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147025 novembre 2013 – Nous commencerons, le cœur léger, par une plaisanterie, celle que fit Poutine en réponse à une question finaude d’un journaliste concernant les pressions exercées par la Russie sur l’Ukraine, telles qu’elles auraient été exposées par le président ukrainien à la présidente lituanienne, représentant l’UE. La plaisanterie a du sens : elle nous signale que Poutine n’a plus l’intention de prendre de gants pour ce qui concerne la campagne sans fin de dénigrement que le bloc BAO entretient contre la Russie, au niveau du système de la communication, en renvoyant le bloc à ses propres désordres (la NSA dans ce cas) ; elle nous signale que la Russie se tient ferme désormais sur une position diplomatique assurée, dont l’issue de l’affaire ukrainienne, incontestable “victoire” russe mais “victoire” à confirmer, est le dernier produit. Le paradoxe, qui n’est peut-être pas du au hasard, tient dans ce que ce subtil “message” passe à l’occasion d’une question qu’un journaliste russe, et non du bloc BAO, pose à Poutine.
Cela se passait lors d’une conférence de presse conjointe Poutine-Erdogan, à Saint-Petersbourg, après la rencontre entre les deux hommes. (Sur Russia Today, le 23 novembre 2013.) «“The Ukrainian President allegedly said that Kiev cannot sign an agreement with the EU because Russia was blackmailing Ukraine… can you comment?” a Russian journalist from Interfax asked Putin. The reporter was referring to alleged accusations of blackmail made by Kiev during a phone conversation between Ukrainian President Viktor Yanukovych and his Lithuanian counterpart, Dalia Grybauskaite. The Lithuanian presidential aide, Jovita Neliupsiene, earlier on Friday claimed that Moscow had warned Kiev to cancel the EU integration agreement.»
»Putin said he had no information about the alleged accusations: “I do not know what the president of Ukraine and the president of Lithuania were talking about. Maybe we can ask our American friends and they can tell us. But they haven’t said anything to us yet,” he joked in a clear reference to the scandal with the US National Security Agency’s surveillance program and their tapping of EU leaders’ phones.»
L’affaire ukrainienne a fait grand bruit en cette fin de semaine dernière, avec la décision ukrainienne de cesser les négociations pour un partenariat renforcé avec l’UE. La logique complètement inarrêtable de cet accord eût été moins l’entrée de l’Ukraine dans l’UE que la transformation de l’Ukraine en un “membre” de seconde zone de l’UE soumis à ce que le député russe Pouchkov, président de la commission des affaires étrangères de la Douma, qualifiait en septembre, assez justement en transposant une situation passée dans les normes actuelles avec leurs diverses narrative, de statut “semi-colonial” :
«No one offers Ukraine to become a EU member, it is an attempt to tie this country to the European Union for a small price and with little effort, to make this country into an economic appendix. Ukraine is going to lose very seriously from these agreements... We are practically talking here about establishing a semi-colonial dependence.»
Aucune réaction d’hommes politiques européens travaillant comme des itinérants opérationnels pour l’UE, directement ou indirectement dans ce cas, ne masque vraiment le terrible désappointement de l’UE de cette décision ukrainienne. Les envoyés spéciaux de l’UE en Ukraine, Aleksander Kwasniewski et Pat Cox, ont exprimé «a deep disappointment at [this] unilateral decision», cette décision traduisant en fait, selon eux, «a dramatically increased pressure from Russia in recent weeks». Le ministre suédois des affaires étrangères observe, d’une façon standard pour l’argumentaire-UE dans cette circonstance, que «the Ukraine government suddenly bows deeply to the Kremlin due to the Russian politics of brutal pressure» ; pour le ministre britannique, c’est une «missed opportunity»... Et ainsi de suite, suivez la flèche et vous aurez le catalogue des déclarations dramatiques, inspirées, désolées, sur ce terrible recul de la civilisation. Aucun intérêt sinon celui de savoir que la chose, cette réaction exacerbée confirmant l’enjeu, existe.
Un cas à part, pourtant. L’Allemand Guido Westerwelle, aux affaires étrangères également, beaucoup plus mesuré sinon neutre («It was Ukraine’s sovereign right to make a decision which path she wants to follow»). Westerwelle marque ainsi les liens spéciaux existant entre la Russie et l’Allemagne d’une part, il confirme alors indirectement la dimension de polémique politique de cette affaire dans le chef d’un affrontement UE-Russie d’autre part.
La direction ukrainienne défend sa décision en développant des arguments qui, indirectement, renforcent l’analyse de ceux qui voyaient dans l’accord avec l’UE un enchaînement vers une situation soumettant l’Ukraine à des conditions économiques draconiennes, et même “suicidaires” pour certains. Ainsi du Premier ministre Azarov, expliquant sur la chaîne de télévision Inter (voir Itar-Tass le 23 novembre 2013) sa décision selon l’enseignement de ces derniers mois de négociations...
«“Prove me that I am wrong”... Azarov said Kiev had asked Europe to help restore normal trade turnover in the wake of a slump in trade with Russia only to hear no guarantees in response. Also, Ukraine had turned for assistance in concluding a new agreement with the International Monetary Fund. “We heard words of consent. A month passed, then another month. The situation kept getting worse, but not assistance came.” “One question is quite remarkable. Will those who are now accusing us of all mortal sins take out their wallets and pay our people the 20 billion dollars that we have overpaid Russia for gas? May those people say: ‘Once we believe that the former prime minister did everything the right way, we shall be prepared to pay out of our own pockets and settle the mammoth debts.’ Regrettably, we shall never hear that from them.”»
Il ne sera pas directement répondu à ces arguments qui représentent la monnaie courante des conditions imposées par l’UE et par ses pairs, non plus qu’on ne tentera de prouver à monsieur Azarov qu’il a tort puisque ce n’est pas le cas. Le véritable débat se situe sur un autre plan, pas loin d’être théologique : comment l’Ukraine a-t-elle pu oser repousser une perspective qui la liait à l’UE, perspective des perspectives du gouvernement le plus parfait possible selon les normes actuelles ? Comment l’Ukraine a-t-elle pu choisir de s’aventurer sur le territoire de l’apostasie pure et simple ? Les manifestants pro-UE dans les rues de Kiev nous disent que ces questions elles-mêmes sont la marque de l’infamie de leur pays par rapport au Système.
Pour envisager le problème d’une façon plus concrète et plus opérationnelle, nous nous tournons vers Russia Today qui a abondamment documenté cette crise, – puisque crise il y a, certes. Nous emprunterons des extraits de deux interviews réalisés par la chaîne russe, de deux experts et commentateurs occidentaux, bien entendu de tendance antiSystème. Le Britannique John Laughland est interrogé (le 23 novembre 2013) sur la définition de l’opération entreprise par l’UE vis-à-vis de l’Ukraine en première appréciation, vis-à-vis de la Russie d’un point de vue plus général. L’appréciation générale de Laughland est qu’il s’agit d’une “défaite géopolitique” de l’UE. Nous ajouterons que cette “défaite géopolitique” s’est naturellement jouée sur le terrain de la communication, parce que les conditions du marché en négociation n’ont pas été dissimulées tant les conditions des politiques en action sont aujourd’hui largement connues et répercutées par le système de la communication.
Russia Today : «The European foreign policy chief Catherine Ashton says Ukraine's U-turn is indeed a major disappointment. Who is the biggest loser here - Ukraine or the EU?»
John Laughland : «The biggest loser here is the EU because the EU has conceived this Association Agreement, like all the other agreements that it tries to sign with the former Eastern European states, as a geopolitical project. It is very important to understand that in the midst of all the accusations against Russia it is actually the EU which sees Eastern expansion as a geopolitical and indeed an ideological project.
»We saw this back in September when Armenia, which of course in comparison to Ukraine is a tiny country and therefore is mostly below people’s radar screens; Armenia signed up for the customs union with Russia and the other members of the customs union of the customs union between Russia, Kazakhstan, and Belarus and so on. And immediately Brussels said that any possibility of it signing an Association Agreement with the EU was off the table. So the EU back in September made it clear that you either have to sign an EU agreement or you had to sign the Russian one. If you wanted to sign the Russian one, you would not be allowed to sign the European one. And that is because it has been pursuing now, for 20 years as a European Union, as I say, geopolitical, ideological project of ever further integration. And that is what just hit the rocks today.»
Russia Today : «What do you make of President Putin's statement that the EU “blackmailed” and “pressured” Ukraine over the trade pact suspension?»
John Laughland : «He is absolutely right. All the Western press are accusing him of blackmail but he is absolutely right. That is what I have just said about Armenia. They’ve told Armenia that all chance of signing an agreement with them is off the table as soon as they sign the customs agreement. And that message was obviously meant for Ukraine. We have to see this in the context of geopolitical projects. It is no coincidence that all of the EU’s chief envoys, ambassadors and rapporteurs on this Ukrainian issue have been Poles. They have been Polish citizens. Former President of Poland Aleksander Kwaśniewski, was the special envoy, the EU’s ambassador to Kiev is Polish. This is an old geopolitical dream of Poland, which has always regarded Ukraine as its back yard...»
Russia Today : «Would this trade deal with the EU help Ukraine's economy, which is experiencing hard times right now?»
John Laughland : «It would have finished it off. It would have been a coup de grace to an economy which is already very weak. And I’m not just saying that out of polemical reasons. Anybody who has followed the sad story, very sad, and in some cases catastrophic story of the Eastern European economies as I have in the 1990s and 2000s, I’m thinking especially of countries in the Balkans, weaker countries like Bulgaria and Romania. But also now countries like Greece and Cyprus...»
L’autre expert interviewé est l’analyste germano-américain William Engdhal. Le thème se concentre surtout sur les conditions qui auraient prévalu en Ukraine si l’accord avait été réalisé. Pour Engdhal, il est incontestable que les pressions russes ont joué un rôle déterminant dans la décision ukrainienne, alors que Laughland insiste sur le “chantage” exercé par l’UE. Il est manifeste qu’il y a eu, des deux côtés, celui de la Russie et celui de l’UE, des pressions exercées sur l’Ukraine, et certaines revenant effectivement à un “chantage”. Il s’agissait d’un affrontement normal en l’occurrence, entre les deux puissances directement concernées, et l’on pourrait dire que les deux pressions antagonistes tendaient finalement à s’annuler.
L’Ukraine a donc, d’une certaine façon, décidé paradoxalement “en toute indépendance”, selon ses intérêts économiques et sa conception de la souveraineté selon l’importance qui est accordée à ce principe. Alors, le véritable enjeu s’est révélé être de communication par rapport aux postures et aux réputations des deux puissances. Dans ce cas, la défaite de l’UE est cinglante, dans la mesure où cette entité cultive une image d’“excellence” de “gouvernance” (terme de pure dialectique de la modernité), et de “vertu politique” selon les “valeurs” en cours, et cette image jugée irrésistible du point de vue de la communication. Il se trouve qu'on lui a résisté. (L’interview d’Engdhal est sur Russia Today le 22 novembre 2013.)
Russia Today : «Ukraine's decision came as a surprise for many. What triggered it?»
William Engdahl : «I think it’s a combination of things but ultimately it was economic pressure from Moscow. I think that had a lot to do with their decision where Ukrainian economic interests truly lie. And perhaps some of the Ukrainian business elites looked more closely at what the EU trade agreements would require of them to sacrifice and realized that it wasn’t the dream boat that they perhaps hoped for.»
Russia Today : «Will they be able to strike a balance between Moscow and Brussels?»
William Engdahl : «I think if they are clever, I suspect that the Ukrainian political leadership has a delusional view of what the EU would bring for the Ukrainian economy. Of course they long to be accepted as a Western European nation, and so forth, since the breakup of the Soviet Union but right now the EU is in a kind of a death spiral with the false construct of the Eurozone. And the austerity package that the IMF is bringing to the periphery – Greece, Portugal, Spain, Italy and so forth – that is a horrendous thing... [...]
Russia Today : «But nonetheless a lot of Ukrainians have the aspirations to be part of the EU?»
William Engdahl : «Well delusions are in every society. What can I say? You have a delusion that life would be better in the EU. Talk to Polish people, talk to Hungarians, talk to many of the countries who joined the EU, maybe even joined the Euro and realized it was a horror show. It destroyed their domestic industry. The EU is a construct of global multinationals and those global multinationals want to cherry-pick what is useful out of the Ukranian economy which has precious resources. »
D’une façon assez paradoxale, le contraste des réactions entre l’Allemand Westerwelle et les autres de l’UE (voir plus haut) définit une grossière erreur de communication à laquelle l’entité-UE oblige ses opérationnels, – et à laquelle échappe Westerwelle à cause des liens Allemagne-Russie. Dénoncer les pressions russes comme cause de la décision ukrainienne, même si l’argument est en partie infondé et parce qu’il est aussi en partie fondé, revient à hausser terriblement le statut de la Russie, et diminuer d’autant celui de l’UE. Cela nous dit que lorsque la Russie décide de stopper une opération d’investissement de l’UE, ceux qui en sont l’objectif se révèlent très attentifs à la pression russe. Même si l’Ukraine est un cas spécifique, avec les divers facteurs économiques et autres, la démonstration ne peut être passée sous silence.
... Justement, d’ailleurs, le fait que l’Ukraine est un cas spécifique (comme tout pays et toute entité le sont d’une façon ou l’autre) et que la Russie ait choisi d’agir dans ce cas constituent un tribut rendu à la sagesse et à la mesure russes. La Russie agit, sinon à coup sûr, du moins, disons, “à coups raisonnablement assuré”. Cela aussi fait partie du nouveau statut d’autorité et d’influence dont jouit la Russie depuis quelques mois, dans un monde devenu “antipolaire”, qui refuse les hégémonies implicites dans la thèse de la polarité, mais réclament des éléments stabilisateurs dont l’action est basée notamment sur un caractère principiel puissant de leur politique. (Voir le 16 novembre 2013.)
Cette situation fondamentale nouvelle se retrouve illustrée par le commentaire de Fédor Loukianov, pour Al-Monitor, le 22 novembre 2013. Le commentaire de Loukianov concerne la position nouvelle, très influente, de la Russie dans la région, symbolisée par le constat qu’on défile en ce moment dans le bureau de Poutine (visites de Netanyahou et d’Erdogan à Moscou et à Saint-Petersbourg, successivement entre le 20 et le 23 novembre) ; mais il commence très justement, ce commentaire, par l’inclusion de l’Ukraine dans le raisonnement développé par Loukianov...
«Ukraine has briefly become a Near Eastern country for us. The failure of the European Union's hopes that an agreement on an association between Ukraine and the EU would be signed in Vilnius on Nov. 28 is regarded by all as a success for Russia and Vladimir Putin, who fiercely fought against Ukraine's “departure” for the West. This success is now viewed against the backdrop of Moscow's active and successful approach in the Near East, and it adds to the feeling of Russia's power and influence in the international arena on the part of many Russian observers. Syria and Ukraine have little in common, except that Russia had been considered an obvious and irreversible “loser” in both places, but it turned out to be, at least for now, the winner. [...]
»What is the reason for the success of Russian diplomacy? As the leading Russian specialist in international affairs Sergei Karaganov notes, it largely plays by the rules established by the geopolitical patterns of the past centuries and the state-centered Westphalian international system. In today's world, nothing is clear, and contradictory processes occur simultaneously: globalization and a return to the role of nation states, the erosion of borders and attempts by governments to control domestic affairs using new methods, the emergence of new forms of force and rapidly growing ungovernability. And in such a world, “Russian diplomacy, preserving and developing mastery, but unencumbered by ideology, feels like a fish in water,” writes Karaganov. “It is guided by values that are associated with an unconditional defense of sovereignty and, arguably, that have been rooted for the past 300 years in the national identity of a great power and the desire to be among the leaders.”»
On observera dans le commentaire de Loukianov (et de Karaganov, tel qu’il est cité) que cette référence à la promotion russe du principe de souveraineté, qui ne s’exprime pas mieux que dans le cas des États-Nation de type westphalien (mais nous dirons, bien plus encore, du type de “la Grande Nation”, – la France, – qui a développé naturellement et ontologiquement ce modèle depuis le XIIème-XIIIème siècles), – cette attitude russe ne constitue nullement une démarche stratégiquement restructurante dans le sens d’une stratégie offensive pour établir un nouvel ordre, ou (r)établir l’ancien ordre. La matière sur laquelle s’exerce cette action est bien ce monde antipolaire dont nous parlons, et la politique principielle de la Russie (souveraineté) est acceptée avec reconnaissance dans la mesure où elle constitue un moyen de repousser la polarité.
Si l’on veut, la Russie démontre de facto l’absurdité et la stupidité à la fois de l’accusation du bloc BAO de la recherche de l’affirmation hégémonique russe (recherche de la polarité à son avantage, si l’on veut), puisque sa politique principielle (souveraineté) est par nature et ontologiquement l’ennemie irrémédiable de l’hégémonie et de la polarité. L’absurdité et la stupidité sont bien la marque de la politique-Système aveuglément hégémoniste et anti-principielle, suivie aveuglément par le bloc BAO, et par l’UE dans le cas ukrainien.
... Ce qui nous conduit à l’UE, à l’“Europe” comme l’on dit avec la gorge nouée d’une émotion renvoyant aux vieux mythes et traditions sur l’unité de l’Europe, sur la cohésion du berceau de la civilisation (la nôtre, celle en cours, avec quel succès...). L’UE est évidemment l’antithèse, la subversion, le poison de ce modèle historique et traditionnel, d’ailleurs revu et massacré par l’histoire-Système que l’on récrit avec zèle selon les consignes-Système crachées depuis deux siècles par le “déchaînement de la Matière». Désormais classique, tout cela.
Dans l’affaire ukrainienne, l’UE nous a prouvé plusieurs choses, exactement comme l’on fait un exercice pratique. Avant de passer au catalogue, on mentionnera que, bien entendu, l’OTAN se tient en embuscade derrière l’UE, et que si l’Ukraine avait signé avec l’UE, on doit être assuré que l’OTAN aurait accéléré son offensive en règle pour l’intégration de l’Ukraine (l’OTAN suppure naturellement une “offensive en règle” permanente pour l’intégration de tout ce qui bouge, et qui n’est pas de l’OTAN). D'ailleurs, et quoi qu'il en soit des circonstances, l’OTAN continue et continuera de toutes les façons sa poussée dans ce sens, avec les habituelles manœuvres de phagocytages (voir StopNATO, le 21 novembre 2013) effectuées selon la planification pavlovienne du “machin”. (Le mot du général vaut bien mieux pour l’OTAN, – et pour l’UE, certes, – que pour l’ONU, par les temps qui courent.)
Poursuivons l’appendice avant de passer au principal (la démonstration de l’UE) en annonçant que, bien entendu, l’OTAN poursuivra ses manœuvres de phagocytage malgré l’échec de l’UE, parce qu’elle est incapable de faire autrement, et que cela pourrait se terminer de façon plus tendue que dans le cas-UE. L’observation du 21 novembre 2013 de Poutine concernant l’accord alors en négociation avec l’UE, ne doit donc pas être pris à la légère : «Nous ne sommes pas contre un choix souverain de l'Ukraine, quel qu'il soit. Nous parlons de tout autre chose. Si on nous disait, par exemple, que l'Ukraine adhérait à l'Otan, nous serions alors effectivement contre, parce que le rapprochement de l'infrastructure du bloc militaire de nos frontières représente pour nous un danger.»
Il faut garder cela à l’esprit. La solidarité des entités d'abord (UE et OTAN, de plus en plus proches), la “planification pavlovienne” par ailleurs, la pression des forces hors de tout contrôle humain raisonnable (forces suprahumaines) au-dessus de tout cela, tout indique que l’OTAN poursuivra. Tout indique, après l’épisode de l’échec de l’UE et parce que le bloc BAO ne connaît pas la possibilité même de l’échec, qu’on devrait voir une accélération et une accentuation de l’offensive de l’OTAN pouvant mener à une épreuve de force, – qui se résumerait d’ailleurs, le plus souvent, à un affrontement de communication tant les acteurs, du côté OTAN, sont dans un bien trop piètre état militaire et d’un bien trop piètre état psychologie pour mener à bien un affrontement. Les dirigeants de l’OTAN et la volaille autour ne le savent pas encore, les planificateurs-pavloviens commencent à se douter de quelque chose sans rien y comprendre, mais les choses iront de cette façon.
Il y aura donc, désormais, un constant risque de crise entre l’OTAN et la Russie à propos de l’Ukraine notamment. L’aventure UE-Ukraine ne fait que renforcer cette perspective.
Il y a un paradoxe constant dans les bons esprits traditionnels, circa-XXème siècle post-1945. D’une part, ils dénoncent avec alacrité la mainmise des USA sur l’UE, avec les habituels gadgets (influence, corruption, cirque-NSA, etc.). Dans ce cas, une Europe qui se libérerait de ces chaînes ouvriraient une perspective lumineuse en renvoyant les diaboliques USA à leur enfer intérieur. D’autre part, ils ne cessent de dénoncer les manigances de l’UE, sa course à la supranationalité, ses diktat qui pulvérisent la souveraineté des États-membres, sa “folie économique” et le massacre des structures nationales avec l’appauvrissement et la déstructuration des peuples, sa complète osmose avec les forces financières et le Corporate power, etc.
On ne peut concilier les deux choses. On ne voit pas pourquoi une “libération” des USA, si l’UE était “prisonnière” des USA, transformerait l’UE en entité de conte de fée, respectueuses des souverainetés, agissant pour le bonheur des peuples, etc. Au contraire, elle serait renforcée dans le statut qu’on décrit ci-dessus, statut absolument totalitaire (voir plus loin). Nous aurions mieux (UE “libérée” des USA comme si elle en avait été l’outil) en pire... Mais cette hypothèse n’est finalement qu’un jeu de l’esprit, et tout dans le comportement de l’UE, dans ses actions, nous conduit justement à observer que l’UE est d’ores et déjà ce que nous envisageons d’une façon hypothétique, et que l’aventure ukrainienne l’a montré à suffisance. L’UE a conduit une tactique qui, si elle avait réussi, aurait donné des résultats bien plus satisfaisants et bien plus assurés, du point de vue du bloc BAO, que la tactique des “révolutions de couleur” qui était d’inspiration américaniste. L’élève a dépassé le maître.
Cela achève de réduire l’argument de l’UE subvertie par les USA, “outil des USA”. Au contraire, notre approche symbolisée par l’expression de “bloc BAO”(voir le 10 décembre 2012) nous conduit à observer qu’aujourd’hui l’UE est un membre à part entière du bloc, un membre qui a sa propre puissance, voire sa propre autonomie agissant pour le bien commun qui est celui du Système. Même l’affirmation qu’elle court derrière le “modèle US” n’a plus de sens, parce qu’il n’y a plus de “modèle US” mais un modèle-Système universel. (On n’a pas été sans remarquer que le soi-disant “modèle US” est chaque jour de plus en plus contesté aux USA, jusqu’à l’épisode actuel de révolte contre la NSA, partie intégrante du “modèle”, au sein même des centres de pouvoir américanistes les plus établis.)
... Et, dans l’affaire ukrainienne, l’UE a agi de manière autonome, selon ses propres plans. (Que ces plans rencontrent l’approbation des USA, puisque tout le monde est dans la même bouillie-Système, qui s’en étonnerait ? Les USA sont comme les autres des petits soldats du Système, et tout le monde suit les mêmes consignes.) L’intérêt de la démonstration est que l’UE a démontré, justement, sa nature absolument totalitaire, et cette nature qui lui est absolument propre, directement dérivée du Système. La vigueur des réactions de dépit des employés-Système, ministres et autres, devant l’outrecuidance ukrainienne, mesure effectivement, par antithèse, la nature totalitaire du projet, c’est-à-dire un projet qui, pour se présenter sous les atours de l’économie et de la finance, embrasse tous les domaines à partir d’un “modèle-Système” nécessairement parfait, et ne pouvant concevoir par conséquent qu’on puisse le repousser.
La puissance et la faiblesse de l’UE à la fois, c’est son incapacité de concevoir un autre système que le sien, par conséquent son inéluctable antagonisme pour tout ce qui n’est pas elle. C’est sa forme de totalitarisme, cette exclusion de tout ce qui n’est pas elle. Bien entendu, le totalitarisme dont nous parlons n’a rien à voir avec les totalitarismes du XXème siècle ; il est plus avenant, plus pernicieux, bien plus dévastateur et mortel au bout du compte. Sa dimension génocidaire implicite mais sans frein est une évidence (voir le 13 novembre 2013). Au contraire, cette puissance totalitariste oblige à l’affrontement, au défi, au refus de la moindre défaite, de l’accommodement, etc. Plus encore, cette tendance, autant la tension qu’elle impose que les effets catastrophiques qu’elle suscite, interdit la moindre apaisement de l’UE pour elle-même, le moindre “stationnement”, et l’oblige à une “fuite en avant“ selon le principe fameux du “qui n’avance pas recule” ... De ce point de vue, l’UE serait aussi bien sur la voie de graves déboires, si elle ne corrige pas l’échec de l’Ukraine, – et comment le pourrait-elle ? Les contrecoups de l’échec ukrainien pourraient aussi bien être, eux aussi, totalitaires, nourrissant une contestation interne globale de l’UE.
Là-dessus, et pour conclure, nous repousserons les habituels arguments, – “complots”, plans de globalisation ou de “gouvernance mondiale”, etc. L’UE suit une mécanique à laquelle elle ne comprend rien, dont elle est incapable de mesurer les effets, d’ailleurs des effets dont elle se contrefiche puisqu’enfin sa démarche n’est qu’opérationnelle, et au service du dessein du Système : l’application de la formule dd&e.
C’est dire que les sapiens, comme nous les nommons, ne sont pas aux commandes et ne peuvent rien. Il ne manque pas, dans les institutions européennes, de nombre de personnalités et de personnes, effrayées par les perspectives, tentant de freiner la machine, de l’influencer, etc. Nombre d’économistes sont convaincus des effets catastrophiques de la formule UE, et encore plus de son extension. Un courant important existe, pour tenter d’établir des relations sérieuses et correctes de coopération avec la Russie, et l’on imagine ce qu’il en reste avec la tension antagoniste de la tentative ukrainienne, c'est-à-dire d'une nouvelle crise avec la Russie. (Nous n’écrivons pas cela à la légère, pour ce qui concerne les cas individuels cités ; nous écrivons cela par expérience courante, avérée, indiscutable.) Tout cela n’a aucun effet.
...Tout cela ne peut rien contre “le Système”, – comme nous disons, comme l’on emploie le symbole d’un mythe catastrophique, d’un mythe inverti. («On pourrait parler de mythes chaque fois que l’objet d’une adhésion intime est ouvertement affirmée comme étant par essence hors des normes de la raison, parce que d’un autre ordre», écrit Lucien Jerphagnon, – où il faudrait préciser que l’“adhésion intime” a été obtenue dans ce cas par tromperie, imposture, inversion, etc., pour identifier un “mythe catastrophique”.) Le phénomène est recouvert d’un voile épais, totalement rétif à l’extension de la pensée, un voile d’une idéologie dont le seul caractère utile est la terrorisation des psychologies qu’elle engendre (voir le 18 juin 2012), et qui est singulièrement sinon exclusivement active sur les psychologies des serviteurs du Système.
Mais cette idéologie a subi un revers cuisant et insupportable avec l’Ukraine. Comment pourrait-elle accepter cela ? La conception que l’UE a d’elle-même, la suffisance qu’elle porte dans son jugement d’elle-même, sont également totalitaires. Ainsi retrouvons-nous la même conclusion qu’un peu plus haut, sur l’inéluctabilité de la poursuite et de l’accroissement des tensions, essentiellement avec la Russie certes, après l’épisode ukrainien et son inacceptable échec.
Nous n’avons plus qu’à attendre la prochaine phase crisique. Le premier acte de cette phase se joue dans les rues de Kiev, avec la poussée de protestation contre la décision du gouvernement ukrainien (voir le Guardian du 24 novembre 2013), certes alimentée par les relais de communication pro-bloc BAO en Ukraine même, mais aussi par le même mythe, cette fois interprété d’une façon positive comme salvateur, que l’“Europe” (dito le Système) représente pour une partie de la population ukrainienne.