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1036La nuit du 14 novembre, la journée et la nuit du 15 novembre 2011 ont été d’une grande occupation pour les forces du Système, principalement les Police Department de 18 grandes villes des USA, dont New York, la Big Apple chère aux cœurs de nos américanistes distingués de salon. Il s’agissait de tenter de briser le mouvement Occupy, en faisant évacuer les lieux publics occupés par Occupy. Toute l’attention s’est portée sur Occupy Wall Street, le cœur du mouvement qui s’est installé dans le parc Zuccotti depuis le 17 septembre.
Les conditions des raids ont été en général violentes, selon l’habitude des policiers depuis le début du mouvement. Une question stratégique est celle de la coordination des attaques. Il est assuré que cette coordination a eu lieu entre les 18 maires, mais a-t-elle été ou non suscitée, coordonnée, soutenue, etc., par le pouvoir fédéral et ses ministères et agences concernés (Homeland Security Department, FBI, etc.) ?
Il semble complètement évident que cette attaque, cette contre-offensive générale, n’a pas étouffé le mouvement, mais a au contraire provoqué une réaction, d’abord au niveau de la communication, extrêmement forte. D’autre part, ces expulsions n’impliquant pas une interdiction complète d’occupation puisque l’argument n’était en général que celui de la santé publique (nettoyage des parcs), avec interdiction de certaines conditions (notamment l’installation de tentes, pour New York), la réaction a été immédiate, à New York notamment, par une réoccupation des lieux publics concernés.
L’aspect légaliste pointilleux du système de l’américanisme joue un rôle très important. Occupy ne peut être attaqué pour ce qu’il est, en raison du principe de free speech. Les causes sont donc de circonstance (salubrité publique, ordre public, etc.), les interdictions ne peuvent jamais être complètes, les interventions légales sont courantes du fait qu’Occupy est soutenu par nombre d’associations d’avocats progressistes, qui interviennent gratuitement devant les tribunaux.
On trouve, par exemple dans The Nation, un développement en temps réel des événements et des commentaires autour des événements à New York, à partir du 14 novembre 2001. Il y a eu sans doute autour de 200 arrestations rien qu’à New York, amenant le chiffre des arrestations depuis le début d’Occupy à 4.000.
A New York, les conditions ont été telles que la presse soupçonne la police d’avoir mis en place un plan pour empêcher la couverture médiatique de l’événement, y compris par l’arrestation de journaliste. Un cas sympathique est celui du New York Daily News, appartenait au milliardaire Zuckerman et soutenant à fond le maire Bloomberg et ses policiers. Alex Pareene, de Salon.com rapporte les circonstances du sympathique incident, le 15 novembre 2011. Il note que la manchette du journal du 15 novembre 2011 exultait à l’initiative de Bloomberg («Bravo to Bloomberg’s Occupy Wall Street éviction»), jusqu’à ce qu’un reporteur du Daily News soit arrêté…
«Then a Daily News reporter was arrested, along with at least two other reporters. Now, according to the Daily News Twitter feed, at least, the NYPD’s behavior is “alarming.” The newspaper has alerted its attorney.»
Le raid contre OWS, dans la nuit du 14 au 15 novembre, avait été suivi d’une bataille légale. Les avocats d’OWS obtenaient un jugement autorisant la ré-occupation du parc, y compris avec leurs tentes ; un appel contredisait cette décision en partie, interdisant les tentes… Parallèlement, les événements se poursuivaient, conduisant à la ré-occupation du parc.
Dès que les raids ont été réalisés, les réactions ont aussitôt très vives. Hier, dans un talk show télévisé, Van Jones, ancien proche d’Obama revenu à l’activisme et fondateur de l’association Rebuild the American Dream (par ailleurs soupçonnée de visées “récupératrices”), annonçait plus de 300 manifestations pour le 17 novembre, aux USA : «You mark my words: They are going to regret having done this.» (Réaction caractéristique : Van Jones, jugé comme soutien douteux d’Occupy, est automatiquement conduit, sinon contraint, à l’extrémisme en réaction au raid sur OWS.)
Il s’agit de l’idée que ces raids pour étouffer Occupy peut en fait provoquer un effet négatif imprévu, une sorte d’effet-blowback : relancer le mouvement dont certains jugeaient qu’il commençait à s’essouffler. C’est l’opinion de Laurie Penny, de The Independent (le 15 novembre 2011), sur place au parc Zuccotti, qui a failli être arrétée, et qui rapporte son témoignage furieux, terminé justement par cet avis (souligné de gras)…
«Accredited members of the press were refused access to the square and penned where it was impossible to see what was happening. Some were arrested; others had their press passes seized. I narrowly escaped arrest as I was escorted out of the secure zone for having the temerity to update my Twitter feed. At the intersection of Broadway and Pine Street, hundreds of angry protesters linked arms and chanted to stop one of the dump trucks leaving with their belongings. Then the NYPD moved in with batons to clear them away. By the time dawn broke over Manhattan, protesters were holding an impromptu general assembly in nearby Foley Square. Most had not slept and, as some dozed by the empty fountains, some resourceful soul organised breakfast for the shell-shocked.
»As I write, that meeting is still ongoing – but whatever Occupy does next, Mayor Bloomberg's decision to evict the New York camp can only galvanise support for a movement whose momentum had begun to deflate.»
La première indication d’une coordination entre 18 maires de 18 grandes villes US pour agir contre leurs Occupy locaux est venue de la maire de Oakland, Jean Quan, au cours d’une interview de la BBC. Une autre version, rapportée par CBS.News le 15 novembre 2011, parle d’une réunion, ou d’une coordination d’officiels d’une quarantaine de villes ; néanmoins, le chiffre de 18 villes semble le plus couramment admis. Le texte de CBS.News, qui détaille par ailleurs les événements dans les autres villes hors du point central de New York, rapporte un témoignage affirmant la “spontanéité” de cette réunion…
«“It was completely spontaneous," said Chuck Wexler, director of the Police Executive Research Forum, a national police group that organized calls on Oct. 11 and Nov. 4. Among the issues discussed: safety, traffic and the fierceness of demonstrations in each city. “This was an attempt to get insight on what other departments were doing,” he said.»
Mais un très fort soupçon existe d’une coordination exécutée par les autorités fédérales et leurs divers services, départements et agences, pour organiser une riposte massive. Antiwar.com résume l’hypothèse, ce 16 novembre 2011.
«Is this simply a coincidence, with local officials reaching the same conclusion about the need to violently silence dissent at about the same time? Perhaps not, as indications are growing, fueled by comments from Oakland Mayor Jean Quan, that the crackdowns came in a consultation with other mayors. This fueled speculation that the federal government might have been involved, which grew after a report that an unnamed federal official confirmed the Department of Homeland Security’s involvement. The Justice Dept has said the Oakland call only included mayors.
»The Department of Homeland Security has been at the center of a series of policies since its creation that have left local police departments the nation over armed to the teeth and trained to adopt military tactics. The reaction to the Occupy protests sees these new military-style police forces taking their heavy-handed approach in response to rallies.
Dans un article publié sur Alternet.org, ce 16 novembre 2011, Lynn Parramore pose «6 Burning Questions About the Violent Crackdowns on Occupations Around the Country».
Sur ces six questions, nombre d’entre elles portent sur ce cas, justement, de l’intervention du pouvoir fédéral : a-t-elle eu lieu ? Dans quelle mesure et selon quelle modalité ? L’une d’entre ces questions, intéressante mais certainement sans espoir qu’elle amène une réponse satisfaisante, concerne le rôle et le jugement de la Maison-Blanche sur ces événements ; précisément, du brillant président Obama, par ailleurs et ci-devant spécialiste universitaire de droit constitutionnel… S’il n’y a pas de réponse, effectivement, nombre de partisans d’Obama vont se poser cette question, dans un sens fort peu favorable pour le président.
«Who was in charge of following the nationwide Occupy crackdown at the White House? What does President Obama, the man who celebrated the uprisings in Egypt (and who is currently out of the US, in Asia), think about the raids and the encroachments on the civil liberties of peacefully protesting Americans? As a constitutional scholar, what is his view of the restrictions of the press and the arrests of journalists?»
Mais la plus intéressante de ces questions concerne la position des libertariens, et, in fine, de Ron Paul, lequel a déjà dit sa sympathie pour le mouvement Occupy. Que pensent les anti-centralistes et anti-fédéralistes libertariens de cette intervention, qui sent fortement la coordination de la répression dans le chef de ce même pouvoir central ? Cette intervention qui implique, dans l’esprit de la chose, le viol du principe du free speech, qui est une des poutres maîtresses de la Constitution et qui serait ainsi violé à l’instigation du pouvoir central… Ce sont des questions intéressantes et épineuses pour Ron Paul, par rapport au parti républicain, – mais moins “épineuses”, si l’on se place par rapport à lui-même et à sa logique de franc parler sans détour, et de son peu d’attention pour la ligne d’un parti qu’il n’a cessée de fustiger..
«6. Where are the libertarians? In the face of all the clamor about “states' rights,” local government and the Constitution, we want to know where all the libertarians have suddenly gone. It’s enough to drive you to drink an emergency cup of tea..
…On appréciera les derniers mots (cup of tea), qui représente un appel direct d’un chroniqueur progressiste à la solidarité avec Occupy des populistes de droite, libertariens de Tea Party. On attendra avec intérêt la réaction de Ron Paul.
A ce stade des événements, les commentaires peuvent embrasser deux aspects. D’abord, la mécanique des événements et les suites possibles, ensuite cette affaire d’intervention ou non du pouvoir central fédéraliste.
Sur les évènements eux-mêmes, on constatera une fois de plus que la tactique du Système est lourde, grossière, et sans doute peu productive, sinon contre-productive. Il ne fait pas oublier que toute la répression brutale est faite au nom de la préoccupation de salubrité publique, évidemment mensongère on le sait bien, mais d’une légèreté telle qu’elle finit par irriter le jugement. Le résultat est une exacerbation de la psychologie et une volonté de riposte décuplée chez Occupy, avec le sentiment vague mais puissant d’un soutien de l’opinion publique.
La “coordination” de ces actions est également la marque d’une grossièreté consternante de la pensée. Cela fait penser à une action de répression globale, d’une conception policière de la vie publique aux USA, voire d’un complot des forces de répression, qui ne fait par contraste que renforcer le statut moral et politique d’Occupy. En agissant de la sorte, on fait d’Occupy un mouvement global aux USA, sans pour autant démontrer en rien le moindre aspect subversif chez lui. Le Système, à qui il ne faut bien sûr pas trop demander dans le domaine de la subtilité, n’a toujours pas compris certains enseignements pour lutter contre de tels mouvements, dont le premier est l’art du “saucissonnage” – séparer les mouvements en tendances, ou bien en lieux géographiques dans ce cas, pour réduire les tranches une à une, en en récupérant certaines.
D’autre part, dira-t-on, qu’est-ce que ces robots pouvaient faire d’autre, pressés par les divers intérêts privés et autres qu’ils représentent, sans aucun doute à la fois de plus en plus irrités et de plus en plus paniqués par ce désordre larvé et contestataire ? Tout juste peut-on distinguer chez eux une sorte d’espoir complètement surréaliste de se donner une sorte de légitimité “nationale” contre Occupy. Le résultat est qu’ils risquent fort de relancer Occupy et de conduire les événements, peut-être très vite, vers la possibilité d’actes nouveaux et beaucoup plus graves. On n’est plus très loin de la possibilité d’actes de violence conduisant à des situations proches d’être insurrectionnelles… Ou bien, Occupy se dissout complètement, mais cette possibilité est vraiment très, très faible, – sans doute plus faible dans les circonstances présentes que si on avait laissé se poursuivre le mouvement, qui risquait de s’interrompre, par l’usure du temps.
Occupy semblait ces deux dernières semaines placé devant le difficile problème tactique d’entretenir le mouvement par des initiatives nouvelles et originales, de plus en plus difficiles à trouver. Au contraire, le voilà devant une situation qui lui indique la voie à suivre, celle de la riposte contre l’agression.
Le deuxième aspect à considérer est la question de l’intervention fédérale ou non. Notre appréciation est que cette intervention a eu lieu, mais plutôt au niveau de l’aide, du renforcement, du renseignement, et que les maires ont eux-mêmes gardé toute liberté d’action. (L’argument d’une direction centrale comme démonstration d’un pouvoir policier centralisé sur les USA nous semble démontrer une situation assez faiblarde, sinon contre-productive, pour cette direction ; dans ce cas, le système centralisé d’un Etat policier aux USA aura encore bien des efforts à faire avant d’espérer éliminer un mouvement aussi facile à identifier et à localiser qu’Occupy.)
Dans le cas de l’hypothèse des maires gardant la prééminence de leur action, leur réunion et leur union viendraient aussi, à notre sens, du souci des plus durs (type Bloomberg) d’encadrer et de forcer à la dureté les plus mous (comme la maire d’Oakland, Jean Quan, qui a déjà changé plusieurs fois de camp). Tout cela est assez peu glorieux.
Quoi qu’il en soit, nous ne nous plaindrons pas si l’idée d’une direction fédérale occulte survit et se développe, comme ce sera très probablement le cas. Cela impliquerait une forte augmentation de l’hostilité anti-centraliste des citoyens US, chose excellente pour le moral.
Sur l'essentiel des événements, qui est cette étape nouvelle dans le développement de l'insurrection générale contre le Système, les deux journées qui viennent de s'écouler auront servi à déciller quelques yeux de plus, à disperser quelques illusions restantes. Il n'y a rien à faire que casser la Chose Immonde, qui n'a même pas l'énergie d'être une Bête Immonde. Qu'il nomme cela “Révolution” ou qu'on lui trouve un autre nom, Chris Hedges, sur CommonDream.org, le 15 novembre 2011, résume la pensée générale.
«Welcome to the revolution. Our elites have exposed their hand. They have nothing to offer. They can destroy but they cannot build. They can repress but they cannot lead. They can steal but they cannot share. They can talk but they cannot speak. They are as dead and useless to us as the water-soaked books, tents, sleeping bags, suitcases, food boxes and clothes that were tossed by sanitation workers Tuesday morning into garbage trucks in New York City. They have no ideas, no plans and no vision for the future.»
Sur l’essentiel du propos, qui est l’état du mouvement Occupy, son importance, ce qu'il représente dans un contexte global, etc., nous serions inclinés à citer quelques mots du sociologue et politologue Joel Kovel, auteur d’un fulgurant bouquin de 1994, Red Hunting in the Promised Land, sur l’obsession et la pathologie de la psychologie américaniste face à l’”ennemi intérieur”. Il s’agit de l’interview du site iranien, fort bien informé sur la situation US, PressTV.com, du 16 novembre 2011.
«The ‘Occupy’ movement in the United States is a historic structural transformation that might lead to a systemic change in the North American country, an analyst tells Press TV. “I've never seen anything like it and I think we have to grasp... the extent and scope of the crisis that's animating it,” said Joel Kovel, academic and writer in a recent interview with Press TV.
»Kovel described the Occupy movement as a “historical transformation”, saying that the movement “can't really be stopped unless the system itself is changed.” We are “facing a very fundamental crisis in our whole civilization,” he said. Our whole civilization is under great threat from the same problem, which is the “deeply engrained” and “totally corrupt and murderous” capitalist system as it expands, he noted.»
…Tout cela, après les évènements des dernières 36 heures, plus vrai que jamais.
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