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17991er juin 2013 – Dans notre Ouverture libre de ce 30 mai 2013, nous parlons effectivement d’une “guerre insaisissable”, à propos de la Syrie certes. Ce que nous en disons notamment est ceci, entre l’introduction du thème et sa conclusion :
«Mais il y a autre chose, de beaucoup plus passionnant, qui se dégage indirectement et plus profondément du texte de Cockburn, sans que lui-même identifie précisément cette question. Il s’agit d’une sorte d’impuissance, d’incapacité intellectuelle objective à saisir l’essence même de cette guerre, sa signification, son identité, – et cette fois, cela même pour ceux qui perçoivent sans entrave et observent lucidement, et surtout sinon exclusivement pour ceux-là puisque les autres en restent docilement à la narrative conformiste qui leur tient lieu de plat du jour... [...]
»Cela nous conduits à la conclusion que la “guerre syrienne”, guillemets compris, est quelque chose d’à la fois insaisissable et non-identifiable. Il s’agit certainement, aujourd’hui, d’un événement qui est devenu le plus résilient, le plus durable, à la fois chaotique et apparemment explosif mais dont l'explosion finale est sans cesse repoussée, qui a relégué les autres au second rang, – notamment cette crise iranienne qui dominait la région avant l’affaire syrienne et qui est désormais en train de se modifier rapidement elle-même. La Syrie est l’événement le plus actif de cette fameuse crise haute dont nul ne sait exactement quelles perspectives en attendre, et qui semble se créer et se définir comme quelque chose de différent et d’unique à mesure qu’elle progresse.»
... Cela introduit pour nous ce qui est l’énigme de cette “guerre syrienne”, au-delà de toutes les sempiternelles explications sur les manœuvres, les plans, les trahisons et les menaces des uns et des autres. De quoi s’agit-il exactement, comment identifier ce que nous désignerions bien comme un “objet guerrier non identifié” ? D’abord, en exposant le désordre extraordinaire qui a enchaîné sur le désordre déjà régnant, qui s’est prolongé, qui s’est amplifié, qui atteint des domaines parfois surprenants ou bien surréalistes. Cette situation est en pleine accélération, alors que deux événements appréciés comme essentiels sont survenus ces dernières semaines, qui devaient, qui auraient du marquer un point de rupture, l’un vers la guerre généralisée, l’autre vers un arrangement négocié...
La séquence actuelle a en effet commencé par deux événements successifs de grande importance, – ou qui semblèrent tels lorsqu’ils eurent lieu. Dire ce qu’il en reste, aujourd’hui, est une tâche complètement utopique, et le constat est plutôt qu’on ne parvient pas à fixer la “guerre syrienne”, c’est-à-dire à en prendre (ou à en reprendre) le contrôle... Le “on” concerne les directions politiques, les sapiens-Système, bref toutes les activités humaines attachées à la “guerre syrienne”, et toutes confrontées à l’échec. Voici donc les deux événements importants de la séquence et ce qu’il en reste
• La “ligne rouge” du chimique, c’est-à-dire l’emploi du chimique (évidemment par Assad, inutile de le préciser), qui devait déclencher une riposte et un passage à une intervention militaire, éventuellement des USA. La séquence a commencé le 22 avril et s’est rapidement enlisé dans un chaos de révélations, de déclarations, d’évaluations... (Voir le 27 avril 2013, le 29 avril 2013, – avec, en sus, l’épisode de l’attaque israélienne, – voir le 7 mai 2013.) Aujourd’hui, cette question de l’emploi du chimique fait partie, dans son impact réel de communication, de la chronique parisianiste, sans plus ; elle est dépassée par les événements.
• La décision de convoquer une conférence dite “Genève-II”, à la suite d’entretiens et d’une entente entre les deux ministres des affaires étrangères russe et US, Lavrov et Kerry. (Voir le 8 mai 2013 et le 10 mai 2013.) Depuis Lavrov et Kerry ne se quittent plus (quatre rencontres en un mois). La conférence Genève-II reste d’actualité (voir le 28 mai 2013), mais elle a pour premier effet de déclencher un désordre considérable alors qu’elle est censée remettre de l’ordre dans tout cela, – et, par conséquent, les obstacles s'amoncellent...
Voyons de quelle sorte de désordre il s’agit...
Si nous nous intéressons tant à l’affaire des missiles russes sol-air S-300 pour la Syrie et la jugeons si importante, c’est parce que cette affaire est à la fois intéressante et importante... Mais monsieur de La Palice n’ajoute pas que cet intérêt et cette importance n’ont rien à voir avec ces armes dans leur spécificité, leur emploi, leur mission, leur rôle militaire.
Les S-300 ont fait des dégâts considérables avant qu’un seul d’entre eux soit non seulement tiré, ni même déployé en tant que tel en Syrie. On peut rapidement mentionner ces “dégâts”, qui dépendent de la perception, de l’effet psychologique qui guide les politiques, et qui sont essentiellement à l’avantage des Russes.
• Conduite comme elle l’a été, l’affaire des S-300 a paré cette arme d’une efficacité presque surnaturelle, qu’elle n’a sans doute pas mais qu’elle a peut-être un peu après tout. Le S-300 est une arme déjà ancienne (il y a, depuis, le S-400 et d’autres système en développement), mais sa réputation uniquement diplomatique et de communication, déjà affirmée pour bloquer les ventes russes à l’Iran, est devenue hyperbolique, – d'autant qu'il y a, d'autre part, les supputations sur des versions avancées du S-300 qui ont été développées. (On appréciera les charmes de toutes ces incertitudes techniques.)... La responsabilité de ce statut de l’arme revient à l’origine aux réflexes bureaucratiques de l’armée israélienne américanisée, qui recherche une sécurité à 100% dans ses actions, et qui a horreur du risque, ce qui explique notamment que ses forces aériennes ont probablement attaqué Damas, au début mai, avec des missiles à longue portée, à partir de vols stationnaires au-dessus du Liban. (Cette armée, plus rien à voir avec Tsahal d’avant 1973 (voir le 22 mai 2013.) L'armée israélienne ne veut donc prendre aucun risque et entend tout faire pour éviter le déploiement des S-300 dans des pays hostiles. Ainsi s'est construit un mythe autour du S-300, dont on peut simplement dire qu'il n’est peut-être pas sans certains fondements opérationnels.
• L’affaire des S-300, suivant les attaques israéliennes du début mai, ont mis Israël dans une position très inhabituelle de quémandeur (auprès des Russes), et de grand désarroi stratégique vis-à-vis de la Russie (et de la Syrie par conséquent). La possibilité évoquée d’un incident avec les Russes qui prendrait les allures d’une attaque spécifique (attaque contre les S-300 en cours de livraison) représente une perspective folle pour Israël. Des enchaînements vers une possibilité de conflit à ce niveau rendent la situation encore plus surréaliste.
• Cette frustration israélienne s’est exprimée, depuis lundi, également contre les Européens. Les Israéliens estiment que la levée de l’embargo des armes européennes vers les rebelles syriens donnent aux Russes un argument de très grand poids pour la livraison des S-300, en plus d’une efficacité douteuse, sinon contre-productrice si les armes européennes arrivaient aux “mauvais” rebelles. Il est bien possible qu’à partir de là, les relations d’Israël avec les Européens s’aigrissent très sérieusement. Tout cela est d’autant significatif et intéressant que le seul point de vue des livraisons des armes repose sur une illusion complète concernant l’effet dans le conflit de cet afflux d’armement (voir le 3 avril 2013).
Ici, on ne fera qu’un rappel de nos textes du 25 mai 2013 et du 27 mai 2013 sur l’aspect de “guerre de 4ème génération” (G4G de la Syrie au niveau opérationnel et, surtout, non-opérationnel, et le rôle qu’y joue le S-300).
Nous mentionnons ces observations parce qu’il est évident que cette référence à la G4G constitue un argument fondamental permettant d’offrir le jugement que la “guerre syrienne” est une “guerre insaisissable”. Mais, dans ce cas, on voit que ce statut de G4G de la “guerre syrienne” est la conséquence naturelle du fait qu’en essence, si l’on peut parler d’essence, la “guerre syrienne” est au départ une “guerre insaisissable”. Elle est naturellement, au niveau opérationnel, une création purement de type-G4G. (Même l’armée syrienne a reconnu implicitement cela, en faisant évoluer les caractères de son intervention, en passant de la guerre conventionnelle pure à des tactiques beaucoup plus diversifiées. L’intervention du Hezbollah, maître de cette forme de conflit, accentue cette acceptation du fait qu’il s’agit d’un conflit complètement de type G4G.)
Les Russes sont mécontents et parfois furieux. Ils parlent de “double standard” de la part de “certains pays”, ou, pourraient-ils dire, du bloc BAO. C’est poursuivre une rengaine qui pourrait être une devise, celle de l’attitude du bloc dans l’affaire syrienne. Les Russes font allusion à cette résolution que vient de voter l’ONU, condamnant l’emploi de “combattants étrangers” (lire : le Hezbollah) en Syrie, par le gouvernement Assad bien entendu. De la part de pays (Qatar, Arabie, Turquie, USA) qui convoient des hommes et du matériel venant de groupes divers de tous les pays voisins, de Libye, etc., l’accusation a irrité les Russes.
Lavrov, un peu sec, s’est tourné vers son ami Kerry pour s’informer puisque les USA ont fait beaucoup de promotion pour cette motion (les mots riment...). Russia Today rapporte (le 30 mai 2013), texto, cette déclaration de Lavrov à propos de la réaction de Kerry (nous nous permettons l’emploi du gras car ce n’est pas une déclaration courante dans le monde et le mode diplomatiques) :
«To my great astonishment we have learned that in addition to the sponsors of this draft resolution the US delegation is promoting most vigorously this very unhelpful idea. I asked [US State Secretary] John Kerry about it in Paris, and apparently he was not aware of this situation. He promised to handle it, but I don’t know whether he managed to do it...»
Notre conviction est que Kerry n’a pas inventé cela, qu’il n’était effectivement pas au courant. Est-ce le résultat de la promtion et de l’action d’une Noland ? Est-ce la machinerie bureaucratique en marche
L’Europe a subi deux chocs successifs pendant le mois de mai, et ils n’étaient pas dus à sa catastrophique situation intérieure mais bien à la Syrie. Le premier a été l’accord entre les USA et la Russie pour une conférence “Genève-II”, qui a pris l’Europe par surprise et lui fait craindre de perdre son rang d’“acteur majeur” de la crise syrienne, – puisque, effectivement, cette illusion perdure dans les milieux européens et chez l’une ou l’autre “grande nation” qui la compose et prétend avoir une politique syrienne. Quoi qu’il en soit, le choc fut rude et le soupçon vis-à-vis du partenaire US, à l’intérieur du bloc BAO, est désormais assez vif. Dans certains pays de l’UE, plutôt petits, l’incident a grandement nourri une antipathie grandissante pour le rôle que certains autres pays de l’UE (les “grandes nations” déjà mentionnées) veulent faire jouer à l’UE.
Le deuxième choc est venu avec la réunion de lundi dernier, aboutissant à une levée anarchique de l’embargo de l’UE des armes à destination de la Syrie (des rebelles syriens). Le débat fut houleux, parfois agressif, parfois presque fermé tant les tenants des deux thèses semblaient, chacun de leur côté, absolument sourds aux arguments opposés. L’Europe est apparue très fragmentée, peut-être plus que face à certains de ses plus graves problèmes intérieurs. Cela fait penser qu’en cas de soudaine aggravation de la crise syrienne, par un de ces dédales kafkaïens qui la caractérise et qui interdit tout contrôle sérieux, et l’UE étant impliquée au travers de certains de ses membres (encore plus possible avec la levée de l’embargo), on pourrait se retrouver avec des affrontements extrêmement tendus portant sur un engagement guerrier bien réel.
Si on mesure la perspective à l’aune de l’atmosphère du débat de lundi dernier, on pourrait avancer que l’hypothèse d’une cohésion de l’Europe menacée par un problème extérieur qui devrait lui être assez étranger existe désormais très sérieusement. Il y a ce phénomène significatif, qui ne semble valoir que pour la Syrie, qui est un fait extraordinaire pour les us et coutumes européens, et complètement illustré par le débat sur la levée de l’embargo : dans le débat syrien, l’Europe semble avoir perdu sa vertu bureaucratique principale, qui a toujours réussi à tenir ensemble cette usine à gaz, qui est la capacité de toujours produire un compromis atténuant les antagonismes et les rancœurs. Lundi, il n’y a pas eu de compromis, mais une décision par défaut engendrant confusion et durables rancœurs.
Nous n’avons donc toujours pas compris pourquoi, et nombre de dirigeants européens pas davantage, mais le fait est que l’imprévisible crise syrienne est de plus en plus une menace complètement inattendue plantée au cœur de l’Europe, dans le chef de sa cohésion transformée en division acrimonieuse et revendicative. On y ajoutera l’hostilité désormais affichée de certains pays-clef vis-à-vis de l’Europe, suite à la décision sur l’embargo, notamment la Russie et Israël.. Cette remarque est si proche de la conclusion de notre Note sur un gaullisme postmoderne du 16 mars 2013 qu'on dira que celle-ci n’a pas pris une ride, qu'elle semble même avoir pris encore plus de couleur : «Cette stratégie... [...] finirait même par amener les autres pays européens à reprocher à la France (et au Royaume-Uni, mais comme acteur secondaire qui n’est pas vraiment européen) de compromettre les maigres relations subsistant entre l’Europe et la Russie... [...] L’inversion est complète et ainsi accomplie par la politique française transformée en version salonarde de la politique-Système.» Le constat vaut encore plus pour la conclusion générale de cette “Note”, dont les termes n’ont fait que s’aggraver.
«Ce dernier point nous conduit à la situation européenne elle-même. L’étrange initiative franco-britannique, encore plus étrange dans le chef de la France, sème un considérable désordre et de sérieuses inimitiés au sein de l’Europe communautaire. Cela l’est d’autant plus, étrange, que les mêmes Français, – décidément en vedette, – ont bâti toute leur grande politique d’indépendance nationale de type-gaulliste postmoderne sur une allégeance complète à l’Europe, au principe européen, au dessein européen devenu ce qu’on sait qu’il est… Cela est en accord logique avec l’intégration de la France dans le bloc BAO, mais le zèle à ce propos conduit finalement à introduire un non moins étrange motif de discorde dans les rangs européens. Version française du fameux propos, transformé du point de vue parisien en “discorde chez l’ami” ou “discorde chez soi-même”, sommet de l’inversion puisque inversion parvenue à l’inversion d’elle-même…
»Il serait ironique, ou bien disons intéressant, que le mirage syrien introduise dans les rangs européens une mésentente telle que toute la belle unité d’allégeance pour une politique d’austérité et d’auto-étranglement s’en trouve brusquement perturbée. L’on pourrait alors voir que le président Hollande serait devenu une sorte d’“allié objectif” de Beppe Grillo, dans son entreprise de sabotage anti-européenne. Les anti-européens français, qu’ils soient de gauche comme de droite, auraient donc leur “divine surprise” et l’on entendrait alors un grand rire majestueux, celui du Général de dedans sa tombe.»
Un autre partie des acteurs de la “guerre syrienne” regroupe les pays arabes pétro-conservateurs. On y trouve l’exception qatari et le reste, ce “reste” comprenant de moins en moins le sens des entreprises du Qatar et observant avec terreur ses effets déstructurants. L’Arabie, qui poursuit de son côté une action déstabilisante, le fait avec de moins en moins de conviction, et avec de plus en plus à l’esprit cette rancœur qui n’a jamais cessé contre les Américains depuis qu’Obama a abandonné Moubarak. L’Arabie a joué en Syrie, avec les effets du printemps arabe, la fameuse pièce du “celui que tu ne peux étouffer, embrasse-le” mais voit de moins en moins quelle stratégie de sortie elle pourrait embrasser.
Les autres Émirats considère le Qatar avec une incompréhension sans cesse grandissante. La plupart font des analyses catastrophiques sur la suite des événements, alors que le Qatar continue à jouer à sembler être un des moteurs de ces événements. Les UAE, qui ont de fortes capacités technologiques, se sont adressés à des partenaires européens de haut niveau pour co-développer des systèmes d'arme avancés (des drones), de façon à pouvoir produire eux-mêmes ces systèmes. Les arguments donnés à leurs interlocuteurs européens (dont certains pourraient avoir des commandes importantes sur d’autres systèmes à la suite de ce co-développement) sont que les EAU veulent avoir leur propre base de technologique structurée en systèmes prêts à la production pour pouvoir développer leurs propres capacités dans les conflits généraux qui s’annoncent. Dans leur démarche, selon leurs mêmes interlocuteurs, on distingue la crainte d’un grand conflit et de troubles profonds.
Les effets du conflit syrien, de la “guerre libyenne”, sont innombrables, avec les plus nombreux et les plus importants hors du cadre opérationnel du conflit. C’est ce point qui est essentiel, et dont il faudra apprécier l’appréciation qu’il faut en tirer... Ainsi, voyons quelles sont les “productions” parfois étranges, parfois inattendues, toujours intéressantes, de cette “guerre libyenne”
• Après autour de dix-huit mois d’activités diverses, on peut dire que la “guerre syrienne” a fourni une démonstration de l’impuissance et de la paralysie du bloc BAO. Chacun des composants du bloc pratique ces spécialités de façon différente, jusqu’à parfois se heurter entre eux, mais tous, USA et Européens, montrent la même pusillanimité, le même désarroi, la même hypocrisie dans les fondements de leur action, et la même illusion dans cette action qui se définit rapidement en une façon caractéristique d’être inactif. La psychologie qui domine cela est celle d’une sorte de pathologie de décadence, entre affectivité et infraresponsabilité. A terme et en termes d’influence et de prestige, la Syrie coûtera très cher au bloc BAO, et nul ne voit comment le bloc pourrait parvenir à s’extraire de cet embourbement, voire à même songer vouloir s’en désembourber.
• Des belligérances périphériques par rapport à la Syrie, qui occupaient des places très importantes en elles-mêmes sur leurs zones d’activité, se sont déplacées vers la Syrie et s’expriment sur ce théâtre, affirmant des positions de puissance et de contestation qui semblaient enfermées dans une aire contrainte. C’est le cas de l’Iran et du Hezbollah, mais aussi de groupes islamistes, notamment venus d’Irak. La Syrie permet également au problème kurde d’évoluer en prenant une posture unitaire concrète, sans que l’on sache pour quel destin. On voit combien la “guerre syrienne” semble attirer vers elle la manifestations des conflits extérieurs à elle.
• L’affirmation russe, qu’on sent, depuis le retour de Poutine, devenir à la fois irrésistible et nécessaire pour la stabilité de cette puissance dans l’environnement de crise générale installée qui se développe, prend toute sa dimension dans le cadre de la crise syrienne. La Syrie est, pour la Russie, un formidable révélateur du rôle que cette puissance peut jouer. Cela va bien au-delà de ses intérêts ou même de son influence ; c’est, pour la Russie, une question ontologique face au désordre que répand le bloc BAO.
• Avec sa stratégie forcée de lâcher sa proie iranienne et de se concentrer sur la Syrie, et d’apparaître ainsi comme une stratégie vide de sens par les contradictions qu’elle recèle (menace des groupes islamistes, notamment si Assad perd le pouvoir), Israël apparaît pour ce qu’il est (y compris pour les critiques israéliens du pouvoir politique) : tactiquement maître de soi (attaques contre la Syrie), stratégiquement en plein désarroi. Comme nous l’avons déjà vu, la Syrie révèle Israël (le 22 mai 2013) et force ce pays à affronter sa véritable situation.
• ... Plus encore pour Israël, apparaît un problème singulier avec la question de ses relations avec la Russie. Les Israéliens découvrent, en fonction du rôle qu’acquiert la Russie, que leurs relations avec la Russie est d’une importance vitale, et pourraient même prendre, en des occasions importantes, la prééminence en termes d’importance stratégique sur la question de leurs relations avec les USA. Israël peut être amené à considérer ses liens avec les USA d’un point de vue statique, comme étant captifs grâce à sa capacité d’influence (AIPAC, lobbying), tandis que l’aspect dynamique de leur stratégie se développerait du côté de la Russie. Du côté israélien, un courant se développe, qui dit que des liens constructifs avec la Russie devraient devenir une priorité au moins équivalente à la priorités des liens avec les USA.
• Les pays pétroliers, émirats & compagnie, se trouvent dans l’obligation d’envisager des reclassements non à cause de l’Iran mais à cause de la Syrie, c’est-à-dire avec une influence US largement diminuée relativement à l’importance en réduction de l’influence des USA lorsqu’il s’agit du conflit syrien. Cela implique pour eux la perspective de devoir se définir, également et impérativement dans ce cadre nouveau, en fonction de leurs rapports avec la Russie qui a le rôle qu’on voit en Syrie, et peut-être avec ces rapports prenant autant sinon plus d’importance que leurs rapports avec les USA.
En passant en revue la façon dont la “guerre syrienne” influence un nombre élevé de problèmes sans pourtant les forcer à s’exprimer brutalement, une première question, qui serait plutôt un premier constat, vient à l’esprit. Il s’agit d’un constat d’inversion : au lieu d’être un facteur potentiel d’expansion opérationnel de son propre désordre, la “guerre syrienne” ne représente-t-elle pas plutôt un phénomène de contraction de la région en elle-même ? Tout se passe comme si la région se contractait pour se résumer et s’exprimer dans la “guerre syrienne“, – et d’ailleurs, bien plus que “la région” puisque des acteurs largement extérieurs à la région sont concernés.
...Mais il s’agit d’une évolution psychologique bien plus que d’une évolution géopolitique. Les affrontements et mésententes, les alignements et les orientations, semblent pouvoir s’exprimer sans violence pour eux-mêmes (par rapport à l’énorme potentiel de violence dont ils sont porteurs). Ils ont surtout comme effet de faire évoluer la psychologie à la mesure de leur propre évolution, et d’influencer à mesure également l’évolution politique fondamentale. Il était impensable, il y a deux ans, de concevoir et de percevoir l’importance du rôle de la Russie, non seulement en Syrie mais dans le Moyen-Orient et en Méditerranée, tel qu’il est conçu et perçu aujourd’hui, selon une appréciation qui s’est développée d’elle-même. Il n’y a pas eu d’affrontement pour cela, et même l’affaire des S-300 montre d’une façon également kafkaïesque qu’un tel résultat, même au niveau de la puissance militaire, est atteint par des manipulations de communication extrêmement complexes, dont nul ne peut être écarter l’hypothèse qu’elles sont tout simplement “naturelles” aux techniques de communication, et le simple produit des pressions du système de la communication sans guère de manipulations cohérentes, sinon pour l’effet tactique immédiat et momentané, des acteurs impliqués. Les conséquences psychologiques sont impressionnantes, en fixant les politiques sur des thèmes souvent accessoires, ou dilatoires, etc.
Le cas du S-300 est effectivement exemplaire dans ses fondements... L’importance du S-300 vient après tout d’une obsession israélienne qui s’est créée d’elle-même, sans aucune expérimentation au combat, comme le souligne une source russe proche du ministère de la défense, citée par Reuters : «A Russian defence ministry source has told Reuters he knew of no qualified Syrians trained by Moscow to use the S-300s, putting the completion of the anti-aircraft system in Syria at “six to 12 months from now”. He added that the Israelis “likely have a million ways to combat the S-300 electronically”, but said that since these methods had not been tested in war “whether the S-300 would fail or not cannot be known.”» Mais le système de la communication emporte tout à cet égard, et le cas du S-300 qui est celui d’une quincaillerie à l’évaluation incertaine et contradictoire en vient à influencer décisivement, et d’une façon chaotique, les orientations stratégiques d’une politique générale.
Certains aspects de cette “guerre syrienne” et surtout autour d'elle entretiennent son aspect énigmatique. L’extraordinaire mobilisation de toutes les structures-Système (les directions politiques et les élites-Système des systèmes du technologisme et de la communication) qui a accompagné ce conflit est un fait exceptionnel. L’hypothèse d’un “plan”, d’une “machination”, d’une conspiration-Système, etc., du type qu’on lit chez nombre de sources alternatives mais aussi dans les pages les plus distinguées de la presse-Système (le Financial Times sur le Qatar), est d’autant plus affaiblie, et paradoxalement en apparence, que cette mobilisation est unanime, impeccable, spontanée et nullement l’objet d’une manipulation, marquée d’une conviction extraordinaire chez tous les acteurs politiques, culturels, bureaucrates, une conviction complètement fermée à la vérité de la situation, – qui n’exprime en fait aucun argument sinon celui de son existence, celui d’être une mobilisation unanime. (Cette unanimité s’effrite complètement lorsque l’un ou l’autre sapiens-Système sort de son cercle ou de son rythme et entreprend justement de considérer certains faits de la vérité de la situation : ce type d’unanimité extraordinaire est d’une fragilité aussi extrême qu’est la conviction-Système qui l’ordonne, dans le sens de “mettre en ordre”. Cet ordre est le résultat d’une très puissante poussée mécanique exprimée par un conformisme de fer et terrorisant, mais il ne repose sur nulle base cohérente, d’où sa vulnérabilité paradoxale.)
Toutes les situations conflictuelles, dans notre époque rendue insaisissable (!) par les effets d’une dynamique métahistorique puissante hors du contrôle humain, sont l’objet de telles spéculations concernant des maîtres-plan et des machinations humaines, et le fait que leur aboutissement n’est jamais ni démontré, ni achevé ne décourage en rien, dans un domaine où l’expérience n’est guère consultée au profit de la fièvre de rationalisation. Cette fois, l’hypothèse est fortement amoindrie dès son énoncé, sinon annihilée, par l’absence d’une clique, d’un mot d’ordre cohérent et sophistiqué, d’un rangement justement dans une dynamique ordonnée (si l’on prend tous les acteurs du bloc BAO, leurs buts sont contradictoires, antagonistes, inexistants, incompréhensibles, etc.). L’unanimité de mobilisation dont on parle, qui est de l’ordre de l’automatisme psychologique, est justement le signe de l’absence d'une cohésion rationalisée selon un plan précis de la dynamique générale ; cette dynamique ne trouve plus sa cohérence que dans une sorte d’hystérie collective réduite à un slogan primaire ayant une fonction de drogue (“Assad est un monstre”), et aboutissant à un “rien du tout” par rapport aux bavardages guerriers, – ni intervention, ni négociations, ni contrôle de la rébellion, ni chute d’Assad, etc.
La Syrie reste une énigme si l’on s’en tient à la rationalité stratégique, à la géopolitique, à l’argument rationnel. Il est nécessaire d’explorer d’autres logiques explicatives. Il existe, du côté du bloc BAO, notamment dans les courants conformistes des élites-Système, un automatisme extraordinaire d’engagement en Syrie ; avec des manipulations extraordinairement impudentes, souvent faites avec une certaine innocence de la conviction de la “bonne cause”, et qui sont désormais aussitôt mises à jour sans changer rien à cette conviction. L’ensemble a pour résultat d’impliquer toujours plus avant les pays concernés, essentiellement du bloc BAO, dans une position de plus en plus délicate et improductive. En même temps, leurs propres crises intérieures s’aggravent et aggravent les conséquences de leurs engagements. Le tout accompagne et accentue la crise générale d’effondrement du Système.
Le constat que nous proposons est celui du déplacement opérationnel de ce que nous nommons la “crise haute” ... La Syrie a définitivement remplacé l’Iran en tant que foyer opérationnel de la crise haute. C’est là, si l’on veut, une question d’opportunité métahistorique. (La métahistoire ne dédaigne pas, s'il le faut, de faire preuve d'opportunisme.)
Lorsque nous donnions une première définition de la crise haute, en février 2012, à la lumière d’un travail commencé fin 2011, la crise syrienne n’existait pas en tant que telle, dans les dimensions où on la voit aujourd’hui, tandis que la crise iranienne était en pleine évolution. Nous observions alors :
«...Mais la substance de la crise haute, sa forme, son essence, ce qu’on nommerait son “modèle”, ne dépendent en aucun cas de la crise iranienne ni d’aucune autre crise identifiée d’une manière limitative. Nous parlerions plutôt du processus inverse. C’est l’essence même de la crise haute, qui s’est formée à l’image de la crise générale du Système, qui “inspire” l’extension de la crise iranienne dans les dimensions qu’on lui voit prendre, précipitant les évènements de reclassements fondamentaux. Il nous paraît essentiel de souligner le sens de ce processus parce que cela revient à bien fixer la valeur et la signification du renversement qui s’opère à cette occasion.»
A partir de février 2012, justement (4 février 2012, vote à l’ONU et veto sino-russe), la crise syrienne a pris le dessus (le relais) dans la dynamique crisique, en devenant cette “insaisissable guerre syrienne”. La crise haute s’est alors fixée sur elle. Le signe le plus évident de cette nouvelle disposition, c’est que la crise iranienne, pour se développer désormais, s’exporte vers la Syrie comme on l’a vu. A cette lumière, la “guerre syrienne” devient “saisissable” : elle est ce qu’elle est parce qu’elle est la représentation opérationnelle de la crise haute, donc de la crise d’effondrement du Système.
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