Notes sur la leçon de psychanalyse du Pr. Lavrov

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Notes sur la leçon de psychanalyse du Pr. Lavrov

16 décembre 2013 – Pour bien ordonner notre rangement, il nous faut commencer par le commencement, c’est-à-dire l’essentiel qui se situe dans l’anecdotique dérisoire, selon les règles de l’inversion en cours : John McCain est là. Le sénateur US a aussitôt effectué ses contacts pour mieux embrasser la situation et dispenser ses conseils qui ne sont pas loin d’être des consignes. Déclaration imposante de McCain : «We believe that the future of Ukraine lies in Europe. We’ve met with government officials and with members of the opposition. I look forward to visiting the square tomorrow and I am proud of what the people of Ukraine are doing, so they can restore democracy to their country.»

On trouve donc tous les habituels ingrédients de cette sorte de situation, bien connue et bien rôdée depuis les “révolutions de couleur”. La différence avec ce glorieux passé est que, désormais, on se déplace, on se montre, on joue son rôle à ciel ouvert. McCain se révèle infatigable à cet égard, transportant avec alacrité une pensée extraordinairement conforme aux talking points en vogue, avec une non moins extraordinaire complexion psychologique type assurance-impudence, et une non moins extraordinaire inefficacité-inutilité dans le chef des résultats obtenus.

Le pompeux clown-en-chef du Sénat des Etats-Unis semble particulièrement à l’aise pour dispenser ses conseils au géant-du-jour, l’ancien boxeur poids lourd Vitali Klitschko. Il est manifeste que McCain, ce magicien de la communication, sent le “bon coup”. Il n’est pas le seul.

Mission accomplished

Quelques mots d’un intermède qui permet de situer la couleur du climat et la hauteur de la communication. La présence de Klitschko est une bénédiction pour la “guerre de communication” de la presse-Système, en permettant des titres sexy, qui à leur tour permettent en quelques mots d’aller au fond des choses, dans le cloaque de notre narrative glorifiée. Citons en vrac, BFM.TV, le 2 décembre 2013 : «Vitali Klitschko veut mettre KO le régime» ; Paris-Match, le 3 décembre 2013 : «Vitali Klitschko, un opposant poids-lourd» ; Le Courier International du 9 décembre 2013 : «Vitali Klitschko, l'opposant aux mains libres».

Ce point n’est certainement pas à négliger, selon les considérations tactiques et les effets espérés de cette sorte de “commentaires”. La capacité de synthèse des mots est fort considérable, lorsqu’ils sont peints aux couleurs brillantes de l’image d’Épinal postmoderne qui les dispense de s’embarrasser de la moindre substance, pour ne pas trop embarrasser de ce poids éventuel nos têtes si bien faites. Cette remarque vaut notablement pour le pays où l’intelligence règne, par tradition. Cela explique que nos références sont évidemment parisiennes.

La présence de Vitali Klitschko est une aubaine de type psychopolitique. Le personnage est bien visible, à cause de sa taille et de sa puissance physique incontestable, de son visage taillé à coups de serpe, et cela conduit à voir réalisé en une image l’essentiel du travail formatant la conviction-Système. A partir de là, les mots viennent et coulent naturellement, un peu comme la confiture du pot renversé pour un usage anarchique dont on est sûr que la vertu jaillira du pot comme la vérité sort du puits. A ce point de la réflexion, on peut juger que nombre d’organes de la presse-Système affichent déjà “Mission accomplished”, avant de songer aux vacances de fin d’année.

Le Plan McDo de Nuland-McCain

Revenons à la tactique de la chose pour constater que nous voyons donc que nous avons affaire à une affaire sérieuse. D’abord parce que, selon l’hymne de la chose, “McCain est aaaaarrivéééé...”, effectivement “sans trop s’presser”. Il a laissé Victoria Nuland déminer le terrain avec des distributions de McDonald aux manifestants assiégés et affamés, et qui n’ont plus d’espoir que dans cette sorte de Plan-McDo, sorte de Plan-Marshall réduit aux hamburgers. (Voir le le 12 décembre 2013.) McCain venant redoubler Nuland, voilà un indice du sérieux de la chose...

L’affaire est d’autant plus devenue sérieuse que les manifestants du parti adverse du parti de l’opposition, eux aussi, sont arrivés (voir Russia Today, le 14 décembre 2013) : 200 000 selon le Parti des Régions, 60 000 selon les estimations de la police locale, dont le comportement erratique est certes sans finesse, entre des accès de violence tactiquement malheureux et un laxisme par à-coups. Les conditions de type syriennes ou ex-yougoslaves se précisent, comme l’on dirait que “tout se déroule selon le plan prévu”. (Phrase en vogue durant la Guerre froide, dans la phraséologie de l’ex-URSS pour nous faire comprendre qu’on ne contrôlait plus grand’chose. Comme l’on sait, l’équivalence URSS-UE et URSS-BAO est aujourd’hui un standard du jugement psychopolitique.)

On rappellera que certains analystes (voir encore le 12 décembre 2013) jugent que l’agitation “hystérique” en Ukraine peut mener à une guerre civile. C’est une thèse et c’est donc une hypothèse.

Charmes d’un Anschluss postmoderne

Hier, un autre élément nouveau nous est arrivé de Bruxelles, où se tient le principal “centre de force”, le principal bras armé et employé du Système et de l’“idéal de la puissance”. L’UE a fortement durci sa position en “gelant” les négociations avec l’Ukraine, introduisant une situation de type “ultimatum postmoderne”, ou encore “c’est à prendre ou à laisser”. En face, le gouvernement Ianoukovitch continue à dérouler sa tactique dilatoire d’absence de choix en accusant à la fois la Russie et l’UE, tactique qui a bien entendu joué un rôle, – celui, secondaire, de l’acolyte d’une situation complétement subvertie et par conséquent explosive où plonge l’Ukraine. Ianoukovitch n’a pas la responsabilité principale, puisque c’est le Système qui occupe le devant de la scène, mais il n’a guère montré, ni de fermeté ni de droiture, pour affirmer une position nationale et souveraine dans cette affaire ; sa corruption est encore plus psychologique que vénale, ce qui n’est pas peu dire.

En attendant, le Guardian résume la situation assez clairement (le 17 septembre 2013) : une situation de tension, où l’action de l’UE ressort du type-ultimatum, ou Anschluss postmoderne, qui contribue grandement à aggraver la tension dans la mesure où le rassemblement de forces antagonistes est en train de se faire en Ukraine. Ce dernier constat, c’est nous qui le faisons, pas le Guardian ; en effet, le Guardian, fidèle à sa mission de principal diffamateur de la Russie pour le compte de l’establishment anglo-saxon, décrit justement cette situation en en faussant complètement le contexte, c’est-à-dire en signalant une nouvelle manifestation des pro-UE (qu’il chiffre à 200 000 personnes, ce qui correspond, en estimation et en valeur de source, aux 200 000 des anti-UE), sans souffler mot dans l’article cité des 200 000 anti-UE. Il précise que le commissaire européen (tchèque) affecté à l'affaire, Stefan Füle, est “exaspéré”. On compatit et on note que Hitler l’était aussi, exaspéré, devant les hésitations des autres à accepter l’Anschluss ; les références sont de bonne compagnie. L’UE évolue elle aussi vers l’option où elle verrait avec faveur le remplacement absolument démocratique de l’incontrôlable Ianoukovitch par un gauleiter de bon poids (poids lourd, par exemple ?). Personne des acteurs directement impliqués dans cette tragédie de moins en moins comique, n’a vraiment un rôle qu’on puisse juger digne d’une diplomatie civilisée ; le rangement des responsabilités se mesure, lui, au niveau des prétentions des uns et des autres à l’être, “civilisés”, c’est-à-dire à être en vérité des barbares postmodrnes.

«Carl Bildt, the Swedish foreign minister and one of the main EU figures trying to bring Ukraine into the European fold, without offering it outright union membership, said the Brussels-Kiev accords remained on the table and were Ukraine's for the taking. But the offer from Brussels appears increasingly to be take-it-or-leave-it.

»Vladimir Oleynik, an MP and ally of Yanukovych, accused Moscow of seeking to blackmail Ukraine, and blamed the EU for tactical blunders in the contest. “Russia's customs union will never be complete without our country,” he told Der Spiegel. “Moscow needs Ukraine's potential for its geopolitical plans. But the EU made mistakes. It has long failed to see how Putin has planned his customs union strategically.”

»Senior diplomats in Brussels concede that the Ukrainian fiasco has generated “lots of gloom” within the EU, with policymakers “beating themselves up” and accepting that they have been naive and complacent in their expectations of Moscow. But there is little confidence in Brussels that Yanukovych can be trusted, whatever the embattled Ukrainian leader says. EU foreign ministers meet in Brussels on Monday to discuss their next moves. Sergei Lavrov, the Russian foreign minister, is to join the meeting for lunch, with diplomats predicting a rough exchange.»

Le bulldozer parle de l’Ukraine

Mais tout cela, qui prétend au “sérieux”, est finalement bien incomplet si nous ne prêtons pas l’oreille à une interview du ministre russe Sergei Lavrov, que certains qualifient de “bulldozer intellectuel”. Le bulldozer porte régulièrement un regard assez las, et resté énergique par la dose de mépris qui l’anime, sur la basse-cour BAO et ses diverses volailles caquetantes. Il veut bien tout de même avouer une certaine surprise, disons devant la persistance, la continuation, le renflement jusqu’à la dilatation, type grenouille-boeuf, de l’hystérie des dirigeants du bloc BAO.

Lavrov parle de l’Ukraine, mais aussi du reste, des négociations avec l’Iran, de certaines mesures prises par ce que nous désignerions comme “certains centres du pouvoir US” (voir plus loin). L’interview a été donnée à la chaîne Rossiya 24 et Russia Today en reprend l’essentiel le 14 décembre 2013.

Lavrov en agitateur déstructurant en Allemagne

«“We are surprised by the almost hysterical reaction [of the West] to the sovereign decision of Ukraine’s legitimate authorities. What has the Yanukovich government done?” the top Russian diplomat wondered. “Did it withdraw from the Nuclear Non-Proliferation Treaty? Or did it announce that it was building a nuclear bomb in violation of its obligations. Did it order the shooting of somebody?”

»“Just imagine me arriving in Germany after the rise of a euro skeptics party there, which would over a few months gain support through slogans like ‘stop feeding Europe’ and ‘Germany should walk away from EU’,” Lavrov suggested. “So there I am walking among demonstrators supporting this party and calling on Germany to change its attitude towards the EU and separate from it. How would that be taken? I believe that the European Parliament and the Parliamentary Assembly of NATO, the Council of Europe and the OSCE would have all passed resolutions on how outrageous it was, and how Russians are meddling with Germany’s internal affairs,” the minister predicted.

»He said this is exactly what is happening in Ukraine, when top EU officials visit the protesters and demand that the government integrate with the union. “It appears that the choice has been already made for Ukrainians, and everyone else is told to respect it. This is rather depressing,” Lavrov said.

»[Lavrov] suggested that the EU’s motive for putting pressure on Kiev has nothing to do with the interests of the Ukrainian people. “Our European partners are first and foremost concerned with losing this inexpensive, if not free, addition to their profits in the times of crisis,” was the Russian minister’s charge. “And the second reason is the ideological load. Those thinking along the ‘either-or’ lines as well as those who saw the Eastern Partnership project as a vehicle for severing the Russian neighbor – even if it required blackmail. They realized it was not that easy,” he added.»

Les “provocateurs” et leur “script”-UE

D’une façon générale, Lavrov confirme d’une façon officielle la conviction de la direction politique russe de l’action de subversion de l’UE dans cette affaire. («Russia ‘has no doubt’ that ‘provocateurs with a long-prepared script’ lurk behind the mass protests in Ukraine. [...] The scale of the ongoing protest is “incomprehensible” the Russian minister said. [...] Such a reaction would be understandable, for example, if Ukraine’s government had declared war on a peaceful foreign nation against the wishes of the people. But merely delaying signing the EU trade deal does not give good cause for it, Lavrov believes. “There is no doubt that provocateurs are behind it,” he said.»)

Cette appréciation concerne les manœuvres diverses et de type automatique du bloc BAO, dont l’effet fondamental et constant est l’installation du désordre partout où cela peut se faire, simplement pour créer des conditions défavorables à toute situation ou tentative de structuration principielle, – cela, plutôt que l’exécution d’un “plan” stratégique supposant une vision structurée à long terme. Le “script” est, dans ce cas, une “feuille de route“ stéréotypée et sans doute ronéotypée, toujours la même et qui a tant servi, qui ressort de la même tactique et nullement d’une stratégie. Les exemples abondent, à partir des démarches “fondatrices” (!) pour la période des “révolutions de couleur”, des effets catastrophiques pour les instigateurs de ces manœuvres tactiques exécutées comme s’il s’agissait d’une stratégie. L’absence de stratégie s’explique aisément par le fait écrasant et exclusif que la référence stratégique est laissée aveuglément au Système (référence-Système), qui absout et adoube tout le reste.

Parcellisation du pouvoir

Lavrov double sa démarche d’accusation contre “les provocateurs” et le “script” de l’UE, d’une accusation de parcellisation et de perte de contrôle du pouvoir dans les pays du bloc BAO. Les Russes sont des connaisseurs en la matière, comme Rogozine le montrait déjà, parlant de l’OTAN en 2009 (voir le 9 mai 2009). Il s’agit d’une affaire provoquée par les USA, d’accusation de fraude aux USA de 49 diplomates russes.

Lavrov voit un événement de la “guerre de communication” dans le fait que cette accusation, dont il ne dénie en rien le fondement, concerne diverses affaires dont les plus anciennes remontent à 2004, donc avec une démarche destinée à obtenir un coup de communication englobant une perception d’une pratique massive de la fraude par les diplomates russes. Il prend bien garde de ne pas impliquer, ni la Maison-Blanche, ni le département d’État, mais certains autres “centres de pouvoir” dans le gouvernement US voulant faire payer à la Russie l’asile politique temporaire qu’elle a accordée à Snowden. Du point de vue de Lavrov, on comprend cette volonté de précision qui implique une certaine ingérence dans les affaires internes US, qui nourrit la tactique qui est de chercher à ne pas compromettre et irriter des interlocuteurs obligés (la Maison-Blanche et le département d’État).

«“If foreign diplomats are involved in violations of the laws of the country of residence, why wait for ten years? They’ve been probing into it since 2004. They may have wanted to accumulate more cases and reach a more impressive figure,” Lavrov said. “If they had told us in 2004 that one of our employees wanted to receive benefits he is not entitled to, we would probably have dealt with such an employee,” he added. [...]

»Lavrov noted that foreign diplomats, including Americans, “are committing violations of Russian laws on a regular basis”. “We do not try to make a media show out if it. We turn to respective embassies at once and try to settle things without fanning the flames. I believe the Americans should have done the same in this situation. But they chose otherwise,” he said.

»The Russian minister isn’t discounting the idea that some officials in the US government may want to harm Russia over its harboring of NSA whistleblower, Edward Snowden. “I don’t think that would be somebody in the White House or in the State Department, but probably in other parts of the US government. There are those who want to antagonize us over it,” he stated.»

Pour notre propos, ces précisions apportent une confirmation de plus concernant l’incapacité de l’autorité politique de prendre la main sur les diverses bureaucraties des centres de pouvoir, qui agissent selon leurs intérêts propres et rendent d’autant plus vulnérables le processus rationnel de tenter d’établir une politique et un contrôle pour les événements en cours, qui rendent la vulnérabilité de toute pseudo-politique à l’affectivité (voir plus loin) d’autant plus grande qu’elle en devient irrésistible.

Sergei Lavrov, psychanalyste

Donc, Lavrov est coutumier du fait de ce diagnostic d’“hystérie” dans le chef des dirigeants et supplétifs politiques du bloc BAO. Faisant allusion à un texte du 6 février 2012, nous écrivions le 26 juillet 2012, en faisant allusion autant à Hillary Clinton, notable “hystérique ” du domaine pendant sa législature à la tête du département d’État, qu’à la maniaco-dépression assez courante pour l’opérationnalisation de ce qui est, selon notre appréciation, une psychologie terrorisée de ces mêmes “dirigeants et supplétifs politiques du bloc BAO”.

«In illo tempore (le 6 février 2012), Lavrov, déjà dans le rôle du psychanalyste de service, diagnostiquait un comportement “hystérique” des gens du bloc BAO à l’ONU, Rice en tête. (Rice [alors ambassadrice US à l’ONU avant de devenir directrice du NSC] est certainement l’une des plus atteintes à cet égard, à l’image de sa patronne Hillary.) Nous pensons bien entendu qu’il faut rester sur ce terrain de la pathologie de la psychologie, selon nos thèses aussi bien de la maniaco-dépression comme pathologie majeure des directions politiques au service du Système, que de la psychologie terrorisée qui en résulte, et qui s’exprime notamment par ces créations furieuses de “narrative”.»

La raison, “idiote utile” de l’affectivité

Le processus “politique” correspondant à l’“hystérie” identifiée par Lavrov dans les deux textes référencés de février et de juin 2012 fut largement observé et analysé dans son opérationnalité, selon certaines hypothèses psychologiques, dans ce commentaire analytique que nous publiions le 11 juin 2012. Il s’agissait du constat que les différents éléments en place s’expriment par une politique absolument marquée par l’affectivité, où la raison est effectivement réduite au rôle d’“idiote utile” de l’affectivité des figurants de la pièce, car c’est bien leur affectivité qui guide leur soi-disant politique.

Dans ce commentaire, on a simplement remplacé “Syrie” par “Ukraine”, le reste du texte s’adaptant parfaitement à la situation envisagée... L’observation essentielle, fondatrice du propos était donc bien le constat de la subversion de la raison, (ou “effacement” d’une “raison efficace” au profit de l’affectivité) à cause du processus mentionné plus haut de “terrorisation des psychologies” : «Nous parlons donc d’une terrorisation (terme anglais) des psychologies des directions politiques, essentiellement depuis le 11 septembre 2001. (Cela, quelle qu’ait été la participation de ces directions politiques à l’organisation des attentats de 9/11, – nous parlons d’un processus qui échappe, là aussi, à la maîtrise de l’esprit humain, et aboutirait dans ce cas hypothétique, à une “auto-terrorisation” des psychologies des directions politiques par elles-mêmes.) Le résultat de cette situation de terrorisation de la psychologie est une dégradation extraordinairement accélérée des capacités d’une raison déjà largement subvertie par l’influence du Système...»

A cette lumière, le processus de prise en charge de l’orientation de la politique pouvait se décrire ainsi, – prise en charge réduite à zéro du point de vue de l’intelligence, et donc complètement sous l’influence du Système, également comme indiqué plus haut.

«Le constat est effectivement que l’effacement d’une raison efficace, une raison “loyale à la perception de la réalité”, ouvre la porte au déferlement de l’“affect” en termes psychologiques, ou pure affectivité, dans les réactions à la situation [en Ukraine.] Cet affect n’est évidemment pas suscité par un plan de manipulation puisqu’on a vu que la raison, qui seule peut produire humainement de tels plans, est absente dans son rôle habituel de rangement des ambitions et des projets humains. L’affect prépondérant dans ces réactions est donc la cause autant que le produit des manipulations innombrables qui caractérisent le compte-rendu de la vérité de la situation syrienne, qui est bien entendu une vérité complètement fabriquée, – littéralement, selon notre jargon, une narrative. Il s’agit d’une auto-manipulation, ou techniquement d’une auto-mésinformation, suscitées par une affectivité qui a complètement pris le dessus dans l’attitude psychologique, et qui affecte l’observation des faits et le jugement selon des normes idéologiques de type hystérique elles-mêmes véhiculées dans la psychologie avant d’être transcrites en “idées” de type-standard et homogénéisées (droits de l’homme, humanitarisme, etc.).

»[...] Cette auto-manipulation est facilitée par un aspect technique non négligeable, qui est l’atmosphère créée par le système de la communication, tel qu’il est lui-même intégré dans cette même auto-manipulation et cette auto-mésinformation. L’usage massif d’informations déformées par la presse-Système selon le processus qu’on a vu, de toutes les façons sans le moindre esprit critique qui disparaît avec la raison, la rapidité du processus de la communication qui interdit toute distance vis-à-vis du soi-disant fait exposé et la rapidité de la réaction émotive standard par conséquent, la profusion de l’emploi des mêmes images, la standardisation des réactions d’affectivité devant ce kaléidoscope ultra-rapide des mêmes éléments de communication présentés comme strictement objectifs, etc., tout cela crée cette atmosphère immensément favorable à la réaction affective, et seulement affective. Cette atmosphère agit comme un complément, sinon décisif, dans tous les cas très efficace, pour le phénomène constaté...»

Le système de la communication, “en avant toute !”

La description des “événements” depuis la rupture de Vilnius correspond parfaitement à cette prise en main de la politique par l’affectivité, à partir d’une mise en condition massive par le système de la communication, par les moyens courants de l’image parlante, du “cliché” au double sens du mot et du lieu commun du point de vue du langage, par le déferlement pressant d’un commentaire absolument redondant selon une sorte d’art accompli de la répétition, etc. Tous les outils de l’évolution accélérée du processus d’une “politique réduite à l’affectivité”, sans la moindre possibilité d’auto-analyse et encore moins d’autocritique, sont ainsi en action avant même que quoi que ce soit de structuré ait été défini.

Ce qui est remarquable dans l’affaire ukrainienne, c’est la façon dont le système de la communication a fonctionné avant même que des “consignes” (c’est-à-dire, simplement la diffusion du conformisme ambiant et nullement une manipulation) aient orienté la presse-Système du bloc BAO. La rapidité quasi-pavlovienne de cette utilisation du système de la communication, qui est celle des acteurs de la presse-Système, fait que son activation des “consignes” précède même les “consignes” ; c’est-à-dire, en un sens, que cette rapidité du système de la communication crée ces “consignes”, que ce système de la communication installe et lance de son propre chef le processus général.

Bien entendu, “les provocateurs” et “le script” ont été activés d’une façon naturelle, simplement parce qu’ils sont toujours présents, prêts à agir, toujours selon la même “feuille de route” sans cesse recommencée malgré les échecs successifs. Ces “provocateurs” n’ont nul besoin d’être “professionnels” au sens révolutionnaire ou subversif de la chose, ils n’ont nul besoin d’être dissimulés puisqu’ils ont pignon sur rue et se nomment Victoria Nuland, John McCain, le ministre allemand des affaires étrangères et Lady Ashton dans sa belle automobile saluant la foule des manifestants de l’opposition, les “journalistes” des chaînes TV parisiennes, jusqu’à un Mike Tyson venu présenter son livre autobiographique à Paris, France, et rendant hommage, toujours selon les automatismes-Système, à son successeur Vitali Klitschko “qui s’est engagé dans un processus politique de libération”. (Que voudrait-on que le pauvre Tyson, qui n’a tout de même pas le centième de la verve et de la conscience politique d’un Mohammed Ali, alias-Cassius Clay, racontât devant les questions traduites d’un foudre de guerre comme Antoine de Caunes ?)

... Là-dessus, bien entendu, que Soros distribue quelques pincées de $millions comme autant de pintes d’huile hautement volatile sur le feu en cours, que la CIA prépare ses plans et ordonne au MI6 d’être prêt à les exécuter, quoi de plus naturel ? Comparé au reste ce n’est pas l’enfance de l’art mais l’art retombé en enfance, supplanté par l’activisme de l’affectivité insérée dans le flux du système de la communication.

Ces “provocateurs” n’ont donc même pas besoin de l’être vraiment, puisqu’ils sont avant tout des acteurs d’une situation qu’ils fabriquent eux-mêmes de toutes pièces d’une façon pavlovienne, sans nécessité ni de coordination, ni de manipulation, cette situation qu’ils “vivent” littéralement, pour en faire ensuite rapport, puis leur miel et leur gloire dans les salons et sur les plateaux de télévision. Il s’agit d’une tournure funeste de l’esprit sous l’action d’une psychologie épuisée et de sa perception à mesure, du tordage et du broyage de l’intelligence dans un sens qui satisfasse l’affectivité.

Accélération-turbo du phénomène

Le caractère spécifique de l’affaire ukrainienne dans cette phase d’“affectivité”, c’est donc sans aucun doute la rapidité (l’accélération) du phénomène. Cette rapidité et cette accélération sont largement dues au renforcement incessant de la machinerie générale du système de la communication, à l’affaiblissement subséquent de la raison devant ces attaques, avec comme conséquence ultime la production accélérée d’un processus du type de l’affectivité dirigeant une sorte de chaos ambulant opérationnalisant une politique-Système devenue complètement aveugle et totalement ivre de sa surpuissance.

L’accélération de l’évolution fait évidemment comprendre que l’activité complètement incontrôlée du Système, assortie de l’affaiblissement continu des directions politiques, n’a cessé de se renforcer en une année (depuis le commentaire analytique cité). Toutes les opportunités sont bonnes pour exercer la dynamique, désormais classique selon notre conception, de ce développement transmutant surpuissance-autodestruction. Puisque l’Ukraine se présente, sautons sur l’Ukraine. Le résultat de plus en plus assuré, à mesure des “expériences” qui se succèdent, est que l’accélération de la diffusion du désordre se fait sentir non plus seulement sur le théâtre considéré (l’Ukraine après la Syrie, après la Libye, etc.), mais, par effet de boomerang (la CIA dit “blowback”), dans les structures et les opérations des directions politiques des pays du bloc BAO. Le lien est maintenant assuré pour que le désordre touche, presque simultanément, l’objet du désordre et le producteur de désordre, les directions politiques enchaînant aussitôt sur des politiques de création de situations de désordre totalement inconsidérées dans leurs conséquences à terme (de type stratégique), et surtout les conséquences pour ces mêmes directions politiques. La narrative de l’affectivité assure la bonne marche de l’ensemble. “Tout se déroule selon le plan prévu”.

Il n’y a évidemment aucune raison, bien au contraire, pour que tout cela ne se termine pas comme le reste, mais en plus rapide, de plus en plus rapidement...