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189930 décembre 2013 – Parlant par vidéo-conférence de Rio de Janeiro où il réside et qu’il ne quitte guère par prudence raisonnable, Glenn Greenwald s’est adressé à plusieurs milliers d’auditeurs participant au 13ème Chaos Communication Congress, ou CCC, à Hambourg. (Le CCC est, selon Wikipédia, «an annual meeting of the international hacker scene, organized by the Chaos Computer Club. The congress features a variety of lectures and workshops on technical and political issues». Son succès d’audience est considérable : étant passé de Hambourg à Berlin, il a du revenir à Hambourg en 2012 pour trouver un complexe permettant d’accueillir les plus de 6 000 personnes ayant assisté au Congrès cette même année 2012. La tenue annuelle du CCC en Allemagne, instituée depuis l'origine de ce groupe, renforce le rôle de l’Allemagne comme principal pays d’accueil de la communauté antiSystème de l’internet et des activités générales dites “en-ligne”.)
L’intervention de Greenwald, présentée notamment par Russia Today le 28 décembre 2013, a été l’occasion pour le journaliste antiSystème le plus fameux aujourd’hui, de présenter ses conceptions sur ce que doit être aujourd’hui la démarche de la communication. Greenwald met en évidence combien l’expérience de la crise Snowden/NSA a affiné et radicalisé à la fois sa propre démarche, lui permettant ainsi de définir ce qu’il entend par “journalisme”, – dans tous les cas selon le terme ancien encore employé, et auquel on devrait chercher à substituer des expressions de remplacement, plus adéquates...
«When Greenwald and his colleagues began working with Snowden, he said they realized that they’d have to act in a way that wasn’t on par with how the mainstream media has acted up until now. “We resolved that we were going to have to be very disruptive of the status quo — not only the surveillance and political status quo, but also the journalistic status quo,” Greenwald said. “And I think one of the ways that you can see what it is that we were targeting is in the behavior of the media over the past six months since these revelations have emerged almost entirely without them and despite them.”
»
»Halfway through his remarks, Greenwald recalled a recent quip he made while being interviewed by BBC about the necessity of a functioning media in an environment where government officials can spew untruths to reporters without being questioned. “[A]t one point I made what I thought was the very unremarkable and uncontroversial observation that the reason why we have a free press is because national security officials routinely lie to the population in order to shield their power and get their agenda advanced,” recalled Greenwald, who said it is both the “the goal and duty of a journalist is to be adversarial to those people in power.”
»According to Greenwald, the BBC reporter met his remark with skepticism. “I just cannot believe that you would suggest that senior officials, generals in the US and the British government, are actually making false claims to the public,” he remembered being told on-air. “It really is the central view of certainly American and British media stars, that when — especially people with medals on their chest who are called generals, but also high officials in the government — make claims that those claims are presumptively treated as true without evidence. And that it’s almost immoral to call them into question or to question their veracity,” he said. [...]
»From there, he went on to cite the example of US Director of National Intelligence James Clapper, who earlier this year made remarks to Congress that were quickly proved false by documents leaked to Greenwald by Mr. Snowden. The very first National Security Agency document he was shown, Greenwald said, “revealed that the Obama administration had succeeded in convincing court, a secret court, to compel phone companies to turn over to the NSA every single phone record of every single telephone call.” Clapper “went to the Senate and lied to their faces...which is at least as serious of a crime as anything Edward Snowden is accused of," Greenwald added.
»But DNI Clapper aside, Greenwald said that the established media continues to reject the notion that government officials spew lies. Snowden’s NSA documents have exposed those fibs on more than one occasion, he noted, yet reporters around the world continue to take the word of officials as fact rather than dig from the truth. “Their role is not to be adversarial. Their role is to be loyal spokespeople to those powerful factions that they pretend to exercise oversight,” Greenwald said...»
Ce que décrit Greenwald, au travers d’exemples qu’il donne, de comportements qu’il décrit, comme de ses propres attitudes et de celles de tous ses compagnons dans le réseau Snowden/NSA, c’est la nécessité de ce que nous nommerions “la présomption de culpabilité”. Il s’agit bien entendu de l’inversion de la fameuse expression décrivant le fondement du Droit pour ce qui est du citoyen face à la justice, qui est la “présomption d’innocence”.
Il est absolument nécessaire, aujourd’hui, de déployer la perception exactement contraire lorsqu’il s’agit d’une déclaration officielle ou tenant lieu d’officielle, venant directement ou indirectement des directions politiques et assimilées, dans des pays totalement sous l’empire du Système (ceux du bloc BAO, principalement). Nous ne disons pas que le mensonge est absolument systématique, nous disons que, pour notre compte et pour notre travail, c’est à ces autorités et à leurs représentants de laisser échapper à leur insu des éléments qui constitueraient la preuve que ce qu’ils déclarent n’est pas mensonger, et à nous-mêmes de nous y reconnaître en fonction de cette approche ; s'il n'y a pas cette vérification, alors le jugement qu'on doit en faire est celui de la culpabilité du mensonge.
Nous avons très largement adopté cette conception qui nous semblait s’imposer à la lumière du comportement officiel, dès ouverte la période commencée le 11 septembre 2001. Nous étions préparé à ce tournant radical dans la visibilité presque choquante à force de systématisme affiché des “mensonges” officiels (ensuite virtualisme, puis narrative), dès la guerre du Kosovo. (Voir le 10 juillet 1999 et le 10 septembre 1999.)
Nous avons constaté dès l’attaque contre l’Afghanistan une véritable institutionnalisation de cette “façon d’être”, qui se concrétiserait peu à peu, dans les années qui suivirent, en une véritable contre-légitimation (ce qui va au-delà de la délégitimation : une “contre-légitimation” serait une affirmation sans la moindre dissimulation, au travers de cette politique successivement mensonges-virtualisme-narrative, que le pouvoir non seulement peut se passer de légitimation mais va jusqu’à tenir la légitimité pour inutile et dommageable parce qu’elle le lie à un ou à des principes). Il s’est donc agi de l’instauration de ce qu’on pourrait désigner comme une “doctrine” selon laquelle il faut suivre une politique “officielle” consistant à ne plus tenir la vérité ou ce qui est considéré comme tel (quoi qu’il en soit “en vérité”, – autre histoire, certes) comme la référence des démarches officielles de communication, mais au contraire presque comme “une ennemie”. L’important, l’essentiel, est que cela fut dit et même proclamé officiellement, sous couvert des nécessités de sécurité nationales devant le fait proclamé unique et extraordinaire par ces mêmes autorités de “la Guerre contre la Terreur”. En ce sens, la démarche n’était pas orwellienne (où l’on cherche à dissimuler, à tromper), mais ouverte et presque, – paradoxe dans les termes, – caractérisée par une “vérité” proclamée, celle que désormais l’on mentirait volontairement...
Nous analysions cet événement dans ses prémisses et ses premiers signes, donc d’une façon encore très sommaire, dans le numéro 8 du volume 17 de la Lettre d’Analyse dedefensa & eurostratégie, du 10 janvier 2002, sous le titre «Je doute, donc je suis». Ce texte a été repris sur le site dedefensa.org le 13 mars 2003. Nous en donnons ici la partie qu’il nous paraît intéressante de détacher du reste, pour la faire figurer dans ces Notes d’analyse.
«L'exemple de la guerre renvoie à une situation nouvelle à la suite de la décision des autorités militaires de traiter les informations de cette crise non plus en tant qu'autorité centrale disposant d'une certaine objectivité de comportement mais en tant que partie prenante dans cette crise. II n'existe aucune force, aucune autorité capable de se substituer aux autorités américaines. Cela signifie qu'il n'existe plus aujourd'hui de référence objective, d'une “autorité” quelconque pour ce qui concerne l'information dans cette crise. Cela vaut pour les autorités américaines dans ce cas, mais cela doit valoir également pour des “sources” jugées jusqu'ici comme étant dé référence, comme par exemple : des journaux tels que le New York Times ou le Washington Post (chaque jour nous apporte un exemple de désinformation ou d'informations tronquées venu d'une de ces sources de référence, soumises aux mêmes évolutions révolutionnaires du maniement de l'information).
»Si l'on considère la politisation de tous les domaines de la vie publique, on peut avancer que, d'une façon générale, au-delà de cette crise, c'est effectivement tous les domaines de la vie publique avec un enjeu politique qui sont affectés de cette même façon. Il n'est pas du tout sûr que ce soit un événement déplorable, puisque, après tout et tous nos comptes rapidement faits, on peut aisément considérer que cette position centrale de source de référence d'une “autorité” n'a jamais été une garantie d'honnêteté et de rigueur et, par conséquent, d'information honnête et équilibrée.
»La décision extraordinaire des autorités américaines n'a aucun caractère formel, elle n'a pas été annoncée comme telle (ni même appréhendée comme telle par nombre de journalistes). Elle n'a pas été spectaculaire dans le sens médiatique du terme, et l'on comprend aisément pourquoi ; mais elle a été précisément exprimée, à un point où l'on peut juger qu'elle porte une signification fondamentale, qu'on peut effectivement mesurer. Cette décision marque un tournant considérable dans l'attitude des autorités politiques en général, dans la mesure où une autorité centrale de cette importance décide de se départir de son rôle formel (apparent) de référence en matière d'information pour se plonger dans la subjectivité générale. Cette autorité décide d'être désormais “de parti pris”. Nous vivons dans un monde où une autorité officielle, censée représenter le bien public, vous dit de façon ouverte qu'elle tentera de vous mentir, de vous induire en erreur, de vous manipuler, selon ses intérêts. Rumsfeld n'a pas caché qu'il ne s'estimait plus tenu désormais à la nécessité de dire la vérité (“La vérité est une chose trop précieuse pour ne pas la protéger de quelques mensonges”, dit-il, finaud, en citant Winston Churchill en temps de guerre). L'argument de la guerre qu'on nous propose pour expliquer ce comportement est inacceptable : combien d'entre nous se jugent réellement en guerre aujourd'hui ? Contre qui ? Pourquoi ? Selon quelle juridiction puisque aucune guerre n'a été formellement déclarée ?
»Nous ne voyons rien d'autre que cet événement extraordinaire : un gouvernement représentant le peuple, une autorité centrale défenderesse du bien public, s'auto-constitue en une sorte d'organisme privé (selon les règles du secteur privé, si l'on veut). Il déclare avoir ses intérêts propres, qui ne sont, pas nécessairement ceux des électeurs. Il parle désarmais comme une multinationale. En plus sophistiquée, cette démarche ressemble à rien de moins qu'à celle du parti bolchevique refusant, même après la prise du pouvoir par lui-même en Russie devenue URSS, de laisser son autorité à l'État, et se constituant de facto, puisqu'il fut évidemment maître absolu de l'appareil de l'État, en un État “partisan”, avec ses propres intérêts et sans attention pour les revendications de son peuple. Bien sûr, nul parmi les observateurs honnêtes et informés ne crut jamais au caractère de représentation du parti bolchévique et, par conséquent, à sa légitimité. C'était un usurpateur. De ce point de vue de l'information (il y en a d'autres, certes), le gouvernement US s'est institué usurpateur.» [...]
»Nous autres, journalistes et commentateurs, sommes seuls désormais. Nous sommes “indépendants”, pour le meilleur et pour le pire. Nous disons cela, qui semble impliquer le fait qu'il n'y aurait eu jamais que la source d'information américaine comme référence, parce que nous nous étions mis et avions accepté d'être mis dans une situation où c'était exactement le cas (le “nous” représente les pays européens notamment et tout ce qui prétend, dans ces pays, se trouver dans le circuit de l'information). La situation, aujourd'hui, est devenue celle-ci:
»• Un journaliste ou un commentateur a affaire, avec ses propres autorités s'il est non-US, à des autorités dépendant elles-mêmes pour une part très importante des informations officielles US, qui sont ce qu'on a dit. (Un officier français d'un service interministériel d'évaluation nous disait récemment que “les Américains nous ont communiqués les informations qu'ils ont, impliquant soi-disant divers groupes soi-disant terroristes en Somalie. Il n'y a rien là-dedans, comme règle du jeu, que la règle suivante: vous nous croyez aveuglément et alors les informations sont bonnes.”)
»• Le journaliste/le commentateur doit avoir une formation généraliste, avec une vision générale de la situation, et une dose solide de bon sens et de sens critique. Éventuellement, il ne doit pas craindre de faire de la comptabilité primitive : lorsque ‘Le Monde’ (19 décembre 2001, “Afghanistan, du cavalier au Predator”) dit que 90% des munitions tirées d'avions en Afghanistan sont des armes intelligentes (guidées), qu'il dit à côté de cela que les B-52 ont assuré 10% des missions et largué 70% du tonnage général de munitions, qu'on sait que les B-52 sont intervenus sur le front avec leurs charges classiques de 124 bombes inertes (non guidées) de 250 kilos, on peut commencer à compter et à introduire un peu du doute cartésien qui nous caractérise.
»• Le journaliste moderne ne doit plus craindre de considérer toute information comme suspecte, particulièrement celles qui sont caractérisées comme “officielles”. Le journaliste et le commentateur, aujourd'hui, sont des enquêteurs et leur estime de la chose vraie doit être inversement proportionnelle au volume de la puissance qui lui dispense cette chose prétendument vraie.»
Depuis ces constats que nous faisions il y a plus d’une décennie, qui restaient limités au champ précis du domaine de l’information dans le système de la communication, la situation a évolué d’une façon radicale pour les pouvoirs officiels, et la crise Snowden/NSA a servi et sert de très puissant révélateur et accélérateur à cet égard. Ce que décrit implicitement Greenwald dans son intervention au CCC, c’est l’institutionnalisation de cette situation où le pouvoir est désigné non seulement comme le premier coupable d’une situation générale de crise, mais où il en apparaît aussi, d’une façon ironique mais somme toute logique dans l’enchaînement, comme la première victime. Tout concept de légitimité et, par conséquent, toute référence objective, ont disparu dans la situation de complet désordre conceptuel que la crise Snowden/NSA met en évidence, et la première victime de cette évolution est évidemment le pouvoir politique lui-même, dont l’allégeance au Système devient la dernière pseudo-référence à laquelle il se tient. C’est le développement de la situation que nous décrivions dans son origine en 2003-2004 en une situation de rupture qui s’est précisée depuis comme se manifestant sous la forme d’une dissolution bien plus que sous la forme de chocs événementiels. (Ce développement est historiquement logique et référencé dans la mesure de l’échec de la tentative d’établir une “nouvelle réalité” sous la forme d’une affirmation impériale absolue de l’administration Bush avec l’invasion de l’Irak. C’était l’époque, en 2002-2003, de l’affirmation du virtualisme comme doctrine quasi-officielle de cette administration, largement documentée, y compris par des affirmations directes [voir le 23 octobre 2004]. On peut voir l’historique du “virtualisme” dans le Glossaire.dde, le 27 octobre 2012.)
Le développement de la crise Snowden/NSA, le rôle continuel joué par Greenwald qui apparaît de plus en plus souvent, sous sa forme Greenwald-Snowden, comme la seule référence possible, la seule “source” approchant une certaine vérité de la situation, et donc disposant d’une certaine légitimité, ont effectivement fait évoluer la situation vers un état de rupture par dissolution. Il s’agit de bien plus que la question de la surveillance intrusive, de l’“orwellisation”, il s’agit de la perception de ce qu’il reste de crédit de légitimité au Système. L’intervention de Greenwald montre combien il en arrive à désigner les journalistes-Système comme totalement illégitimes, comme de véritables cas pathologiques d’asservissement au Système, avec une efficacité de plus en plus déclinante à cause de la mise en évidence de cette situation d’asservissement. Les échecs successifs récents (Syrie, Ukraine) que connaît le Système au niveau de la communication par rapport à ses narrative témoignent de cette situation des structures officielles, qui sont en pleine dissolution parce qu’elles sont évidemment orphelines de toute légitimité et que cette situation joue désormais à plein.
Depuis ces constats que nous faisions il y a plus d’une décennie (suite), la situation s’est formidablement renforcée et s’est remarquablement affinée et clarifiée parallèlement. La crise Snowden/NSA et ses relais journalistiques dont le premier d’entre eux, Greenwald, ont contribué (et continuent à contribuer) avec une extrême puissance à ce renforcement et à cette clarification. Outre ce qu’ils ont apporté au niveau de la “désinformation des narrative” du Système, par déstructuration et dissolution, ils ont suscité une mise en évidence d’une situation apparue potentiellement dès 2003-2004. Nous parlons ici d’effets non voulus, encore moins prévus ni calculés, de la part des acteurs initiaux (Snowden, Greenwald et Cie) de cette crise. La crise Snowden/NSA a d’ores et déjà accompli bien plus qu’elle ne croyait pouvoir faire, et elle continuera dans ce sens.
Ce qui a été mis en lumière d’une façon dramatique, ce sont les conséquences de ce que nous signalions plus haut, en fait de “contre-légitimation” des autorités officielles à partir de 2001-2002, ou ce qui “serait une affirmation sans la moindre dissimulation, au travers de cette politique successivement des mensonges-virtualisme-narrative, que le pouvoir non seulement peut se passer de légitimation mais va jusqu’à tenir la légitimité pour inutile et dommageable parce qu’elle le lie à un ou à des principes”. Cet abandon volontaire de référence objective, de lien principiel, a conduit à cette situation mise en évidence par Snowden-Greenwald : la dissolution de toute référence objective, par conséquent la disparition de toute autorité légitime, la plongée des structures du pouvoir dans une complète subjectivité, par conséquent la dynamique de dissolution accélérée de ces structures démantelées d’abord par le processus de déstructuration.
Ce phénomène touche tous les domaines du pouvoir, jusqu’à ses aspects les plus “sacrés” du point de vue de la modernité et des “valeurs” qu’elle ne cesse de chérir et de mettre en avant. Ainsi en est-il du fait qu’aux USA, deux juges fédéraux puissent émettre à une semaine d’intervalle, sur le même sujet des activités de la NSA, un jugement aussi radicalement contradictoire qui porte en vérité sur l’interprétation de quatrième amendement de la Constitution (voir le 28 décembre 2013). Loin de n’être qu’un épisode de plus dans l’affrontement qu’est la crise Snowden/NSA, ce fait nous fait mesurer l’avancement du processus de délégitimation jusqu’à désormais un domaine où plus personne ne sait plus ce qu’est la légitimité. Dans un tel territoire, et sur un tel sujet d’un des amendements-clef de la Constitution des Etats-Unis qui est un texte véritablement “sacré” pour le bon fonctionnement du système de l’américanisme (donc du Système), une telle absence, une telle entropisation de toute perception objective de cette référence essentielle, est une situation qui est effectivement proche d’un situation de rupture. La Cour Suprême, qui a déjà laissé entendre une première fois et informellement qu'elle ne désirait pas statuer sur la légalité des actes de la NSA mais qui n’échappera pas cette fois à ce qui deviendra une obligation lorsque le cas de ces deux jugements contradictoires remontera jusqu’à elle selon une situation lui imposant de trancher, va se trouver devant une décision d’une immense portée politique et institutionnelle, avec des risques majeurs dans les deux cas, selon l’orientation de sa décision.
On voit bien que cette situation de rupture se manifeste d’abord et quasi-exclusivement par le désordre de la dissolution. Cette fois, c’est le domaine de la conceptualisation des structures légales du Système qui est directement soumis à cette pression dissolvante, après que le désordre de la dissolution se soit exercé sur diverses régions et territoires extérieurs, comme pour un galop d’essai (notamment Irak, Afghanistan, puis Libye et Syrie, etc.).
C’est cette absence de structure par liquidation, cette dissolution structurelle de toute substance de légitimité, qui rend le Système opérationnalisant sa surpuissance paradoxalement si impuissant, et donc extrêmement fragile, avec sa dynamique ouverte à une transmutation vers l’autodestruction. L’absence de légitimité crée, dans le chef des individus et des institutions soumis au Système, le désordre de la pensée et des jugements, puis le désordre des faits et des événements eux-mêmes. Ce désordre se manifeste effectivement sous la forme non de ces chocs brutaux qui enchantent la chronique médiatique mais peuvent être “récupérés” à cause du réflexe de peur des citoyens, mais d’un processus continu de dissolution qui se réalise sans révéler son importance décisive. D’un point de vue opérationnel, cette évolution se manifeste par l’incapacité constante de reprendre la situation “en mains”, de la contrôler à nouveau, de la restructurer en une situation à nouveau favorable au Système : les événements mènent les individus et les institutions, et non le contraire.
Cela ne fait que confirmer la “doctrine” du Système, ou disons son mode opératoire de type dd&e (voir le 7 novembre 2013), avec le paradoxe désormais bien identifié de l’équation surpuissance-autodestruction. L’intérêt du sujet observé ici est le constat que la perte la plus sévère pour le Système se trouve moins dans des manifestations concrètes et spectaculaires de sa surpuissance retournées contre lui, que dans la liquidation des principes fondamentaux de la vie politique et sociale qu’il a exercée dès l’origine de la séquence commencée avec 9/11, soit la liquidation des références objectives avec ses effets puissants au niveau de la communication, et la liquidation du principe de légitimité qui s’en est suivi.
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