Notes sur le bras d’honneur de Vladimir Poutine

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Notes sur le bras d’honneur de Vladimir Poutine

Si l’on comprend la logique de la situation après la victoire de Poutine aux présidentielles, on est conduit à considérer que le candidat du bloc BAO, celui que le bloc aurait objectivement voulu voir comme vainqueur, c’est le chef du parti communiste de Russie Zyouganov.

• Zyouganov a été le seul candidat à refuser l’élection de Poutine après les proclamations des résultats. (Voir Russia Today du 5 mars 2012.)

• Zyouganov a critiqué les autres candidats pour avoir accepté de rencontrer Poutine après l’élection. Trois de ces autres candidats (les 3ème, 4ème et 5ème respectivement : Prokhoprov, Jirinobvsky et Mironov) ont félicité Poutine, reconnaissant son élection. Selon Russia Today du 5 mars 2012, l’entretien a été amical : «With all that, RT’s Irina Galushko, who was at the meeting, says the mood was “very amicable.”»

• Zyouganov avait refusé de se rendre à cette réunion. Comme le bloc BAO, selon l’esprit quasiment universel de la chose à l’Ouest, Zyouganov estime in fine que l’élection de Poutine est une tromperie et un acte faussaire.

• Lui-même, Zyouganov est l’incontestable second (17,18%, alors que Prokhorov, le troisième, est à 7,92%), puisque, dans son cas, et selon l’émotion manichéenne en cours, les certitudes d’un processus faussaire ne peuvent évidemment avoir cours. Par conséquent, du point de vue des chiffres et de l’affirmation péremptoire que l’élection de Poutine n’a pas eu lieu, c’est bien lui qui aurait du être élu. Cette conclusion d’une logique sophiste implacable colore nécessairement la vision du bloc BAO et implique une proximité indiscutable avec Zyouganov. Elle invite à la conclusion que Zyouganov, chef du parti communiste de la Fédération de Russie, était bien le candidat du bloc BAO. C’est une information exclusive de la presse libre du bloc BAO, qui indique un achèvement heureux de la Guerre froide et de l’aventure communiste, vingt ans plus tard…

…Ainsi en est-il de l’univers surréaliste, sinon “impitoyable” (comme dans le feuilleton Dallas) de l’observation des élections présidentielles russes par le système de la communication tel que machiné par le bloc BAO, avec accord général des acteurs du bloc BAO. Par conséquent, logique surréaliste (du bloc BAO) et “impitoyable” (pour le bloc BAO).

Tricherie du peuple : Poutine est populaire

Il reste que nous devons constater que le peuple russe est un tricheur, puisque l’élection de Russie, faussaire et trompeuse, a montré la popularité de Poutine. C’est la conclusion qu’un esprit un peu sceptique peut tirer des observations pompeuses et significatives de la délégation de l’OSCE envoyée en observatrice absolument, métaphysiquement impartiale des élections russes. (Voir le communiqué du 5 mars 2012 de l’OSCE.)

Ainsi, Tonino Picula, ci-devant Coordinateur Spécial de la mission de l’OSCE en Russie, et chef de la délégation partlementaire de l’Assemblée de l’OSCE, nous offre-t-il (cela suivi de diverses, graves et fumeuses suppositions et allégations sous forme d’hypothèses gravissimes) une surprenante définition de la “démocratie” : «There were serious problems from the very start of this election. The point of elections is that the outcome should be uncertain. This was not the case in Russia…»

Ainsi le “très sérieux problème” de ces élections est qu’elles ne respectaient pas le fondement de la démocratie qui est qu’on ne doit pas supposer ni être à l’avance assuré dans son intime conviction du résultat. Par conséquent, les notions de popularité, de favori, de “celui qui a toutes les chances d’emporter les élections parce qu’il est le plus aimé et le plus apprécié des masses”, – ces notions sont le contraire de la démocratie. Tricheur et anti-démocrate, Roosevelt en 1936, en 1940 et en 1944, tricheur et anti-démocrate, de Gaulle en 1958 et en 1965. La “démocratie idéale” serait donc, selon le terme nécessairement sophistique de cette logique-là, la démocratie qui ne donne aucun effet inégalitaire, aucun favori et aucun vainqueur, mais une égalité parfaite entre tous les candidats au départ et à l’arrivée. La démocratie parfaite, c’est l’entropie égalitaire.

Ainsi confirmons-nous ce jugement : le peuple russe, qui avait choisi Poutine “par avance” nous a trahis, comme il a trahi la démocratie. Le peuple russe est tricheur.

Pourtant, c’est le peuple russe qu’on félicite

“Le peuple russe tricheur” ? Pourtant, c’est bien lui, le peuple russe, que les USA félicitent, et non Poutine, parce que ce peuple-là aurait voté dans une sorte de fête de la démocratie. «The United States congratulated the Russian people on the completion of the presidential élections», résume Itar-Tass le 5 mars 2012. Le département d’État affirme que «The United States is encouraged to see so many Russian citizens voting, monitoring voting in their local precincts, exercising their constitutional right to free assembly, and expressing their views peacefully about the political and electoral processes.»

La chose est aussitôt complétée par l’assurance que les USA «looks forward to working with the President-elect after the results are certified and he is sworn in.» Ainsi entérine-t-on le choix du tricheur (le peuple) après l’avoir félicité, en promettant de travailler avec le faussaire qu’il s’est choisi comme président.

La France étant la nation de l’intelligence, elle fait, par la voix de l’héritier de Vergennes, Alain Juppé, une déclaration toute en nuances où elle affirme qu’on va travailler avec enthousiasme à une formidable coopération stratégique avec celui qui, d’une façon assez préoccupante, – c’est pas moi mais c’est l’autre (l’OSCE) qui le dit, – pourrait bien avoir volé son élection : «Je constate que le président Poutine est notre interlocuteur pour les années à venir. […] Certains observateurs, et notamment l'OSCE, ont émis des critiques sur la façon dont l'élection s'est déroulée. Pour ce qui concerne la France, notre but, c'est de développer le partenariat que nous avons avec la Russie, un partenaire absolument stratégique sur tous les plans…»

L’allemande Merkel, elle, n’a pas de ces finesses. Elle marche à grands coups de bottes. L’Afghan Karzaï, le Syrien Assad, le Chinois Hu Jintao, l’Arménien Sargsian, le Biélorusse Loukachenko, d’autres encore, ont félicité Poutine. Que du beau monde, conviendra-t-on… Là-dessus, il faut y ajouter, selon la précision donnée par RIA Novosti le 5 mars 2012, un coup de téléphone congratulatoire personnel d’Angela à Poutine, histoire de se rappeler à son bon souvenir gazier et autres. Lady Ashton, elle, “note” sur son petit calepin que Poutine a été élu.

Intervention de Kline Preston

Heureusement, il y avait un groupe d’observateurs “indépendants”. De ceux-là, nous attendions, hors de toutes les manigances diplomatiques et acrobaties stratégiques, la confirmation de la tromperie fondamentale. Las, le groupe nous a fortement déçus.

Russia Today écrit, à son propos, ce 5 mars 20912 : […] «Meanwhile, an independent foreign observer group of 50 representatives from 21 European states and the US labeled the election “good.” They stated that the vote was in line with international standards, Russian law, and the principles of openness and freedom. Despite some problems and criticism, the vote-counting process was also assessed as good at 100 per cent of polling stations, member of the group, US observer Attorney Kline Preston told a media conference in Moscow.»

Ce Kline Preston suspect est un avocat de Nashville, dans le Tennessee, un des fondateurs du cabinet Kinnard, Clayton And Beveridge spécialisé dans les fraudes et malversations, honorablement connu et présenté comme tel par la ville de Nashville. Dès le 4 décembre 2011, Preston, qui dirigeait le même groupe pour les législatives russes, avait dit son admiration pour l’organisation et le modernisme exceptionnel du système électoral russe. Pour lui, c’est un exemple dont devraient s’inspirer les USA.

On en parlera donc à Ron Paul, dont le parcours dans les primaires républicaines est une illustration émouvante du fonctionnement de la grande démocratie américaine, avec intervention notifiée de la fraude officielle. Tout est fait dans les règles, contrairement au bordel russe.

Le Grand Journal stalinien

Et les salons, que pensent-il de tout cela ? Le Grand Journal du 5 mars 2012 répondit présent à l’appel. Le programme présentait une ligne stalinienne, où toutes les facettes de l’émission devaient nous convaincre de cette évidence qui ne nous échappe pas, de la fraude monumentale commise. Anne Pivat, du Point, hebdo au-dessus de tout soupçon, venue directement de Moscou, nous régala d’anecdotes croustillantes et significatives, puis terminant sous une question de Michel Denisot (“Alors c’est une manipulation ou c’est une intention ?”, dit anxieusement) finit par lâcher qu’il y avait eu “évidemment” (on s’en doute) des fraudes “assez innombrables” (la nuance du “assez” importe), mais que, “même sans les fraudes, monsieur Poutine aurait été élu”… Brouhaha, désarroi, embarras ; a-t-elle bien lu les consignes ? Réflexion faite, il s’agit simplement de constater, eh bien que, oui c’est comme ça, eh bien les Russes votent pour Poutine, que voulez-vous mon bon monsieur… Personne, malheureusement, ne songea à citer Berthold Brecht, selon lequel il est temps que le Parti publie le communiqué annonçant le dissolution immédiate du peuple.

Le plus drôle fut sans doute Dominique de Villepin, en pleine forme, le clin d’œil égrillard et remarquant “c’est un peu court” lorsque s’annonçait, haute perchée et minijupée, la pin-up Solweig qui nous présenta une météo style stalinien (elle aussi) ; et Villepin concluant en substance après l’intervention d’un Vladimir Fédérovsky, venu de Brejnev à Eltsine jusqu’à Paris, qui nous annonçait que Poutine avait “verrouillé le pays depuis dix ans”…

“C’est vrai, Poutine a verrouillé la Russie pendant dix ans, parce que c’était le prix de la stabilité et du redressement économique. Et maintenant, Vladimir Poutine est sans doute le seul à pouvoir déverrouiller le système, à pouvoir ouvrir le système…” (cela, suivi dans l’enthousiasme de considérations étranges sur la Russie et la Syrie, pur délire villepinesque)… Bref, Poutine devenant son propre Gorbatchev, selon Villepin ! Bravo l’artiste, et l’équipe stalinienne en restant coite… Vladimir Poutine en aurait presque les larmes aux yeux (comme la veille à Moscou, ce qui nous avait valu une brillante analyse du Guardian, le 5 mars 2012, sur la typologie et la psychologie des larmes à l’œil) ; mais sans doute préfèrerait-il un bras d’honneur, puisque c’est effectivement le salut qu’il a rendu à l’Occident.

Les élections ne sont jamais inutiles

Enfin, puisque le ridicule ne tue plus, nous nous en tirons sains et saufs mais nous avons évité l’hécatombe de fort peu. Nous avons vu le bloc BAO, le Système, dans sa composante médiatique et du parti des salonards, avec les directions politiques au garde à vous, engagés dans l’exercice schizophrénique de dénoncer des fraudes massives qui n’avaient pas eu lieu, un escroc volant son élection, un peuple qui s’était révolté contre l’escroc ; tout en admettant que le peuple vote massivement pour l’escroc et l’escroc étant ainsi devenu président incontestable ; tout en concluant qu’il est nécessaire de travailler avec lui, l'escroc, et que ce sera fait car il a de nombreuses vertus puisqu’il dirige une puissance du poids de la Russie.

Plus que l’exposé des élections russes et de l’élection de Poutine, nous avons eu l’anatomie d’un système, le nôtre, le Système en un mot majusculé, en plein épisode schizophrénique. Nous concluons que ces élections n’ont pas été inutiles, pour notre camp également ; mesure de notre futilité, de notre cécité conformiste, de notre enfermement complètement résolu dans un monde défini par des narratives qui ne concernent que nous ; de l'incapacité pour la réalité, de percer cette cuirasse de bruits, de rengaines, de phrases toutes faites et de lieux communs.

Le bloc BAO a légitimé Poutine

Le résultat de cet épisode d'une psychologie énervée sera évidemment un renforcement psychologique de la méfiance et de l’hostilité désormais fondamentale et stratégique de la Russie pour l’Occident. C’est aussi une bonne mesure, pour Poutine, de la faiblesse de ses “partenaires” du bloc BAO, de leur dépendance totale du système de la communication et du parti des salonards. C’est l’assurance que la ligne politique dure et consciente des échéances catastrophiques qu’il a dessinée sera suivie et accentuée. La Russie renforcera ses alliances avec la Chine, ses tentatives de regroupement au sein du BRICS et de l’OCS de Shanghai ; elle accentuera sa ligne anti-bloc BAO au Moyen-Orient, en Syrie et en Iran ; elle durcira sa position en Europe, contre l’OTAN, tout en jouant à fond la carte de la division de ses adversaires, – division entre l’Europe er les USA, division entre l’Allemagne et la ligne atlantiste de l’Europe et ainsi de suite. Enfin, elle déploiera un dispositif de communication de riposte, à l’instar d’un Panarine estimant que le comportement du monde médiatique du bloc BAO constitue une véritable agression contre laquelle il faut réagir.

L’exercice du bloc BAO a été une opération étrange de renforcement de la position de Poutine dans ses nouvelles orientations, une façon de l’adouber dans ses nouvelles fonctions : pour être ainsi haï d’une telle cabale et d’un tel Système, l’homme ne peut être absolument mauvais, penseront même certains de ses opposants. D’une certaine façon extrêmement paradoxale et en agissant par simple effet de réaction antagoniste, l’évènement a accentué la légitimité de Poutine, et la légitimité de la nouvelle politique qu’il sera conduit à appliquer. Elle a eu, après tout, l’effet bénéfique d’éclaircir la situation jusqu’à montrer sa profonde vérité. Le caprice du parti des salonards et du système de la communication restera comme une opération au bénéfice de la cohésion de la Russie, confirmant une fois de plus, sempiternellement, la dynamique transformatrice et dysfonctionnelle de la surpuissance accouchant de l’autodestruction.