Notes sur le chimique syrien comme arme de communication

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Notes sur le chimique syrien comme arme de communication

29 avril 2013 – On a vu (le 27 avril 2013) quelques aspects de l’alerte actuelle à l’emploi de l’armement chimique par le régime syrien d’Assad. L’analyse générale qu’on peut en faire est qu’il s’agit d’une phase, non de la “guerre syrienne” elle-même, mais de la guerre de communication entre les différents acteurs du bloc BAO pour différents objectifs, – deux principalement.

Le premier objectif est d’exercer assez de pression sur Obama lui-même pour qu’il respecte son engagement, également de pure communication et donc complètement douteux, qu’il y a une “ligne rouge” à ne pas dépasser pour le gouvernement syrien, que cette ligne rouge concerne l’emploi de l’armement chimique, et que son dépassement impliquerait un engagement beaucoup plus direct des USA dans le conflit.

Ce sont les Israéliens qui ont, pour des raisons tactiques, remis l’affaire sur la table dans la phase actuelle, avec une manœuvre tactique qui a piégé temporairement l’administration Obama. Mais ce sont essentiellement les rebelles qui suivent précisément cet objectif de tenter de forcer à une intervention, notamment et fondamentalement parce qu’ils sont dans une situation militaire très délicate et qu’ils ont un besoin désespéré de cette intervention militaire directe du bloc BAO (des USA).

Pour gagner, Assad doit ne pas gagner

Cette idée d’une situation militaire très défavorable aux rebelles est si fortement répandue qu’elle donne lieu à des évaluations tactiques parfois complexes. La plus exotique est celle exposée par Mahir Zenalov, du journal turc Today Zaman, le 27 avril 2013. Selon Zenalov, Assad, s’il était habile, ne pousserait pas trop son avance victorieuse pour donner moins d’arguments aux rebelles pour réclamer une intervention du bloc BAO. Il assurerait ses positions militaires, pour occuper une position de force dans les négociations à venir.

«Damascus faces a major dilemma: If it continues with its so far successful offensive, it will make the case bolder for intervention. [...] If Damascus is smart enough, it will strengthen its bases in and around the capital to have an upper hand in possible negotiations and offer dialogue to solve the crisis.»

The Moon of Alabama (MoA), qui commente, le même 27 avril 2013 cet article de Zenalov, prend une attitude critique et écarte sa suggestion. MoA juge que l’actuelle menace d’intervention du bloc BAO n’est crédible en aucune façon, et qu’Assad a tout intérêt à pousser son avantage militaire jusqu’au bout. D’ailleurs, interroge justement MoA, “ne pas pousser son avantage et se renforcer pour négocier”, – pour quelles négociations ? A part Assad et les Russes, qui veut réellement négocier ?

On ajoutera à cette critique une remarque qui pourrait rendre sceptique sur la validité de la thèse, selon laquelle cette thèse de Zenalov pourrait lui avoir été inspirée par des sources gouvernementales turques. On ne lui en voudra pas mais on constatera tout de même, à la lumière de cette hypothèse, que l’analyse devient si intéressée qu’on peut douter du crédit qu’on doit lui apporter... Ce qui nous conduirait dans tous les cas à la confirmation de l’idée que la Turquie est certainement le pays anti-Assad qui a le plus à perdre d’une défaite militaire des rebelles. Cette possibilité placerait la Turquie devant des situations diplomatiques et opérationnelles catastrophiques et pulvériserait le plan grandiose et utopique d’Erdogan, peut-être en le retournant contre lui, d’un “grand califat” établi par la toute-puissance turque sur la région. Il y a des ambitions qui peuvent se transformer en piège.

Qui dit Syrie dit Iran

Le second objectif de l’“épisode chimique” actuel, indirect mais sans doute le plus important, est spécifiquement israélien, – ce qui se comprend d’autant plus que ce sont les Israéliens qui ont manœuvré dans cet épisode. L’objectif de cette offensive, – ou faut-il dire “montage, évidemment” ?, – chimique-Syrie-urgence, est bien entendu l’Iran... “Bien entendu”, car ainsi va la logique des choses : pourquoi faire simple quand l’on peut faire si compliqué ?

Faisons donc compliqué... Il s’agit, pour les Israéliens, de montrer que si l’administration Obama ne respecte pas son engagement type-“ligne rouge” en Syrie, elle est encore moins susceptible de le faire pour l’Iran. (La “ligne rouge” étant dans ce cas l’activité iranienne dans son programme nucléaire pour produire de l’armement nucléaire, ligne dominante de la guerre de communication sur l’Iran que mène Israël contre Obama.) Donc, si Obama n’attaque pas la Syrie, il sera prouvé qu’il n’attaquera pas l’Iran. Voilà qui est péremptoire et qui fait avancer les choses.

Chronologie du “piège”

Un journaliste israélien, Alon Ben David, donne sur Al Monitor Israel Pulse, ce 26 avril 2013, un bon résumé de ce qui serait donc la vraie signification de cette manœuvre tactique d’Israël dans cette affaire. Il est évident que Alon Ben David adopte complètement la position tactique du gouvernement Netanyahou : il tient pour acquis qu’Assad a utilisé du chimique à plusieurs reprises, et que le renseignement israélien avait “les preuves” de la dernière utilisation dès le 19 avril. (Cette position israélienne est élastique, selon les circonstances comme il se doit. Israël a, à diverses reprises, dans des occurrences précédentes, indistinctement observé avec des “preuves” remarquables qu’il y avait eu effectivement emploi et qu’il n’y avait pas eu emploi. Il ne s’agit pas de renseignement, il s’agit de communication, et maniée au marteau-pilon.)

Ben David poursuit en affirmant que l’“information” a été passée aux autres pays du bloc BAO, que les Anglais notamment ont été “convaincus”, – les Français aussi, sans doute, parce qu'ils si malins ces temps-ci, – et que seuls les Américains ont rechigné. La raison avancée est, là aussi, purement tactique (toujours la communication) selon Ben David : le renseignement US ne voulait pas mettre l’administration Obama dans l’embarras. Suit la séquence des événements, avec interprétation comme il faut.

«Chuck Hagel, whose first foreign visit as US defense secretary was to Israel (where President Barack Obama had also made his first international trip of his second term) was asked a direct question about this topic in Tel Aviv. He replied that there was no unequivocal information to confirm that chemical weapons had indeed been used in Syria. “If that’s true, it would be a game changer,” he stated. His host, Israeli Defense Minister Moshe Ya'alon, observed the rules of etiquette. On the next day, April 23, at the Institute for National Security Studies, Brun said, “Assad used chemical weapons against his citizens, and on more than one occasion.” Brun emphasized that his assertion was being made “in my best judgment”; his listeners, however, had no doubt that he was speaking on good authority.

»Several hours later, Secretary of State John Kerry called Netanyahu, hoping to get out of this pickle. Netanyahu agreed that Israel didn't have 100% conclusive evidence — which was sufficient for Kerry to continue his denials. But the media pressure on senior administration officials kept mounting, forcing all of them to admit two days later that there was sufficient evidence of the use of chemical weapons by the Syrian military against civilians.

»It’s hard to tell whether this was a move planned by Netanyahu to embarrass the US. Presumably Brun had advised his superiors, and political leaders above them, of what he was going to say. But from Netanyahu’s perspective, the outcome was good: he showed that the US ignores solid intelligence information when it finds it inconvenient, and just how flexible the US's “red lines” are. The analogy to the Iranian issue is apparent — in that case, the intelligence information is also clear. Both Israeli and American intelligence services see the Iranians making headway toward a bomb. From Israel's standpoint, Tehran has already crossed the red line. From the American standpoint, this red line grows increasingly distant. [...]»

Netanyahou à la manœuvre

Il nous semble assuré que Obama a réagi auprès de Netanyahou, avec fermeté mais discrétion, à propos de ce qu’il juge être une tentative de Netanyahou pour le “convaincre”, c’est-à-dire de le forcer à intervenir. Conscient du rapport de force, Netanyahou s’est exécuté et a vertueusement averti que ses ministres ne devaient plus s’exprimer sur cette affaire (mais qu’en est-il de ses chefs du renseignement ?). Cette intervention est opportunément venue après une déclaration de son ministre des affaires étrangères qui avait achevé le travail en mettant en cause la volonté US d’intervenir en Syrie comme Obama l’avait promis en fonction de l’“utilisation” de chimique.

Par conséquent, l’intervention de Netanyahou est sans grand danger pour sa manœuvre, celle-ci ayant déjà produit tout l’effet voulu (Ben David : «If Israeli Prime Minister Benjamin Netanyahu planned to ambush the Americans, it was a phenomenal success»). Russia Today rapporte l’intervention de Netanyahou, avec les précisions qui s’imposent quant à l’achèvement de la manœuvre, ce 28 avril 2013 :

«Army Radio reported Sunday that Netanyahu wanted to clarify that Elkin’s statements did not reflect an attempt on Israel’s part to spur the United States to intervene militarily in Syria. However, the military radio political commentator also expressed fears within Israel regarding recent “US hesitancy over the Syrian issue.”»

Anatomie d’une manœuvre de communication

Toute l’affaire est parfaitement synthétisée par le Weekly Comment de l’institut Conflicts Forum (Beyrouth) du 20-26 avril, mis en ligne le 27 avril 2013 :

«International attention however has been deflected from this changing status in Syria and the travails of the external opposition by newly resurfaced claims of chemical weapons being used by Syrian government forces. In this instance, there was an initial claim of the use of sarin gas by a senior Israeli military intelligence officer, followed up by a subsequent denial that there was any solid evidence of their use by Secretary Kerry, and of this position then being overtaken by a flurry of ambiguously worded 'assessments' emphasising the words 'maybe', 'possibly' and of 'reports' that chemical agents 'may' have been used in Syria - but that the evidence was still not forthcoming. The Israeli line is that this was not a concerted attempt to ambush Secretary Hagel who had been visiting Israel, but a 'slip' by the Israeli intelligence official who offered publicly an 'assessment' that had not been confirmed, and therefore had not been formally passed to the US Defense Secretary, who therefore would have been unaware of it. Other reports suggest that this incident - as so often is the case nowadays - seems to have more about Iran, than about any new prospect of military intervention in Syria (an issue which provokes very mixed reactions in Israel). It seems quite probable that the incident may have ben designed to probe President Obama's 'red line' philosophy, and to shape US reactions to Obama's claim to hold to a 'red line' on Iran (the aquistion of nuclear weapons by Iran). If Obama's red line on Syria (no use of chemical weapons) were to be shown to be somehow 'moveable', then Israeli officials could suggest that Obama's 'red line' on Iran may prove to be equally 'unreliable' - thus exposing him to domestic pressures to state a more 'concrete' red line for Iran, just as Israel advocates.»

A quoi sert l’armement chimique ?

On peut tout de même, en passant, aborder la question de la réalité militaire de toute cette affaire, s’il y en a une. C’est-à-dire qu’on peut rappeler l’intérêt opérationnel qu’aurait Assad à utiliser de l’armement chimique, au regard des catastrophiques conséquences diplomatiques si une telle action avait lieu.

Robert Fisk se charge de le faire, en un petit paragraphe. Dans un article (ce 28 avril 2013 dans The Independent) suivant son reportage du jour précédent qui mettait en évidence les succès militaires de l’armée régulière syrienne, Robert Fisk fixe clairement l’absurdité militaire de l’emploi de chimique par cette armée, du point de vue opérationnel, par rapport aux implications diplomatiques : «...Or simply asked an obvious question, posed to me by a Syrian intelligence man in Damascus last week: if Syria can cause infinitely worse damage with its MiG bombers (which it does) why would it want to use chemicals?».

Fisk ne se gêne pas pour exposer ce que nul n’ignore, qu’il s’agit de communication et non de réalités militaires et opérationnelles, que les uns et les autres, et essentiellement les élites-Système du bloc BAO, ne réagissent qu’en fonction de la narrative en cours et ainsi de suite... Et il met implicitement et heureusement en évidence la pauvreté de cette manœuvre de communication, en observant combien l’alerte au chimique n’a guère alarmé ceux qu’elle visait, c’est-à-dire les divers relais de la presse-Système :

«In any normal society the red lights would now be flashing, especially in the world's newsrooms. But no. We scribes remind the world that Obama said the use of chemical weapons in Syria would be a “game changer” – at least Americans admit it is a game – and our reports confirm what no one has actually confirmed. Chemical arms used. In two Canadian TV studios, I am approached by producers brandishing the same headline. I tell them that on air I shall trash the “evidence” – and suddenly the story is deleted from both programmes. Not because they don't want to use it – they will later – but because they don't want anyone suggesting it might be a load of old cobblers.

»CNN has no such inhibitions. Their reporter in Amman is asked what is known about the use of chemical weapons by Syria and replies: “Not as much as the world would want to know … the psyche of the Assad regime ….”»

La sénatrice Feinstein est au courant

Manœuvre tactique, certes, et manœuvre de communication essentiellement de la part d’Israël, certes certes. Fisk rapporte ceci, à propos de l’intéressante sénatrice démocrate Dianne Feinstein :

«Senator Dianne Feinstein, chairman of the Senate intelligence committee – she who managed to defend Israel's actions in 1996 after it massacred 105 civilians, mostly children, at Qana in Lebanon – announces of Syria that “it is clear that red lines have been crossed and action must be taken to prevent larger-scale use”.»

Dans son texte, qu’on sait orienté comme il doit être, Ben David, après avoir rappelé, les larmes dans la plume, comment l’administration Clinton avait refusé de croire aux “évidences” du génocide rouandais et se couvrant ainsi d’une honte infinie, enchaîne en suggérant que l’administration Obama fait de même avec cette affaire Syrie/chimique. Par bonheur, suggère-t-il, certains, au Congrès, ont vu la lumière, comme ils l’ont déjà vu si souvent précédemment, notamment grâce à la superbe et généreuse lampe-torche de l’AIPAC. L’observation implique que l’un des objectifs des Israéliens dans leur manœuvre tactique était effectivement d’emprisonner le président au bellicisme dominant et évidemment pro-israélien du Congrès.

Feinstein, guerrière infatigable, est à nouveau implicitement citée puisqu’elle préside la commission sénatoriale sur le renseignement qui est ici mentionnée. Cela est fait à propos de l’épisode chimique d’Alep dont tout le monde sait qu’il est indiscutablement prouvé, comme le reste, qu’on ne sait pas s’il a eu lieu, et que la chose, si elle a eu lieu, a toutes les chances (?) d’avoir été, une fois de plus, un montage rebelle : «In the case of Aleppo, too, administration officials were careful to state that there was no conclusive evidence to suggest the use of chemical weapons in Syria, even as Senate Intelligence Committee members, who were briefed on the matter one day after the incident, were fully convinced that such weapons had been used.»

Finesses d’une tactique déguisée en stratégie

Il faut reconnaître à Netanyahou une certaine résilience... Si la paranoïa obsessionnelle le guide dans sa croisade anti-iranienne sans fin, sa conduite politicienne (tactique) relève des comportements les plus médiocrement politiciens qu’on puisse imaginer. Il en est d’ailleurs le maître incontesté, comme cela est de notoriété publique et politique en Israël.

Cette fois, il est engagé dans une fine manœuvre tactique du type billard à plusieurs bandes, qui présente tout de même certains risques. Ainsi pourrait-on attendre, si la manœuvre réussissait, ce qui est d’ailleurs fort improbable, qu’avant de mener à l’engagement US dans un projet d’attaque de l’Iran cette manœuvre pourrait transiter, par effets d’enchaînement, à une situation où l’armement chimique syrien pourrait passer dans les mains des guerriers islamistes qui veulent abattre Assad et exigent le soutien et l’intervention du bloc BAO pour ce faire, – cela, avant de se retourner contre Israël, la Jordanie, etc.

Le bloc hésite tout de même, mais il n’a rien à redire sur la vertu de ce qu’on a beaucoup de peine à nommer “principe” pour ne pas salir les serviettes avec des torchons douteux, – dito, le principe de l’intervention en Syrie qu’ils proclament tous sans avoir ni les moyens de le faire ni l’audace d’y songer sérieusement. Ainsi placé tout de même devant ce risque de l’armement chimique subtilisé par les rebelles, Netanyahou démontre d’une façon convaincante que la stratégie dans l’esprit de la direction israélienne est réduit à une tactique boiteuse grimée en stratégie et menée de main d’un maître de la tambouille politicienne. (Les chefs du Shin Bet ont donc raison, ce dont personne ne doute, lorsqu’ils affirment qu’Israël a une tactique et aucune stratégie, et que sa direction politique est couarde, irresponsable et médiocre. Netanyahou, lui, devrait prendre un peu de temps de loisir pour lire son ami, le néoconservateur Daniel Pipes, d’excellent conseil puisqu’il recommande de s’allier avec Assad.)

La “psyché” d’Assad et leurs psychologies épuisées

Mais écrire cela, c’est encore accorder une importance bien excessive à cet épisode chimique, c’est-à-dire leur faire l’honneur, aux dirigeants-Système du bloc BAO, de croire qu’ils se conduisent à partir de jugements sur des faits (même si ces faits sont faux ou s’ils sont le produit de montages). Il ne s’agit donc que de communication, c’est-à-dire, dans leur cas, d’une bouillie pour les chats où se mélangent les multiples “réalités” faussaires de la chose, qui sont autant de narrative complètement montées pour les besoins de la “cause” et sans le moindre intérêt pour la réalité de la chose.

Les arguments sont à l’emporte-pièce, aussi médiocres quand il en reste encore l’un ou l’autre, ou hallucinées quand il faut en inventer, que la démarche elle-même. On aura remarqué, dans une citation faite par Fisk («Not as much as the world would want to know … the psyche of the Assad regime …») que l’argument du correspondant de CNN questionné sur les “preuves” de l’emploi du chimique, et n’en trouvant évidemment aucune qui ait ne serait-ce que l’apparence d’un fait, cite d’une façon péremptoire “la psyché d’Assad” : Assad étant proclamé monstre du Moment et nième Hitler dans la série postmoderne, ne peut avoir à l’esprit servi par une psychologie si pathologique que la soif inextinguible d’user du chimique contre “his own people”. L’argument sentimental et pathologique est irrésistible pour ces psychologies épuisées.

On se tire dans les pieds en croyant que ce sont les pieds des autres

Cet épisode de la guerre de communication autour de la “guerre syrienne” confirme, si besoin est d’une confirmation, la pente de dégradation extraordinaire de l’exercice. La guerre de la communication autour de la “guerre syrienne” est aujourd’hui aussi embourbée que la “guerre syrienne” l’est opérationnellement dans la foire des interventions diverses et des chausse trappe sans nombre, surtout entre alliés et “amis de la Syrie” d’ailleurs.

Le plus remarquable est le processus extrêmement vigoureux de dissolution, voire d’entropisation de la “réalité“ et des faits qui la constituent, pour animer cette guerre de la communication. En effet, on ne peut plus parler, au point où l’on en est désormais, réalité belle et bonne, bien constituée et avec l'apparence qu'il faut ; cela n’a rien à voir, ni avec le mépris de la réalité, ni même avec le refus de la réalité, mais plutôt avec une situation où la réalité est devenue introuvable, fracassée dans une multitude de “réalités” faussaires, fondatrices ou rejetons c’est selon, d’autant de narrative... (Les responsabilités pour cet état des choses constitue un autre débat, pas loin d’être historique. Par ailleurs, ces responsabilités sont si complètement connues, et depuis longtemps, qu’on dirait qu’il n’y a pas de débat nécessaire, comme on dirait “y a pas photo”.)

Un autre aspect est celui de l’autodestruction spécifique et, dirait-on, accidentelle, – ce qui montre qu’il n’est pas de domaine où le Système ne les inspire... On parle ici des faussaires “principaux” dirait-on, qui sont nombreux et également connues puisque rassemblés au sein du bloc BAO, et eux-mêmes concurrents entre eux comme on le voit dans ce texte. Ils sont tellement plongés dans l’art de la narrative, jusqu’à y croire accessoirement ou fondamentalement d’ailleurs, par bouffées comme on a des bouffées de chaleur, ou plus résolument, bref ils y sont tellement plongés qu’ils en arrivent de plus en plus à perdre de vue leurs intérêts. Comme on dit, ils “se tirent dans les pieds”, mais d’une façon originale, jusqu’à croire qu’il s’agit des pieds des autres. Ils produisent des monstres dont les effets immédiats les plus probables pourraient être catastrophiques pour eux-mêmes (le chimique syrien chez les islamistes), et tout cela au nom d’objectifs lointains et de plus en plus irréalistes, et qui sont pourtant eux-mêmes les produits de narrative propres (l’attaque de l’Iran). Tout cela sera rattrapé comme on bouche les trous d’un morceau de gruyère, par d’autres manœuvres complexes et autodestructrices de communication, multipliant à leur tour les complexités, les erreurs, les faux semblants.

La guerre de la communication se noie dans le désordre le plus complet, avec une vision de plus en plus restreinte des manipulateurs, qui semblent désormais se satisfaire d’une déclaration de la sénatrice Feinstein, couverte d’or par l’AIPAC, comme l’indice certain de la grande victoire stratégique et civilisationnelle du bloc BAO. Le monstrueux Système, devenant de plus en plus monstrueux, accouche de souris de plus en plus débiles et de plus en plus mortelles pour lui. Mission quasi-accomplished, – mission surpuissance-autodestruction en bonne voie...

L’embourbement crisique, ou le piégeur piégé

Pour le reste, c’est-à-dire l’essentiel, on observera combien “la crise”, ce que nous nommons “le facteur crisique” notamment dans son extension ultime d’infrastructure crisique où la Syrie occupe une place d’honneur, est devenue un étonnant phénomène d’immobilisme, de paralysie, d’impuissance et d’embourbement. Nul ne peut se sortir de ces crises dont l’étrange matière est passée de l’explosif volatil au genre de la mélasse quasiment immobile. Même si la crise s’étend, ce qu’elle fait d’ailleurs sous nos yeux, elle le fera effectivement de cette même façon qui enveloppe les acteurs-simulacres, les faussaires, les manipulateurs de narrative, comme l’on s’enfonce dans des sables mouvants qui ne se meuvent même plus.

Bien entendu, cette situation est tout sauf exécrable, dans sa configuration générale. L’infrastructure crisique où se situe la “guerre syrienne” agit dans ce cas, objectivement, comme une machine antiSystème puisque, par le biais du bloc BAO, c’est bien le Système qui est embourbé dans cette crise. On pourrait pour l’occasion lui offrir une expression de plus, et ce serait l’embourbement crisique.

... Et bien sûr, c’est celui qui s’agite le plus dans son activité faussaire, qui s’y trouve le plus embourbé. Le piégeur, fût-il Netanyahou, est aisément piégé lui-même, comme l’arroseur arrosé. Le chimique fait l’affaire, comme le reste, pour réaliser cette transmutation du piège.