache pour notre propos, c’est de voir une commentatrice à la fois scientifique et stratégique, invoquer la dimension sacrée de la bataille engagée (certainement, il y a cette bataille entre Système et antiSystème), et s’en référer finalement au domaine divin et, in fine, à celui de la Tradition. («The fight is being taken to a new level, the level of an informational and spiritual confrontation which presents humanity with the choice between the anticivilization of unpeople and the civilization of people created in the image and likeness of God.»)
On a déjà vu ce rapprochement inattendu, ou inhabituel, entre les références sacrées et des activités extrêmement dépendantes des matières terrestres. Latsa, dans un autre texte sur un thème approchant, le 13 février 2013 sur RIA Novosti, citait le cas de Rogozine («Enfin un nouveau visage est apparu au premier plan durant la dernière campagne présidentielle de Vladimir Poutine: le très patriote Dimitri Rogozine, proche en son temps du général Lebed et ancien “Monsieur Russie” à l’OTAN. Il est devenu vice premier ministre chargé du complexe militaro-industriel et il est partisan d’une ligne politique de reconstruction nationale avec l’appui de l’état. Récemment, il a affirmé que le complexe militaro-industriel russe devait et allait devenir la locomotive de l’économie russe.») Nous avions déjà vu, à propos du même Rogozine, le 14 mars 2012, cet inattendu mélange des genres : lors de la présentation de son propre mouvement politique, Rogozine avait invité le Patriarche Cyril Ier, chef de l’église orthodoxe russe, et Cyril ne manqua pas de faire l’éloge du réarmement de la Russie, qu’il plaça en parallèle avec la renaissance spirituelle actuellement en cours.
On peut aisément identifier, selon nos propres références, dans ce traitement de deux évolutions en cours, celle des USA et de la Russie, une évolution-Système et une évolution antiSystème. De ce point de vue, nous suivons une autre voie interprétative que celle de Latsa lorsqu’il présente l’évolution de la Russie comme l’établissement d’un “modèle alternatif“ à celui, catastrophique, qui est présenté par le bloc BAO et l’Occident.
Pour rappeler notre interprétation, nous nous reportons à notre texte du 24 juin 2013, et à un extrait, déjà cité comme tel le 4 juillet 2013. Nous y proposions l’idée que les pays hors-bloc BAO, même s’ils manifestent des tendances antiSystème, parfois très fortes, restent néanmoins liés au Système. (L’exemple de Rogozine est un cas très concret : même s’il s’oppose au bloc BAO [au Système], il passe par un programme, dont il est le maître d’œuvre en Russie, qui est un programme-Système puisqu’il s’agit de développer l’industrie d’armement, création du technologisme, face au bloc BAO.) Quoi qu’il en soit, on voit, dans l’extrait annoncé, que nous accordions une place très spécifique à la Russie, en lui reconnaissant de singulières capacités antiSystème...
«Nous refusons en effet absolument le traitement spécifique de ces situations, qui est l’aliment évident du réductionnisme par quoi l’on évite d’aller au cœur du seul problème qui compte dans notre temps. Plus encore, nous estimons que ce que nous avons déterminé comme la “sorte d’unité de situation générale” de ces trois pays qui font partie d’un groupe spécifique qu’on juge plus ou moins, selon les circonstances et malgré les accidents (Turquie), de tendance antiSystème, ne doit en aucun cas être séparé de la situation générale des pays du bloc BAO telle que nous l’observons depuis au moins 2008. [...] Nous devons ajouter bien entendu que ces pays, qu’on juge effectivement plutôt de tendance antiSystème, sont nécessairement soumis au Système, ou dans tous les cas intégrés dans le Système, dans le chef des aspects financier, économique et social (avec une certaine réserve mais tout de même nullement décisive pour la Russie, dont l’exécutif fort, la tradition étatiste affirmée, etc., limitent certains aspects de la pénétration-Système aux niveau financier, économique et social).»
A notre sens, ces situations évolutives des puissances principales de la situation-Système sont effectivement deux “modèles”, mais plus dans le sens de “prototype, représentation simplifiée d'un processus”, que dans le sens de “ce qui sert comme base à l'imitation”. Chacun des deux nous montre l’exemplaire processus d’une situation-Système nécessairement de type structurel (déstructurant), et d’une situation tendant vers l’antiSystème, nécessairement de type conjoncturel (adaptation et évolution selon l’évolution du Système).
Ces deux phénomènes nous permettent alors de mieux fixer les spécificités de la bataille entre Système et antiSystème, – cela, en notant, dans le commentaire rapide de chacun des deux cas, qu’il existe dans ces “modèles” eux-mêmes des ambiguïtés antagonistes, particulièrement dans le “modèle”. Ils nous montrent essentiellement combien cette “bataille entre Système et antiSystème” peut se faire dans la discrétion, hors du champ de nos perceptions les plus promptes à réagir, hors du champ de l’écho du système de la communication également.
Le “modèle” US reflète effectivement une évolution Système, avec paralysie et dégradation paralysée du centre dont on attend qu’il soit structurant. Il s’ensuit un processus tendant à la dissolution avec une parabole politique de l’entropisation sous la forme de l’absence totale de coordination entre les composants résultant du processus tendant vers la dissolution.
L’ambiguïté fondamentale est qu’il s’agit des USA, dont on connaît l’histoire : une centralisation forcée avec la Guerre de Sécession, bafouant les droits des États, avec le personnage énigmatique et contradictoire de Lincoln. Étant donné que les USA, sous la forme du centralisme washingtonien, sont le bras armé du Système, peut-on considérer que le processus actuel est une amorce d’un des mouvements les plus importants du processus d’autodestruction du Système ? C’est à considérer avec d’autant plus d’intérêt que bien peu de plumes-Système n’accordent pas vraiment d’attention à la chose, – signe, en général, que “la chose” est importante.
Un facteur extrêmement convaincant est bien que ce processus, largement préparé par 4 à 6 années de complète paralysie fonctionnelle de Washington, établit une situation de paralysie structurelle à cause d’un “accident” (l’installation du processus de séquestration qui avait été conçu comme le plus inepte et le plus absurde possible, pour obliger les parlementaires à trouver un accord raisonnable évitant d’imposer cette catastrophe autobloquante) ; qui plus est, un “accident” dont la plupart des commentateurs, confiant aveuglément dans la capacité d’adaptation du pouvoir US, avaient pronostiqué à coup sûr qu’il n’aurait pas lieu. Nous avons toujours été incliné à penser que les facteurs principaux du processus d’autodestruction, puis de l’effondrement du Système, seraient du type inattendu, imprévu, qui s’imposerait discrètement, sans que personne ne note l’événement dans sa réelle dimension.
La Russie, selon l’évolution qui nous est décrite et qui semble correspondre sans nul doute à une vérité de situation, tendrait à représenter le “modèle” de l’antiSystème. (La question sur la possibilité qu’elle soit un “modèle alternatif” nous semble sans objet. Le cataclysme structurel qui interviendrait si son “modèle“ “triomphait“ en un sens, qui serait le sens d’accélérer l’effondrement du “modèle”-Système, serait d’une telle ampleur que tout ce qui existerait serait nécessairement revu de fond en comble, y compris les facteurs antiSystème ayant contribué à l’effondrement.)
L’élément original de la Russie dans la situation qu’on décrit est dans le fait, que nous avons déjà souligné, de réintroduire dans la situation du monde, dans l’évaluation politique, dans l’appréciation opérationnelle de la stratégie, enfin dans la communication elle-même, des facteurs tels que la spiritualité, le sacré, par conséquent la Tradition, l’élément de la transcendance, etc. Nous n’insistons nullement sur le facteur de la religion parce que, dans le cas russe, la religion orthodoxe se place elle-même en position d’être un outil de l’État et de la nation russes. Le facteur de la religion perd alors toute sa charge explosive, polémique, etc., notamment en n’ayant guère de prétention prosélytes hors des territoires acquis (la Russie, essentiellement) et internationalistes. L’important est que la religion orthodoxe adoube cette dimension de la spiritualité, en lui donnant son essence, et par conséquent en chargeant d’un crédit peu ordinaire l’évolution russe telle qu’on la distingue aujourd’hui.
(C’est pourquoi, comme nous l’indiquions le 15 juin 2013, «il nous semble accessoire et inutile, sinon contre-productif, d’opposer des tendances religieuses à des tendances laïques-libertaires. [...] Un laïc à la psychologie forte peut parfaitement se trouver à son aise dans une Russie religieuse, du moment qu’il identifie dans cet “engagement” le fondement qui importe, qui est structurant et antiSystème ; de même, des consciences religieuses, des pratiquants, voire des personnes de telle ou telle hiérarchie religieuse à la psychologie affaiblie, peuvent se retrouver engagés dans le “combat sociétal” de l’Europe-UE & consorts, leur faiblesse psychologique les empêchant, eux, de distinguer qu’ils prennent le parti de la déstructuration et du Système.»)
Nous allons un pas plus loin en observant que l’originalité de la Russie, telle qu’observée plus haut, devient une vertu remarquable, et une occurrence où elle semble dépasser le seul rôle de “modèle antiSystème”. Non seulement elle tend à modifier les données du débat comme on l’a vu, mais elle impose peu à peu dans les esprits des éléments qui sont complètement absents des débats courants, tels qu’ils se développent par rapport au Système et à l’intérieur du Système, y compris contre le Système. Des facteurs tels que la spiritualité et tout ce qui en dépend, voire l’appel implicite à la Tradition dans sa dimension philosophique primale, outre de jouer un rôle antiSystème, ont toutes les chances de figurer dans l’arsenal des concepts qui seront à considérer dans une époque post-Système. Le fait très remarquable des considérations qu’on découvre à cet égard est que ces facteurs sont aussi bien considérés par des esprits au nom de la foi, que par des intelligences au nom de la raison et de l’“esprit critique”.
Il doit être entendu que toutes ces considérations doivent être lues et comprises hors de toutes les appréciations habituelles, – partisanes, politiques, idéologiques. Il s’agit d’une situation considérée d’un point de vue qui se veut hors-Système (en-dehors de l’influence du Système). L’inconnaissance nécessaire doit jouer à propos de tous ces facteurs qu’on a l’habitude de manipuler pour des situations à l’intérieur du Système, et qui sont nécessairement trompeurs dans la situation présente.
Cela implique que le jugement porté ici sur les USA n’empêche nullement une dimension de grande faveur si la dissolution des USA s’effectuait, et se formaient des entités souveraines nécessairement adversaires du centre-Système. Cela implique que la faveur avec laquelle on évalue l’évolution de la situation russe n’empêcherait nullement, si c’était le cas nécessaire, de juger négativement tel ou tel aspect de la politique russe méritant un tel jugement.