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251417 décembre 2014 – Année sacrée, terrible, effrayante, insaisissable et extraordinaire, – l’année 2014, digne centenaire d’un 1914 dont bien peu de nos esprits éclairés ont exactement saisi le sens. Les crises qui se sont amassées, qui se sont pressées tout au long de l’année, ont conduit au mur de l’affrontement global et potentiellement final. Le désordre qui s’est développé, sous le regard impavide, – ou, dira-t-on, tout simplement vide, – des directions-Système qui le déclenchent et l’entretiennent, le désordre devient partout hyper-désordre. Pourquoi le désordre global, lui aussi, ne deviendrait-il pas hyper-désordre global ? ... Et observer cela n’a pas nécessairement pour effet, de notre fait dans tous les cas, d’alimenter le sens de la peur et de l’angoisse se transformant en panique. L’on sait que, depuis que nous utilisons cette expression (voir le 30 septembre 2014, le 20 octobre 2014, le 5 novembre 2014, etc.), “hyper-désordre” peut et doit figurer, pour nous, une évolution jusqu’à affirmer un sens complètement antiSystème.
Aujourd’hui, ces jours-ci, ces quelques semaines passées qui se contractent en un temps extraordinairement court et une histoire qui ne cesse d’accélérer pour se transmuter en métahistoire, on connaît les grands termes qui figurent comme les grandes manœuvres hégémoniques du jour, les complots qui s’y croient et qui s’y croisent, les mécaniques qui échappent des mains des “idiots pleins de bruit et de fureur”, et ces termes se nomment pétrole et Russie, USA et Arabie, etc., avec comme commentaires divers “effondrement”, “manigance”, “riposte”, etc. On sait que l’ouragan qui se forme, qui se charge d’une électricité furieuse prête à se muer en éclairs dévastateurs, dont les vents tourbillonnent déjà, sont étiquetés de références diverses, – crise de 1998, crise de 2008, etc., – bien qu’à notre sens, désormais, 2014 suffira, avec l’extension 2014-2015, car tout va se poursuivre, défiler, galoper en ce qui doit figurer comme la crise haute par excellence... La fin du monde ? La Fin des Temps? L’effondrement du Système ? (Un nouvel American Century, – programme du jour à l’asile des neocon ?) Toutes les étiquettes ont leur place dans les corridors de la folie du monde.
Commençons par le commencement, s’il y en a un véritablement, – mais quoi, il faut bien choisir ... Dans un texte de CounterPunch, le 16 décembre 2014, Mike Whitney décrit les grandes manœuvres des dirigeants-Système des provinces américaniste, dans leur entreprise de torpillage de la Russie via le prix du pétrole, et de sauvetage de leur hégémonie criblée des trous des escroqueries diverses et mitées des erreurs sans nombre d’un pouvoir aux abois ; avec eux, explique Whitney, les Saoudiens, exemple même d’une direction vibrante d’intelligence et d’imagination, illustration même de l’avenir brillant de la postmodernité dans sa défense des valeurs de notre superbe contre-civilisation et de la modernité soi-même via le bloc BAO, – le capitalisme-turbo, la corruption, le népotisme, – et le pétrole, certes, le pétrole ! Whitney s’appuie sur un texte de F. William Engdahl, «The Secret Stupid Saudi-US Deal on Syria», publié notamment le 24 octobre 2014 sur le site BFP (BoilingFrogsPost.net)
«US powerbrokers have put the country at risk of another financial crisis to intensify their economic war on Moscow and to move ahead with their plan to “pivot to Asia”. Here’s what’s happening: Washington has persuaded the Saudis to flood the market with oil to push down prices, decimate Russia’s economy, and reduce Moscow’s resistance to further NATO encirclement and the spreading of US military bases across Central Asia. The US-Saudi scheme has slashed oil prices by nearly a half since they hit their peak in June. The sharp decline in prices has burst the bubble in high-yield debt which has increased the turbulence in the credit markets while pushing global equities into a tailspin. Even so, the roiled markets and spreading contagion have not deterred Washington from pursuing its reckless plan, a plan which uses Riyadh’s stooge-regime to prosecute Washington’s global resource war. Here’s a brief summary from an article by F. William Engdahl titled “The Secret Stupid Saudi-US Deal on Syria”:
»“The details are emerging of a new secret and quite stupid Saudi-US deal on Syria and the so-called IS. It involves oil and gas control of the entire region and the weakening of Russia and Iran by Saudi Arabian flooding the world market with cheap oil. Details were concluded in the September meeting by US Secretary of State John Kerry and the Saudi King... [...] [..T]he kingdom of Saudi Arabia, has been flooding the market with deep discounted oil, triggering a price war within OPEC... The Saudis are targeting sales to Asia for the discounts and in particular, its major Asian customer, China where it is reportedly offering its crude for a mere $50 to $60 a barrel rather than the earlier price of around $100. That Saudi financial discounting operation in turn is by all appearance being coordinated with a US Treasury financial warfare operation, via its Office of Terrorism and Financial Intelligence, in cooperation with a handful of inside players on Wall Street who control oil derivatives trading. The result is a market panic that is gaining momentum daily. China is quite happy to buy the cheap oil, but her close allies, Russia and Iran, are being hit severely
»According to Rashid Abanmy, President of the Riyadh-based Saudi Arabia Oil Policies and Strategic Expectations Center, the dramatic price collapse is being deliberately caused by the Saudis, OPEC’s largest producer. The public reason claimed is to gain new markets in a global market of weakening oil demand. The real reason, according to Abanmy, is to put pressure on Iran on her nuclear program, and on Russia to end her support for Bashar al-Assad in Syria….More than 50% of Russian state revenue comes from its export sales of oil and gas. The US-Saudi oil price manipulation is aimed at destabilizing several strong opponents of US globalist policies. Targets include Iran and Syria, both allies of Russia in opposing a US sole Superpower. The principal target, however, is Putin’s Russia, the single greatest threat today to that Superpower hegemony...»
Dans le titre du texte de Engdahl, qui n’a jamais fait montre d’un particulier optimisme et qui est le premier à affirmer, parfois d’une façon excessive, la puissance du Système et de la direction oligarchique qu’il combat lui-même, un mot domine, écrase, illumine le reste : “stupide”... («The Secret Stupid Saudi-US Deal on Syria») Pourquoi donc “stupide” ? Ce n’est pas nous qui protesterions, nous qui citons souvent cette phrase immortelle de René Guénon, – «On dit même que le diable, quand il veut, est fort bon théologien; il est vrai, pourtant, qu’il ne peut s'empêcher de laisser échapper toujours quelque sottise, qui est comme sa signature…», – mais quoi, tout de même, nous aimerions savoir... Engdahl nous explique : «In a narrow sense, as Washington neo-conservatives see it, who controls Syria could control the Middle East. And from Syria, gateway to Asia, he will hold the key to Russia House, as well as that of China via the Silk Road.
»Religious wars have historically been the most savage of all wars and this one is no exception, especially when trillions of dollars in oil and gas revenues are at stake. Why is the secret Kerry-Abdullah deal on Syria reached on September 11 stupid? Because the brilliant tacticians in Washington and Riyadh and Doha and to an extent in Ankara are unable to look at the interconnectedness of all the dis-order and destruction they foment, to look beyond their visions of control of the oil and gas flows as the basis of their illegitimate power. They are planting the seeds of their own destruction in the end.»
John Kerry lui-même, on le sait et l’on doit s’en rappeler, a déjà plaidé en faveur de l’exceptionnalisme absolument exceptionnel de l’Amérique, en avançant qu’en Amérique tout est permis au nom du principe sacré de la liberté du monde, y compris le droit d’être “stupide” justement ... (Voir le 2 mars 2013 : «Secretary of State John Kerry offered a defense of freedom of speech, religion and thought in the United States on Tuesday telling German students that in America “you have a right to be stupid if you want to be.”») Il y a en effet quelque chose d’immensément stupide dans l’hybris des marionnettes washingtoniennes à prétendre poursuivre la voie triomphale de leur hégémonie qui prend eau de toutes parts, en s’appuyant sur la référence des films d’Hollywood et de la philosophie d’un Spielberg, en débauchant des compagnons de la stature d’un roi d’Arabie et de ses divers milliers de princes-adjoints représentant la maison des Saoud, comme avant l’on disait “la maison des Bourbons” ou “la maison des Habsbourg”, – grandeur nostalgique et décadence d’une stupidité sans fin. Mais ces gens-là, nous dit-on, sont capables d’allumer l’Incendie Final de la Fin des Temps, à l’aide d’un Zippo alimenté au brut saoudien lorsqu'il atteindra 50 cents le baril.
Et Whitney de nous expliquer obligeamment qu’ils feront tout, absolument tout, les dirigeants-Système, pour aller dans le sens qu’on décrit. Quand l’on dit tout, l’on parle également de la guerre nucléaire si nécessaire, car il s’agit de sauver l’exceptionnalisme incontestable du billet vert : «The US must achieve its objectives in Central Asia or forfeit its top-spot as the world’s only superpower. This is why US policymakers have embarked on such a risky venture. There’s simply no other way to sustain the status quo which allows the US to impose its own coercive dollar system on the world, a system in which the US exchanges paper currency produced-at-will by the Central Bank for valuable raw materials, manufactured products and hard labor. Washington is prepared to defend this extortionist petrodollar recycling system to the end, even if it means nuclear war.»
... Car c’est bien leur but : sauver in extremis et assurer à nouveau pour un siècle (The New American Century, slogan des neocon avant l’attaque de l’Irak en mars 2003), ou bien pourquoi pas un millénaire, l’hégémonie de l’exceptionnalisme qu’on sait et de son billet vert. Bon prince, Whitney nous explique la chose :
«The Saudi-led insurgency has reversed the direction of the market, put global stocks into a nosedive and triggered a panic in the credit markets. And while the financial system edges closer to a full-blown crisis every day, policymakers in Washington have remained resolutely silent on the issue, never uttering as much as a peep of protest for a Saudi policy that can only be described as a deliberate act of financial terrorism.
»Why is that? Why have Obama and Co. kept their mouths shut while oil prices have plunged, domestic industries have been demolished, and stocks have gone off a cliff? Could it be that they’re actually in cahoots with the Saudis and that it’s all a big game designed to annihilate enemies of the glorious New World Order?
»It certainly looks that way...»
Entretemps, les gens de Washington (Obama & Cie) ont tout de même daigné annoncer que des vents mauvais se lèvent. Le conseiller en chef du président pour l’économie Jason Furman constate qu’il se passe quelque chose et que l’économie US pourrait en pâtir, parce que les autres ne suivent pas le rythme triomphant de l’économie US. Ainsi l’économie US se trouve-t-elle, en termes de marine, “vent debout”. Bref, Furman ne parle absolument pas de ce qui nous préoccupe et de ce que les USA manigancent, pour constater que les USA ne sont pas l’abri de la tempête ... Au moins admet-il qu’il y a tempête, mais de la faute des autres. (Sputnik.News, le 17 décembre 2014.)
«“I certainly think that the US economy does face a challenge and a headwind from [economic] slowdowns around the world," Furman said Tuesday, emphasizing, however, that Russia is not among the leading causes of these problems. According to Furman, “places like China that are much bigger trading partners for the United States” have a larger potential in harming the US economy than Russia does.»
D’autre part et a contrario, certains disent que, à la place du plan décrit par Engdahl et repris par Whitney, on devrait plutôt y voir un plan ourdi par les Saoudiens pour pulvériser la shale industry en plein développement aux USA, et qui s’avère, du moins dans la narrative convenue, comme un concurrent terriblement impressionnant de leur propre pétrole. Cette thèse est largement répandue et soutenue dans les couloirs des institutions européennes ... Au reste, l’un n’exclut pas l’autre (le plan Arabie-USA [Plan-A] et le plan Arabie versus USA/shale indudtry [Plan-B]), puisqu’on est entre amis. Une conclusion tirée sur la possible/probable conséquence de ce plan, – version plan-A ou version plan-B, le résultat serait similaire, – est résumée par Raul Ilargi Meijer, de Automatic Earth, le 16 décembre 2014, auquel Whitney se réfère : «If [oil] prices fall any further, it would seem that most of the entire shale edifice must of necessity crumble to the ground. And that will cause an absolute earthquake in the financial world, because someone supplied the loans the whole thing leans on. An enormous amount of investors have been chasing high yield, including many institutional investors, and they’re about to get burned something bad….. if oil keeps going the way it has lately, the Fed may instead have to think about bailing out the big Wall Street banks once again.»
... Et ainsi nous voici projeté en 2008, c’est-à-dire pire qu’en 2008. WSWS.org note, le 16 décembre 2014 : «Whatever the immediate outcome of the market turmoil, there are unmistakeable signs that the extraordinary measures initiated by central banks after 2008 are losing their capacity to hold back the deepening crisis of the global economy.»
Mais 2008 ne suffit pas... Sitôt que nous abordons l’autre aspect du grand thème que nous explorons, c’est en 1998 que “nous voici projetés”... Le rouble a atteint son taux le plus bas depuis 1998, sous les attaques répétées qu’il essuie, sous la pression des spéculateurs et dans cette atmosphère dramatique et bientôt catastrophique de l’effondrement du prix du pétrole. Dans le “parti souverainiste” russe, des partisans de l’eurasisme aux ultra-nationalistes, et même chez nombre de modérés ou de “centristes” de la tendance, bref tout ce qui n’est pas atlantiste et “occidentaliste” à Moscou, on ne cesse de pester contre la directrice de la Banque Centrale et contre son équipe qui jouent parfaitement le jeu du marché, là où le rouble et la Russie sont les plus à découvert, les plus vulnérables...
Poutine lui-même n’est plus à l’abri des critiques, écrit Dimitri Orlov le 16 décembre 2014. Mais Orlov croit distinguer chez Poutine une tactique, celle du laisser-faire pour que les spéculateurs se découvrent, et alors frapper les spéculateurs ; transforme une débâcle financière qui menace, où la Russie a peu d’armes tant qu’elle joue le jeu du marché, en une bataille politique où Poutine peut se retrouver en position de force, et du coup purger l’élite russe de ses éléments incontrôlés, les oligarques du coin ...
«Some people are starting to loudly criticize Putin for his inaction; but what can he do? Ideologically, he is a statist, and has done a good job of shoring up Russian sovereignty, clawing back control of natural resources from foreign interests and curtailing foreign manipulation of Russian politics. But he is also an economic liberal who believes in market mechanisms and the free flow of capital. He can't go after the bankers on the basis of ideology alone, because what ideological differences are there? And so, once again, he is being patient, letting the bankers burn the old “wooden” ruble all the way to the ground, and their own career prospects in the process. And then he will step in and solve the ensuing political problem, as a political problem rather than as a financial one.
»This strategy carries a very substantial opportunity cost. After all, if the central bank acted on behalf of regular Russians and their employers, it could take some very impressive and effective steps. For instance, it could buy out western-held Russian debt and declare force majeur on its repayment until financial sanctions against Russia are lifted. It could drop its interest rate for specifically targeted domestic industries—those involved in import replacement. And, most obviously, it could very effectively curtail the activities of well-connected financial insiders aimed at destroying the value of the ruble. Putin said he knows who they are. I hope that they are wearing adult diapers. I wouldn't be at all surprised if they get Khodorkovskied before too long.»
Sur le cas russe, d’autres commentateurs préfèrent envisager le problème sur un plan plus large, hors des seules questions intérieures moscovites. Ils y incluent alors des éléments extérieurs aussi importants que la mise en place du grand marché euro-asiatique (le 1er janvier 2015) aussi bien que les relations de la Russie avec les pays des BRICS, et les tractations hors-dollar qui sont en train de se mettre en place, notamment entre ces pays. Sur le site du Saker-USA, Aleksei Kettunen tire de cette façon d’envisager le problème une perspective extrêmement courte, où la Russie, – surprise, surprise, – n’est pas la moins bien placée. Pour lui, si le bloc BAO ne met pas l’économie russe à genoux et ne déstabilise pas le pouvoir politique russe dans la semaine qui vient, d’ici la Noël, la Russie aura gagné ... (Saker-USA, le 17 décembre 2014.)
«The Eurasian Economic Union comes into force on January 1, 2015. Most likely at the same time the Russian ruble and foreign exchange markets will change drastically, and the Russian economy will take a distance to the dollar and the euro. Now the West is doing its best to weaken the ruble and thus destabilize the Russian economy and the political system before the end of the year. The maxima of the West is to prevent the emergence of the new economic union and closer cooperation within the BRICS. Taking into account the Christmas holidays, the West has little more than a week to succeed. [...]
»...The third factor is a combination of recent Russia-China, Russia-Iran and Russia-India megaprojects and financing from the New Development Bank NDB (formerly referred to as the BRICS Development Bank). Russian President, Government and Bank of Russia have consistently informed the market players that now is the time to concentrate on domestic markets and domestic financial resources. All this will probably mean the unlinking of Russian economy from dollar-dominated Western economy.»
Quoi qu’il en soit des opinions et des points de vue de chacun, une chose ne cesse de revenir à l’esprit, qui est que 2014 n’est pas 1998 et qu’on n’aura pas raison de la Russie, d’une façon ou l’autre, comme on en eut raison en 1998... Cela, d’ailleurs, mesure la folie dissimulée quelque part dans l’esprit des dirigeants du bloc BAO, qui conçoivent cette possibilité que l’arme de la spéculation et de la pression financières, l’arme économique et de la circulation de l’argent, – que cette arme seule puisse avoir raison d’un pays comme l’est la Russie d'aujourd’hui, c’est-à-dire d’une Russie redevenue une puissance stratégique et souveraine. De ce point de vue, la manœuvre, l’agression, le piège, – quelle que soit l’évaluation qu’on en fait, – tient en fait d’une bonne part de folie, car l’on ne met pas la Russie “dans un coin”, – car ce qui est en jeu n’est alors rien d’autre que la guerre, la vraie de vraie ...
Ainsi un commentateur remarque-t-il d’une façon assez naturelle, sinon évidente, sur WSWS.org (encore le 16 décembre 2014) : «It is very obvious that the West is trying to corner Russia, and this I'm afraid will force the Russians to retaliate at some point in the future. The prospects going forward does not look promising that is to say the least. In my view, at this point all signs points towards we either end up in a severe global recession which is now likely or worse global war.»
D’un côté, celui de la Russie, c’est une situation qui équivaudrait à celle de l’effondrement de 1998 ... Mais nous ne sommes pas en 1998, on l’a vu et on le sait, et la chaîne crisique qui emporta nombre de pays dits-“émergents” avant l’heure à la fin du XXème siècle est aujourd’hui bien différente. En 1998, elle s’arrêtait affectivement à ces pays dits-“émergents” parce que ces pays n’étaient pas encore intégrés au circuit globalisé, tant financier qu’hégémonique ; d’ailleurs, le but des “stratèges”, qui énoncent leur stratégie après que les événements qu’ils ont déclenchés sans en rien savoir précisément l’ait tracée, fut ensuite affiché : la chaîne crisique de 1998 avait pour but d’intégrer les pays exsangues qui l’avaient subie dans le circuit globalisé, celui-ci devenant ainsi encore plus hégémonique.
1998 version-2014 n’a rien à voir avec le modèle original à cet égard. La chaîne crisique qui est en route dépend d’un circuit globalisé ; aucun sas ne peut la contenir et elle sera par conséquent globale. «Financial market traders and analysts in New York said the Russian central bank move was a “last-ditch” effort to halt the currency’s decline. While Russia is in the eye of the storm, it extends across all the “emerging market economies.” It has been likened to the 1997-98 Asian financial crisis, but its implications are far more serious because the Asian economies and financial markets are now an integral part of the global financial system.» (WSWS.org, le 16 décembre 2014.)
... D’un autre côté, ce sont donc des conditions, en intensité et en gravité potentielles, qui sont proches de celles de l’automne 2008, mais avec un contexte et des influences diverses qui sont bien pires. Ce serait un 2008 version-2014 qui “n’a rien à voir avec le modèle original”, à tous égards ... On se trouve effectivement devant une équation fondée sur “1998 + 2008”, mais dont le développement est bien pire que la simple addition de 1998 et de 2008. Ce n’est pas seulement la globalisation, c’est du pur globalisme : l’addition de deux facteurs donne un résultat qui n’est pas le seul produit de cette addition mais quelque chose de différent en substance, quelque chose de tout fait nouveau dans le genre catastrophe..
Les causes de cette observation sont nombreuses, toutes plus effrayantes, pesantes, écrasantes, les unes que les autres ... En effet, les conditions géopolitiques n’ont rien à voir avec “1998 + 2008”, elles ne peuvent certainement pas être réduites à l’appréciation purement théorique de l’addition des conditions géopolitiques de 1998 et de 2008. Tout est pire à cet égard ... Les conditions géopolitiques de 2014 sont monstrueuses dans toutes les directions qu’on porte le regard. Elles sont hors de tout contrôle parce qu’elles dépendent du système de la communication qui règne en maître et en ordonnateur des événements, tandis que les directions-Système ont perdu toute capacité d’influence réelle, diplomatique ou autre, et flottent dans une sorte d’éther incertain où les seuls actes possibles sont le déclenchement de mécanismes dont nul ne sait ce qu’ils vont donner (le cas du pétrole, de la politique des sanctions antirusses, etc.). Les conditions psychologiques sont sans équivalent avec celles de 1998 et de 2008, et peut-être même sans équivalent avec aucun autre temps qui a précédé pour ce qui est de l’angoisse et de l’incertitude de l’avenir, ce qui implique la possibilité de réactions absolument incontrôlables, allant de la panique à la résolution de tenter le tout pour le tout. On comprend alors que ce “tout pour le tout” se transcrit aisément, comme dicton d’époque, en “tout pour le pire”..
Nous écrivions plus haut, en tête de cette analyse, “Pourquoi le désordre global, lui aussi, ne deviendrait-il pas hyper-désordre global ?... Et observer cela n’a pas nécessairement pour effet, de notre fait dans tous les cas, d’alimenter le sens de la peur et de l’angoisse se transformant en panique.” Depuis que nous utilisons cette expression, l’on sait bien que, pour nous, “hyper-désordre” peut et doit figurer une évolution spécifique dont on peut et dont on doit aller jusqu’à affirmer qu’elle implique un sens complètement antiSystème.
Nous avons déjà tenté de définir ce que nous entendons par “hyper-désordre”. Une remarque concernant l’Arabie Saoudite, le 7 octobre 2014, peut parfaitement convenir pour la situation présente, en remplaçant “Arabie” par “manipulation spéculative” (du prix du pétrole et ce qui va avec), ou dans tous les cas ce qui en fait office dans les esprits (importance de la perception à cet égard pour les psychologies) : «Nous raisonnons définitivement à front renversé, dans ce monde orwellien qui a complètement dépassé Orwell, parce que nous raisonnons absolument selon des normes et des conceptions antiSystème. Aujourd’hui, songeant précisément au destin de [la manipulation spéculative] tel qu'on l'envisage, on ne peut écarter cette possibilité absolument paradoxale qu’un désordre supplémentaire marquerait peut-être un certain retour à l’ordre. Il pourrait s’agir d’un de ces points ultimes où le Système au bout de sa production de surpuissance atteint à son domaine décisif d’autodestruction. C’est avec le sort de [cette manipulation spéculative] que la crise [du Système] atteint un point décisif où elle pourrait enfin acquérir une importance effective, une importance utile, c’est-à-dire s’opérationnalisant en l’accélérant dans le processus de la crise d’effondrement du Système. Par des ramifications évidentes, notamment au niveau de l’énergie, elle rejoindrait en importance la crise ukrainienne et s’ajouterait à elle pour former effectivement un nœud crisique capable d’ébranler le Système.»
Parlant par ailleurs (le 9 novembre 2014) de cette “multipolarité” qui serait en train de se former et à laquelle nous préférons l’appellation d’“apolarité” ou d’“antipolarité” que nous avons développée et tentée d’expliciter dans plusieurs textes (voir le 10 novembre 2013, le 16 novembre 2013 et le 11 janvier 2014), nous équivalions cette situation au concept d’“hyper-désordre” que nous définissions plus avant de la sorte : «Il s’agit d’un concept de “mise en ordre” de ce qui est une situation générale de désordre qui tend à devenir un concept sous l’expression d’“hyper-désordre” ... [...] Il s’agit bien entendu de concept paradoxaux, – nous parlons pour l’“antipolarité” d’une “‘mise en ordre’ du désordre”, – dans la mesure où tous ces concepts sont des réactions de résistance de type antiSystème non organisées ni voulues par les opérateurs-“sapiens”, à la tentative postmoderniste d’instaurer un ordre globalisant lui-même paradoxal. (Cet “ordre” globalisant est d’abord une systématisation de la déstructuration et de la dissolution de toutes les formes et de tous les principes, – donc, pour nous, une tentative absolue d’instauration de pur désordre dont le but ultime est l’entropisation selon la formule dd&e.)
»L’hyper-désordre qui est en train de détruire cette tentative d’“ordre” postmoderne qui est en vérité un pur désordre, est donc paradoxalement une poussée dont le sens antiSystème pourrait être jugé effectivement à finalité de “remise en ordre”. Même si les moyens sont totalement anarchiques et d’hyper-désordre, le sens, involontairement ou volontairement antiSystème c’est selon, est bien décrit selon cette orientation de la remise en ordre par le simple fait de la destruction du désordre que sème le Système, dans ce cas au travers de sa philosophie postmoderniste dont la pseudo-essence a été précédée par sa pseudo-existence. Au simulacre d’une fausse philosophie s’est ajoutée l’inversion de son opérationnalisation.»
Nous ne cessons de le répéter à chaque fois que se présente l’occasion d’une réflexion sur les USA, cela au moins depuis la fin de la Guerre froide et de ce que William Pfaff désignait en 1992 comme “une crise d’identité” des USA : l’Amérique ne cédera jamais, elle n’acceptera jamais de partager son leadership, d’abdiquer son hégémonie, parce que la constitution même de ce pays, l’essence de cette nation si elle était une nation et si elle avait une essence, est d’être ce qu’elle crut être dès l’origine et qu’elle ne cessa jamais de croire, et qu’elle ne pourra jamais cesser de croire : la seule et unique, l’avenir du monde à elle seule, et cet avenir déjà présent dans notre contemporanéité, et nécessairement l’hégémonie faite nation ... Mais l’Amérique n’est pas (n’a jamais été) une nation et elle n’est plus hégémonique ? Qu’importe, elle ira jusqu’au bout derrière cette chimère et préférera mourir plutôt que reconnaître qu’il s’agit d’une chimère ... (Et toujours doivent résonner en nous ces terribles paroles de Lincoln, de 1838 : «Si la destruction devait un jour nous atteindre, nous devrions en être nous-mêmes les premiers et les ultimes artisans. En tant que nation d’hommes libres, nous devons éternellement survivre, ou mourir en nous suicidant.» [Voir le 21 mars 2014.])
L’Europe, elle, est figée dans son impuissance qu’elle a baptisée “postmodernité”. Notre propos n’est pas de penser qu’elle est une vassale de l’Amérique, parce que l’Amérique serait plutôt un boulet qui l’entraîne par le fond, mais bien de juger que l’Europe ne bouge plus, n’agit plus, ne se manifeste plus comme une ontologie historique en vérité, simplement par crainte de lire dans l’histoire qu’elle serait amenée à faire l’inexistence d’elle-même qu’elle est parvenue à construire, comme un coup de chiffon efface une inscription trompeuse à la craie sur un tableau noir que plus personne ne regarde. Ainsi va le bloc BAO, formé d’un suicidaire et d’un non-être, et croyant disposer d’une puissance qui défie l’histoire alors qu’il n’est, le bloc, que le porte-flingue, le faire-valoir du Système.
Tout le reste va de soit. Le Système laissé à lui-même ne fait que ce pour quoi il est fait : déchaîner sa surpuissance dans le processus qui enfante nécessairement la tentative dite-dd&e. C’est dans ces conditions qu’il faut replacer l’enchaînement des événements, et accepter évidemment l’épithète de “stupide” que Engdhal a utilisé pour décrire la soi-disant collusion USA-Arabie, et qui va à ravir, nécessairement, au Système. Effectivement, de tout cela peut naître l’hyper-désordre et seul l’hyper-désordre peut nous sauver d’une catastrophe extrêmement réelle et sans retour, qui découlerait de l’organisation humaine... Finalement, comme nous l’observons évidemment, nous sommes bien partis pour aller à sa rencontre, – lui, l’hyper-désordre, – et le retourner contre le Système. “Faire aïkido”, quoi.
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