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27759 juin 2014 – On nous en a assez dit et on en a assez vu sur la maîtrise de soi de Poutine, son calme, sa retenue, sa façon de peser chaque mot, – le contraire de l’emportement, d’une déclaration à l’emporte-pièce. Le constat vaut encore plus lorsqu’il s’agit d’une interview télévisée à très grande audience et à audience internationale. Effectivement, Elkabbach, de Europe 1 et dernier fan en date de Poutine nous fait un portrait dans ce sens : Poutine «a une sorte de charisme froid... Une énergie sans exubérance, la fermeté et la raideur brutale d'un timide... [Poutine] ne ressemble pas à sa caricature...» (Voir le 5 juin 2014.) Alors, pourquoi cette sortie contre Hillary Clinton et “les femmes” en général, “sortie” dite d’ailleurs, elle aussi comme le reste, sur un ton maîtrisé et calculé, sans le moindre indice d’un emportement.
Selon
Pourquoi ce qui est effectivement une “sortie” de Poutine, à la fois contre Clinton et contre les femmes ? (On écartera l’hypothèse de l’ironie dont l’intervention est manifestement exempte.) Il est bien possible que Poutine n’aime pas Hillary et qu’il soit antiféministe, mais il est tout à fait inattendu, inhabituel de sa part, contre-productif, etc., qu’il expose ainsi ces attitudes qui contribueraient aisément à alimenter sa caricature. D’ailleurs, sa déclaration est un peu contradictoire puisqu’il déclare, après avoir jugé Hillary comme une personne peu subtile, avec laquelle il semble qu’il considère de facto qu’on ne peut pas discuter, il ajoute qu’on peut tout de même discuter avec elle. D’ailleurs encore, cette position d’apparent mépris pour les capacités des femmes est largement démentie par ses relations, extrêmement importantes et suivies, avec Angela Merkel, et également importantes, avec la président brésilienne Rousseff, au sein du BRICS.
Plus encore ... Hillary Clinton n’est pas n’importe qui, à la fois historiquement pour ce qu'elle a fait, mais surtout pour l’avenir très proche. Dans les sondages réguliers, elle est la favorite pour les présidentielles de 2016 et semble de plus en plus inclinée à tenter une deuxième fois sa chance après son échec de 2008. Il y a donc une possibilité assez forte, ou une malchance encore plus forte, que Poutine (au Kremlin au moins jusqu’en 2018) l’ait comme interlocutrice à la Maison-Blanche. Dans cette occurrence, la raison politique conseille d'une façon pressante de ne pas prendre un tel risque de compromettre par avance des relations essentielles, et surtout un Poutine ne devrait pas prendre un tel risque.
Objectivement parlant, la “sortie” n’est donc pas habile à première vue et l’on pourrait même juger que c’est une faute. Comme le reste de l’interview est remarquablement exempt de maladresses et de fautes, que Poutine ne paraît nullement perdre son sang-froid lors de ce passage et même que la contradiction qu’on relève exprime bien un calcul, on peut alors raisonnablement avancer d’autres hypothèses que celle, simplement à fleur de peau et caricaturale, d’un pseudo-macho ne pouvant s'empêcher d'une dialectique de roulage des mécaniques lors d’une interview de cette importance... Cette hypothèse, c’est que Poutine a délibérément parlé comme il l’a fait, dans un but politique important, pour livrer une sorte de message subliminal fondamental. Quel message, pourquoi, dans quel but, etc. ? Nous ne sommes pas sûrs de pouvoir répondre précisément à ces questions, mais nous pouvons aborder, à partir de cet incident, un sujet très important débattu actuellement selon un parcours de communication difficile à identifier, dépendant plus d'un climat psychologique que d'un événement : débattu abondamment, mais d’une façon sous-jacente et indirecte, sans cause précisément démontrée...
Le premier point de l’hypothèse est que la “sortie” de Poutine contre Hillary et les femmes est en fait une sortie contre Hillary et ses femmes. (C’est-à-dire que Merkel et Rousseff ne seraient pas visées, – cette précision à nouveau en toute ingénuité, de façon à nous éviter telle ou telle épuisante et vaine polémique.) C’est, si l’on veut, de l’“antiféminisme à visages humains”, c’est-à-dire selon un but politique très précis.
“Ses femmes”, dans le cas d’Hillary, ce sont Victoria Nuland, Samantha Power, Susan Rice, auxquelles on pourrait ajouter éventuellement la nouvelle et convertie porte-parole du département d’État Jen Psaki, etc. : toutes des extrémistes-activistes, soit neocons, soir R2P (voir le 21 avril 2014), mises en place (sauf Psaki) par Hillary Clinton lorsqu’elle était Secrétaire d’État. C’est en cela, effectivement, que l’antiféminisme supposé de Poutine prend une toute autre allure...
En même temps qu’on regardait et entendait Poutine, notamment parler d’Hillary Clinton dans les termes qu’on sait, le site ConsortiumNews mettait en ligne, le même 5 juin 2014 un remarquable article de J.P. Sottile sur «The Hillary Clinton’s Hawkish Legacy», c’est-à-dire la transformation du département d’État en bastion de l’activisme, de l’extrémisme, du bellicisme et du militarisme par Hillary durant ses quatre années au ministère (2009-2013).
L’article fourmille de détails techniques, sur la restructuration du département, sa mainmise sur des prérogatives jusqu’alors laissées aux militaires, sa coordination d’opérations militaires et de subversion, etc... La transformation du département d’État en une sorte de machine de guerre particulièrement bien adaptée aux besoins postmodernes de la subversion et de la communication, et producteur d’une politique notablement plus belliciste que celle du Pentagone, apparaît remarquable d’efficacité et, dirait-on, presque de naturel comme si l’évolution allait de soi. (“Comme si l’évolution allait de soi”, disons-nous, parce que bien dans la manière des nouveaux-venus subversifs amenés par l’administration Obama en renfort des neocons, les libéraux-interventionnistes ou R2P pour Right To Protect : faire passer le bellicisme au niveau de la rhétorique et de la communication qui permettent de bien mieux manier l’idéologie vertueuse, le reste allant de soi avec la courroie de transmission du contrôle des forces impliquées dans la hiérarchie diplomatique.)
«To the surprise of some, the U.S. State Department has emerged as the Obama administration’s most hawkish branch, out-toughing the Pentagon which has urged restraint at times as State pushes for war. This shift dates back to Hillary Clinton’s tenure as Secretary...»
Ce bastion de l’extrémisme qu’est devenu le département d’État s’est imposé au centre d’un gouvernement de plus en plus paralysé par ses problèmes internes et, surtout, par l’indécision et l’irresponsabilité du président Obama qui “donne le la” en l’occurrence, dans cette voie. C’est un fait remarquable que la réunion annuelle du Bilderberg (30 mai-1er juin, au Danemark), lieu habituel des complots “haut de gamme” et toujours soumis à des agendas stricts de discussion avec des sujets soigneusement choisis et préparés, s’est imposée une initiative inhabituelle en soumettant, en dernière minute, à l’examen critique des participants la politique de sécurité nationale de l’administration Obama.
Dans Strategic-Culture.org du 5 juin 2014, l’expert russe Boris Novoseltsev met en évidence, à partir de sources internes ayant assisté aux débats, ce développement inattendu et le résultat paradoxal : à l’heure où il est de bon ton au sein du bloc BAO, à l’invitation pressante des USA, de parler de l’isolement de la Russie, ce sont les USA qui se sont trouvés isolés dans cette digne assemblée de conspiration mondialiste... La politique extérieure de l’administration Obama est désormais en cause et en procès, chargée, – fort justement d’ailleurs, – du péché capital d’avoir suscité le rapprochement catastrophique pour le bloc BAO entre Pékin et Moscou. (Le souligné en gras est de l’auteur.)
«[...C]ritics of the Obama administration believe that by its actions in relation to the Ukrainian issue, it has created the conditions for Beijing and Moscow to begin successfully building long-term strategic relationships which the West cannot see as anything other than a threat to the system of global governance (hence containing the development of a partnership between China and Russia is once again a priority).
»After the Bilderberg Group meeting, it seems that pressure on Barack Obama is growing in the West from two sides simultaneously, from those who would like the White House to reduce the aggressiveness of its rhetoric towards Russia, and from those who are sharply critical of the US President’s indecisiveness and lack of determination regarding Ukraine and who believe that Ukraine should be kept as a territory to fight Russia in the years ahead.
»It is difficult to say what the final balance of these forces will prove to be, but it is fairly obvious that dissatisfaction with Washington has grown in the West since the previous Bilderberg meeting. This dissatisfaction is shared by European leaders, transnational businesses, and even part of the US government elites. The irony of the situation revealed by the Ukrainian crisis is that there is a risk of the foreign policy isolation Washington used to scare Russia becoming real, albeit in other forms, for the US itself.»
En même temps que se développait ces diverses nouvelles, plusieurs articles et interventions de communication ont abordé ces deux dernières semaines le problème d’une “première frappe nucléaire”, – spécifiquement, la question théorique d’une telle première frappe avec la garantie théorique d’une certaine impunité, bien entendu des USA contre la Russie (et éventuellement contre la Chine). C’est une question qui n’est pas nouvelle dans la séquence actuelle. En mars 2006, un article de Foreign Affairs avait évoqué la situation qu’amènerait une “domination nucléaire” US impliquant une capacité de première frappe nucléaire US contre la Russie. Il y avait eu des réactions russes extrêmement vives (voir le 31 mars 2006) et même une réaction officielle indirecte de Poutine qui choisit cette occasion pour réaffirmer son engagement fondamental dans la voie de la modernisation de l’arsenal nucléaire russe (voir le même 31 mars 2006) :
«L'analyse de la situation internationale et des perspectives de son évolution pousse la Russie à considérer la dissuasion nucléaire comme le principal garant de sa sécurité et le complexe de production d'armes nucléaires comme la base matérielle de sa politique de dissuasion. Le maintien de l'arsenal nucléaire à un niveau de suffisance minimale est une des grandes priorités de la politique de la Fédération de Russie.»
En un certain sens, cet incident si caractéristique de mars 2006 constitua l’ouverture de la polémique très intense, entre Russes et USA, puis Russes et OTAN, sur les réseaux antimissiles. La question de la “domination nucléaire” et de la capacité de première frappe est évidemment, pour la Russie, le point central de la mise en cause par elle-même du déploiement des réseaux antimissiles US (BMD), essentiellement du réseau européen (BMDE) présenté d’abord, et encore aujourd’hui par certains experts retardataires, comme destiné aux fantasmagoriques missiles stratégiques iraniens. (Une question sur cette explication d’un réseau BMDE anti-iranien et pas antirusse par un journaliste occidental suscita l’éclat de rire le plus tonitruant qu’on ait vu chez Poutine, qui en est fort avare d’habitude.)
Ce débat qui avait pris des allures de crise fut interrompu par une autre crise, celle de l’automne 2008 (9/15) à Wall Street ; puis, relayant 9/15 dans l’attention des dirigeants politiques, le “printemps arabe” suivit, avec la Libye et, surtout, la Syrie. On comprend combien la crise ukrainienne nous ramène à la question générale des relations nucléaires stratégiques et de la “domination nucléaire”, avec la capacité de première frappe, etc., – avec, parmi d’autres points, à nouveau la question des antimissiles du réseau BMDE.
Très récemment, un scientifique spécialisé dans les questions de l’utilisation des armes nucléaires, Steven Starr, directeur du Clinical Laboratory Science Program de l’université du Missouri et l’un des dirigeants de l’association Physicians for Social Responsibility (voir le site psr.org), a publié un article où il rappelle cet épisode de l’analyse de la “domination nucléaire” de mars 2006, et ce que fut sa propre réaction, notamment avec un article cosigné en russe avec le colonel Valery Yarynich, en mai 2006. (La version anglaise de l’article a paru sur le site canadien Global Research le 4 mars 2007.)
«...This theory was articulated in 2006 in “The Rise of U.S. Nuclear Primacy”, which was published in Foreign Affairs by the Council on Foreign Relations. By concluding that the Russians and Chinese would be unable to retaliate, or if some small part of their forces remained, would not risk a second US attack by retaliating, the article invites nuclear war.
»Colonel Valery Yarynich (who was in charge of security of the Soviet/Russian nuclear command and control systems for 7 years) asked me to help him write a rebuttal, which was titled “Nuclear Primacy is a Fallacy”. Colonel Yarynich, who was on the Soviet General Staff and did war planning for the USSR, concluded that the “Primacy” article used faulty methodology and erroneous assumptions, thus invalidating its conclusions. My contribution lay in my knowledge of the recently published (in 2006) studies, which predicted even a “successful” nuclear first-strike, which destroyed 100% of the opposing sides nuclear weapons, would cause the citizens of the side that “won” the nuclear war to perish from nuclear famine, just as would the rest of humanity.»
»Although the nuclear primacy article created quite a backlash in Russia, leading to a public speech by the Russian Foreign Minister, the story was essentially not covered in the US press. We were unable to get our rebuttal published by US media. The question remains as to whether the US nuclear primacy asserted in the article has been accepted as a fact by the US political and military establishment. Such acceptance would explain the recklessness of US policy toward Russia and China.
»Thus we find ourselves in a situation in which those who are in charge of our nuclear arsenal seem not to understand that they can end human history if they choose to push the button. Most of the American public also remains completely unaware of this deadly threat. The uninformed are leading the uninformed toward the abyss of extinction.»
L’article de Starr est centré sur les dangers d’une guerre nucléaire, c’est-à-dire la perspective d’un anéantissement, aussi bien par les attaques elles-mêmes que par les conséquences apocalyptiques (avec la perspective de l’“hiver nucléaire” durant au moins une décennie et plongeant la terre dans un âge glaciaire artificiel). Le scientifique constate que les équipes dirigeantes actuelles, aux USA, ignorent d’une part complètement ces perspectives d’anéantissement de l’usage de l’arme nucléaire, et suivent d’autre part des politiques extrêmement agressives et provocatrices, notamment à l’encontre de la Russie, avec les risques que cela implique.
«Even more frightening is the fact that the neocons running US foreign policy believe that the US has “nuclear primacy” over Russia; that is, the US could successfully launch a nuclear sneak attack against Russian (and Chinese) nuclear forces and completely destroy them... Meanwhile, neoconservative ideology has kept the US at war during the entire 21st century. It has led to the expansion of US/NATO forces to the very borders of Russia, a huge mistake that has consequently revived the Cold War. A hallmark of neconservatism is that America is the “indispensable nation”, as evidenced by the neoconservative belief in “American exceptionalism”, which essentially asserts that Americans are superior to all other peoples, that American interests and values should reign supreme in the world.»
L’article de Starr est notamment publié sur le site de Paul Craig Roberts, le 30 mai 2014. PCG publie un article lui-même, le 3 juin 2014, où il attire l’attention de ses lecteurs sur l’article de Starr. Il concentre sa réflexion sur les réseaux antimissiles (BMDE), dont il juge qu’ils constituent, dans l’esprit des “stratèges” (?) US l’accessoire final pour mettre en place cette fameuse “domination nucléaire” et planifier une première frappe nucléaire décisive.
«However, Washington believes that it can win a nuclear war with little or no damage to the US. This belief makes nuclear war likely. As Steven Starr makes clear, this belief is based in ignorance. Nuclear war has no winner. Even if US cities were saved from retaliation by ABMs, the radiation and nuclear winter effects of the weapons that hit Russia and China would destroy the US as well.
»The media, conveniently concentrated into a few hands during the corrupt Clinton regime, is complicit by ignoring the issue. The governments of Washington’s vassal states in Western and Eastern Europe, Canada, Australia, and Japan are also complicit, because they accept Washington’s plan and provide the bases for implementing it. The demented Polish government has probably signed the death warrant for humanity. The US Congress is complicit, because no hearings are held about the executive branch’s plans for initiating nuclear war.
»Washington has created a dangerous situation. As Russia and China are clearly threatened with a first strike, they might decide to strike first themselves. Why should Russia and China sit and await the inevitable while their adversary creates the ability to protect itself by developing its ABM shield? Once Washington completes the shield, Russia and China are certain to be attacked, unless they surrender in advance...»
A la fin de son article, Paul Craig Roberts attire également l’attention sur une édition de l’émission Truthseeker, de Russia Today : «The 10 minute report below from Russia Today makes it clear that Washington’s secret plan for a first strike on Russia is not secret. The report also makes it clear that Washington is prepared to eliminate any European leaders who do not align with Washington.» (On peut trouver la vidéo de cette émission sur RT, le 1er juin 2014, avec également une transcription écrite de l’émission.)
L’émission convoque divers “dissidents” fameux des réseaux anglo-saxons, tels Richard Cottrell, Rick Rozoff, William Engdahl, etc., qui parlent autant du réseau Gladio que du réseau antimissile BMDE. Le thème de l’émission est effectivement cette recherche par les USA de la “supériorité stratégique“ ou “domination nucléaire”, et d’une capacité de première frappe nucléaire. L’émission est extrêmement “dissidente” dans sa facture, tout à fait hors des habitudes des documentaires standard et très ennuyeux réalisés avec le concours d’expert-Système, – gens “sérieux” chargés de donner tout leur crédit aux versions-Système, édulcorées et consciencieusement “blanchies”, des grands événements et des grands programmes divers susceptibles d’être présentés au grand public. Les détails ne manquent pas, comme celui-ci dans ce passage où la réalisation d’une attaque de première frappe nucléaire est annoncée pour 2016.
«Under the plan, the US attacks Russia with nuclear weapons, while NATO missile defense in Eastern Europe mops up any attempted response. NSNBC News writes “it is most likely and understandable” Russia interprets NATO’s Star Wars deployment on its border as an “unofficial declaration of war.” Aerospace analysts told Global Research that US Space Command is planning a nuclear first strike on Russia, as well as one on China in 2016.
»Bruce Gagnon of the Global Network Against Weapons in Space joins us, thank you very much for coming on, what do we know about the first strike plans?
»Bruce Gagnon, Global Network Against Weapons in Space: This is in the planning process today. The US Space Command practicing engaging in a first strike attack and this is the key element here. These are first strike attack planning, these so-called missile defense systems are key elements in US first strike attack planning. The idea is to hit China or Russia first with a first strike, and then when they try to fire their nuclear retaliatory capability, it is then that the so-called missile “defense” systems would be used to pick off any retaliatory strike, so after a first strike sword is thrust into the heart of China or Russia, then the missile defense shield would be used to pick off any retaliation giving the US the a “successful” first strike attack. It has nothing at all to do with defense, it has nothing to do with freedom or democracy, or any of those words that are used all the time to disguise the true intentions; it’s all about full spectrum dominance.»
Nous observons que cette appréciation de la forme du “danger présent”, c’est-à-dire la forme de dangerosité actuellement produite principalement par la politique des USA, une politique de communication faite d’invectives et d’insultes destinées à la Chine et à la Russie, est très largement explicable, sinon concevable, dans le cadre de cette thèse de la recherche de l'occasion d’une première frappe nucléaire. On la retrouve par exemple dans un article du cinéaste, auteur et journaliste activiste André Vltchek, le 8 juin 2014, lui-même citant dans son article sur la possibilité d’une Troisième Guerre mondiale l’avocat activiste canadien Christopher Black...
«Are we being dragged into the final global confrontation, to a possible WWIII? Observed from Asia Pacific or from Ukraine, it clearly appears so. Christopher Black has no doubts that provoking, antagonizing and insulting powerful independent countries like Russia and China may be the next step towards the destruction of our human race:
»“All these actions are preparations for war. In fact, the positioning of American anti-ballistic missile batteries in Eastern Europe is in preparation for a nuclear first strike on Russia. Those batteries are deployed solely for the purpose of trying to intercept a retaliatory strike by Russian nuclear forces after a US first strike. They have no other purpose. These preparations for a war of aggression, in fact nuclear war, are a clear violation of the UN Charter and all international laws and can rightly be characterized as war crimes. But since the United States has contempt for all international laws and civilized standards of behavior we can expect these preparations to continue.
»“Mankind rests on the brink of annihilation for no other reason than the American pursuit of unlimited profit. They are the extremists of the capitalist system. We must hope that the skillful diplomacy we have seen employed by both Russia and China, the increased pace of their bilateral cooperation with each other and their increased steps to achieve multilateral cooperation throughout the world from Latin American to Africa and Europe and Asia will change the power dynamics of the world sufficiently to prevent the Americans and their allies from achieving their aims so that the peoples of the world can live in peace and devote their energies to solving mankind’s pressing problems.»
Est-il possible que de tels plans soient considérés sérieusement ? Pour notre part, ce que nous voulons considérer sérieusement comme d’une importance centrale, ce n’est ni la question stratégique, ni la question technologique et militaire, ni la question idéologique, mais la question psychologique. Nous ne sommes pas intéressés par la problématique des moyens, voire des conceptions et des projets pseudo-stratégiques, par la question de la faisabilité ou pas d'une première frappe nucléaire en toute impunité, mais par la problématique des esprits infectés par la folie que l’on constate actuellement et conduisant à de telles hypothèses considérées avec sérieux, et cette folie produite par une psychologie exacerbée à mesure.
... Par conséquent, ce qui nous intéresse, nous, c’est le climat psychologique régnant à Washington actuellement, dans les divers centres de la direction du système de l’américanisme. On trouve des remarques qui nous renforcent dans notre impression générale d’une atmosphère de pathologie, d’ivresse et de paroxysme psychologiques, dans l’interview que Webster Griffin Tarpley donne à PressTV.ir, le 5 juin 2014. (Le thème de l’interview, résumé par le titre, rejoint bien entendu les différents points détaillés ci-dessus, comme nous l’avons signalé en observant la diffusion générale de la forme du “danger présent”. On y retrouve l’idée de “domination” comme dans “domination stratégique”, avec les risques de guerre qui s’y rattachent : «US rulers risking major wars to retain dominance».)
«...So I think there’s actually a benefit from having people like Putin or the Iranian government or others around; and China could fit into this. There’s got to be some kind of a barrier or counter weight or a push back against these really crazy excesses that we see here in Washington. It’s a kind of ‘a ruling class gone mad’ and the only thing that seems to deter them is counterforce. [...] It was an absolutely, I think, lunatic provocation of Russia – knowing the sensibilities of Russia; knowing that Russia has been invaded through this land corridor by the Swedes, by the French, by the Germans, by Poland even if you back far enough. [...]
»But now let’s also look a little bit further away... In the US ruling class there’s a general fear off Russia. The imperialist mind is reluctant to mix it up with Russia because of these very large thermo-nuclear intercontinental ballistic missiles, which ultimately seem to be the language which they find clearest.
»However, we do have this group around Anne-Marie Slaughter, which says you can’t counter-attack Putin in Ukraine, but you can do so in Syria. Bomb Syria you can humiliate and defeat Putin. [...] Maybe this is not evident in the outside world, but the mood of the Washington elite is that they’re looking for a way to fight back from a position of some weakness; and above all that they’re afraid of Russia.»
Ces appréciations de Tarpley correspondent donc sans aucun doute à ce que nous percevons régulièrement de l’état de la psychologie des dirigeants américanistes, mais aussi et encore plus de son évolution présente. Les USA arrivent de plus en plus précisément à une échéance terrifiante pour la psychologie de leur direction : le temps de la décadence accélérée et du retrait, de la dissolution de leur suprématie globale et générale. Les évocations en février dernier du secrétaire d’État Kerry d’une évolution qu’on pourrait qualifier de “néo-isolationniste”, puis son tournant complet devant la levée de boucliers, bien dans sa manière en général, pour revenir sur ces déclarations (voir le 28 février 2014), tout cela montre la sensibilité extrême de la psychologie des dirigeants-Système de Washington à cette question. Là-dessus, on ajoutera les indications de l’opinion publique US (voir le 12 mars 2014) soutenant cette tendance au désengagement qui ne peut être assimilée à rien d’autre qu’à une décadence accélérée aggravent encore la tendance.
On notera que tout cela se passe au moment où le coup d’État a lieu en Ukraine, suivi d’un engagement US très vite institutionnalisé, à partir du début mars, en un processus de communication, et même de simple information très primaire, marqué par une extraordinaire indifférence méprisante pour toute fraction d’un millième de la vérité de la situation, au profit d’une narrative grotesque et irréelle magnifiant le rôle des USA. On nous comprendra si, à côté de l’habituelle explication de l’habituel manigance de la propagande et du montage, nous proposons, nous, une réaction de “déni de réalité” au sens pathologique de l’expression, dont une définition classique renvoie à une volonté de «ne pas voir la réalité, [qu’] une partie de notre cerveau réussit à occulter. Et ce stratagème ne se fait pas consciemment, c'est une sorte de réflexe de sauvegarde devant une angoisse apparemment insoutenable...»
Le magicien Obama, engagé effectivement pour ses tour de passe-passe situé entre la “cooltitude” (la “cool attitude”) postmoderne et l’envolée de type prophétique, devrait croire qu’il a trouvé la sorte de calmant qui importe pour cette sorte d’angoisse, avec la “doctrine de l’exceptionnalité”. Comme il s’agit de déployer cette doctrine contre Poutine principalement, via l’Ukraine, on ne peut mieux tomber ; c’est le même Poutine qui a commis le crime de lèse-majesté, l’attentat psychologique de type freudien de mettre en cause (voir le 14 septembre 2013) la notion auto-proclamée de l’exceptionnalisme de l’Amérique, activant (voir le 2 octobre 2013) la pousse du germe de la crise qui se développe aujourd’hui. Ce jour-là (le jour de l’édito du NYT de septembre 2013), Poutine a substantivé à jamais la haine antirusse du système de l’américanisme, – c’est-à-dire du Système en tant que tel, hors des pseudo-spécificités nationales, – et l’on peut dire que la crise ukrainienne dans sa dimension la plus grave, qui est psychologique, a commencé ce même jour.
Tout cela constitue une confirmation de l’évolution de la psychologie américaniste, une évolution accélérée, une sorte de course inutile contre l’abysse de la décadence. Cette course se fait au long des crises qui se présentent, avec la transcription opérationnelle dans ces crise d’un complet déni de réalité. L’Ukraine, on l’a vu, est un exemple exceptionnel de cette circonstance, et d’ailleurs le signe que nous approchons du point de fusion ... Certes, au plus cette angoisse de la décadence accélérée grandit, au plus Washington D.C. voit sa position de prééminence érodée, critiquée, moquée, etc., au plus l’instinct de survie de la pathologie (l’hybris dévastateur) pousse à la fuite en avant. Il suffit d’accepter l’idée, évidente et psychologiquement sans réplique possible, qu’à ce point d’infection pathologique de l’hybris, la psychologie de la direction de l’américanisme ne peut envisager, – déni d’une catastrophe d’anéantissement pour elle, – que les USA s’extraient et s'abstraient de leur rôle d’exceptionnalité. Là aussi, la crise ukrainienne qui est en cours et aussi, par conséquent, et surtout, la crise avec la Russie, constituent le terrain idéal et obligé de telles manoeuvres de la pdsychologie.
Dans cette occurrence pathologique, plus rien ne tient vraiment, et les perspectives les plus incertaines sont acceptées sans vérification nécessaire. C’est là qu’intervient la thèse de la “domination nucléaire” et la tentation de la première frappe nucléaire qui, selon une psychologie à la fois terrifiée et exaltée jusqu’au paroxysme, rétablirait la toute-puissance dominatrice des USA. Il n’est nul besoin de vérifier l’authenticité de cette thèse, si l’hypothèse de la croyance en son existence est prise en compte. Dans son article cité, Steven Starr rappelle que la thèse exposée dans Foreign Affairs était et reste bâtie sur des considérations techniques absolument arbitraires, sinon fabriquées (y compris l’efficacité des missiles antimissiles, extrêmement douteuse et construite sur des expérimentations faussaires). Mais il n’importe pas d’avoir une certitude technique et opérationnelle, il suffit de croire en un phantasme qui se nomme “domination nucléaire”/“première frappe nucléaire” pour voir satisfait le déni de réalité et sanctifiée l’impulsion de la fuite en avant jusqu’à l’assaut final qui sauverait l’exceptionnalité américaniste et assurerait la pérennité de la domination des USA sur le monde, à l’image de Dieu par exemple . (Une sorte de “Reich pour mille ans” par destruction générale, soit une pathologie hitlérienne multipliée par l’infini des capacités du technologisme de surpuissance conduit à son terme d’autodestruction.)
Bien entendu, en faisant ces observations, nous sommes autant dans l’hypothèse irrationnelle que les “croyants” de la domination nucléaire, et rien ne confirme rationnellement qu’un tel mouvement, vers une telle folie, existe. Il n’empêche que les divers signes qu’on a présentés signalent le paroxysme de la crise de la psychologie de la direction américaniste justifiée par les événements ; par conséquent, aucune hypothèse, aussi irrationnelle soit-elle, ne peut être repoussée, et telle hypothèse peut être d’autant moins repoussée qu’elle est irrationnelle. Ce qui fait la monstruosité de l’hypothèse, et donc la tentation de notre raison de l’écarter, ce sont les effets (la guerre thermonucléaire, l’“hiver nucléaire”) ; mais la pathologie identifiée (de la direction américaniste) n’a cure des effets qu’elle engendre, et même elle tend à nier l’aspect catastrophique pour elle-même de ces effets (voir la “banalisation” ou même l’oubli des effets d’une guerre thermonucléaire, selon Steven Starr). La pathologie de l’hybris, et dans sa phase déclinante de l’hybris confronté au déclin, n’est pas catastrophique-apocalyptique en soi : elle l’est à cause des formidables moyens développés par notre contre-civilisation issue du “déchaînement de la Matière”, essentiellement par le système du technologisme assisté par le système de la communication.
Notre seule conviction, d’ailleurs affichée depuis longtemps selon une démarche intuitive renforcée par l’expérience du constat de l’évolution de la forme et de l’évolution de la psychologie américaniste, est que la direction américaniste n’acceptera jamais de céder “de bon gré” sa position dominatrice, disons comme l’on accepte un processus naturel de transfert de puissance. En un sens où l’inconscient tient un rôle essentiel, elle préférerait mourir d’elle-même comme l’implique notamment, in fine avec ses conséquences inéluctables d’apocalypse générale, une idée telle que la première frappe nucléaire ; elle préférerait mourir d’elle-même comme Lincoln l’annonçait sombrement en 1838, pourtant au nom des idéaux qu’il prétendait représenter : «A quel moment, donc, faut-il s’attendre à voir surgir le danger [pour l’Amérique]? Je réponds que, s’il doit nous atteindre un jour, il devra surgir de nous-mêmes. [...] Si la destruction devait un jour nous atteindre, nous devrions en être nous-mêmes les premiers et les ultimes artisans. En tant que nation d’hommes libres, nous devons éternellement survivre, ou mourir en nous suicidant».
Que faire de notre remarque initiale concernant les observations de Poutine sur Hillary dans ce contexte ? Ce contexte comprend les observations sur le déclin US et la pathologie-Système qui s’exacerbe à cette occasion, la militarisation du département d’État et la remise quasi-officielle de l’orientation de la politique extérieure à la fraction neocon-R2P, l’activisme jusqu’au-boutiste de l’américanisme en Ukraine, le regain d’intérêt et de commentaires pour la question de la “domination nucléaire” et de la “première frappe”, les suggestions sur la perception de la mise en place opérationnelle du système BMD en 2016, etc.
Outre d’être ce qu’on a dit qu’il est, Poutine est à la fois un homme secret et un homme de secrets. On n’a pas oublié et on ne doit pas oublier les spéculations qui ont accompagné le début de l’épisode russe (ou de la conclusion russe) de la cavale d’Edward Snowden, et qui restent pendantes. (Voir notamment le 15 juillet 2013.) Ainsi sa déclaration sur Clinton telle qu’on l’a présentée pourrait être appréciée selon l’hypothèse de la conviction de Poutine, plus ou moins informée c’est selon, que la situation mondiale évoluera décisivement et massivement d’ici 2017, et qu’il n’a aucune disposition “diplomatique” particulière à prendre vis-à-vis d’Hillary Clinton et de son éventuelle victoire qui devient complètement hypothétique dans un cadre général en plein bouleversement ; cette hypothèse pouvant être prolongée par une autre selon laquelle Poutine juge de son intérêt de faire savoir indirectement, par l’épisode-Clinton de son intervention, l’importance et la gravité de ses préoccupations.
Ce paysage général peut paraître effrayant, parce qu’il l’est évidemment. La seule certitude qui nous habite d’une façon générale est que le pouvoir américaniste, ou la section américaniste du pouvoir-Système, atteint un degré catastrophique d’instabilité et d’incertitude. (Notre seule certitude concerne l’incertitude, effectivement...) L’on notera tout de même que cette instabilité et cette incertitude n’ont pas que des aspects inéluctablement catastrophiques dans le sens qu’on a dit ; ils ne présagent pas une seule fatalité. Pour reprendre un cas concret déjà évoqué, il paraît raisonnable de considérer que la militarisation du département d’État, avec la confiscation du contrôle de certains moyens militaires, peut conduire, les circonstances aidant, à une réaction et à une riposte du Pentagone. Nous avons largement exploré l’hypothèse de la position du Pentagone, avec son potentiel de riposte, sinon de révolte contre l’aventurisme de la direction neocon-R2P, notamment dans notre texte du 5 mai 2014 ; la réflexion concernait l’Ukraine mais elle vaut aussi bien, et plus encore, pour la plus vaste hypothèse de la “domination nucléaire”/“première frappe nucléaire”. De même, dans notre texte du 3 mars 2014, toujours sur l’Ukraine, nous avons bien mis en évidence combien il existe une concurrence de facto entre l’issue de la possibilité d’un affrontement nucléaire, et l’effondrement du Système avant cette issue, dans l’hypothèse d’une accélération catastrophique de la situation. Un conflit ouvert de pouvoir à Washington est une voie assurée pour cette crise d’effondrement du Système.
Cette sorte de dilemme existe également, et même encore plus précisément bien sûr, dans l’analyse présentée ici. L’hypothèse d’une “révolte des généraux” pour éviter une folie nucléaire dans un cas-limite ne concerne nullement une résolution de la crise de la Système mais au contraire l’accélération décisive de la crise d’effondrement du Système.
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