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4360Nous présentons, comme nous avons commencé à le faire d’une façon suivie, une synthèse du contenu de la rubrique de defensa du numéro courant de dde.crisis, cette fois celui du 10 juillet 2010. Il s’agit du dernier numéro de la première année de parution de dde.crisis (premier numéro, le 10 septembre 2009). La seconde année de publication commencera le 10 septembre 2010. (On a déjà pu lire l’éditorial de ce numéro du 10 juillet 2010 le 13 juillet 2010.)
Dans ce numéro du 10 juillet 2010, nous abordons le thème qui pourrait être résumé sous l’expression de “crise de la raison humaine”, qui caractérise, à notre sens, le fondement de la crise générale de notre civilisation. Comme nous le répétons à chaque parution de cette sorte de Notes d’analyse, il s’agit ici d’une synthèse très brève, une sorte de “sommaire” développé, qui n’enlève rien, bien entendu, à la substance de la rubrique de notre numéro du 10 juillet 2010 telle que les lecteurs de dde.crisis peuvent la découvrir.
Si nous acceptons l’observation, de plus en plus partagée, que nous nous trouvons dans une crise générale de civilisation, alors la raison humaine s’y trouve en accusée centrale incontestable. C’est elle qui a conçu et conceptualisé, dirigé, orienté, ce qu’on entend d’une façon générale aujourd'hui par “Progrès”, c’est-à-dire les sciences, les systèmes politiques et sociaux, les orientations morales et les mœurs, cela depuis plusieurs siècles.
Selon notre schéma propre (voir La grâce de l’Histoire), l’actuelle dynamique a pris son essor décisif à la fin du XVIIIème siècle, lorsque la prépondérance de la raison fut assurée, dans une période si nouvelle que nous la désignons comme la “deuxième civilisation occidentale”. Au constat du résultat auquel cette dynamique aboutit aujourd’hui, à l’heure de sa grande crise, nous pourrions aussi bien nommer la période “contre-civilisation”.
Cette dynamique s’est formée en un système d’une extrême rigidité structurée, au point qu’on peut avancer l’hypothèse d’une autonomie de développement, voire d’orientation, voire de comportement. La raison humaine en fut bien plus la prisonnières que l’apparente inspiratrice et s’en trouva complètement subvertie. Les “gardiens du dogme”, ceux qui assurent le promotion du système et de la raison qui accompagne son développement, sont totalement convaincus de la justesse du modèle et de la raison qui y préside. Avec eux, aucun compromis n’est possible. La résistance face à cette évolution catastrophique implique l’affrontement avec eux.
La question de cet affrontement est essentielle et inévitable, puisque nous avons face à nous, sur les ruines de la catastrophe en devenir, la raison humaine trônant selon l’argument TINA à propos du système en cours d’effondrement (There Is No Alternative). Pour l’affronter, il faut refuser sa forme de raisonnement et réfuter sa toute puissance.
Face à cette raison pervertie installée sur la catastrophe en train de se réaliser, il faut une pensée hors des sentiers battus, hors de “ses normes”. Il faut refuser de penser selon le diktat de la raison humaine qui est en train de fracasser notre civilisation.
Notre démarche n’implique nullement une mise en cause, qui serait absurde, de la raison per se, mais d’une raison humaine pervertie et devenue subversive. Nous recherchons en quoi et comment cette raison s’est pervertie. Nous déterminons ces circonstances dans l’épuisement de la psychologie, particulièrement forte au XVIIIème siècle et symbolisé par l’étrange destin du mot “persiflage” (voir aussi notre F&C du 14 juillet 2010).
« Le Siècle des Lumières manifeste un brio et une intelligence incomparables mais aussi une vulnérabilité et une faiblesse terribles sans son assise de fermeté de la psychologie. Il paye ainsi l’épuisement de la psychologie qui s’est accumulé depuis la Renaissance et les valeurs de l’humanisme qu’elle a manifestées, qui charge la raison humaine d’un fardeau inattendue, pour lequel elle n’était nullement préparée, pour lequel elle n’est pas faite en réalité, et qui s’avère être une tromperie que sa vanité l’a poussée à accepter comme un progrès décisif d’elle-même. Il est vrai que s’annexer à soi-même la spiritualité du monde en la transformant à sa mesure, et se proclamer ainsi comme nouvelle et exclusive mesure de la civilisation constituait une ambition épuisante. Effectivement, c’est d’épuisement que fut frappée la psychologie à partir de la Renaissance, le phénomène affirmant toute sa puissance destructrice et émolliente durant le Siècle des Lumières, et faisant de ces Lumières incontestables de hauteur et de grandeur des cibles et des proies faciles pour une entité historique qui attendait son heure, – notre symbole du “serpent qui persiflait”.»
...Effectivement, cette raison pervertie par une psychologie épuisée s’est trouvée dans un tel état de faiblesse qu’elle s’est laissée subvertir par une dynamique née à la fin du XVIIIème siècle, représentée par les “trois révolutions” (Révolution américaine, Révolution Française, révolution du choix de la thermodynamique pour le développement de l’énergie).
Ainsi la raison humaine a-t-elle “parrainé”, après s’être ralliée servilement à ce déchaînement de la matière (système du technologisme, puis avec l’adjonction du système de la communication), la dynamique déstructurante qui caractérise le développement de la modernité. La raison humaine est devenue subversive et nihiliste, elle-même déstructurante par rapport à la pensée humaine. Devant la crise ultime du système, «il apparaît alors évident que la raison humaine n’a plus aucune qualification pour en juger, devenue dans ce cas accusée principale qui ne peut plus prétendre au rôle d’être juge».
A la question “sommes-nous à un nouveau 1789 ?”, posée par ailleurs dans ce même F&C du 14 juillet 2010, notre réponse est positive pour l’épuisement de la psychologie, à notre avis semblable à celui du XVIIIème siècle. A la lumière de notre analyse qui privilégie l’évolution psychologique, la prévision des événements (les mêmes qu’en 1789 ou pas ?) n’a qu’une importance secondaire, outre qu’elles donnerait sans aucun doute une réponse complètement négative tant les facteurs en présence et les forces en action sont différents.
Cela signifie que nous nous trouvons “prêts”, que nous sommes dans l’état de la psychologie qui précède et accompagne des événements catastrophiques. On peut même avancer que cet état psychologique est de celui qui suscite de tels événements, sans pour autant avoir le moindre pouvoir de contrôle ni d’orientation sur eux. L’analogie avec 1789 est justifiée de ce point de vue et de ce point de vue-là seulement.
Tout cela indique que nous ne pouvons plus nous appuyer principalement sur ce qu’on désigne comme “la raison humaine”. Sommes-nous orphelins du fondement de notre pensée ? Nous sommes plutôt orphelin d’un parent indigne, qui a trahi sa mission et son rôle.
«Notre tâche, à nous, orphelins, est d’abord de comprendre que nous ne le sommes pas d’une telle parenté trompeuse et faussaire, ensuite de partir à la recherche de nos vrais parents. Nous ne les avons pas perdus aujourd’hui, nous avons commencé à les perdre il y a cinq siècles et, depuis deux siècles, les avons complètement perdus pour accepter à leur place une parentèle marquée par l’imposture et l’infamie.»
Notre tâche prioritaire est de reconstruire la structure et le fonctionnement de notre pensée en assignant à la raison son rôle d’outil de la pensée qu’elle a abandonné au profit de sa vaniteuse imposture d’inspiratrice de la pensée. Nous devons réhabiliter des fonctions fondamentales et supérieures de la pensée, telles que l’intuition, l’inspiration, pour redonner à des éléments tels que le sacré leur place fondamentale, – le “sacré”, sans le moindre rapport avec nos querelles de religions et nos dérisoires débats temporels au sujet d’une spiritualité totalement discréditée par une raison déstructurante. Cette réinsertion du sacré dans la pensée est la condition de la re-création d’une pensée “sur-rationnelle” où la raison retrouvera sa place naturelle d’outil organisateur d’une telle pensée.
Les ruines de la civilisation sur lesquelles nous projetons un regard terrorisé et parfois désespéré témoignent sans discussion possible de l’échec de plusieurs siècles d’une tentative faustienne qui atteint sa phase terminale et catastrophique. «La puissance de la crise hurle elle-même cette obligation où nous nous trouvons» de tenter de retrouver la voie d’une sagesse disparue. Ces retrouvailles de la sagesse commencent par l’audace de libérer la pensée du diktat d’une raison devenue caricature destructrice et déstructurante d’elle-même.
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