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1969Il s’agit ici d’une présentation du numéro du 10 octobre 2010 de notre Lettre d’Analyse dde.crisis. Le thème de ce numéro est ce que nous nommons notre “grande crise eschatologique”, c’est-à-dire la crise de l’environnement en général, dans son sens le plus large, comprenant crise climatique, global warming, etc. ; surtout, crise prise dans son rapport fondamental avec le système général de notre civilisation, ce que nous nommons “système de l’idéal de puissance” pour la conception qui y préside après avoir été plaquée sur lui par la raison humaine, et “système du déchaînement de la matière” pour les circonstances historiques qui le déterminent et, bien plus fondamentalement, pour sa bouleversante signification cachée.
L’analyse que nous en faisons a pour cause circonstancielle les deux grandes catastrophes climatiques de l’été, les incendies de Russie et les inondations du Pakistan, l’une et l’autre pouvant sans guère de doute être liées entre elles, et l’une et l’autre liées au dérèglement climatique. (A cet égard, l’expression “dérèglement climatique” est plus précise que “crise climatique” car elle exprime bien que le danger catastrophique de la chose repose sur le désordre qu’induit le changement climatique, beaucoup plus que sur un “changement” en soi, qui pourrait être effectivement ordonné.)
Il est remarquable que l’ampleur de ces catastrophes de l’été aient été souvent définies par des appréciations d’une grande signification symbolique, voire métaphysique. L’expression “biblical dimension” a été employée (par exemple, par Arnaud de Borchgrave sur UPI, le 20 août 2010). Il est pourtant remarquable que, malgré l’ampleur de ces catastrophes et les références écrites qui en rendent compte, cette correspondance précise entre la crise eschatologique et la cause fondamentale de cette crise eschatologique (notre système et ses effets) a été fort peu mise en évidence, sinon complètement écartée.
Nous nous référons ici à ce commentaire “biblical dimension”, qui n’a pourtant nullement suscité la réflexion existentielle qu’il exige chez ceux qui l’ont fait, comme à un fait significatif qui nous est révélé par le système de communication. Pour nous il représente le signe d’une “prise de conscience inconsciente” de la dimension eschatologique de la crise. Il implique une notion de “sacrilège” dans cette sorte de jugement inconscient qu’il fait de cette crise.
D’un autre côté, l’ampleur même de ce constat (“sacrilège”) explique le refus de la conscience d’en acter d’une façon ouverte et, – justement, – consciente. Nos psychologies sont trop faibles pour supporter explicitement un tel poids.
Nous référant à notre idée des “trois révolutions” du tournant du XVIIIème siècle, et précisément à la “révolution” du choix de la thermodynamique comme moteur de notre développement, nous écrivons : «Il faut dire que l’idée n’est pas nouvelle, – nous voulons dire l’idée comme symbole du sacrilège dans l’activité fondamentale de la machine. En 1924, Guglielmo Ferrero écrivait, dans son Discours aux sourds : “C’est le culte du Feu, du vieux Dieu Agni, qui renaît, déguisé, dans le rationalisme dominant de plus en plus toutes les formes de l’activité humaine ; la grande industrie, les machines de métal mues par la vapeur ou l’électricité ; la civilisation quantitative, à grande production, qui remplace les anciennes civilisations qualitatives.” Notre conviction est que cette idée-là du sacrilège, qui perdure et ne cesse d’être substantivée dans notre situation de crise, constitue le frein principal à la pleine réalisation des implications générales de la crise, à ses responsabilités fondamentales et à sa signification principale, et, par extension, à ses conséquences. Nous sommes placés devant une menace de déstabilisation existentielle, de déstructuration radicale de toutes nos croyances, de toutes nos certitudes que nous jugeons désespérément comme rationnelles, – et dont nous devinons confusément qu’elles ne le sont pas.»
A l’été 2008, après une crise du prix du pétrole sévère, la conscience était très forte du lien entre la crise eschatologique (ressources, environnement, etc.) et notre système de puissance et de “la matière déchaînée” en crise. (Que cette crise du prix du pétrole ait dû beaucoup à la spéculation n’importe pas ici ; ce qui compte est qu’elle éclaire le fait indiscutable du lien entre les deux crises.)
Puis vint 9/15 (l’écroulement boursier du 15 septembre 2008). Quelle que fut la gravité de l'événement, cette crise fut presque un soulagement dans l’inconscient et pour nos psychologies épuisées. En s’imposant comme l’urgence absolue, elle nous ramenait aux débats terrestres des économistes divers et évidemment antagonistes, aux habituelles responsabilités de la rapacité, du profit de la spéculation, – toutes choses qui, a contrario et pour des psychologies épuisées, pérénisent sinon légitiment notre système en faisant de sa crise un accident. Elle pouvait faire croire, même aux plus radicaux, que si elle entraînait une réforme radicale du système, tout pouvait repartir… On ne pensait plus à la crise eschatologique, pourtant si contradictoire des remèdes mêmes qu’on cherchait pour 9/15 (relance du système, donc de la production, donc de la destruction du monde).
Mais la riposte a échoué, montrant par là l’inéluctable vice de mort du système. Aujourd’hui, deux ans après, la crise financière et économique est passée du conjoncturel brutal de 9/15 au structurel d’un horizon où plus aucune sauvegarde du système ne semble possible. Ainsi la conscience de la crise eschatologique peut à nouveau se manifester, ce qu’elle a fait avec les catastrophes de l’été 2010.
Nous nous attachons à la polémique de Climategate (contestation de la responsabilité humaine dans le phénomène spécifique du global warming, sans pour autant nier l’existence de ce phénomène), comme à une réaction de défense inconsciente contre la mise en cause du système comme moteur de la destruction du monde. Comme tel, Climategate n’est nullement un phénomène contestataire isolé mais l’extrême du mouvement général de refus du lien entre le système que nous avons créé, ou qui s’est imposé à nous, et la crise de la destruction du monde. C’est un acte de “déflexion” et de “diversion”, comme dans le cas de 9/15 tel que nous l’avons envisagé plus haut.
«Mais Climategate n’est pas, à notre sens, un phénomène isolé ou un phénomène “dissident”, qui romprait avec la politique générale des directions politiques et scientifiques, elles-mêmes entièrement engagées dans la défense du système. Climategate constitue un phénomène extrême, certes quelque peu énervé mais nullement déviationniste et encore moins schismatique, d’une attitude générale de nos directions politiques et scientifiques. Entre l’appréciation que certaines mesures de régulation et de contrôle des activités et du fondement par ailleurs inchangés du système ralentiront ou résoudront la crise climatique (la crise de l’environnement) et la négation de la crise climatique (Climategate), il y a ce point commun de l’exonération du système d’une responsabilité complète dans une crise eschatologique de déstructuration du monde. Dans les deux cas, bien plus qu’un processus d’analyse “rationnel”, qu’une argumentation équilibrée, nous voyons le résultat d’une fatigue de la psychologie qui pousse à écarter les perceptions fondamentales, essentiellement intuitives à l’origine, pouvant conduire à une mise en cause également fondamentale du système.»
Nous insistons plus que jamais sur ce facteur essentiel de l’épuisement de notre psychologie, qui est liée à la modernité, qu’elle soit triomphante ou “postmodernité”. Cet épuisement psychologique du début du XXIème siècle répond à celui du XVIIIème siècle, même si sous une autre forme (le “persiflage” du XVIIIème siècle).
Cet épuisement joue un rôle fondamental dans le refus du lien entre crise et crise, – les crises “courantes” (!) de notre structure crisique, et la crise eschatologique, – la crise de notre système et la crise eschatologique de destruction du monde comme produit de notre système. «Il nous paraît assuré que cette fatigue de la psychologie a joué un rôle essentiel pour assurer ce rôle de diversion que nous attribuons à la crise 9/15 (Wall Street et édifice financier), dans ce cas absolument liée à Climategate et continuée par lui. Cela a effectivement permis à la préoccupation devenue centrale de la crise eschatologique du monde (la crise climatique) entre l’automne 2006 (rapport Stern) et le printemps 2008 (crise du prix du pétrole), de devenir, ou de redevenir secondaire dans ce qu’elle pouvait induire de spécificité fondamentale des causes d’elle-même.»
Mais les grandes catastrophes de l’été 2010, – parce que la crise eschatologique va, dans ses manifestations, bien plus vite que nous n’appréhendions, – ont “rouvert le dossier”. Elles l’ont fait dans l’inconscient, – la psychologie épuisée se défend comme elle peut, – et elles l’ont fait alors d’une façon beaucoup plus radicale. Puisque la psychologie épuisée refuse encore de reconnaître le phénomène pour ce qu’il est, nous passons au niveau de la métaphysique et la métaphysique du phénomène l’imposera évidemment. («La métaphysique est, par la puissance de la vérité qu’elle impose, impitoyable pour les faiblesses de la psychologie, même lorsqu’il s’agit d’une psychologie négationniste.»)
Ainsi la résistance involontaire de la psychologie à la réalisation de la dimension eschatologique de la crise, à cause de son épuisement, nous permet de brûler les étapes à cause de l’introduction de la métaphysique pour forcer à mesurer effectivement cette dimension. Outre d’établir l’acte d’accusation circonstanciel du système (responsabilité dans la crise eschatologique), l’appréciation métaphysique conduit à offrir la vérité du système au travers de cette culpabilité : un système basé sur le “déchaînement de la matière”, qui s’avère, à cause de cela, comme la manifestation du mal, comme “la source de tous les maux”.
Nos psychologies vont être forcées, si elles ne le sont déjà, d’affronter la centralité métaphysique de la crise. Bientôt, cette “prise de conscience” constituera un diktat de l’esprit qui deviendra irrésistible et forcera nos psychologies, – cette fois, la faible résistance des psychologies épuisées jouant à contre-emploi, impuissantes à empêcher cette prise de conscience effective et effectivement “consciente”… «Cela constituera une révolte majeure contre la dictature du système, – diktat contre dictature, après tout...»
Le principal effet de cette prise de conscience sera la réalisation de ce que nous désignions plus haut comme un “sacrilège” : le constat que la crise eschatologique engendrée par le système de la matière déchaînée dont nous nous sommes faits les complices et les serviteurs, conduit à la destruction de l’univers. Et notre appréciation est que cette réalisation se fera avant que la crise eschatologique submerge nos psychologies dans l’amoncellement de ses catastrophes, empêchant notre repli dans une posture de survivance qui, avec l’action du système de communication, continuerait à nous servir une dialectique d’irresponsabilité de la raison humaine et du système dont cette raison a radicalement favorisé la mise en place et le développement.
«Nous n’avons guère d’estime pour les capacités de nos psychologies épuisées, non plus que pour la vraie puissance de cette raison humaine qui a sacrifié la grandeur de sa liberté à la satisfaction de sa vanité qu’elle a trouvée dans son marché faustien avec le système du déchaînement de la matière. A cause de ce jugement peu amène, il nous paraît assuré que nous céderons avant que notre système de la communication ait l’opportunité de nous présenter la crise climatique comme une apocalypse où nous n’aurions aucune responsabilité, qui nous permettrait une fois de plus de gémir sur notre sort et sur l’injustice des actes des dieux que nous prétendons par ailleurs avoir remplacés si avantageusment. Ainsi n’échapperons-nous pas à nos responsabilités.»
Un dernier mot sur la place qu’il faut donner à l’homme, sapiens, dans cette tragédie, dans l’échelle des responsabilités et des culpabilités. Nous sommes fidèles à ce que nous avons dit que nous croyons à cet égard (voir notre dde.crisis du 10 septembre 2010 et la Note d’analyse correspondante, du même 10 septembre 2010)… C’est la faiblesse de l’homme qui est en cause.
L’homme est faible et cède à la mystification. Sa psychologie épuisée, et s’épuisant encore plus dans le processus, permet cette situation… «Si l’on suit le schéma que nous avons développé dans notre précédente édition, notamment en nous référant au philosophe romain Plotin qui rencontre notre conviction profonde en même temps que l’observation des actions auxquelles nous participons, nous considérons que le mal se trouve dans la matière elle-même, et que l’homme ne s’y laisse sombrer que par association. (“Mais les autres, ceux qui participeraient de lui [du mal] et s’y assimileraient, deviennent mauvais, n’étant pas mauvais en soi.”)»
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