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1692Notre problème aujourd’hui est, d’une part de dresser une nomenclature des crises systémiques, éventuellement de les classer par ordre d’importance, ou de priorité, ou de potentiel d’effets spectaculaires, d’autre part avec pourtant, à chaque instant, l’arrivée d’une nouvelle crise ou d’une crise déjà ancienne réactivée en une nouvelle phase critique. Il y avait et il y a toujours la structure crisique, il y avait et il y a toujours la chaîne crisique ; il y a désormais la “conflagration crisique” qui mélange les deux en accélérant encore, si cela est possible, la contraction du temps et le rythme de l’Histoire.
La conflagration crisique (expression temporaire, on le verra plus loin) devient, à certains moments spécifiques, l’essence paradoxalement informe, l’essence invertie si l’on veut, de la substance du monde directement identifiée en un bouillonnement incandescent comme celui qui précède, ou, plutôt, qui accompagne une éruption volcanique. Ce bouillonnement et cette éruption, qui sont tout en mouvement catastrophiques, fixent également une sorte de paralysie également catastrophique, où le sapiens qui mène le monde ne peut que mesurer la profondeur abyssale de son impuissance ; cette paralysie s’exprime, elle, sur un temps plus long, sur le temps constant où ces crises subsistent hors de leur paroxysme.
Effectivement, tout cela n’explose pas ni ne se volatilise en un instant paroxystique qui pourrait s’avérer comme un Moment paradoxal de délivrance ; non, tout cela s’accumule, s’empile, s’amoncelle hors des seuls paroxysmes, comme si le destin entendait démonter l’entièreté du meccano soi-disant universel que la modernité a installé comme étant l’aboutissement de son Grand Tout à elle. Le Diable en rit plus que jamais, et le bon Dieu doit commencer sérieusement à sourire dans sa barbe.
Attablons-nous pour le festin, simplement en mentionnant quelques-uns des “plats du jour”.
Depuis trois jours, l’Egypte s’est embrasée… “Révolution 2.0”, dit-on, friand du vocabulaire high tech et “réseaux sociaux” à la fois. On espère toujours que les mots déjà dits ressusciteront ce qu’ils ont déjà qualifié, qui était l’euphorie de la “Révolution 1.0” de février dernier.
Les militaires égyptiens, dit-on, font du “Moubarak sans Moubarak”, et l’on devise à propos de la “révolution trahie” en proclamant qu’il en faut une nouvelle. En réalité, les militaires ne font qu’agiter une fois de plus tous les attributs de leur impuissance totale, lesquels comprennent évidemment les mitraillades des policiers et les chars prêts à intervenir. On envisageait presque joyeusement d’envahir la Syrie, et presque sérieusement d’attaquer l’Iran ; pourquoi pas l’Egypte pour commencer, certainement avec l’aide empressée de la Libye démocratisée avec tant de brio ? En attendant, le gouvernement intérimaire présente une nouvelle fois sa capitulation, – pardon, sa démission, devant l’émeute, actant son impuissance à lui. Finauds, les militaires réservent leur réponse.
C’est le “printemps arabe”, revue à l’aune de la crise climatique et du global warming, dont les philosophes pétroliers vous assurent, – voilà qui est rassurant, – que l’activité humaine n’y est pour rien.
La crise européenne, autre gâterie de l’année ne cesse, fidèle aux promesses de l’idée européiste qui ne le cède jamais à rien, de se développer. Elle en arrive à un point où les instances et les bureaucrates européens peuvent se plonger à nouveau avec délice dans leur argument TINA (There Is No Alternative). Il s’agit de faire enfin l’Europe, la vraie, la “dictature molle” enfin achevée. Après le Telegraph, dont nous parlions dans notre F&C du 17 novembre 2011, c’est l’Observer du 20 novembre 2011 qui détaille le “plan”, dit du “grand pas en avant”, ou l’Europe fédérale. (Ils ont évité “grand bon en avant”, histoire d’éviter de confondre avec l’Europe type-Mao.)
Tout le monde explique qu’il n’y a rien d’autre à faire (TINA), même si personne n’en veut (personne, c’est-à-dire : les peuples). Cela nous vaut cette phrase immortelle du Luxembourgeois Jean-Claude Juncker :
«Nous savons tous ce qu’il faut faire, mais nous ne savons comment nous nous ferons réélire une fois que nous l’aurons fait.»
Leur “plan” est évidemment fondé sur la reprise de tous les facteurs qui ont provoqué la crise, à l’exclusion de tout autre et avec encore moins d’entraves qu’avant pour conduire à la crise… Leur “plan” est notamment appuyé sur la puissance vertueuse de l’Allemagne («…the might of Germany, the only big eurozone country whose finances are considered beyond reproach») ; cette vertueuse Allemagne, qui rassure tant les marchés, – puisque cette Europe “dictature molle” est faite pour complaire aux marchés.
…Ce qui nous vaut un a parte sympathique, à propos de la vertueuse Allemagne. Les bruits, imprimés noir sur blanc, commencent à se répandre sur l’état réel de l’Allemagne, et sa conduite réelle, qui commence à se révèler, à cette lumière, à peu près similaire à celle de la Grèce, – ou l’Allemagne plus faussaire (à cause de son poids) que les faussaires à qui elle fait la leçon et qu’elle étrangle de ses exigences. (Voir Boursorama du 19 novembre 2011, qui reprend un article du Monde du même jour sur les trucages allemands.) Ce qui permet à Juncker, l’homme qui ne sait pas comment se faire réélire, d’en ajouter une autre à sa collection des vérités premières :
«En Allemagne, on fait souvent comme si le pays n'avait aucun problème, comme si l'Allemagne était exempte de dettes tandis que tous les autres auraient des dettes excessives. L'Allemagne a une dette plus élevée que celle de l'Espagne. Seulement personne ne veut le savoir ici.»
En attendant, les marchés s’effondrent, comme d’habitude tous les trois jours, et cette fois comme pour souligner la vertu des inspirateurs de la chose :
«Germany and France, Europe's cornerstone economies, were dragged into the eye of the debt storm on Monday, triggering a collapse of stock prices around the world. (Daily Telegraph du 21 novembre 2011).
La farce européenne se poursuit donc, que certains l’appellent “crise”, d’autres “grand pas en avant”.
Ce qui est magnifique, c’est qu’un journaliste arrive à faire un titre optimiste après l’extraordinaire débâcle du Congrès des Etats-Unis, de sa “super commission”, de la dette, du diable et son train. Il s’agit du Figaro du 22 novembre 2011, avec son titre : «La note américaine [des agences de cotation] préservée malgré l'absence d'accord» ; ce qui ajoute le ridicule à la farce et l’approximation de la mémoire courte au ridicule (les USA sont déjà “dégradés” par S&P).
La crise du pouvoir est donc réactivée après avoir laissé un peu d’aire (espace, en terme naval) pour que se greffe et se développe la crise de la révolte populaire (Occupy). Cet ensemble (crise du pouvoir + crise populaire, en plus de la crise économique et financvière) ouvre d’une façon prometteuse l’extraordinaire désordre de l’année 2012, avec en supplément le défilé du non moins extraordinaire amoncellement de médiocrité que représentent les candidatures républicaines… Bien entendu, on ne parle pas de Ron Paul, qui est non-candidat et non-être à la fois, dont le conseiller Doug Wead peut désormais se permettre d’écrire (le 19 novembre 2011, sur Russia Today) : «It can happen. He can win.»
Il semble donc que les USA aient à peu près bouclé leur quota réglementaire de crises… Elles, ces crises, sont toutes présentes et évoluent toutes, parallèlement, s’alimentant les unes les autres.
Faut-il poursuivre ? Peu utile, certes. Nous avons visité les trois grands pôles d’activité crisique du Système, et vérifié la parfaite santé du processus.
Les autres crises, c’est déjà du classique ou du tout-venant, voire du passé quoique toujours en activité et parfaitement inscrites dans la structure crisique globale ; qu’il s’agisse de la Syrie, de l’Iran, de la Libye ; il y a aussi l’Afghanistan, qu’on délaisse beaucoup ces derniers temps, mais qui poursuit son petit bonhomme de chemin. Il y a aussi, parfois, malgré qu’on croirait avoir fait le tour de la chose, une surprise qui vous attend ; comme la situation en Israël, où l’on découvre que la démocratie est menacée de fascisme, au point qu’un Gidéon Lévy en arrive, dans Haaretz, le 17 novembre 2011, à considéré que Netanyahou “est le dernier espoir de la démocratie” contre les fascistes de son gouvernement et de la Knesseth qui mènent une offensive générale.
Brièvement résumé, nous dirions que le reste confirme l’essentiel. La situation du monde n’est plus faite que de crises, et rien que cela. La chose correspond parfaitement à la situation du Système, dont on sait qu’il tient le monde dans ses mains.
Au début de cette analyse, nous écrivions, pour définir cette période des quelques semaines en cours, le terme “conflagration crisique”, “qui mélange les deux [structure crisique et chaîne crisique] en accélérant encore, si cela est possible, la contraction du temps et le rythme de l’Histoire”. Finalement, et passée cette revue de détail, l’expression est trop temporaire, trop transitoire ; essentiellement et paradoxalement, elle est trop explosive alors que ce n’est pas d’explosion dont il s’agit.
Les crises qui se succèdent et s’empilent se manifestent effectivement, dans leurs poussées paroxystique, par un caractère explosif. C’est alors que l’on en prend conscience, pour un ou deux jours, ou disons une semaine au plus (ce “on” désignant la presse-Système et nos directions politiques). Mais l’essentiel est ailleurs ; il se trouve dans ceci que ces crises ayant explosé se poursuivent sur un mode plus mineur et s’installent, ou se renforcent quand elles existent depuis un certain temps, d’une façon structurelle. C’est alors qu’elles font sentir leurs conséquences les plus fondamentales, qui se résument en un effet essentiellement dissolvant, un peu à la façon de termites (voir notre “fable des termites et des conduites pourries”). Ainsi n’est-ce pas vraiment le sujet de la crise lui-même qui compte, ce sujet qui provoque l’explosion, les paroxysmes successifs, mais cet effet dissolvant général. Lorsque la situation n’est plus faite que de crises se juxtaposant et se renforçant les unes les autres, l’essentiel est alors l’addition et l’alimentation réciproque de ces effets dissolvants qui suscitent un courant général de dissolution minant le Système dans son entièreté. Peu importe le sujet de la dette, de l’Europe, du “printemps arabe”, qui sont des questions conjoncturelles ; l’essentiel est ce courant général de dissolution dont le sujet, lui, est la survie du Système dans son entièreté.
Ainsi avions-nous une hypothèse bien précise à l’esprit et, pour cette raison, nous parlerons de “dissolution crisique” plutôt que de “conflagration crisique”. Il s’agit de l’hypothèse d’une dissolution par les crises, qui repousse paradoxalement au second plan l’aspect nécessairement explosif d’une crise. Les crises restent explosives, certes, mais ce sont leurs actions dissolvantes et les liens qui s’établissent entre elles au travers de cette action dissolvante similaire qui conduisent à un courant général de dissolution du Système qui s’inscrit absolument dans la dynamique d’autodestruction du Système. Ce phénomène est en train de détruire par dissolution, la structure de la modernité, en même temps que le Système lui-même, – en toute logique puisque l’une équivaut à l’autre.
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