Notes sur le (re)naissance de la tragédie

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Notes sur le (re)naissance de la tragédie

28 juin 2015 – La crise grecque qui est essentiellement un composant de la crise de l’Europe va-t-elle devenir une tragédie ? Ne l’est-elle pas déjà ? Dans tous les cas, elle confirme le modèle crisique universel aujourd’hui, celui de la “crise incompressible”, celle qui, une fois lancée, ne peut plus être résolue, et qui évolue, entre phases d’accalmie et phases de paroxysme et, bientôt, se bloque dans une phase continue de paroxysme, pour s’intégrer complètement dans la Grande Crise générale d’effondrement du Système en y apportant sa contribution.

Ce que nous constatons, après les péripéties extraordinaires des 26-27 juin, c’est la confirmation de ce que la “crise grecque/européenne” est effectivement entrée dans cette phase d’incompressibilité. Pour l’instant, pour ces quelques jours, des évènements semblent expliquer le paroxysme de la crise ; ils n’en sont que les causes conjoncturelles, car notre appréciation grandissante est bien que cette “crise grecque/européenne” est désormais une de ces crise paroxystiques “incompressibles”, qui manifeste et manifestera différemment son paroxysme constant.

Quelques extraits de notre texte du 21 juin 2015 devraient faire comprendre de quelle sorte de crise paroxystique et incompressible est faite la “crise grecque/européenne”, ici à l’image de la crise ukrainienne, dont elle est conjoncturellement, géographiquement et peut-être politiquement fort proche  :

«Ce que nous constatons d’une façon générale, disons jusqu’à faire une théorie de l’expérience accumulée ces dernières années et formidablement, – décisivement confirmée par la crise ukrainienne, – c’est que “la crise” n’est plus une crise selon la forme courante de ce phénomène. Il y a toujours une montée vers un paroxysme, puis un paroxysme, – mais, ô surprise, ce paroxysme ne veut plus cesser d’être paroxystique... [...] Voici donc une crise, un temps crisique, une infrastructure crisique, ayant atteint le paroxysme de sa composition habituelle, et ne parvenant plus ni à le dépasser, ni à s’en libérer [– c’est-à-dire, ne parvenant à le dépasser pour s’en libérer.] [...] C’est comme si le temps historique en se concentrant, en se contractant au gré de l’accélération de l’Histoire qui est aujourd’hui formidable, enfermait effectivement la crise dans son paroxysme, se réduisant lui-même au paroxysme de ce qui serait devenu un temps crisique. [...] Ainsi notre conclusion sera-t-elle, aussi audacieuse et étrange qu’elle puisse paraître, que la crise ne veut pas abandonner sa phase paroxystique...»

La phase paroxystique désormais atteinte, la “crise grecque/européenne” va désormais garder ce caractère, mais rapidement se transformer dans son identité, et simplement devenir une “crise européenne” puis s’intégrer dans la “crise de l’Europe”. Nous disons “une” (“crise européenne”) parce que c’est là que la “crise grecque/européenne” fera sa jonction avec ce que nous identifions pour l’occasion comme “la crise ukrainienne/européenne” (ou la crise ukrainienne dans sa dimension européenne), les deux (crise grecque et crise ukrainienne) en s’intégrant dans “la crise de l’Europe” tandis que d’autres éléments crisiques (on pourrait les figurer comme des “modules crisiques”, aussi bien) vont rapidement s’y rattacher, tandis que d’autres le sont déjà.

Maintenant, voyons les évènements principaux des quelques faits importants de ce paroxysme exceptionnel qui est appelé à durer, y compris des faits annexes qui ont leur importance.

Son moment “gaullien”

D’abord, l’adresse au peuple grec de Tsipras dans la nuit du 26 au 27 juin, après un conseil des ministres exceptionnel qui suit la position décisive des “institutions”, qu’on peut définir simplement comme un diktat présenté à la Grèce. Tsipras annonce sa proposition d’un référendum le 5 juillet prochain, pour ou contre les propositions “en forme d'ultimatum” présentées par les créanciers de la Grèce, – ditto, effectivement “les institutions” selon le terme désormais adopté par Tsipras pour désigner l’ex-troïka (ce qui était jusqu’alors désigné comme “la troïka” : la Commission européenne, la BCE et le FMI). Le texte complet, dont nous donnons l’essentiel ci-dessous, est accessible sur le site Syriza-France, le 27 juin 2015. Certains lui trouvent l’allure gaullienne.

«Nous avons livré un combat dans des conditions d’asphyxie financière inouïes pour aboutir à un accord viable qui mènerait à terme le mandat que nous avons reçu du peuple. Or on nous a demandé d’appliquer les politiques mémorandaires comme l’avaient fait nos prédécesseurs. Après cinq mois de négociations, nos partenaires en sont venus à nous poser un ultimatum, ce qui contrevient aux principes de l’UE et sape la relance de la société et de l’économie grecque. Ces propositions violent absolument les acquis européens. Leur but est l’humiliation de tout un peuple, et elles manifestent avant tout l’obsession du FMI pour une politique d’extrême austérité. [...] Notre responsabilité dans l’affirmation de la démocratie et de la souveraineté nationale est historique en ce jour, et cette responsabilité nous oblige à répondre à l’ultimatum en nous fondant sur la volonté du peuple grec. J’ai proposé au conseil des ministres l’organisation d’un référendum, et cette proposition a été adoptée à l’unanimité.

»La question qui sera posée au référendum dimanche prochain sera de savoir si nous acceptons ou rejetons la proposition des institutions européennes. [...] Je vous invite à prendre cette décision souverainement et avec la fierté que nous enseigne l’histoire de la Grèce.»

Un “Non” retentissant ?

En fin d’après-midi le 27 juin, le Parlement grec approuve la proposition du gouvernement pour le référendum du 5 juillet. Tsipras parle à nouveau. Il décrit la “proposition” des “institutions” comme “un ultimatum et une insulte”... «Nous avons épuisé jusqu’aux limites extrêmes les concessions possibles de façon à parvenir tout même à un accord. Peut-être certains ont-ils vu dans notre attitude de la faiblesse. [...] Le jour de vérité arrive pour les créditeurs, le moment où ils verront que la Grèce ne se rend pas, que la position de la Grèce n’est pas “une récréation qui doit se terminer...» Il termine en demandant un “Non retentissant”.

Sellon RT-français du 27 juin 2015, la réponse devrait être négative, en fonction des conditions dramatiques où se tient cette consultations ... « [La proposition du gouvernement Tsipras devrait] faire face à une forte résistance de la part des représentants des partis d'opposition, dont les leaders ont déjà exprimé leur réprobation. L'ancien premier ministre, Antonis Samaras (droite), qui avait accepté sans concession les exigences des créanciers lorsqu'il était au pouvoir, a accusé son successeur de mener le pays “à l'impasse”. Potami, le parti de centre-gauche, estime pour sa part que Syriza se fait “le lobby du drachme”. Les socialistes de Pasok enfin, ont été jusqu'à demander la démission du gouvernement en place et ont appelé à des élections anticipées.

»Malgré ces divergences d'opinion, le rejet de la proposition de la troïka est fort probable, de la part d'un peuple écrasé sous des réformes austères depuis 2009. La situation en Grèce, notamment vis-à-vis de l'UE, a amené la population à un niveau important d'euroscepticisme. Le chômage concerne aujourd'hui 25,8% de la population active (contre 7,3% en 2008). Les jeunes en sont les principaux représentants avec un taux dépassant les 50% de chômeurs. Le pays fait également état d'un taux de pauvreté qui dépasse les 23%, la pauvreté infantile se situant à 26,5% en 2012. Des conditions de vie qui ont connu une forte dégradation depuis les premiers plans d'austérité, mais aussi antérieurement, depuis l'entrée de la Grèce dans la zone euro. A l'image des pays du sud, la péninsule a subi de plein fouet l'application de la Politique Agricole Commune, décrié par les professionnels du secteur partout en Europe.»

Regime change, please

Jacques Sapir, qui suit attentivement la crise grecque avec son expérience d’économiste qui comprend parfaitement, et ne cesse de l’affirmer, l’importance d’abord politique de cette crise, est certainement l'un de ses meilleurs commentateurs. Nous allons lui faire une place importante dans la description commentée des évènements.

Sapir a constamment salué le comportement de Tsipras, au contraire de nombre de commentateurs, notamment nombre d’entre eux se disant antiSystème qui se retrouvent contre Tsipras, au côté des commentateur-Système qui suivent la narrative-putschiste anti-Tsipras. Ces commentateurs antiSystème reprochent au gouvernement Tsipras de n’avoir pas rompu immédiatement et d’avoir fait le jeu des “institutions” (-Système), sinon d’être leur complice. Sapir écrivait le 24 juin 2015 sur son site RussEurop.org : «I]l y a une étrange et malsaine synergie entre les plus réactionnaires des commentateurs et d’autres qui veulent se faire passer pour des “radicaux” et qui oublient sciemment de prendre en compte la complexité de la lutte conduite par le gouvernement grec. Ce dernier se bat avec le courage d’Achille et la ruse d’Ulysse. Disons déjà qu’aujourd’hui tous ceux qui avaient annoncé la “capitulation” du gouvernement grec ont eu tort...»

Ce même 24 juin, Sapir annonçait qu’“un nouveau pas [avait] été franchi” par “les institutions”, un pas vers une stratégie du regime change représentant un projet de “coup d’État”, lorsque des partis d’opposition représentant autour de 20% de l’électorat grec ont été reçus à Bruxelles : «Cela signifie que ces mêmes “institutions” européennes, si promptes à défendre la démocratie, complotent ouvertement avec un ensemble de politiciens faillis, souvent corrompus, et qui ont été rejetés par leur propre peuple pour remplacer un gouvernement démocratiquement élu. C’est une leçon importante, qu’il faudra apprendre par cœur, ne serait-ce que pour s’en prémunir. [...]

»... [C]ette attitude prend aussi le risque d’une guerre civile en Grèce. Car, si ce coup d’Etat était entrepris il ne faut pas s’imaginer que les forces qui ont soutenu SYRIZA, mais aussi le parti souverainiste ANEL, se laisseraient faire. Le problème avec cette génération de bureaucrates européistes est que, comme l’avait fait remarquer Raymond Aron au sujet de Valéry Giscard d’Estaing, ils ne savent pas que l’histoire est tragique. Mais cette histoire vit sa propre vie, sans ce soucier des représentations de ces bureaucrates...»

La journée historique du 27 juin

Mais, bien entendu, c’est la journée du 27 juin 2015, que Sapir présente sous le titre «Tyrannie européenne ?» qui est la plus importante. Le commentateur en présente d’abord les enjeux, qui concernent certes la Grèce, mais aussi la légalité, la légitimité, bref le droit même à l’existence de l’Union Européenne, qui a commis un acte qui la disqualifie complètement en faisant entrer ces “institutions”, ouvertement, quasiment d’une façon accordée à l’esprit comptable de putschistes bureaucrates, dans le territoire infâme de la “tyrannie”.

• D’abord, l’attitude de Tsipras, son “moment gaullien...” «Alexis Tsipras avait décidé de convoquer un référendum le 5 juillet, demandant au peuple souverain de trancher dans le différent qui l’oppose aux créanciers de la Grèce. [...] Ce faisant, et dans un geste que l’on peut qualifier de “gaullien”, il avait délibérément renvoyé au domaine politique une négociation que les partenaires de la “Troïka” voulaient maintenir dans le domaine technique et comptable. [...] Il place désormais les enjeux non plus au niveau de la dette mais à celui des principes, de la démocratie comme de la souveraineté nationale. Et c’est en cela que l’on peut parler d’un véritable “moment gaullien” chez Alexis Tsipras. Si l’on veut pousser l’analogie historique jusqu’à son terme, alors que Paul Raynaud en 1940 ne soumet pas au Conseil des Ministres la question de faut-il continuer la guerre, Alexis Tsipras a osé poser la question de l’austérité et du référendum, et a reçu un soutien unanime, y compris des membres de l’ANEL, le petit parti souverainiste allié à SYRIZA. Il s’est ainsi réellement hissé à la stature d’un dirigeant historique de son pays...»

• Ensuite, la réaction de l’Eurogroupe à la décision de la Grèce, qui a consisté à tenir une réunion en excluant la Grèce. Sapir y voit un acte fondamental de tyrannie, dans le sens formel du mot : «Ce geste [la décision d’organiser un référendum] a provoqué une réaction de l’Eurogroupe d’une extrême gravité. Nous sommes en présence d’un véritable abus de pouvoir qui a été commis ce 27 juin dans l’après-midi, quand l’Eurogroupe a décidé de tenir une réunion sans la Grèce. Ce qui se joue désormais n’est plus seulement la question du devenir économique de la Grèce. C’est la question de l’Union européenne, et de la tyrannie de la Commission et du Conseil, qui est ouvertement posée...»

Ainsi le débat atteint le paroxysme de ce qu’on peut attendre, le paroxysme politique, le paroxysme institutionnel, le paroxysme des principes eux-mêmes, c’est-à-dire paroxysme métahistorique. Le “moment gaullien” de Tsipras, selon Sapir, c’est de moment où le chef du gouvernement, décidant d’un référendum, se tourne vers le peuple pour lui demander une relégitimation du pouvoir qu’il représente, lancé dans une phase nouvelle et fondamental. En face, la décision de l’Eurogroupe représente également un paroxysme de la même substance, celui où une représentation des “institutions” (d’ailleurs de la part d’un Eurogroupe qui n’a pas d’existence institutionnelle légale puisque n’étant qu’«un “club” qui opère sous le couvert de la Commission européenne et du Conseil européen») comme l’acte illégal d’exclure de ses délibérations un de ses membres pour prendre une décision contre lui alors que la règle intangible des “institutions” est celle de l’unanimité. Ce “coup de force” par “abus de pouvoir”, selon la qualification de Sapir, «pourrait bien signifier, à terme, la mort de l’Union européenne. Soit les dirigeants européens, mesurant l’abus de pouvoir qui vient d’être commis, se décident à l’annuler soit, s’ils persévèrent dans cette direction ils doivent s’attendre à une insurrection des peuples mais aussi des gouvernants de certains Etats contre l’Union européenne».

La Déclaration de Delphes

Evidemment, la puissance des évènements en cours éclipse nombre d’évènements annexes à cette “crise grecque/européenne” qui auraient normalement mérité droit de cité. Retenons-en tout de même un, qui a le mérite de témoigner de la mobilisation en cours aux côtés de la Grèce, la mobilisation inverse qui comprend tout ce que le Système comprend de moyens d’attaque, de diffamation, et de camouflage sous la narrative-Système, étant de toutes les façons permanente et relevant de la réaction pavlovienne-orwellienne, ou bien orwellienne-pavlovienne, – nous hésitons toujours sur l’ordre à choisir entre les deux qualificatifs qui doivent être précisément rapprochés.

Il s’agit de la “Déclaration de Delphes” qui vient d’être décidée et qui est diffusée, qui est le fait d’une cinquantaine de personnalités d’influence, essentiellement universitaires mais aussi d’autres domaines de la communication, d’Europe ou des USA essentiellement mais aussi d’autres pays et régions périphériques, qui signent une déclaration commune de soutien à la Grèce. L’adoption de la déclaration de Delphes a eu lieu les 20-21 juin et des extraits de la conférence en date du 21 juin 2015 sont visibles sur YouTube.

La déclaration est présentée par Michael Hudson, professeur d’économie à l’Université du Missouri, président de l’Institute for the Study of Long-term Economic Trends (ISLET). Le texte introductif de Hudson et le texte de la Déclaration, avec les signataires, sont visibles notamment sur UNZ.com, le 27 juin 2015 et sur CounterPunch le 27 juin 2015. Le texte de la Déclaration est extrêmement dur, il parle d’une “guerre de basse intensité” menée contre la Grèce et de la possibilité d’une guerre civile en Grèce (hypothèse déjà envisagée par Sapir). On en publie ici un passage (l’emploi du gras est dans le texte original).

«Now, European institutions and governments are refusing even the most reasonable, elementary, minor concession to the Athens government, they refuse even theslightest face-saving formula there might be. They want a total surrender of SYRIZA, they want its humiliation, its destruction. By denying to the Greek people any peaceful and democratic way out of its social and national tragedy, they are pushing Greece into chaos, if not civil war. Indeed, even now, an undeclared social civil war of “low intensity” is being waged inside this country, especially against the unprotected, the ill, the young and the very old, the weaker and the unlucky. Is this the Europe we want our children tolive in?

»We want to express our total, unconditional solidarity with the struggle of the Greek people for their dignity, their national and social salvation, for their liberation from the unacceptable neocolonial rule the “Troika” is trying to impose on this European country. We denounce the illegal and unacceptable agreements successive Greek governments have been obliged, under threat andblackmail, to sign, in violation of all European treaties, of the Charter of UN and of the Greek constitution. We call on European governments and institutions to stop their irresponsible and/or criminal policy towards Greece immediately and adopt a generous emergency program of support to redress the Greek economic situation and face the humanitarian disaster already unfolding in this country.

»We also appeal to all European peoples to realize that what is at stake in Greece it is not only Greek salaries and pensions, Greek schools and hospitals or even the fate even of this historic nation where the very notion of “Europe” was born. What is at stake in Greece are also Spanish, Italian, even the German salaries, pensions, welfare, the very fate of the European welfare state, of European democracy, of Europe as such. Stop believing your media, who tell you the facts, only to distort their meaning, check independently what your politicians and your media are saying. They try to create, and they have created an illusion of stability. You may live in Lisbon or in Paris, in Frankfurt or in Stockholm, you may think that you are living in relative security. Do not keep such illusions. You should look to Greece, to see there the future your elites are preparing for you, for all of us and for our children. It is much easier and intelligent to stop them now, than it will be later. Not only Greeks, but all of us and our children will pay an enormous price, if we permit to our governments to complete the social slaughter of a whole European nation.»

Reconnaissances autour de la crise

Au-delà, ou plutôt autour de la Grèce et de l’Europe, il y a un monde en fureur, où les crises s’empilent et évoluent elles aussi dans leurs paroxysmes propres. Quelques avis, ici et là, fixent le climat entourant le centre en fusion que nous interrogeons aujourd’hui. Nous mentionnons ici quelques appréciations et jugements épars qui montrent les connexions, les hypothèses, etc., qui constituent d’autres commentaires de l’événement. On comprend combien tous ces commentaires, d’une part constituent un facteur de communication qui aggrave objectivement la crise, d’autre part impliquent des évènements qui, s’ils se produisent, auront des conséquences complètement imprévisibles, dépassant largement la Grèce et l’Europe. Au reste, il est manifeste que les USA d’une part, la Russie avec sans doute la Chine d’autre part, sont intensément intéressés par le cours chaotique des choses.

• A côté de l’hypothèse de la guerre civile, qu’on a vue évoquée ici, on trouve l’hypothèse de la dictature militaire en Grèce, à partir de réseaux manipulés par le fameux ensemble lui-même manipulé par les USA, des réseaux Gladio/OTAN, qui intervinrent une première fois, selon nombre d’auteurs et sans surprise, dans les années 1960, pour la prise de pouvoir par “les colonels” en Grèce. WSWS.org, qui a pris une position extrême vis-à-vis de la crise grecque, évoque, le 27 juin 2015 l’hypothèse d’une prise de pouvoir par les militaires. Siv Savouri, chef économiste d’une société de fonds de pension à Londres, la Tosca Fund (certaines de ces entreprises répercutent souvent un point de vue officiel qui leur a été suggéré officieusement), estime qu’une sortie de l’euro (Grexit) de la Grèce conduira à «un effondrement de la société» et l’arrivée des militaires au pouvoir. «De quelque façon que l’événement survienne, les militaires prendront le contrôle du gouvernement».

• Le 20 juin 2015, Sputnik.News s’intéressait à diverses appréciations d’experts indépendants US, qui semblent communiquer l’une des craintes principales des USA. «Jon Utley, publisher of The American Conservative magazine and a prominent antiwar activist, told Sputnik the German government also feared that Greece could draw closer to Russia and China if it pulled out of the Eurozone and eventually left the 27-nation EU bloc. “The Germans will save Greece in the end because they don’t dare face the consequences of the crumbling of the European Union,” Utley said. EU policymakers fear that Greece’s radical left-wing government, led by the Syriza Party, could make common cause with other nations not in the EU and US spheres of influence, Utley added. “The result is that the European authorities are deliberately sabotaging the Greek economy, and have pushed it into recession, in order to undermine support for the Syriza government,” Utley argued. “The [EU] strategy is ‘regime change,’ to get another government that will do what they want,” he noted. [...]

»The United States does not want Greece to leave the Eurozone fearing it may then establish new close economic ties with Russia and China, experts told Sputnik. Center for Economic and Policy Research Co-Director Mark Weisbrot argued if Greece leaves the Eurozone, it could borrow from Russia and China, and moreover, would follow an independent foreign policy. “The United States does not want this,” Weisbrot said. The fear Greece will go rogue is shared by policymakers on both sides of the Atlantic”, Weisbrot argued.»

• Alexander Mercouris, chaud partisan du gouvernement Tsipras, a pourtant publié un article critique du comportement du Premier ministre grec vis-à-vis de la Russie. (Russia Insider, le 25 juin 2015.) Il juge que Tsipras a trop joué une sorte de “double jeu” vis-à-vis de la Russie, se disant intéressé par telle ou telle possibilité, l’explorant avec les Russes, pour se désister au dernier moment, – montrant ainsi que ce qu’on croyait être une stratégie de sa part s’avérait être en fait, du moins jusqu’à maintenant, une tactique manipulatrice pour obtenir plus des “institutions” par crainte d’un rapprochement grec de la Russie.

«The great British historian AJP Taylor once said in my presence that Western politicians tend to think of Russia as a tap they can turn on and off whenever they like. By that he meant that Western politicians expect Russia’s help when they need it, but never feel under any obligation to give anything back in return. Taylor was speaking about the diplomacy that led to the Second World War. However it is starting to look as if the same is true of Greece’s Prime Minister, Alexis Tsipras... [...]

»[...By ]making moves to Moscow that he repeatedly fails to see through, Tsipras has lost possible friends in Europe and the US, whilst putting Greece’s traditionally friendly relations with Russia in jeopardy. Anyone who knows Russia knows the friendly feelings Russians have for Greece. If a Grexit happens - which is very possible despite Tsipras’s latest concessions - Greece will need Russia’s help... Hopefully what looks like a frankly manipulative policy will not have soured Russian attitudes by then.»

• Si l’on observe la situation actuelle avec ses possibles sinon probables développements, il est désormais extrêmement possible que la Grèce ait très vite besoin de la Russie (et de la Chine, dans la même foulée). On comprend parfaitement le sens des remarques de Mercouris mais il nous semble que la situation politique ainsi créée (par un Grexit) serait si bouleversée, notamment d’un point de vue stratégique à cause de l’énorme écho de communication que l’on aurait suivant la dramatisation extrême jusqu’à la tragédie de cette crise, que la Russie ne pourrait parvenir raisonnablement à une autre conclusion que le constat de la nécessité de son soutien à la Grèce, éventuellement en impliquant son “allié stratégique” qu’est désormais la Chine. A cet égard, la partie qui se joue a trop d’importance, trop de ramifications avec les autres crises en cours, pour que des irritations bilatérales de circonstance ne s’effacent pas devant l’ampleur formidable de l’enjeu. Si les évènements de ces prochains jours confirment la rupture de la Grèce avec les “institutions”, la Russie ne pourra faire autrement que de choisir d’être présente.

La tragédie des Derniers Temps

“La crise grecque va-t-elle devenir une tragédie ? Ne l’est-elle pas déjà ?”, interrogions-nous en tête de cette analyse... C’est la Grèce qui a inventé la tragédie telle que nous la connaissons, dans toute la force de son symbole, dans la transcendance, dans sa destinée historique représentée dans l’art suprême de la représentation scénique et symbolique de la destinée du monde. Nietzsche fit de La naissance de la tragédie une fresque assez obscure où il opposait des tendances immémoriales à l’intérieur de l’histoire de la Grèce des origines pour figurer les grands affrontements de l’histoire du monde, – et du monde de notre temps, par conséquent, tant notre temps ressemble aux Derniers Temps d’une civilisation aux abois et devenue “contre-civilisation”. Aujourd’hui, la Grèce, devenue un petit pays d’importance négligeable dans les décomptes bureaucratiques et postmodernistes, reprend sa place au centre dans la question de la tragédie du monde ressuscitée.

L’Union européenne, à l’origine CEE, avait été créée pour extirper la tragédie du monde, – de l’Europe, certes, mais une Europe figurant comme exemple d’organisation et de gouvernance pour le monde, –déclenchant en vérité les mécaniques menant paradoxalement, par contrainte et par nécessité car on ne tue pas la vérité de la métahistoire, à la (re)naissance de la tragédie. Il est difficile de ne pas penser que nous sommes dans un de ces moments, – “moment gaullien” ou “moment de la Tyrannie” européenne, c’est selon, – où nous assistons à cette (re)naissance.

Ce constat nous paraît acquis, quelle que soit la suite des événements, tant les évènements ont été trop loin sur la voie de la dramatisation et du paroxysme pour supprimer l'effet qu'ils ont déjà produit. Nous voulons dire par là que, d’ores et déjà, les effets de ces évènements se sont détachés de leurs géniteurs pour devenir eux-mêmes évènements, et déclenchant ainsi une réaction en chaîne dont la conséquence générale sera, au travers de la déstabilisation ainsi provoquée, l’installation du paroxysme, non plus de la crise grecque, mais de la crise “de l’Europe”, laquelle prendra toute sa dimension en additionnant “sa” crise grecque aussi bien à la crise ukrainienne qu’à la crise du terrorisme en général qui affecte l’Europe, – non pas à cause du terrorisme, mais parce que l’Europe a largement participé à la manufacture d’un phénomène nommé terrorisme qui s’est installé pour exercer sur elle une énorme pression de déstabilisation. Ces trois crises paroxystiques, parmi tant d’autres mais pour leurs cas fortement orientées vers l’Europe, formant le foyer de la crise européenne, constituent autant de pressions terribles appliqueés contre le Système, nées en vérité d’une réaction antiSystème suscitée chez des acteurs pourtant si différents. D’autres s’y ajouteront, dont “la crise des traités” (TPP, TTIP et, qui commence à apparaître, TISA, le pire des trois) n’est certes pas la moindre, qui montre elle aussi combien la dynamique de surpuissance recherchant l’entropisation générale du monde est aujourd’hui dans sa phase ultime, qui ne veut rien épargner, qui ne se satisfera que du monde réduit à l’entropie générale. Au moins, le Système ne dissimule plus.

A bon entendeur, salut !

Quoi qu’il en soit des évènements à venir en Grèce, du référendum s’il a bien lieu, quels que soient les résultats qu’il donne, – c’est-à-dire en nous plaçant dans le cas du minimum minimorum d’ores et déjà accompli de cette crise grecque, nous ne pouvons que constater qu’il s’agit d’abord et avant tout de la crise de l’Europe en plus d’être une “crise européenne”. C’est la crise désormais paroxystique de cet artefact nommé “Europe”, – ou bien encore “les institutions” qui est un mot bien choisi pour figurer une sorte de monstre incontrôlable, une égrégore maléfique qui manipule ceux qui croient la conduire puisqu’elle n’est conduite par aucun d’eux, – tant l’“Europe” a montré ces derniers mois, ces dernières semaines, ces derniers jours, son véritable visage. Elle s’est conduite avec une arrogance monstrueuse et stupide de bout en bout, affichant son mépris du processus démocratique et des principes fondamentaux tel que la souveraineté, exerçant des pressions à ciel ouvert sans croire une seconde que la victime ne capitulerait pas aussitôt, n’imaginant pas le pire avant que le pire n’apparaisse devant elle, exerçant alors une pression furieuse qui a mis à nu tout ce qu’elle a de profondément, d’irrésistiblement tyrannique en elle.

L’“Europe” s’est ainsi découverte comme la chose du Système, dont la définition dépasse évidemment toutes les formes politiques connues jusqu’ici ; l’“Europe” c’est bien plus qu’une dictature, c’est bien plus qu’un fascisme (mou ou pas), c’est une dynamique de surpuissance absolument déstructurante et dissolvante, dont le but inconscient et automatique est la destruction de toutes les formes civilisées, c’est l’“idéal de puissance” dans sa phase-Système ultime lorsqu’elle prend l’allure d’une machinerie qui n’a plus d’autre projet que sa propre production de destruction. L’intransigeance affichée ces derniers jours, jusqu’à la rupture de samedi dans plus complète illégalité d’elle-même, a fini par nous en convaincre, tant elle ajoutait parfaitement à tout ce que nous avons identifié cette profonde stupidité de tout ce qui ne s’exerce que dans un sens maléfique. (Rappel de la joyeuse remarque de René Guénon : «On dit même que le diable, quand il veut, est fort bon théologien; il est vrai, pourtant, qu’il ne peut s'empêcher de laisser échapper toujours quelque sottise, qui est comme sa signature…»)

La Grèce a déjà beaucoup souffert et il est bien probable, malheureusement, qu’elle souffrira encore beaucoup, mais peut-être en sauvegardant la dignité de son identité souveraine. Qu’elle sache, quoi qu’il en soit, qu’elle nous a déjà beaucoup donnés, en nous révélant que non seulement le roi est nu, mais qu’il ne cache même plus qu’il est nu, qu’il se fout d’être nu, que sa nudité est le moyen d’accomplir ses desseins d’assassinat du monde, que sa nudité mortelle est bien le destin qu’il nous réserve. A ceux qui prennent encore la peine d’écouter pour entendre, – à bon entendeur, salut ! (... Et sachant que cette “locution interjective” a des origines profondes qui se marient parfaitement à notre situation : à la fois «Que celui qui a des oreilles pour entendre, entende!» [Evangile, Matthieu, XIII], à la fois “salut” dans le sens de «Chercher ou trouver son salut», comme l’on sauve sa vie et son âme.)