Notes sur la crise des narrative

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Notes sur la crise des narrative

14 avril 2014 – La crise ukrainienne, désormais sans aucun doute “crise haute ultime” (voir le 24 mars 2014), devient une spirale entraînant tous les grandes questions des relations internationales dans un tourbillon de chaos, de contradiction, et peut-être d’effondrement. Sur tous les front, absolument sur tous les fronts, les uns et les autres découvrent les pièges multiples de cette crise et les opportunités radicales qui se présentent, qui pour s’enfoncer dans des situations verrouillées, qui pour explorer des voies nouvelles par rapport au rangement approximatif de ces relations internationales.

Plus aucune analyse politique rationnelle de l’entièreté de la crise dans cette séquence paroxystique n’est possible ni même nécessaire, tant les principaux acteurs officiels du bloc BAO (directions et commentateurs officiels) ont perdu tout rapport même lointain, même accidentel, avec la vérité de la situation à l’origine. La crise ukrainienne est devenue le spectacle privilégié de ce qui pourrait être la phase finale de la crise d’effondrement du Système, avec les événements s’imposant d’eux-mêmes, et des acteurs officiels et non-officiels interférant pour les accompagner et les renforcer. La signification de cette crise comme illustration ontologique de la crise générale du Système est proche de la perfection, – et, en ce sens, cette crise est sublime et mériterait d’être effectivement ultime. Nous détaillons les facteurs de cette signification et de cette sublimité...

• en terme de position spatiale, au contact direct de la Russie, impliquant directement l’UE et par conséquent les USA, mobilisant l’ancienne Europe communiste et donc l’OTAN, ouverte sur les mers chaudes et le Moyen-Orient ;

• en termes de méthodologie d’affrontement, avec tous les moyens de l’“agression douce” et de l’influence, et du système de la communication, avec la potentialité d’une guerre civile ouverte sur les pays voisins, et même avec le risque d’une possibilité de confrontation armée dont aucun obstacle décisif n’empêcherait qu’elle pût aller à l’extrême de la confrontation nucléaire ;

• en termes de déstructuration du Système, avec les relations avec la Russie en cours de bouleversement, la situation interne de l’UE confrontée à un probable bouleversement préparé par des politiques intérieures postmodernes totalement dissolvantes, la solidarité transatlantique qui pourrait être mise en cause, la possible constitution d’un bloc antiSystème autour des BRICS, la mise en cause du système hégémonique du dollar et des circuits financiers anglo-saxons ;

• en termes des domaines concernés, des affrontements culturels des questions sociétales, des termes de la crise économique générale, des enjeux énergétiques et géopolitiques, aux questions civilisationnelles fondamentales jusqu’à la question de la spiritualité.

Cette panoplie impressionnante répond, non à un plan général, à un projet hégémonique, à un affrontement bien défini, mais au contraire à une situation de complet chaos s’exerçant dans tous les sens et laissant dans le flou les positions des acteurs impliqués. La position centrale de la Russie dans cette crise, alors qu’il s’agit du seul acteur échappant au chaos des conceptions et doté d’une direction et de moyens militaires solides imprime au chaos général de la crise une dynamique tourbillonnaire qui rend impossible une analyse rationnelle et interdit toute possibilité de prospective raisonnable. La “crise haute ultime” est aussi la crise spécifique du Système dans la mesure où ce chaos résulte de l’action dd&e du Système (dynamique de surpuissance), et où il menace l’équilibre même du Système (autodestruction).

Comme l’Egypte...

La vérité de la situation se rapproche donc de l’hypothèse évidente du chaos, et de l’inexistence directe et avérée du pouvoir de Kiev. L’Ukraine s’enfonce dans le chaos, à cause des multiples tensions, de l’antagonisme entre la partie russophone du pays et la direction de Kiev, des interférences des acteurs extérieurs nombreux et divers. Cette évolution, régulière dès avant le référendum de Crimée, puis accélérée par le référendum qui a placé la Russie comme force protectrice éventuelle des russophones, est, nous semble-t-il, bien décrite par un journaliste US, notamment de Foreign Policy In Focus, Dereck Monroe.

On le citera selon deux interventions, une première interview en date du 31 mars, une seconde en date du 7 avril, ce qui permet d’avoir une bonne appréciation de fond et sur la durée des événements en cours, non seulement en Ukraine de l’Est mais dans tout le pays. Ce journaliste, qui est le correspondant ou l’envoyé spécial en Ukraine de diverses organisations US montre une connaissance remarquable du pays et des événements. On peut lire son interview du 31 mars 2014 sur TRNN (The Real News Network), par le rédacteur-en-chef Paul Jay... Avec ce passage sur la fin de l’interview :

Kenneth Monroe : «...What happens is people – the Maidan still exists. People are not going anywhere. So it's gotten to a situation where Western media simply shifted focus from what's going on in the Ukraine to the Crimea and other issues, while Euromaidan still exists. There's tens of thousands of people there. They're basically stating that this is not our government and we've been hijacked, our power's been hijacked...»

Paul Jay : «It sounds a lot like Egypt.»

Kenneth Monroe : «Yes.»

Pour compléter ce qui précède, voici le tableau qu’il restitue de la situation en Ukraine en général, et non pas seulement à l’Est, répondant aux questions de Russia Today, le 7 avril 2014. «Derek Monroe from Foreign Policy in Focus described the situation in Ukraine as politically chaotic. “There are a lot of political plays taking place in Kiev itself, specifically when it comes to positioning certain groups within the government itself,” Monroe said. He added that the oligarchs that were places as governors in eastern Ukraine are not very popular with the people. “They have little following in popularity among the people, so the issue is simply to maintain some type of degree of nominal control, where in fact there is very limited control whatsoever.”

»“The situation is very fluid, so it is very hard to say where the government itself has particular strong control in the region or not. All the evidence looks like they don’t have much control unfortunately.” Monroe described the Maidan movement as an “absolute disaster.” He argued that it was the provisional government which was selected, not elected, that made the schisms within Ukrainian society very visible. “This resulted not only in the loss for Ukraine, but loss of credibility among the people of the East,” he stated.»

L’Est s’embrase dans le désordre

En une semaine, entre le week-end du 5-6 avril et celui du 12-13 avril, l’Est du pays est entré dans un état général de de diverses révoltes affirmées à l’encontre du pouvoir de Kiev. On attendait d’abord une poussée rapide de répression de la part de Kiev, avec de multiples bruits concernant l’intervention d’unités “spéciales” de répression (les hypothèses de “mercenaires” US type-Blackwater/Gladstone grimés en unités ukrainiennes, de forces de l’extrême-droite plus ou moins “officialisées” en unités d’une soi-disant Garde Nationale, etc., tout cela renvoyant à une source d’inspiration US de ce type d’organisations). C’est un développement notablement différent qui est d’abord apparu : l’impuissance de Kiev face à nombre de ces révoltes, non seulement pour rétablir l’ordre, mais surtout pour trouver des unités fiables et fidèles pour organiser cette besogne. Il semble apparaître que diverses unités de police, de contre-terrorisme, etc., sur lesquelles Kiev comptait beaucoup, échappent à leur contrôle, parfois pour rejoindre les différents groupes de révoltés.

• C’est le 11 avril 2014 que cette situation nouvelle est apparue, le jour où Kiev a abandonné l’ultimatum de 48 heures venu à expiration pour que les protestataires abandonnent les bâtiments public qu’ils occupent dans la ville de Donetsk. Au lieu d’engager des actions violentes pour dégager ces bâtiments, Kiev, en la personne du Premier ministre Yatseniouk a annoncé qu’il était prêt à des concessions dans le sens de la fédéralisation, et éventuellement pour l’organisation de référendums locaux réclamés par divers groupes pro-russes dans les grandes villes de l’Est.

• Cette dépêche de Russia Today, que nous référençons, donnaient les premières précisions sur la décision d’unités de police et d’action spéciale de ne pas ou de plus obéir au pouvoir de Kiev. Le courant général indiqué par ces informations a été confirmé de diverses manières par des informations parcellaires de cette sorte dans d’autres villes, dans les 48 heures qui ont suivi, montrant combien les forces de sécurité représentent désormais une hypothèque nouvelle dans la situation, qui tend dans divers cas à tenir un rôle autonome, plutôt hostile au pouvoir de Kiev, parfois favorable aux protestataires. Parlant du changement complet de tactique de Yatseniouk dans ce texte du 7 avril, RT notait :

«The U-turn comes after Ukraine’s elite Alpha unit reportedly refused to obey an order to besiege protester-held buildings. At a session of law enforcement officials in Donetsk, one of the Alpha commanders said that he and his men are a force intended for rescuing hostages and fighting terrorism and will only act in accordance with the law, local media reported.

»The unconfirmed act of defiance comes days after the siege by police of a protesters-seized building in Kharkov, which ended with dozens of activists being arrested. On Thursday, a local police lieutenant-colonel spoke to the media, claiming that he and other officers had been deceived by the Kiev authorities. He claimed that they were sent to take over the building under the pretext that it was held by dangerous armed bandits. In fact the protesters had only improvised clubs and offered no resistance to the storming troops. The officer, Andrey Chuikov, said he would no longer take “criminal” orders and announced his resignation from the police, adding that he would be sacked anyway by his superiors for speaking to the press.

»Discontent with the new authorities in Kiev, which has been brewing in eastern and southern Ukraine for weeks, escalated on Monday, as protesters in several cities started to take over governmental buildings. Protests took place in the cities of Donetsk, Kharkov and Lugansk, while smaller protest actions and some clashes were reported in Odessa and Nikolayev...»

• Finalement, dans cette situation extrêmement fluide qui caractérise l’Ukraine dans sa partie russophone, les dernières nouvelles du week-end laissaient entendre que les autorités de Kiev avaient décidé finalement de lancer des offensives contre les diverses révoltes de la région russophone, à commencer par la ville de Slavyansk. Puis d’autres informations annonçaient l’extension de la “contre-offensive” de Kiev... Impression de désordre et de chaos, sans aucun doute, et la phrase de Kenneth Monroe est d’autant plus d’actualité : «The situation is very fluid, so it is very hard to say where the government itself has particular strong control in the region or not...» L’article de Kim Sengupta, sur place à Slavyansk, dans The Independent du 13 avril 2014, donne une idée assez précise du désordre sur cette zone d’affrontement, et de la faiblesse de la narrative sur la manipulation russe de ces événements. Le site Vineyard of the Saker écrivait hier soir, le 13 avril 2014 :

«It is too early to call this one and we need to wait for at least 24 hours before we can make some conclusion. But my very preliminary impression is that if things continue down this path the east and south of the Ukraine will simply secede from Kiev and the freaks in power there. What is becoming obvious is that with every passing day the chances of somehow keeping the Ukraine as a unitary state are becoming smaller and smaller. I cannot say that it would break my heart to see this obscene creation finally collapse in an orgy of incompetence and hateful rhetoric, but I also believe the breakup of the Ukraine will create a lot of headaches for Russia and that that these headaches will be very hard to deal with in the midst of what I can only call “Cold War II”. I still think that a federal unitary Ukraine is the better option, but I am beginning to seriously doubt that this is still possible.»

Les mineurs arrivent

Dans cet ordre d’idées et d’événements, il faut noter l’amorce d’un événement notable, et la chose est importante à deux égards. Il s’agit du constat de signes tangibles et sérieux du possible basculement des mineurs du Donbass (100 000 mineurs, réputés pour leur dureté dans certaines actions publiques) en faveur d’une action activiste aux côtés des protestataires anti-Euromaidan. La chose apparaît dans un reportage de The Observer du 13 avril 2014. On notera, dans cette description, le parallèle qui est fait entre cette foule accueillant les premiers mineurs et celle de l’Euromaidan du mois de février à Kiev, comme s’il s’agissait, volontairement ou non, de donner à cette extension du mouvement une légitimité comparable à celle de l’Euromaidan de Kiev, dans l’interprétation (la narrative) que la presse-Système du bloc BAO donne des événements de la crise ukrainienne.

«Word spread quickly through the few hundred pro-Russian protesters in Donetsk in eastern Ukraine: “The miners are coming!” The crowd parted as a group of a dozen or so burly men in orange work helmets marched past barbed-wire and tyre barricades into the 11-storey administration building, which protesters seized last weekend as they demanded greater independence from Kiev. “Glory to the miners!” the crowd began chanting. “Glory to Donbass!” they shouted, much as protesters at Kiev's Euromaidan demonstrations had shouted “Glory to Ukraine!” before they ousted the president, Viktor Yanukovych, in February.

»Donetsk is the heart of eastern Ukraine's coalmining country, historically known as the Donbass, and its football club is called the Miners. Cultural and economic ties to Russia – about three-quarters of people in the Donetsk region speak Russian as their native language – have put the Donbass on a collision course with the new government in Kiev, which plans to sign an association agreement with the EU. Yanukovych is from Donetsk and many here still call him the legitimate president.

»The hundreds of supporters who have gathered at the Donetsk occupation each day are a small number of the city's nearly one million residents. But if the 100,000-plus employees of coalmining enterprises were to rise en masse, that would change the political picture drastically, in a similar fashion to the Donbass miners' strikes that helped bring about the breakup of the Soviet Union...»

Évolution du Guardian

Outre le fait de l’intervention des premiers mineurs dans le mouvement de révolte de l’Est, ce qui importe surtout ici est que ce reportage soit le fait de l’Observer (version dominicale du Guardian). Le quotidien libéral du centre-gauche britannique donne avec sa politique éditoriale une bonne indication des variations d’interprétation du courant humanitariste-interventionniste, antirusse, férocement adversaire depuis février de tout mouvement séparatiste ou contestataire du pouvoir de Kiev dans un sens prorusse ; cela, pour la position de l’élite-Système de l’Europe occidentale, et de l’UE d’une certaine façon.

Jusqu’ici, le Guardian avait suivi une ligne de propagande pure, dénonçant violemment la Russie, accréditant la version des interférences russes dans l’Ukraine russophone, minorant ou ridiculisant les protestations anti-Kiev. Cette position était tenue depuis l’origine de la phase actuelle avec la chute de Ianoukovitch. Le 8 mars 2014, le Guardian observait que les provinces russophones de l’Est s’alignaient sur le pouvoir de Kiev et montraient une intense satisfaction dans la nomination de quelques oligarques richissimes à la tête de certaines régions, symboles de la corruption générale touchant l’Ukraine. Ainsi mariait-on heureusement un sentiment populaire irrésistiblement pro-bloc BAO et antirusse et l’affirmation que les fortunes bâties selon les règles les plus crues du piratage déstructurant du “capitalisme de choc” apparaissaient comme la solution décisive et décisivement antirusse de la crise.

«Following days of unrest, including pro-Russia rallies and the storming of the parliament building in Donetsk by Moscow's supporters, the region now seems to be slowly calming down. Pro-Russia squatters have now been removed from the administration building, and on the orders of the newly appointed regional governor and Ukraine's 16th-richest man, Serhiy Taruta, the pro-Kremlin activists' leader, Pavel Gubarev, has been arrested.

»In a further sign that the environment in the east is stabilising, boxing heavyweight turned politician Vitali Klitschko has a visit to Donetsk scheduled for Sunday. “People here respect power, the oligarchs are wealthy, well known and well respected. They are seen as guarantors of stability,” says local journalist Denis Tkachenko.»

Nécessité d’adaptation à la vérité de la situation

L’article de l’Observer sur les mineurs doit être donc pris comme à la fois un élément et le symbole d’une “adaptation” de la presse-Système, et du Système lui-même dans la composante européenne du bloc BAO. On en peut trouver un autre dans un autre segment du système de la communication, appartenant au pseudo-réseau (“pseudo” dans le sens où cette appartenance n’implique nullement une posture antiSystème). Il s’agit du site B2 (Bruxelles2), qui a une audience semi-sérieuse dans les milieux européens de Bruxelles et représente en général de façon assez acceptable les grandes positions officieuses qu’on rencontre dans ces milieux. Au début de la séquence actuelle de la crise, soutien enthousiaste de la victoire d’Euromaidan, avec les slogans complètement adéquats (Voir par exemple le 22 février 2014, saluant avec enthousiasme la victoire d’Euromaidan : «Quand la police se range du côté des manifestants, le pouvoir est foutu [...] [L]a révolution démocratique qui est en train de se dérouler en Ukraine, et à Kiev en particulier [...] Une Ukraine, démocratique, indépendante et européenne !», etc.)  ; changement là aussi, avec, ce 12 avril 2014 un texte faisant un vibrant plaidoyer pour une Ukraine complètement “neutralisée”, – idée qui va nettement dans le sens de ce que désirent les Russes, bien entendu. 

« L’Ukraine devrait, peut-être, y réfléchir à deux fois avant de multiplier les gestes et demandes envers l’OTAN et la sécurité euroatlantique... [...] Une proclamation de neutralité, claire, sans contestation possible, dans une loi constitutionnelle, reconnue par les différents partenaires de l’Ukraine (russe, américain, européen)... [...] serait [..] une première porte de sortie dans la crise russo-ukrainienne. Car il y a une réalité qu’il ne vaut mieux pas oublier : si la Russie est prête à intervenir d’une manière ou d’une autre pour déstabiliser le pouvoir en cause à Kiev, les Occidentaux ne sont pas prêts à intervenir au même degré. Et il est toujours connu que déstabiliser une région est toujours plus facile que la stabiliser. CFQD»

Le découplage entre USA et Europe

Ces divers exemples sont là pour ce qu’ils sont, parce qu’ils sont exemplaires d’un tournant en cours dans ce qu’on pourrait nommer “le sentiment européen général”. Devant l’évolution de la situation en Ukraine, devant l’affaiblissement rapide de la narrative selon laquelle les désordres de l’Ukraine russophone de l’Est sont un simple “complot” de la Russie (voir le diplospeak de Kerry, ce 11 avril 2014), c’est-à-dire devant les menaces grandissantes d’une guerre civile terrible au cœur de l’ensemble européen, le “sentiment européen général” tend à s’écarter de la narrative jusqu’ici suivie par le bloc BAO et qui continue à être le facteur dominant de la perception US de la crise ukrainienne.

On lira avec intérêt l’analyse de Nicolaï Bobkine, sur Strategic-Culture.org, le 13 avril 2014. Bobkine trace ce qu’il perçoit de l’évolution européenne actuelle et du fossé que cette évolution est en train de creuser entre l’Europe (l’UE) et les USA. Il s’agit aussi d’un reflet de l’un des axes de la politique officieuse russe, un axe immémorial qui est d’activer autant que faire se peut le découplage politique entre l’Europe et les USA.

«the United States has always tried to do its best to weaken Russia. Driving a wedge between Russia and the European Union is a priority mission. But Crimea and Ukraine frustrate the plans. Entangled in the Ukrainian crisis, Europe starts to doubt the expediency of following the US policy and displays its unwillingness to escalate the confrontation with Russia. As they say “Mutiny on the Bounty” is getting ripe, though most likely the revolt will go no further than undermining some US initiatives…

»Looks like Brussels is going to quietly let Ukraine go. Revolutionary frenzy behind, the EU is not prone to take further anti-Russian actions. They gradually start to listen to the Kremlin. Russia has taken diplomatic initiative away from Washington and takes a more adamant stand insisting that an all-Ukraine dialogue should be a foundation for crisis management. The Western hopes for Moscow’s at least indirect recognition of the illegal government in Kiev are getting stymied. Russia believes that peace enforcement efforts aimed at making the Kiev-based putschists take a seat at the round table instead of resorting to coercive measures is the goal to be pursued while cooperating with the Euro-Atlantic structures.

»Russian Foreign Minister Sergei Lavrov called on the Kiev authorities to take urgent measures and build a national dialogue with all political forces and regions in Ukraine. According to him, all external players, including Brussels and Washington, should call on the Ukrainian authorities to take on responsibility for the situation and start a dialogue with the participation of all interested parties in Ukraine. All regions should take part in the talks.

»The position is clear. It’s well known that the United States is afraid of the civil movement in the south-eastern part of Ukraine. A small rag-tag group of US puppets got hold of power in Ukraine. The Washington’s goal is to eliminate any opposition to their rule. The White House is inclined to ignore at least a half of Ukrainian population. It has gone too far along this path while bringing Europe to the brink of involvement in a civil war on the side of putschists. Looks like the Obama’s Ukraine policy boils down to a host of manipulations with murky goals influenced by global confrontation with Russia. The battlefield has moved from the Middle East to the very borders of Russia. The European Union and NATO did not support the Obama’s intention to deliver strikes against Syria. No doubt this time again reason will prevail in Brussels.»

La “guerre du gaz”

Un autre domaine où les politiques US et européenne respectivement sont susceptibles de diverger est la question du gaz russe, d’une part vendu à l’Ukraine, d’autre part transitant par l’Ukraine vers d’autres pays européens. Poutine a adressé aux dirigeants des pays de l’UE une lettre (le 10 avril 2014) expliquant la cause de la modification de la position russe vis-à-vis de la vente de gaz à l’Ukraine. (Actuellement, l’Ukraine doit $2,2 milliards à Gazprom pour les livraisons de gaz, et Gazprom entend désormais que l’Ukraine paie par avance, chaque mois, le montant mensuel de livraison de gaz russe qui lui est destiné.)

La lettre de Poutine n’a pas reçu de réponse officielle des destinataires, mais l’on sait que Merkel a réagi dans un sens conciliant, admettant qu’il est nécessaire qu’une réponse commune de l’UE soit donnée et que, d’autre part, les dirigeants de l’UE chargés des questions d’énergie entament des pourparlers avec la Russie sur cette question des livraisons de gaz. (RT, le 11 avril 2014.)

«The EU is taking seriously President Vladimir Putin’s letter to 18 European countries, in which he warned that Ukraine’s debt crisis could affect gas transit from Russia, German Chancellor Angela Merkel said. "There are many reasons to seriously take into account this message […] and for Europe to deliver a joint European response,” Itar-Tass reported Merkel as saying. She said the issue would be discussed in a meeting between European Union foreign ministers Monday.

»Speaking in Athens on Friday, Merkel stressed that the price on natural gas should be negotiated. She also said that EU Energy Commissioner Gunther Oettinger and representatives of European states should talk to Russia’s biggest gas producer, Gazprom. “When we take all these steps, we can be sure that we have reached a joined response for the countries that face this problem because they are getting gas from Gazprom,” Merkel said, adding European states “would like to be good clients but we would also like to be sure Russian gas supplies are not interrupted.”»

A l’inverse, l’accueil de la lettre de Poutine aux USA a été abrupt. Le département d’État l’a qualifié de “chantage” exercé contre l’Ukraine et de “moyen de coercition”, selon toujours la même narrative d’une totale culpabilité des Russes, acharné à faire chanter l’Ukraine sous la menace et à fomenter des cpmplots pour dissimuler leur intervention dans l'Est russophone et empêcher qu'apparaisse la “réalité” d'une population ukrainienne russophone se plaçant, d’un seul cœur et d’un seul esprit, derrière le pouvoir de Kiev, démocratique, légitime, populaire et souverain, libre de toute compromission avec l’étranger et irradiant son autorité sur tout le territoire. Poutine a répondu à cette réaction immédiate des USA, avant celle des destinataires, à une lettre qui n’était pas destinée aux USA par une remarque ironique, – de cette façon selon notre propre traduction  : “Tout cela est étrange. C’est étrange, de quelque façon qu’on le considère, parce qu’il n’est pas particulièrement élégant de lire par-dessus l’épaule de quelqu’un une lettre adressée à cette personne. On est désormais habitué au fait que nos amis américains espionnent tout le monde, mais en arriver à lire le courrier des autres n’est vraiment pas glorieux.”

Quel que soit le ton, grave ou léger, la situation dans ce cas est bien d’une potentielle discorde, une de plus, entre compagnons internes du bloc BAO. Elle l’est d’autant plus que les promesses de BHO de venir au secours d’une Europe qui se priverait elle-même du gaz russe, par rétorsion dans le cadre de la crise ukrainienne, commencent vraiment à être interprétées pour ce qu’elles sont : une narrative de plus au cœur de la narrative de BHO sur le gaz de schiste (voir le 10 mars 2014).

La houle transatlantique favorise deux narrative divergentes

Ces divers éléments font penser que la situation interne du bloc BAO dont la vertu affichée est une union et une solidarité sans faille commence à montrer divers signes d’un désarroi qui porte les germes d’une dissolution. (Encore n’est-il question que des aspects crisiques du jour, et l’on sait qu’il y en a d’autres qui, demain, ressurgiront dans un nouveau paroxysme, – et, dans tout cela également, on trouve bien des situations propices à cette orientation de la situation interne du bloc BAO.)

D’une façon générale, cette sorte de constat est accompagnée d’un appendice marqué du plus grand scepticisme, et d’ailleurs avec les meilleures raisons du monde alimentées par tant de renoncements européens depuis des décennies. Cela consiste à observer que, conformément à l’habitude, les Européens devraient rapidement finir par capituler devant les impressions américanistes. Cette fois, la situation présente des différence significatives qui semblent assez fortes pour pouvoir “faire la différence”, — c'est-à-dire conduire à une issue différente :

• D’une part, la politique américaniste est particulièrement informe, inexprimée, sans la moindre structure, c’est-à-dire dépourvue de stratégie, avec une absence de motif initial sérieux et aucune planification quant aux buts à atteindre, et quant aux moyens de terminer la crise et d’en sortir. En un mot, pour toutes les raisons qu’on connaît, et notamment l’absence de légitimité opérationnelle de la directions américanistes autant que la présence de groupes et centres de pouvoir subversifs sans coordination ni eux-mêmes de buts précis, la politique américaniste est pure politique-Système déstructurante et dissolvante. Pour qui n’en éprouve pas lui-même l’invincible attraction, elle n’offre aucun attrait réel.

• D’autre part, effectivement, les Européens n’éprouvent pas eux-mêmes cet “invincible attrait” de la politique-Système développée par les forces américanistes dépourvues de structures, parce qu’ils se trouvent confrontés avec cette crise à la menace directe de ses effets sur leurs territoires et leur zone fondamentale de développement. Il est aisé de s’engager dans l’affaire syrienne parce qu’il est aussi aisé de s’en dégager ; pour les Européens, dans tous les cas, il serait très malaisé de se dégager de la crise ukrainienne s’ils s’y engageaient plus qu’ils n’ont déjà fait. Ces nuances échappent évidemment à la partie américaniste, qui occupe une tout autre position géographique, une toute autre position opérationnelle complètement dégagée de pressions tangibles et, par conséquent, qui est soumis à une tout autre perception psychologique où la pression du Système et le maximalisme qui s’y attache sont prépondérantes.

.. Cette fois, il y a une réelle différence entre les USA et l’Europe, une différence qui touche directement leurs perceptions et influence décisivement leurs conceptions des événements. Après une unité initiale, les Européens et les américanistes sont en train de se séparer en deux narrative différentes, qui vont diverger de plus en plus et se trouver de plus en plus fermées l’une à l’autre.

D’une “crise à deux” à une “crise à trois” ?

Cette différence de narrative va guider les évolutions des uns et des autres, en leur faisant conserver un dernier lien de coordination entre eux, mais ce sera un lien d’antagonisme. Plus les USA iront dans une direction, plus les Européens évolueront dans une direction différente, – comme dans les premières réactions au cas de la lettre-Poutine sur le gaz ukrainien, dénoncée comme un acte de chantage et de coercition par Washington, et aussitôt prise “au sérieux” par les Allemands.

La logique la plus évidente des esprits et des psychologies, autant que des regroupements politiques, avec les influences et les impulsions qui vont avec, font que la politique de l’américanisme a toutes les chances de ne cesser de se durcir dans le sens revendicatif. L’administration est faible, sans réel intérêt pour l’Ukraine sauf ses éléments extrémistes (Nuland-Fuck en tête) qui manipulent la subversion du domaine et de la région d’une façon systématique et automatique depuis l’origine de la séquence, avec la “fin de la Guerre froide”. Le Congrès est dans la même disposition psychologique et opérationnelle. Tout se résume alors à de la communication, et cette entité profondément affaiblie et en crise chronique entre paralysie et désordre qu’est Washington ne peut que suivre une conception maximaliste lorsqu’il s’agit de communication. Washington est aujourd’hui complètement prisonnier du Système et ne peut qu’appuyer une politique-Système conforme jusqu’à son extrême sans même l’opérationnaliser de façon organisée, par ses automatismes de communication.

Naturellement à l’inverse, les Européens devraient nécessairement évoluer vers une politique active et clairement identifiée. Désormais, parce que, pour eux, la situation ukrainienne est en train d’échapper à la narrative la plus simpliste de la “bonne cause” mise en péril par un “parti des méchants”, le point est atteint ou proche d’être atteint, où leur but est plus d’éviter une aggravation de la crise que d’obtenir un ralliement ou une intégration de l’Ukraine dans leur dispositif. Cette orientation devrait les conduire à privilégier de plus en plus un arrangement avec la Russie, sur toute autre considération.

On comprend que ces deux logiques sont faites pour la confrontation et l’affrontement. Il existe désormais un risque important de “découplage simultané” entre l’Europe et les USA, impliquant un divorce potentiellement antagoniste des intérêts, des perceptions, des narrative, chacune des parties du bloc BAO se découvrant un antagonisme avec l’autre. Il est alors possible que la crise ukrainienne à ce niveau des acteurs extérieurs devienne une “crise à trois” (Russie, Europe, USA) et non plus “à deux” (Russie, bloc BAO)

En situation et en temps normaux, l’affaire évoluerait avec le détachement de plus en plus affirmé des USA de la crise (isolationnisme). Mais les mécanismes existants au sein de l’OTAN, des autres engagements transnationaux et multinationaux, des liens bilatéraux, les centres activistes incontrôlés, etc., empêchent un tel dégagement. Dans ce contexte, les acteurs mineurs (divers petits pays, notamment les anciens d’Europe de l’Est actuellement dans l’OTAN, la Géorgie, l’Ukraine elle-même bien sûr) pèsent d’un poids phénoménal de nuisance, infiniment supérieurs à leurs poids réel. Plutôt qu’amener à des déplacements de puissance, l’action de ces petits pays a pour effet de saboter les possibilités d’entente, d’interférer au niveau de la communication, d’activer des provocations, c’est-à-dire à tous égards de “brouiller les cartes”. Leurs actions interfèrent désormais encore au moins autant sur les situations à l’intérieur du bloc BAO, surtout entre USA et Européens, que sur les situations entre la Russie et le reste.

L’alternative du Diable

La conclusion de ces diverses échappées vers des situations imprévisibles où dominent confusion et antagonismes de narrative est que la porte est désormais ouverte vers la possibilité d’accidents graves, notamment de ruptures de solidarité jusqu’alors jugées irréfragables. Cela signifie que pourraient, et même devraient se développer des tensions énormes au sein du Système en général ; cela signifie des tensions énormes au sein du bloc BAO prioritairement bien entendu, mais également dans d’autres domaines où des forces plus en marge du Système, voire antiSystème, sont impliquées ; cela signifie la possibilités de développement de ruptures dans des domaines a priori complètement étrangers à la crise ukrainienne mais qui sont touchés par la crise ukrainienne, comme par exemple l’évolution du rôle du dollar dans les échanges internationaux.

Ainsi nous rapprochons-nous effectivement d’occurrences importantes où des crises considérables peuvent affecter le Système lui-même. On sait que nous avons dès le début (voir le 3 mars 2014) de cette phase extrême de la crise envisagé la possibilité que, du point de vue opérationnel, cette crise conduise à une guerre (civile puis élargie) avec la potentialité catastrophique d’une confrontation nucléaire ; cette possibilité existe toujours sinon plus que jamais, et l’on en jugera d’autant plus dans ce sens avec les événements du week-end. Mais nous avons aussitôt nuancé ce propos en précisant qu’il existait, toujours dans le cas d’une extrémité radicale de la crise, une alternative à cette issue catastrophique, qui serait une rupture interne décisive du Système, notamment sous la pression du “choc psychologique” de l’ampleur de la crise. Tout ce que nous avons détaillé tend à montrer que c’est ce deuxième terme qui s’est renforcé depuis cinq semaines, tout en laissant bien ouverte l’“option” (?) du risque catastrophique suprême. Plus que jamais, par conséquent, on peut parler de la possibilité de l’“autre” risque ultime qu’est la rupture interne décisive du Système, plus que jamais la crise ukrainienne est la “crise haute ultime” qui nous offre une sorte d’“alternative du Diable”...

«On comprend que ce qui nous rapproche de 1914, ce n’est pas nécessairement l’événement (la guerre) mais l’esprit d’un temps perdu dans une ivresse aveuglante et qui se trouve soudain confronté aux réalités catastrophiques de lui-même. La crise ukrainienne, et la réalisation que les pressions du Système (du bloc BAO, son factotum) peuvent conduire à l’extrême catastrophique des affaires du monde, peuvent aussi bien, grâce au “formidable choc psychologique” dont nous parlons et à l’immense crainte qu’il recèle, déclencher une autre dynamique d’une puissance inouïe. Notre hypothèse à cet égard, rencontrant l’idée de la formidable puissance symbolique du centenaire de la Grande Guerre (voir le 2 janvier 2014), est que cette dynamique est celle de l’effondrement du Système...» (Voir le 3 mars 2014.)