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1096La première décision du président Obama dans son discours du 1er décembre 2009 est celle d’envoyer 30.000 hommes de plus en Afghanistan, et de demander une contribution importante aux alliés de l’OTAN (on parle de 7.000 hommes venant d’une myriade de pays difficiles à identifier, dans une confusion exemplaire de cette sorte de démarche). Cette décision est interprétée comme l’installation d’Obama comme “président de guerre” (“War President”). Elle est applaudie par tout le parti belliciste aux USA et ailleurs, jusqu’à la sacralisation décisive que constitue le soutien des néo-conservateurs (voir Antiwar.com le 5 décembre 2009).
La deuxième décision d’Obama qui est de commencer le retrait des forces US d’Afghanistan en juillet 2011 représente une nuance rationnelle fondamentale du “War President”. Il s’agit d’un “War President” qui se veut mesuré et n’entend pas se laisser entraîner dans un conflit sans fin. La décision consiste à dire: “j’entreprends cette guerre comme une guerre limitée dans le temps, pour régler un problème stratégique qui m’a été imposé par la politique de mon prédécesseur. Mon vrai but est bien de finir cette guerre.”
…Bien – avec les réserves d’usage, cela va de soi. Comme nous en informe Tom Engelhardt dans son texte du 3 décembre 2009 (notamment sur CommonDream.org):
«In his address, Obama offered July 2011 as the date to begin a withdrawing the first U.S. troops from Afghanistan. (“After 18 months, our troops will begin to come home.”) However, according to the Washington-insider Nelson Report, a White House “on background” press briefing Tuesday afternoon made it far clearer that the president was talking about a “conditions based withdrawal.” It would, in other words, depend “on objective conditions on the ground,” on whether the Afghans had met the necessary “benchmarks.” When asked about the “scaling back” of the American war effort, General McChrystal recently suggested a more conservative timeline – “sometime before 2013” – seconded hazily by Said Jawad, the Afghan ambassador to Washington. Secretary of Defense Robert Gates refers to this as a "thinning out" of U.S. forces.»
Les néo-conservateurs, qui sont devenus en trois coups de plume des soutiens inconditionnels de BHO – on a les soutiens qu’on peut et qu’on mérite – ne l’entendent pas de cette oreille formelle et privilégient la belle relativité des choses politiciennes. Pour eux, ce délai n’est qu’une manœuvre pour tenter de faire taire l’opposition à la guerre pendant au moins 18 mois, et d’ainsi “acheter du temps” pour agir. «[T]he July 2011 date also buys Obama time. It enables him to push off pressure to begin withdrawing, or to rethink the basic strategy, for 18 months. We’ve come pretty far from all the talk about off ramps at three or six-month intervals in 2010 that we were hearing just a little while ago», écrit William Kristoll le 2 décembre. Depuis, comme on le lit par ailleurs, les choses ne se sont pas clarifiées.
D’autres prennent une appréciation à la fois moins haute (moins stratégique) mais plus fondamentale. Ils considèrent que, selon les méthodes de guerre US et selon que l’on sait des intentions du commandement US, le destin de cette guerre est d’accroître encore le désordre et l’échec qu’elle constitue jusqu’ici. La critique est ici moins sur l’intention que sur la méthodologie. Le résultat appréhendé est la catastrophe. C’est le cas de William S. Lind, dans son texte «O=W» (ou encore “Obama égale Bush”), le 5 décembre 2009. Ses explications sont marquées bien entendu par le théoricien de la “guerre de la quatrième génération” (G4G) qu’il est, autant que par le constat des limites de la puissance US. Après avoir conclu à l’échec prévisible, Lind termine par un jugement abrupt et définitif.
«The real choice Obama faced was not how many troops to send. We do not have enough troops to commit a militarily meaningful number. The real choice was to get out now or get out later. His duty as chief executive, the state of America’s treasury (empty), concern for the well-being of our troops and their families, and the hopelessness of the situation all dictated he get out now. By punting the decision, he showed America and the world what he is made of…»
Et sa conclusion lapidaire : «Dec. 1, 2009, was the date the Obama presidency failed.»
@PAYANT On a à peine glosé, et on aurait du le faire un peu plus, sur le fait que la décision du 1er décembre 2009 n’est pas la première décision d’Obama de renforcement des forces US en Afghanistan. Le nouveau président avait déjà décidé un premier renforcement en mars 2009. Cette décision suivait des demandes urgentes des militaires datant d’avant son élection. Dans The Nation, le 5 décembre 2009, Robert Dreyfuss observe que le renforcement de 30.000 hommes du 1er décembre, répondant au plan McChrystal, répond en fait à des demandes des militaires datant également de 2008, et principalement suscitées par Gates, dont Dreyfuss fait le principal inspirateur de l’actuelle décision d’élargir la guerre.
Ces interprétations ont la vertu de rétablir une continuité entre ce qui s’est passé avant Obama (notamment la relance de la guerre à partir de 2005) et ce qui se passe aujourd’hui. Elles s’inscrivent en partie en faux contre la perception générale qui est qu’une nouvelle guerre a commencé le 1er décembre 2009. Nous disons “en partie” parce que nous connaissons bien la puissance de la perception dans un monde plongé dans la subjectivation de l’information, et donc l’effet de transformation de la réalité que la perception impose à une “réalité” devenue insaisissable. Cette perception s’est imposée en trois mois, au long des réflexions et des vaticinations stratégiques d’Obama et de son équipe. En août 2009, avec le rapport McChrystal, c’était encore un nouvel épisode de la même guerre. Le 1er décembre 2009, c’est une “nouvelle guerre”. Ainsi en a décidé notre perception.
Ce fait pèsera lourd car il engage Obama bien plus qu’il ne le voudrait sans doute, peut-être bien plus qu’il ne l’a jamais voulu. Désormais, il est engagé à 100% dans cette guerre. Les libéraux bellicistes (pléonasme) ont raison, avec leur catastrophique interprétation du monde: c’est bien le “Churchill moment” d’Obama – mais d’un Churchill à mesure de notre temps et de ce qu’est devenu la guerre, cette dégénérescence de ce que ces mêmes libéraux bellicistes aiment tant. Lind n’a pas tort sur l’essentiel, s’il a raison dans son analyse opérationnelle de l’échec annoncé: «Dec. 1, 2009, was the date the Obama presidency failed.» (En d’autres mots: Obama ne survivra pas à un échec de son but de remporter la victoire en 18 mois.)
Au départ, l’augmentation des effectifs constitue un “surge” de l’engagement US en Afghanistan, à l’image de celui de 2007 en Irak. Il y a une immense dimension psychologique, d’une psychologie malade, presque une incantation, dans l’emploi du mot “surge”. La chose est servie comme un fétiche – quoiqu’on notera qu’elle est devenue d’un emploi délicat parce que, en un sens, elle contredit l’interprétation ci-dessus que la décision du 1er décembre est une nouvelle guerre. On ne fait un “surge” que dans une guerre déjà en cours.
Néanmoins, le mot reste d’emploi courant. Il est une incantation qui relie d’une façon suspecte, sinon malsaine, les conceptions de l’équipe Obama à celles de l’équipe qui l’a précédée. Il constitue une capitulation devant la narrative de l’administration GW Bush selon laquelle, finalement, le “surge” de 2007 et du magicien Petraeus a été une victoire-surprise et une victoire-éclair en Irak après trois ans d’une calamité sans exemple. Le “surge” fut en réalité une décision de retrait de la puissance US de la guerre, ici en payant une partie des insurgés et en leur donnant une quasi-autonomie, là en se repliant sur des points d’appui et en transférant des pouvoirs à ces forces, avec en plus un maximum d’autorité au pouvoir central irakien. Le résultat est que les USA ne contrôlent plus grand’chose en Irak et que l’Irak poursuit sa propre route dans un état de partition de facto.
Le mot “surge” est donc là pour rappeler une narrative de victoire, de retournement de situation, au prix de l’abandon de tous les buts stratégiques US, donc une victoire de type virtualiste. (Ne parlons pas des bases US en Irak comme des “avantages stratégiques” dans l’état de décrépitude et d’inutilité de la force militaire US. Ce sont plutôt des abcès de fixation qui pèsent sur le budget US et, en cas de malheur, font de ces bases des forteresses assiégées dépendant de lignes de communication qui seraient aisément coupées.) C’est une tentative d’influer sur la perception pour qu’elle accueille la perspective d’une victoire vite, très vite – 18 mois, ce qui n’est pas loin de correspondre – surprise, surprise – à la chronologie de la narrative du “surge” en Irak. Le schéma bushiste, repris par le bon docteur Petraeus, a été respecté.
Mais, justement, cette notion de “surge” – apparence de fausse victoire et perte de contrôle du pays – contredit l’un des buts, le vrai but de la guerre. La décision du 1er décembre ne concerne pas l’Afghanistan mais “AfPak” (l’acronyme fait de Afghanistan-Pakistan). Le vrai but de la guerre, c’est indirectement mais fondamentalement le contrôle du nucléaire pakistanais. Pour cela un “surge” à-la-Bush ne suffira pas, car il faut un véritable contrôle de l’Afghanistan, direct ou indirect, et non pas un retrait de facto de la situation dynamique, comme en Irak, impliquant une abdication de l’influence.
Il faut donc une véritable “victoire”, une véritable stabilisation de l’Afghanistan, pour éliminer l’une des pressions principales (quoique indirectes) sur le nucléaire pakistanais. Il faut une véritable structure de gouvernement et d’administration, fonctionnant d’une façon démocratique et acceptable, appuyée sur des bases puissantes, avec une armée et des forces de sécurité entrainées et loyales. Lorsqu’on connaît l’état de toutes ces choses après la “réélection” de Karzaï en septembre, ce vœu pieu relève de la plaisanterie qui ne fait rire personne.
C’est bien là le nœud opérationnel et politique concret de toute cette crise en Afghanistan même (le reste de la crise se passant à Washington). Il repose sur la préoccupation bien établie d’Obama pour le nucléaire, qui touche également toute son équipe. Cette préoccupation pas loin d’être obsessionnelle concerne essentiellement le Pakistan avec l’hypothèse du terrorisme avec des capacités nucléaires.
Cette situation peut être considérée comme la seule vraie cause opérationnelle et stratégique concrète de la décision du 1er décembre 2009. Cela n’est pas rassurant pour autant, l’hypothèse Pakistan/nucléaire terroriste étant particulièrement incertaine, imprécise, et un argument pour toutes les saisons, pour toutes les initiatives envisageables du côté US où l’on a l’esprit fécond. Plutôt qu’avoir là un cas stratégique clair, on a au contraire une interférence majeure dans l’appréciation mesurée de la situation stratégique.
Puisque l’on parle également de “surge” comme en Irak, on est justifié de poser une question comparative. Y a-t-il une différence entre l’Irak et l’Afghanistan, du point de vue politique plus largement considérées, hors les considérations techniquement stratégiques et opérationnelles, et de communication, qu’on a évoquées plus haut? Plusieurs, et de taille: avant l’Irak, il n’y avait rien eu de majeur pour les forces US, dans la séquence historique considérée; avec l’Afghanistan, il y a eu l’Irak avant.
L’Irak était un conflit qui avait sa stratégie propre, concernant l’Irak lui-même; qu’on la juge absurde, néfaste voire maléfique, n’empêche pas qu’elle existait. Il s’agissait d’abattre Saddam, de faire tabula rasa de ce régime et du pays qu’il avait façonné, et de faire surgir de toutes pièces un oasis de marché libre et de démocratie (dans cet ordre) dans le désert de Mésopotamie. Au moins, avec l’Irak, on pouvait dire : on a gagné, on a perdu, ou bien, mieux encore – ce qui fut fait après trois années de calvaire – faisons comme si nous avions gagné.
Rien de semblable en Afghanistan à ce stade. Il y a eu “regime change” depuis longtemps, avec la chute des talibans et l’installation de Karzaï; il n’est nullement question de bouleverser fondamentalement les structures du pays, les ennemis sont à la fois identifiés et insaisissables, à la fois localisés et présents partout, fortement implantés et fortement diversifiés. Les problèmes à résoudre tiennent à la fois à des traditions, à des structures, à des accidents innombrables qui reflètent un état général du pays qu’il n’est dans l’intention de personne de bouleverser.
A la différence de l’Irak au début de la guerre, l’Afghanistan au début de la “guerre d’Obama” ne présente aucun symptôme qui puisse être radicalement traité avec l’espoir que ce traitement soit décisif. La méthode ne peut être que dans l’infinité des nuances, de l’adaptation, de l’accommodement, toutes ces choses qui sont aussi étrangères aux généraux de l’américanisme que la diversité culturelle et l’existence de la différence.
D’une façon plus générale, et toujours dans le domaine politique mais en y ajoutant la psychologie, la plus grande différence entre l’Irak et l’Afghanistan, dans le chef d’Obama, c’est le changement de méthodologie politique. Pour en revenir à notre fameuse et si utile classification suggérée par Harlan K. Ullman, il s’agit de remplacer la trop fameuse “politique de l’idéologie et de l’instinct” par “la politique de la raison” qui correspond au caractère et aux intentions d’Obama. En un sens, le délai observé depuis la demande de McChrystal (fin août) et la décision du 1er décembre qui rencontre presque complètement cette demande est une façon de rétablir la prééminence de “la politique de la raison”. L’annonce du début du départ des troupes en juillet 2011 l’est également.
Dreyfuss, cité plus haut, qui met Gates en cause comme principal inspirateur du “surge”, observe également que Gates s’est constamment opposé à l’annonce publique d’une date (juillet 2011) pour entamer le retrait. Cette décision de rendre publique cette date de retrait est du président Obama lui-même. Dans ce cas, BHO poursuit la rationalisation de sa décision, explicitant par l’argument du remplacement de “la politique de l’idéologie et de l’instinct” par “la politique de la raison” cette explication en substance de sa démarche que nous donnions plus haut: “j’entreprends cette guerre comme une guerre limitée dans le temps, pour régler un problème stratégique qui m’a été imposé par la politique de mon prédécesseur. Mon vrai but est bien de finir cette guerre.”
…Comme l’on voit également, cette tentative se heurte d’ores et déjà à un désordre et à une polémique considérable. L’annonce de la date de juillet 2011 est sans aucun doute, selon l’appréciation que nous en donnons ce 7 décembre 2009, un ferment de prolongement et de relance de la crise afghane à Washington même.
Ce dernier point est particulièrement important, comme exemple démonstratif d’un processus en cours à Washington, du chef d’Obama, selon les meilleures intentions du monde, et qui risque, si ce n’est déjà fait, d’aboutir à un échec complet. En agissant comme il le fait, en tentant de transformer “la politique de l’idéologie et de l’instinct” en “politique de la raison” par une simple méthodologie formelle, et nullement sur le fond (la politique elle-même), il ne fait que compromettre irrémédiablement la seconde. La “politique de la raison” devient un faux-nez pour “la politique de l’idéologie et de l’instinct”. Les neocons ont compris cela, si l’on en juge aux frétillements divers de Kristoll et du plantureux Kagan.
C’est une thèse que nous développons dans le prochain dde.crisis (du 10 décembre 2009), pour marquer l’échec principal de BHO – disons, de “la méthode BHO”. Il n’arrivera à rien en douceur. Une “politique de la raison” implique une liquidation en grandes pompes de “la politique de l’idéologie et de l’instinct” – dans ce cas, le retrait d’Afghanistan. Dear BHO, hors de rupture point de salut.
…Ce qui est en jeu avec l’Afghanistan, comme avec d’autres crises en cours d’ailleurs? C’est la compromission définitive, la destruction définitive de la “politique de la raison” et le triomphe après coup de “la
Cela observé sans complaisance excessive mais sans alarmisme extraordinaire, tout ce raisonnement chaotique se termine par deux questions essentielles.
• Première question : le système peut-il produire autre chose que “la
• Deuxième question : Obama s’apercevra-t-il de cette substitution, et du rôle indigne que les circonstances font jouer à sa “politique de la raison”, et se révoltera-t-il contre cela, notamment à l'occasion de l'Afghanistan? Il faudrait, pour cela, qu’il ait perdu confiance dans le système et rien ne le montre pour l’instant. Echec de l’“American Gorbatchev”? Cette question finale n’est pas nouvelle et la possibilité d’une réponse positive (échec) ne cesse de grandir chaque jour.
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