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28342 octobre 2013 – S’il a quelque humour, Poutine, comme un bon diable venu de l’Est, doit en rire encore, – de cette inspiration sublime qui lui fit ajouter in extremis, le dernier paragraphe de son article, publié dans le New York Times d’un certain 11 septembre (2013) ... Sans rire, Poutine a raconté, le 19 septembre à la rencontre du Club de Valdai (voir le 23 septembre 2013), que son article devait paraître le 10 septembre. Puis, s’en avisant lui-même et rencontrant le conseil de la firme de relations publiques qui arrangeait la transaction, il a demandé de le différer d’un jour pour pouvoir tenir compte du discours d’Obama du 10. C’est alors qu’il a rajouté ces dernières phrases mentionnant effectivement ce discours, et tout cela pour parution le 9/11 (circa-2013) ... Le bon diable a des accointances avec le Ciel, pour être adoubé ainsi d’un de ses signes les plus évidents.
«My working and personal relationship with President Obama is marked by growing trust. I appreciate this. I carefully studied his address to the nation on Tuesday. And I would rather disagree with a case he made on American exceptionalism, stating that the United States’ policy is “what makes America different. It’s what makes us exceptional.” It is extremely dangerous to encourage people to see themselves as exceptional, whatever the motivation. There are big countries and small countries, rich and poor, those with long democratic traditions and those still finding their way to democracy. Their policies differ, too. We are all different, but when we ask for the Lord’s blessings, we must not forget that God created us equal.»
... Car, que voulait donc dire BHO en mentionnant dans un discours (celui du 10 septembre) qui annonçait l’une des plus complètes capitulations des USA en matière de politique étrangère depuis des décennies, que, – «... what makes America different. It’s what makes us exceptional». A force de dire n’importe quoi à propos de n’importe quoi, et ce désordre ainsi réarrangé par quelque ordre supérieur, cet homme qui ne croit en rien sinon en sa carrière va finir par nous faire croire qu’il y a une Providence pour veiller sur le verbe, – même celui des “idiot” shakespeariens.
Nous avons déjà parlé de l’article de Poutine et des réactions qu’il amena (notamment le 14 septembre 2013), que nous résumions de la sorte, parlant aussi bien de nausée que de hautes intelligences sénatoriales et bafouées ...
«[D]u côté de l’establishment, ce fut un véritable déluge d’indignation. Le sénateur démocrate Menendez, président de la bombastique commission des relations extérieures du Sénat, manqua vomir selon son propre aveu ; le sénateur républicain James Inhofe entendit Ronald Reagan qui se retournait dans sa tombe en hurlant “Wake Up, America!” ; le sénateur John McCain jugea que c’était une insulte à son intelligence et annonça qu’il allait désormais collaborer à la Pravda ...»
Effectivement, ce fut la mise en cause de l’exceptionnalisme américaniste qui toucha un nerf vital de la Grande Amérique, provoquant spasmes et réactions convulsives. En fait de débat, et en cela on le qualifie d’“exceptionnel” en ne résistant pas à la tentation du jeu d’un seul mot, il n’y en eut pas. Simplement une clameur d’indignation venue des usual suspect washingtoniens, accompagnée du sarcasme et de l’opprobre des divers commentateurs antiSystème. Ce fut un feu de paille, mais avec une flamme grondante d’un instant. L’affaire fut bouclée avec le discours d’Obama aux Nations Unies, que Jason Ditz, d’Antiwar.com (le 24 septembre 2013), présenta à la fois comme une riposte à l’article de Poutine et une affirmation que l’“exceptionnalisme” américaniste se mesurait d’abord dans la capacité et la volonté de faire la guerre.
«“I believe America is exceptional, in part because we have shown a willingness, through the sacrifice of blood and treasure, to stand up not only for our own narrow self-interest, but for the interests of all,” Obama insisted. This of course segued back into calls for authorization to attack Syria.
»Though the reference to America as “exceptional” was seen by many as an attempted slight to Russian President Vladimir Putin, the narrative seemed primarily directed at the American public, and selling the idea that true national greatness is measured by its willingness to start wars that are plainly contrary to their interest. Americans are convinced that the Syrian war isn’t in their interest, but turning that into another reason to support the war seems a stretch, to say the least.»
Quoi qu’en dise Ditz, et si l’on se place du point de vue de l’américanisme, Obama s’avérait être parfaitement dans la ligne. L’“exceptionnalisme” américaniste est une notion fondamentale et originelle, absolument fondatrice, une conception d’être, un concept dirait-on aujourd’hui, de la soi-disant nation américaniste. Son application opérationnelle est la soi-disant doctrine de la Manifest Destiny, apparue en 1847, pour justifier la guerre de conquête lancée contre le Mexique, qui valut aux USA quelques-uns de ses plus beaux fleurons de son Sud-Sud-Ouest, du Nouveau Mexique à la Californie annexés au Mexique en tout arbitraire de la force. Obama ne se trompait donc pas : l’opérationnalité de l’exceptionnalisme américaniste, c’est la guerre, et éventuellement la guerre de conquête, la guerre du rapace qui se fait ange noir pour affirmer le Royaume du Dieu-Amérique devenu empire sur le monde.
Le problème, c’est que la bonne référence, pour Obama, c’est 1847. Nous sommes en 2013.
Par ailleurs, les briques s’effondraient de partout. La cavalcade qui a mené, pendant une décade, les Russes et les Américains dans le chef de Lavrov-Kerry jusqu’à la résolution 2112 de l’ONU sur l’accord de destruction de l’armement chimique syrien, fut un exemple du genre. Les représentants de l’américanisme guerroyèrent sabre au clair, menaçant de cette fameuse attaque si longtemps retardée contre la Syrie, exigeant qu’elle soit inscrite dans la résolution sous le chapitre VII pour impliquer l’autorisation actée de lancer cette attaque si la Syrie ne se conformait pas à ce qu’on attendait d’elle, etc. ; pour aboutir, dans l’enthousiasme exceptionnaliste proclamé à nouveau, à une capitulation sans conditions (de celle qu’affectionnent les stratèges américanistes), dans le chef de la direction américaniste. (Capitulation de Fabius-Hollande également, mais bon, passons : chez eux, on a zappé vers la question du grave débat sur le travail autorisé ou pas le dimanche...)
Le prodigieux parcours de ces négociations jusqu’à la résolution 2112 (voir le 28 septembre 2013), en un cercle parfait de la rodomontade à la capitulation, acte effectivement une défaite diplomatique US sans beaucoup de précédent, – on n’en voit pas, en vérité, de si parfaite, – dans le chef arrogant et triomphaliste de la Grande République.
«Puisque cette résolution marque un triomphe de la diplomatie principielle, donc de la diplomatie russe qui en est l’expression la plus proche aujourd’hui, elle est certainement, de façon encore plus affirmée, une débâcle de la “politique des valeurs”, du bloc BAO. Les USA (et les supplétifs avec eux) ont cédé sur l’essentiel... [...] Tout le montage concernant une expédition punitive [...] ce montage s’effondre d’un seul mouvement.»
Il manquait une cerise sur le gâteau. (En attendant, d’autres, sans doute.) Elle est venue du véritable domaine de la crise de l’américanisme, qui est le domaine intérieur, et le domaine du pouvoir américaniste plongé dans une guerre civile marquée par le désordre le plus complet : Congrès contre président, républicains contre démocrates, populistes non-interventionnistes (républicains et démocrates) contre les mandarins interventionnistes (démocrates et républicains) ; et un président lui-même, en bataille sans fin contre lui-même, par pure habileté tactique et kafkaïenne, qui semble de plus en plus se couler dans le surnom de “flip flop”.
(Écho d’un autre chantier, après que BHO ait parlé si chaleureusement avec Rouhani en oubliant les projets d’attaque, puis affirmé à Netanyahou que l’option de l’attaque contre l’Iran n’était pas tout à fait off the table, qu’elle reste, disons au bord de la table, en embuscades hein :
«Iran Foreign Minister Mohammad Javad Zarif has warned the US that its “flip-flop and contradictory” stances will destroy mutual confidence, urging Washington to show consistency in dealing with Iran to promote trust.» [PressTV.ir, le 1er octobre 2013])
La séquence actuelle avait commencé le 21 août près de Damas et avait véritablement pris son envol lorsqu’il s’avéra que le POTUS immensément affaibli risquait sa peau contre un Congrès dressé contre lui. Elle se relance d’elle-même avec l’affrontement autour de Obamacare, du plafonnement de la dette, du “chômage technique” du gouvernement fédéral privé de budget depuis le 1er octobre, ce qu’on nomme le government shutdown.
En soi, le government shutdown n’est pas l’apocalypse, même si la chose frappe les esprits. Washington a expérimenté à plusieurs reprises une telle séquence. La dernière fois, ce fut en 1995-1996 et cela tint essentiellement aux ambitions médiocres du nouveau Speaker de la Chambre, Newt Gingrich, installé avec le raz-de marée électoral républicain de novembre 1994 qui avait mis Clinton KO debout. Ainsi, chaque fois, il s’agit d’une phase spectaculaire du point de vue de la communication mais qui se comprend et s’explique en fonction de l’affrontement politicien courant et n’a d’importance que dans cette relation. Tous les techniciens s’accordent à conclure que la question de l’autorisation ou non du relèvement de la dette pour le gouvernement, qui doit être tranchée le 16 octobre par le Congrès, est beaucoup plus importante du point de vue budgétaire et économique, touchant là un problème structurel fondamental du gouvernement. Encore sommes-nous, là encore, dans un domaine “technique” qui ne vaut, pour être apprécié justement, qu’en fonction du contexte.
Justement, rares sont les commentateurs qui évoquent ce contexte, se cantonnant à l’aspect parlementaire, fiscal, budgétaire et institutionnel, éventuellement économique, ainsi cédant au sensationnalisme de la communication qui fonctionne dans ce cas selon l’habitude du Système, en prenant soin de cloisonner les crises. Selon nous, le government shutdown ne peut être appréciée dans son effet réel que dans le contexte général que nous avons proposé, – au moins depuis et à la lumière de la séquence paroxystique de la crise styrienne, dans ce qu’elle a révélé du point de vue intérieur à Washington, de la crise du pouvoir washingtonien.
Plus encore, l’appréciation doit être étendue pour mieux embrasser son contexte à ce que nous considérons de plus en plus comme le début d’une nouvelle phase crisique de la situation washingtonienne. Il s’agit de la crise Snowden/NSA commencée le 6 juin, qui s’est avérée d’une importance considérable, d’une importance que nous estimons égale au moins à la crise de l’automne 2008, par l’entraînement diluvien d’effets multiples affectant directement et gravement le National Security State qui domine la politique générale US, en divisant comme jamais l’establishment lui-même, – autre aliment grondant de la crise du pouvoir. Cela nous apparaissait évident dès le 2 août 2008 :
«La crise Snowden/NSA est bien diluvienne en plus d’être “première”, en plus d’être impérialement inscrite dans l’infrastructure crisique qui assure à la fois sa pérennité et son efficacité. Elle apporte cette dimension nouvelle de la “pluridisciplinarité” que peut atteindre une crise, en partant dans toutes les directions et en touchant tous les domaines, tout en maintenant avec une rigueur étonnante la cohésion de sa logique qui, chaque fois, la ramène au centre bouillonnant du Système et du bloc BAO, à Washington même. Devant une telle persistance qui transforme la résilience, d’une capacité de renaître à une affirmation constante de son existence avec les effets à mesure, on doit commencer à s’interroger pour savoir si l’on ne se trouve pas, avec cette crise Snowden/NSA, à une étape aussi importante dans le course de l’ébranlement du Système, que l’étape précédente qui est la crise financière de l’automne 2008.»
Ainsi le government shutdown doit-il être considéré, selon notre point de vue, dans cette séquence générale commencée en juin, en incluant la séquence syrienne dans ses effets considérables à Washington. Il est impératif, pour restituer une vision générale acceptable de la situation, de mêler tous ces épisodes crisiques que les commentateurs se gardent bien de rapprocher. Qui évoque directement et selon une logique qui doit être appréciée comme impérative, la “capitulation sans condition” sur l’affaire syrienne, lorsqu’on évoque cette affaire du government shutdown ? Au contraire, nous avons droit aux banalités sur les Pères Fondateurs, leur système de gouvernement, la pertinence d’une constitution vieille de plus de deux siècles et de l’esprit du check & balance qui l’anime en donnant tant de pouvoir au législatif face à l’exécutif. (On appréciera la figuration servile que fit ce législatif entre 2001 et 2010 face à un gouvernement développant une structure policière et de surveillance sans précédent, et on appréciera ce qu’il reste alors de l’esprit de ce fameux check & balance. Si la chose resurgit aujourd’hui, ce n’est pas à cause des entraves des Pères Fondateurs mais à cause de la crise du pouvoir américaniste.)
On appréciera jusqu’à quel point de croyance dévote, – on veut dire, dans le sens religieux, – peut aller cette interprétation qu’on détaille ci-dessus, de détacher le government shutdown du reste pour mieux parler de America the Beautiful en tant qu’archétype de la démocratie. C’est en effet de cela dont il est question, la croyance dévote dans le sens religieux, et bien entendu dans l’American Dream dans une version un peu sophistiquée. On en trouve un parfait exemple dans un commentaire de Simon Jenkins dans le Guardian du 1er octobre 2013.
• La scène est dressée avec le titre de l’article (le sous-titre nous suggérant ce que sera le “final”) :
«After this budget chaos is Uncle Sam ready for assisted suicide?». (Mais non, sans doute pas, certainement pas, grâce au miracle de la Constitution, d’où le sous-titre, avec notre souligné à nous : «The federal shutdown looks disastrous, but the constitution's strength allows the US to stare into the abyss – and step back»)
• Suit un détail sans trop de concessions des myriades d’effets et conséquences de la décadence accélérée des mœurs politiques vers le policier, l’arbitraire, l’illégalité, le totalitarisme belliciste et intrusif qui ont marqué la première décennie du siècle et la suite jusqu’à nous, – une rengaine connue, qu’il est inutile de citer. Tout cela est tout de même précédé de l’avertissement qui va bien, de la vertu fondamentale de la chose (America the Beautiful), créatrice de la démocratie, du gouvernement de la sagesse et ainsi de suite, de ce que Jenkins nomme plus justement qu’il ne croit, où le mot qui compte n’est pas le qualificatif, «the exceptionalist legend» :
«America can sorely test that loyalty. We were taught that the federal constitution must take the rough with the smooth. It was the forge on which American diversity was beaten into unity. It was how a continent which might have fragmented into a myriad states – black, white, Hispanic, oriental, whatever – has remained one. That wise American historian, Arthur Schlesinger, used to say that its constitution waltzes democracy to the cliff-edge of disaster, peers into the abyss, but always pulls back.»
• ... «[...A] always pulls back», ce sera le cas selon le scénario-dévot, avec le sens hollywoodien du suspense, America the Beautiful se rétablissant au dernier moment dans toute sa grandeur sublime... D’où la péroraison concluant le commentaire, – avec notre souligné en gras, pour le fun :
«America is not broken. It is merely having one of its periodic nervous breakdowns, probably not before time. As it tiptoes to the edge of the cliff, its friends may look on in horror. But it will tiptoe back, for sure.»
• Mais l’introduction nous avait donné la clef du scénario. Nous avons affaire à un croyant, à un dévot de l’American Dream, exactement comme la rationnelle Germaine de Staël s’écriait passionnément, dans une lettre à son ami Jefferson, en janvier 1816 : «Si vous parvenez à détruire l’esclavage dans le Midi, il y aurait au moins dans le monde un gouvernement aussi parfait que la raison humaine peut le concevoir.» (Autant pour America the Beautiful d’après 1865.) Bref et enfin, pour en finir avec Jenkins, dont les commentaires sont souvent pertinents mais dont on s’aperçoit que la pertinence s’arrête à la porte de l’église sacrée de ses dévotions, – voici son paragraphe d’introduction qui sent son missel pieusement consulté à intervalles réguliers, et pour les government shutdown :
«I am of the pro-American generation. To us America was the future. Europe was nowhere. We read, saw, heard, visited America. We studied and worked there. Some of us even married Americans. We were affiliates of the tribe. We bought into the exceptionalist legend.»
Si nous nous sommes attardés à Jenkins, c’est parce que, nous semble-t-il, il nous donne une clef, d’ailleurs sans véritable surprise pour nous, pour ouvrir la porte du mystère, – plutôt que la percer, comme fait un braqueur maladroit omettant de constater que la porte du coffre n’est plus verrouillée, – ce mystère dont Tom Engelhardt parle dans sa chronique citée dans notre texte du 1er octobre 2013 :
«The Mystery of Washington's Waning Global Power», – «Barack Obama has managed to look like a bystander at his own funeral... [...] If I had to summarize these years, I would say that he entered the phone booth dressed as Superman and came out as Clark Kent... [...] In our lifetime, we’ve never seen a president – not even the impeached Clinton – so drained of power or influence.»
Ne prenez pas BHO à la lettre, ni aux initiales, ni même à ses inconsistances absolues jusqu’à la dissolution (tout en gardant tout cela dans le diagnostic général). Prenez-le comme le POTUS archétypique absolu et au plus haut possible du symbolisme de l’American Dream auquel les dévots, des plus sots aux plus avisés comme Jenkins, continuent à faire leur dévotion. BHO, le premier président black, – quel mots goûteux jusqu’à l’extase dans la bouche du moderniste, du postmoderniste, du croyant enfin, – le président cool succédant à cette dévastation de l’esprit que fut GW, le Yes, we can de l’American Dream. (Certes, BHO a fait pire que GW, mais bon, passons à la suite...)
Malgré tout, malgré son parcours si intellectuellement et intelligemment catastrophique, BHO est resté ce qu’on vient de dire ci-dessus. Il est donc resté ce symbole de l’accomplissement de l’American Dream. Et notre thèse, – si largement présente dans La Grâce de l’Histoire, – est bien que l’American Dream, déjà extraordinairement actif dès la formation des États-Unis d’Amérique comme représentation essentielle de la modernité, est l’outil de communication le plus formidable du Système né du “déchaînement de la Matière”. Les USA ne dominent plus rien, même pas leur chaos interne, mais l’American Dream domine toujours le monde, dans le chef des psychologies, même chez nombre de ses adversaires acharnés. (C’est lui que le diabolique Poutine a mis en cause avec son dernier paragraphe de son article du New York Time. Le KGB a donc encore frappé et soulevé la fureur des défenseurs du “Monde libre”.)
L’empire de la communication et l’asservissement à lui de nos psychologies conservent à l’American Dream une puissance d’influence considérable, d’autant plus considérable qu’elle est en général inconsciente. Cela n’a rien à voir avec le «I am of the pro-American generation» de Jenkins, dont la raison arrange de beaux atours, du soi-disant choix idéologique (la démocratie) à l’héritage churchillien, ce qui constitue en fait la rationalisation de l’emprisonnement de la psychologie dans les rets de la modernité (l’American Dream en est le faux-nez). La surface reste lisse, la narrative inconsciente mélodieuse, et le réflexe reste donc celui du salut à une vertu proclamée qui a (avait) en plus l’argument de la puissance formidable des USA de 1945, – date de la prise du pouvoir mondiale de l’“exceptionnalisme” américaniste comme principal outil opérationnel du Système. (L’“exceptionnalisme” est donc bien l’addition de la puissance selon l’“idéal de puissance” et de l’American Dream.)
La surface reste lisse mais il n’y a plus rien en-dessous, c’est-à-dire plus rien de structuré, découvre-t-on peu à peu, puis de plus en plus vite ces derniers temps. La psychologie reste habitée par le rêve, ou désormais les restes du rêve, mais la puissance qui donnait au rêve tout son charme et ses couleurs s’est abîmée dans un chaos en voie de devenir entropique, – avec en plus la situation washingtonienne aujourd’hui, où la tête de l’empire n’est même plus pourrie mais quasiment vide à force de chaos. A chaque crise encore plus aigüe que les autres, où Washington ne peut s’empêcher de prendre un risque trop visible, cette situation aggrave, on n’ose dire “empire” pour ne pas risquer de jeu de mots. La phase actuelle, avec la succession crisique Snowden/NSA-Syrie et la suite, nous fait mesurer d’une façon encore plus abrupte le vide par déstructuration et chaos entropique sous la surface lisse de l’affirmation convenue de la puissance US par American Dream interposé. C’est de ce point de vue qu’il faut considérer le government shutdown, comme la continuation du chaos déstructurée par une voie de plus, et pas réellement impénétrable dans l'évaluation.
Mais encore, ceci : à chaque crise de cette sorte, avec la vérité de la situation découverte, c’est la psychologie qui s’use. L’American Dream subsiste, mais de plus en plus ténu, à peine intact chez les derniers dévots, à-la-Jenkins. Les porteurs de l’American Dream eux-mêmes, comme BHO, s’usent et se dissolvent tant l’essence du support de leur influence (l’American Dream) se réduit comme la fameuse peau de chagrin. Tout le monde ressent cette dissolution, la mesure presque tant elle est forte. Cette fois, le choc est sévère depuis la crise Snowden/NSA, dans la succession ininterrompue de coup de boutoir qu’encaisse Washington. A chaque occasion, on se demande avec un peu plus d’intensité si l’American Dream survivra, puisque la psychologie s’use, et cette fois encore plus bien entendu. Les amis plus lointains s’exaspèrent, effectivement jusqu’à ne plus rien écouter du POTUS de service (voir les réactions des pays arabes amis, notamment le prince de tous les amis qu’est l’Arabie, après le vote de la résolution 2112, par exemple dans The Hill du 28 septembre 2013 ou dans le Wall Street Journal du 29 septembre 2013).
Nous avons avancé depuis longtemps l’idée en forme d'hypothèse que le choc essentiel à attendre pour l’effondrement du Système est la dislocation de l’Amérique ; cette dissolution sous une forme ou une autre, – les possibilités sont très diverses et ne doivent surtout pas être cantonnées à la seule géographie, ou géopolitique, mais certainement commencer par la psychologie, – et, par conséquent, comme une de ses étapes essentielles, la fin de l’emprisonnement de notre psychologie dans l’American Dream qui n’est autre que la fascination-Système pour la modernité. C’était le cas, par exemple, le 14 octobre 2009, alors que commençait à s’exacerber la colère haineuse qui déchire aujourd’hui Washington, et l’Amérique elle-même :
«Nous avons déjà écrit et nous le répétons avec force : il ne peut y avoir, aujourd’hui, d’événements plus important pour la situation du monde qu’une dynamique de dislocation des USA. Nous pensons que la crise actuelle est à la fois, et contradictoirement, formidablement amplifiée et formidablement bloquée dans sa compréhension par la puissance de la communication. Ce phénomène ne cesse de dramatiser et d’attiser les conditions de la crise tout en renforçant la pression du conformisme de la pensée dominante pour ne pas mettre en cause les éléments qui sont les fondements de cette crise.
»L’un des fondements est psychologique, avec le phénomène de fascination – à nouveau ce mot – pour l’attraction exercée sur les esprits par le “modèle américaniste”, qui est en fait la représentation à la fois symbolique et onirique de la modernité. C’est cela qui est résumé sous l’expression populaire mais très substantivée de American Dream...»
Il nous semble bien que les cris de dévotion d’un Jenkins sont d’un type qui ressemble de plus en plus au dernier salut désespéré pour tenter de retenir une aventure qui est inexorablement à son terme. La vérité du monde est si cruelle qu’on peut désormais se demander avec sérieux et intérêt si l’Amérique et le rêve qui va avec n’arrivent pas au bout de leur usure, et nous suggérant après tout qu’ils sont peut-être bien, outre d’être l’instrument du Système et parce qu’ils sont cela, «...a tale/Told by an idiot, full of sound and fury,/ Signifying nothing». Le chaos washingtonien continué dans le government shutdown comme une étape classique de plus illustrant un processus irrésistible, est évidemment un signe renvoyant à ce que nous décrivons, et non pas une complication temporaire de ce «gouvernement aussi parfait que la raison humaine peut le concevoir» qui enflammait tant la belle Germaine, fille du ministre de Louis XVI Jacques Necker et amie de cœur et de salon, – l’histoire a de belles ironies, – de Joseph de Maistre.
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