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237910 avril 2015 – Les chefs des divers services de renseignement russe sont de plus en plus des hommes publics, donnant des interviews, des analyses. En cela, ils se mettent dans le courant du système de la communication, dans le cadre de la “guerre de la communication”. Certains demandent que cette nouvelle posture soit renforcée, conscients effectivement de l’importance grandissante de cette “guerre de la communication”. Il n’est pas loin, si ce n’est déjà fait, le temps où cette intrusion du renseignement, – si longtemps archi-secret jusqu’une sorte de sacralisation ou une sorte de démonisation c’est selon, dans le temps de l’URSS, – passe et dépasse, notamment en franchise du propos, ce qui est fait du côté US et du côté du piètre bloc BAO.
Voici donc le cas de Leonid Petrovitch Rechetnikov, ancien Lieutenant-Général retiré de la direction du SVR (service de renseignement extérieur russe), directeur du RISS (Institut Russe des Études Stratégiques, – en anglais, Russian Institute of Stragic Studies) dont Rechetnikov ne cache pas, non plus que son interlocuteur, qu’il s’agit d’une “couverture“ et que l’Institut est directement lié au SVR auquel il fournit des analyses. Rechetnikov est aussi considéré comme un conseiller direct de Poutine. Son opinion est sans aucun doute une expression exemplaire de la position et de la pensée du groupe des dirigeants des services de sécurité russe (les “Organes”), qui forment une sorte de “gouvernement de l’ombre” de la Russie, un groupe d’une puissance incontestable qui représente les intérêts de la sécurité nationale, – et qui a toujours été proche de Poutine, et sur lequel Poutine s’appuie en général. (Les critiques de la Russie y verraient aussitôt l’équivalent de ce que les “dissidents” US nomment l’“État profond”, “Deep State”. La question de la “légitimité” de ces regroupements non officiels, qui existent partout de facto dès lors qu’un État existe, ne repose pas sur leur existence, mais bien sur l’orientation de l’influence qu’ils exercent. Si cette influence est conforme à l’intérêt national, leur légitimité est acceptable. Si, au contraire, ils influent vers une politique de déstructuration et de destruction, ils doivent être mis en cause.)
Nous jugeons cette interview particulièrement intéressante. La franchise du propos, la liberté de la forme, l’exposition sans aucune hésitation de thèses et de conceptions complètement inhabituelles, tout tend à montrer un homme non pas dégagé du devoir de réserve, mais dégagé du devoir de conformisme (et de conformisme-Système) qui pèse sur toutes les déclarations politiques type-BAO/USA. C’est pour ces raisons plutôt intuitives qu’accordée à l’estampille officielle “interview en toute liberté et en toute transparence” qui impressionne tant la presse-Système et nous laisse en général parfaitement indifférent avec un brin d’ironie, que nous accordons, par contraste, une certaine importance à cette intervention. Nous allons reprendre une sélection de passages de cette interview, que nous commenterons à mesure, après eux. Plusieurs thèmes seront abordés, et nos réflexions reprendront également ces thèmes.
FortRus donne en anglais l’interview (8 avril 2015) qui a été reprise par divers autres organes, soit sous la forme originelle de l’interview, soit sous une forme de texte intégré (voir RI le 10 avril 2015). Au départ, l’interview en russe est de Alexander Chouikov, de Argumenty Nedeli (voir, en russe, le 4 avril 2015).
Alexander Chouikov : «You had a serious ‘cover’ – SVR. Why was it suddenly declassified?»
Leonid Rechetnikov : «We were really a secret Institute of Foreign Intelligence, specializing in the analysis of available information on the far and near abroad. That is the information that is needed not only by intelligence, but also the structures that shape the foreign policy of the country. Oddly enough, but the administration of the President of Russia did not have such serious analytical centers. Although there were plenty "institutions" that have only a director, a secretary and the wife of the director as an analyst. Presidential Administration lacked serious experts, and intelligence had to share them.
»Today our founder is the President of Russia, and all the government research orders are signed by the head of Presidential Administration, Sergey Ivanov.»
Alexander Chouikov : «Is your analysis in high demand? We are a country of writers, everyone writes, but does it influence anything?»
Leonid Rechetnikov : « Sometimes we see actions that resonate with our analytical notes. Sometimes it is striking that we offer specific ideas, and it becomes a trend in the Russian public opinion. Seems like many ideas are just in the air.»
Alexander Chouikov : «In the U.S. the analytical center “Stratfor” and strategic research center RAND Corporation are engaged in similar activity. Who is “cooler”?»
Leonid Rechetnikov : «When after moving to the Presidential Administration in April 2009 we created a new statute of the Institute, others were wishing us to follow their example. I then thought, “If you will fund us as much, as the ‘Stratfor’ or the RAND Corporation are funded, then we will give all these foreign research companies a run for their money”. Indeed, Russian analysts are the strongest in the world. Especially the regional specialists, who have fresh open-minded perspectives. I can say this confidently, given my 33 years experience in analytical work, first in the First Main Directorate of the KGB of the USSR, and then in the Foreign Intelligence Service.»
Dans ce passage, Rechetnikov parle surtout de la méthodologie de travail des services de renseignement russes dans le sens le plus large. Les remarques de comparaison faites avec Stratfor et la RAND Corporation, – qui sont toutes les deux mises, sans la moindre discussion possible, dans le même sac d’organismes directs du renseignement US, – impliquent une certaine méfiance, sinon un mépris certain, pour la méthode US qui consiste à abreuver d’argent toutes les institutions impliquées dans le travail de renseignement, et notamment d’analyse pour les deux organismes cités. (Il semble que l’argent donné à profusion conduise, dans ce cas, à la distorsion des analyses en faveur de ce que les donateurs veulent entendre, par rapport à leurs causes ; distorsion habituelle conduisant à des analyses systématiquement faussaire.)
Au contraire, l’accent est mis sur les capacités personnelles, culturelles, intuitives des analystes russes, considérés par Rechetnikov sans qu’on doive y voir une trace de forfanterie, comme les meilleurs du monde. Cela n’a rien à voir avec l’argent et tout avec la culture, la psychologie, la tournure de l’esprit. Dans ce tableau, la finesse et la précision de l’analyse, la capacité à intégrer des facteurs très divers, sont du côté des Russes, – ce qui remet à sa place l’image de “grand méchant loup” entretenu par la presse-Système à propos du KGB et de ses successeurs. Les gros sabots, la grossièreté, le côté pieuvre et tentaculaire, et bien pire encore, sont du côté des USA, avec l’aliment de l’argent pour exacerber ses travers ... Y a-t-il de quoi être surpris ou de s’en étonner ?
Alexander Chouikov : «As it is known, the RAND Corporation developed the ATO (anti-terrorist operation) plan for Ukraine in the Southeast of the country. Did your institute provide information on Ukraine, particularly on Crimea?»
Leonid Rechetnikov : «Of course. In principle, only two institutions worked on Ukraine: the RISS and the Institute of CIS Countries of Konstantin Zatulin. From the very beginning, we wrote analytical notes on the growth of anti-Russian sentiment in mainland Ukraine and the strengthening of Pro-Russian moods in Crimea. We analyzed the activities of the Ukrainian authorities. But it wasn't alarmist - "all is lost", but rather we drew attention to the growing problem. Offered to significantly strengthen the work of pro-Russian non-governmental organizations (NGOs) to strengthen, as they say now, the "soft power" pressure policies.» [...]
»The role of NGOs is difficult to overestimate. A bright example – are color revolutions, which are fueled by foreign, primarily American, non-governmental organizations. This is what happened in Ukraine. Unfortunately, little attention was paid to the creation and support of such organizations, which would act in our interest. And if they operated, they would replace ten embassies and ten even very smart ambassadors. Now the situation began to change after the direct instructions of the President. God willing this development will not be undermined.» [...]
Alexander Chouikov : «We were outplayed: “son of a b$tch” Yanukovych had to be evacuated by spetsnaz, and Washington installed its own “sons of b#tches”?»
Leonid Rechetnikov : «From the military-strategic point of view, of course, outplayed. Russia has a “compensation” – Crimea. There is a "compensation" – the resistance of the inhabitants of the South-East of Ukraine. But the opponent had already received a huge territory, which was part of the Soviet Union and the Russian Empire.»
Ce passage conforme la peu ordinaire impréparation des services de renseignement russes divers, leur méconnaissance de la situation réelle en Ukraine et l’extension très rapide de l’activité US dans les dernières semaines avant le putsch de février 2015. Cela confirme diverses précisions, y compris du côté US, et venues de sources aussi respectables que le Friedman de Stratfor, et le président Obama soi-même. Non seulement les Russes n’ont rien fomenté en Ukraine, mais ils n’ont rien vu venir. Il semblerait qu’ils n’aient pas imaginé qu’une telle situation aussi décisive, aussi rupturielle, aussi porteuse de prolongements d’affrontements catastrophiques, puisse être fomentée (et, d’ailleurs, elle n’a pas vraiment été fomentée à l’origine ; ce qui est notable, c’est la rapidité de l’appareil de subversion US, toujours prêt pour la déstructuration-dissolution, à sauter sur l’occasion).
Il apparaît donc que, jusqu’au putsch de février 2014, les Russes, et éventuellement, et surtout Poutine lui-même, ont continué à croire, ne serait-ce que par absence de soupçon, à une certaine retenue US, à une possibilité de coopération. Parallèlement, les Russes en général ne croyaient pas assez, malgré divers exemples convaincants comme les “révolutions de couleur”, à l’efficacité de l’action de la communication, de l’agression douce comme ils appelaient cela, déjà deux ans auparavant. Il semble alors que le coup d’État de février 20124 sonne comme un événement fondamental pour la Russie. C’est à partir de là que les Russes ont réalisé 1) l’importance quasiment de guerre mondiale de la guerre de la communication, des OGN, de l’action de communication, etc., et, par enchaînement logique de l’évidence, 2) que le véritable objectif était la Russie et que le sort même de la Russie était en jeu... C’est peu de dire que l’Ukraine a tout changé pour Russie et l’on peut avancer sans hésitation que cette crise est l’évènement le plus important pour la Russie depuis la fin de l’URSS.
Alexander Chouikov : «In your opinion, how will the events develop in Novorossia in the spring and summer? Will there be a new military campaign?»
Leonid Rechetnikov : «Alas, the probability is very high. A year ago the idea of federalization of Ukraine was still alive. But now Kiev only wants war. Only a unitary state. For several reasons. Mainly because ideologically anti-Russian people are at the helm of the country, who are not just subordinate to Washington, but are literally funded by those forces, which hide behind the US government.»
Alexander Chouikov : «And what does this proverbial “world government” want?»
Leonid Rechetnikov : «Easier to say what they don't need: don't need a federated Ukraine, it would be a poorly controlled territory. It would be impossible to open military bases, install new air defense systems. And such plans exist. From Lugansk or Kharkov the tactical cruise missiles reach beyond the Urals, where our main forces of nuclear deterrence are located. And with 100% probability they could strike silo-based and mobile-based ballistic missiles on the take-off trajectory. This area is now unreachable to them neither from Poland, nor from Turkey, nor from South-East Asia. This is the main goal. Therefore the USA will fight for Donbass to the last Ukrainian.»
Alexander Chouikov : «So this is not about the shale gas deposits, which were found on this territory?»
Leonid Rechetnikov : «The main strategic task - unitary Ukraine under their complete control for a fight against Russia. And shale gas or arable land – it's just a nice bonus. A side benefit. Plus a serious blow to our defense from the disruption of the ties between the defense industries of Ukraine and Russia. This is already done.» [...]
Alexander Chouikov : «What will we see in Ukraine this year?»
Leonid Rechetnikov : «A process of decay or even total collapse. Many are just simply hiding in the face of real Nazism. But people who understand that Ukraine and Russia are connected at the base, have not yet said their word. Neither in Odessa, nor in Kharkov, nor in Zaporozhye, nor in Chernigov. This silence is not forever. And the cover of the pot will inevitably blow.»
Alexander Chouikov : «And how will the relations between Novorossia and the rest of Ukraine develop?»
Leonid Rechetnikov : «There is an unlikely scenario of Transnistria. But I don't believe in it – the territory of the DPR and LPR is significantly larger, millions of people have already got sucked into this war. For now Russia can still persuade the leaders of the militia to a temporary respite and ceasefire. But only “temporary”. We can forget about Novorossia becoming a part of Ukraine. The people of the South-East don't want to be Ukrainians.»
Alexander Chouikov : «If our country is already under the “world isolation” due to the annexation of Crimea, then why not go all in in the Southeast? How much longer can the duplicity continue?»
Leonid Rechetnikov : «In my opinion, it is too early to go all in. We underestimate the awareness of our President, who knows that there are some behind the scenes processes unfolding in Europe. They give us hope that for now we can defend our interests with other methods and means.»
Dans ce passage, il s’agit exclusivement de la situation en Ukraine et de ses prolongements. Rechetnikov est catégorique. La situation actuelle n’est qu’un entracte entre deux affrontements parce que les positions des uns et des autres se sont radicalisées : Kiev ne veut pas, ne veut plus d’une Ukraine plus ou moins fédéralisée, les séparatistes de l’Est ne veulent plus faire partie de l’Ukraine. Qui plus est, l’équipe actuelle de direction à Kiev est, selon Rechetnikov, entièrement dans les mains des USA, ce qui radicalise absolument sa position.
Pour autant, Rechetnikov juge qu’il existe des possibilités d’évolution en Europe qui permettraient à Poutine de composer avec la situation en Ukraine sans avoir besoin d’intervenir trop directement dans le Donbass, aux côtés des séparatistes, comme l’intervieweur le suggère A ce point, Rechetnikov ajoute un élément extrêmement important selon lui, et qui est relativement nouveau, qui entraîne par ailleurs la probabilité d’un accroissement de la distance entre l’Europe et les USA. Pour lui, les USA veulent la guerre jusqu’au bout, ils veulent la conquête de la partie Est de l’Ukraine pour y installer des base militaires où seraient déployés des cruise missiles sol-sol tactiques ayant la capacité d’atteindre les grandes bases de missiles stratégiques nucléaires des forces stratégiques russes. Il s’agit d’un projet qui s’inscrit dans une volonté d’acquérir la supériorité stratégique nucléaire sur la Russie, soit la fameuse capacité de First Strike dont nous parlions encore le 9 avril 2015. Ainsi, ce passage-là est-il à conserver à l’esprit :
«De Lugansk à Kharkov, les cruise missiles tactiques peuvent atteindre des objectifs au-delà de l’Oural, où l’essentiel de notre force de dissuasion est déployé. Et, avec une probabilité de quasi-100%, ils peuvent frapper nos missiles dans leurs silos aussi bien que les bases pour missiles mobiles sur les sites de lancement et leurs trajectoires de tir. Cette zone est aujourd’hui hors de portée pour eux, que ce soit de Pologne, de Turquie ou d’Asie du Sud-Est. C’est leur but principal. Par conséquent, ils se battront pour le Donbass jusqu’au dernier Ukrainien.»
... On comprend que ce dernier point représente une certitude quasiment absolue que jamais la Russie n’acceptera, d’une façon ou l’autre, que le Donbass tombe sous le contrôle de forces ou d’un pouvoir ayant des connexions avec les USA. Cela implique le refus de la mainmise de Kiev sur le Donbass hors d’une fédéralisation extrêmement affirmée, le refus de l’entrée de l’Ukraine dans l’OTAN, sinon dans l’UE, le refus de toute forme d’influence hostile à la Russie et ayant des connexions avec le bloc BAO.
Alexander Chouikov : «...So a joint Russian-American fight against terrorism, in particular, with ISIS is just a fiction?»
Leonid Rechetnikov : «Of course. America creates terrorists, feeds them, trains them, and then gives the command to the whole gang: “Go”. They may shoot one “rabid dog” from this pack, but the rest will be incited even harder.»
Alexander Chouikov : «Leonid Petrovich, you think that the U.S. and American presidents are just tools. Who, then, creates the policies?»
Leonid Rechetnikov : «There is a community of some virtually unknown to the society people who not only install American presidents, but determine the rules of the “Big game” for everyone. These are, in particular, transnational financial corporations. But not only them.
»A reformatting of the world financial and economic system is taking place. There is an obvious attempt to rethink the entire structure of capitalism, without abandoning it. Foreign policy changes dramatically. The US suddenly dumped Israel – their main ally in the Middle East for the sake of improving relations with Iran. Why is Tehran now more needed and more important than Tel Aviv? Because it is in the zone of the encirclement of Russia. These shadow forces set the task of elilmination of our country as a serious player on the world stage. After all, Russia carries a civilizational alternative to the entire united West.
»Moreover, the world is experiencing an explosive growth of anti-American sentiment. Hungary, where the conservative right-wing forces are in power, and the leftists in Greece – diametrically opposite forces – practically came together and revolted against the dictate of the United States on the Old continent. The revolt is boiling in Italy, Austria, France and so on. If Russia can hold on, then processes will surface in Europe, which are detrimental to the forces, aspiring for world domination. And they know it.»
Alexander Chouikov : «Some European leaders are already crying that the US literally forced them to institute sanctions. Can Europe escape from the “friendly” American embrace?»
Leonid Rechetnikov : «Never. America holds it tight on several chains: the Fed's printing press, a threat of color revolutions and a physical elimination of unwanted politicians.»
Alexander Chouikov : «Are you exaggerating about the physical elimination?»
Leonid Rechetnikov : «Not at all. The US Central Intelligence Agency – is not even an intelligence service in terms of the level of its tasks. The KGB or SVR – are classic intelligence agencies: collecting information and reporting to the leadership of the country. At the CIA these traditional intelligence activities are at the end of the task list. The main ones – are elimination, including physical, of political figures and the organization of coups. And they do it in real time.
»After the sinking of the “Kursk” submarine the CIA Director George Tenet paid us a visit from Romania. I was tasked with meeting him at the airport. Tenet did not come out of the plane for a long time, but the ramp was open, and I was able to peak inside of his "Hercules". It was a flying command post, computer operation center, fully packed with equipment and communication systems, which can track and model the situation around the world. Accompanying delegation - twenty people. We have been flying on regular flights in groups of 2-5 people. As they say, feel the difference.»
Cette dernière partie que nous avons sélectionnée porte sur les USA eux-mêmes, avec des appendices correspondant (Europe, Iran). On distingue plusieurs points intéressants, qui dénotent une appréciation extrêmement sophistiquée des forces existantes dans le pouvoir US actuellement, de leur fonctionnement, etc. Nous en distinguerons quatre qui nous paraissent de plus grand intérêt.
• Sans qualifier Obama de “marionnette” ou de robot, Rechetnikov ne dissimule pas une seconde qu’il estime que le président n’est pas le véritable dirigeants des USA et qu’une sorte de machinerie faite d’intérêts et de centres de pouvoir, de personnalités éventuellement, d’autre chose éventuellement, dirige les USA. Est-ce ce que certains appellent “The Deep State” (“l’État Profond”) ? Sans doute, sauf que personne ne soit véritablement capable de définir, d’identifier précisément ce qu’est le “The Deep State”, et que toutes les hypothèses dans ce domaine peuvent être avancées, – nécessairement parce que l’expression n’est pas, ne peut pas être restrictive. Rechetnikov cite les forces financières, bien entendu, comme il pourrait bien entendu citer le Complexe militaro-industriel ou le corporate power, – mais à ce point, rien n’est bouclé rien n’est défini vraiment, et nul ne sait si ces forces sont complètement directrices, quasiment “souveraines” (si l’on peut employer ce mot...), ou bien si elles sont elles-mêmes des moyens et des outils d’autre chose. Au-delà, il y a le Système, et qu’est-ce que c’est que le Système, d’une manière fondamentale, dans sa substance même ? Aucune réponse assurée n’est disponible dans l’arsenal de la raison. Dans sa réponse, il apparaît que Rechetnikov lui-même admet ne pas connaître tous les éléments d’une réponse, donc de la réponse... Dans tous les cas, ce qui fait la caractéristique unique du “The Deep State” (US), qui le différencie de tous les autres groupes informels qui pourraient être identifiés, c’est qu’il est producteur d’une politique nihiliste, catastrophique, déstructurante et dissolvante, qui menace l’équilibre et des relations internationales, sinon le sort du monde si l’on adopte le sens le plus large. Le fait d’être un “The Deep State” n’est pas un mal en soi, mais le fait que ce “The Deep State” aux USA est sans doute le mal en soi en fait toute la singularité catastrophique. Par ailleurs, cela limite la cohérence de la politique engendrée par le “The Deep State”, qui n’est que destructrice et nihiliste, et semble aller plutôt aller contre les appréciations de ceux qui commentent son action qu'ils jugent constructive dans le sens d'un projet cohérent, notamment de domination, – y compris, peut-être Rechetnikov lui-même.
• Concernant l’Iran, et concernant Israël aussi, Rechetnikov est audacieux et il va se mettre à dos ceux qui accordent au sionisme et à son lobby washingtonien une force démesurée, sinon la position de propriétaire du destin du monde. Pour lui, pour Rechetnikov, les USA sont prêts à pas moins que ceci : l’abandon d’Israël au profit de l’Iran, – parce que l’Iran est plus intéressant qu’Israël pour encercler la Russie ... («There is an obvious attempt to rethink the entire structure of capitalism, without abandoning it. Foreign policy changes dramatically. The US suddenly dumped Israel – their main ally in the Middle East for the sake of improving relations with Iran. Why is Tehran now more needed and more important than Tel Aviv? Because it is in the zone of the encirclement of Russia.»)... Sacré manœuvre si c’était le cas, où tout le monde risquerait de laisser bien des plumes, à commencer par les USA tant une telle manœuvre demande de finesse, d’audace, de subtilité, de résolution, et de quelques autres vertus dont Washington SD.C. est amplement dépourvu. En attendant, de telles interprétations ont l’avantage de semer le trouble dans les esprits.
• Concernant l’Europe, Rechetnikov est abrupt. L’Europe ne peut se dégager de l’emprise des USA, elle est tenue par tous les moyens y compris par les moyens de menaces d’élimination physique des dirigeants qui voudraient suivre cette voie («Never. America holds it tight on several chains: the Fed's printing press, a threat of color revolutions and a physical elimination of unwanted politicians.»). Pourtant, à côté de cela, Rechetnikov décrit un continent (l’Europe), en plein bouillonnement qui menace le Système, c’est-à-dire ce qui cimente l’allégeance aux USA, en même temps qu’il a signalé plus haut que Poutine espérait des prolongements intéressants ... Comment concilier ces deux affirmations ? Sans doute Rechetnikov signifie-t-il qu’il n’y a aucune chance de modification de l’allégeance avec les directions actuelle. Alors, on en vient à l’hypothèse, pour concilier ses deux jugements, qu’il prévoit la possibilité de violences, de ruptures brutales, de troubles profonds entraînant des dislocations, notamment avec des crises comme celle de la Grèce, la montée des partis anti-européistes, etc.
• Le passage sur la possibilité de “liquidation des leaders” européens, que Rechetnikov confirme explicitement en répétant son affirmation, entraîne une description de la CIA qui est particulièrement remarquable. Rechetnikov décrit une agence, et sans doute avec elle les autres services de renseignement, qui s’est transformée en une véritable organisation d’élimination, c’est-à-dire d’exécuteurs de hautes œuvres et de tueurs. Rechetnikov fait de la réalité de la CIA, ce que les propagandistes-narrativistes du bloc BAO font de la caricature du KGB, alors que lui-même décrit la communauté du renseignement russe comme particulièrement attaché à l’analyse et au travail de prévision. Il n’est pas sûr que Rechetnikov exagère, tant la dérive formidable de la CIA et des autres SR aux USA, surtout depuis 9/11, s’est effectuée vers l’action directe, les collusions mafieuses, les liquidations en tous genres, les machinations pour mettre en œuvre des coups d’État, l’organisation des groupes terroristes, la corruption à l’échelle de pays. La CIA de la Guerre froide, qui faisait une place très importante à l’analyse, ne semble plus alors qu’un souvenir, complètement pervertie dans l’action contre-terroriste qui passe le plus souvent par la promotion constante de nouveaux groupes terroristes, – la CIA décrite par Rechetnikov, tout simplement comme la manufacture essentielle du terrorisme transnational depuis le début des années 1980 ... Est-ce si mal vu ? Avec des directeurs du calibre de Brennan, spécialiste à l’esprit épais du terrorisme, on comprend que la CIA est capable de tuer à peu près n’importe qui mais n’est plus capable de faire une évaluation sur des élections communales en France à quinze jours près. Elle ne pense plus, elle liquide.
Le contenu général de cette interview laisse une impression d’une crise générale fondamentale affectant la Russie bien entendu, et l’Ukraine également, mais aussi, les USA, et le reste du monde enfin. Les interventions de Rechetnikov sont parcourues d’appréciations précises, qui renvoient à l’idée qu’il y a en cours un véritable “conflit de civilisation” (un “clash de civilisations”, disent les gens au fait des choses), mais nullement entre des religions, nullement entre des ethnies ou des communautés, nullement entre des groupes de nations, nullement, même, nullement entre de soi-disant “civilisations”.
Plus simplement, plus fondamentalement, il s’agit d’un conflit entre deux conceptions de la “civilisation”, – terme pris dans sn sens générique et nullement dans son sens historique. Il semble que les dirigeants russes aient beaucoup appris avec la crise ukrainienne, notamment que cette crise est bien un signe convaincant de la grande Crise Générale du Système, laquelle est en cours, en régime surpuissant... Ci-après, on cite quelques derniers extraits, ou “extraits d’extraits”, où Rechetnikov parle de cet aspect des choses ...
Alexander Chouikov : «... The battle is now not between Ukrainians and Russians, but a war of world systems. Some believe that they are “Tse Evropa” (“Are Europe” - Ukr.) and others – Russia. Because our country is not just a territory, it is a separate huge civilization that brought its own world paradigm to the entire world. First of all, of course, the Russian Empire as a model of the Eastern Orthodox civilization. The Bolsheviks destroyed it, but produced a new civilizational idea. Now we are at the gates of the third. And we will see it in 5-6 years. [...] ... These shadow [capitalist] forces set the task of elilmination of our country as a serious player on the world stage. After all, Russia carries a civilizational alternative to the entire united West.»
Alexander Chouikov : «You just painted a portrait of some of our Ministers very precisely. How will we make it through 2015 with them?»
Leonid Rechetnikov : «The year, with them or without them, will be tough. Most likely, the next will not be easier. But then a steady march of new Russia will begin...»
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