Notes sur les poupées russes

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Notes sur les poupées russes

24 décembre 2013 – Nous ne savions pas par quoi commencer cette analyse sur “les poupées russes” (les vraies, hein, pas celles du cinéma français globalisé et mis à la sauce-Système de la pensée courte qui va avec). L’expression fameuse illustre, dans notre cas, l’empilement des succès russes et des réactions furieuses, impuissantes, vitupérantes, ivres d’anathèmes, du bloc BAO devant cette dynamique.

Finalement, nous commençons simplement par le rappel de ce qui, à notre sens, est la source de tout dans le contexte que nous décrivons, qui est l’espèce de “libération”, par la conceptualisation de la situation “Système versus antiSystème”, qu’a constitué le discours de Poutine devant la Douma le 12 décembre. Ce discours a réalisé une mise en lumière et une identification des véritables adversaires qui évoluent dans la crise de l’effondrement du Système. Dans ce discours, qu’il l’ait voulu ou non peu importe, Poutine accepte finalement d’assumer pleinement le parti qu’il mène depuis quelques années sans trop oser dire son nom. Il s’agit de la mise en œuvre symbolique de ce que nous nommons “conservatisme antiSystème” ou “néoconservatisme-poutinien” par opposition directe et frontale, – vérité principielle contre son inversion, – au “néoconservatisme-neocon”. (Voir le 18 décembre 2013.)

Cela acquis nous allons observer, d’une part 1) quelques conséquences opérationnelles de plus, du côté russe, de cette même dynamique initiée par la Russie ; et 2) les effets de la prise de conscience très rapide dans le bloc BAO de cette dynamique initiée par la Russie (encore plus que “par Poutine” car les enjeux engagent les nations, les entités, les conceptions collectives, bien plus que les individus qui ne font que les traduire et les opérationnaliser). Dans le premier cas, sur lequel nous enchaînons directement, il s’agit de donner quelques exemples les plus divers possibles d’actions russes très récentes.

Poutine et l’Ukraine

Un premier point de vue est l’affaire ukrainienne. Après le tohu bohu des trois dernières semaines, l’essentiel s’est donc passé la semaine dernière à Moscou, entre les deux présidents russe et ukrainien... Depuis, la crise ukrainienne et les tentatives type “Révolution orange n°2” semblent avoir perdu de leur attrait pour nos vigilants commentateurs-Système.

Le commentateur indien M.K. Bhadrakumar décrit l’opération russe (sur Indian PunchLine, du 18 décembre 2013), en insistant principalement, et avec les meilleures raisons du monde, sur les réactions, – ou plutôt, l’absence de réaction du bloc BAO. En un mot, nous dit Bhadrakumar, le bloc BAO en est resté comme deux ronds de flanc …

Pour Bhadrakumar, Poutine a réussi là l’une de ses meilleures opérations de politique étrangère de l’après-Guerre froide : «Russia may have made its most significant foreign-policy gain in the entire post-cold war era when the Kremlin decisively moved in on Tuesday to offer a rescue package for the beleagured Ukrainian economy and may have taken a leap forward in leading that country into the Eurasian Union, which Moscow is planning as the umbrella organization bringing together the former Soviet republics.

»This is undoubtedly one of President Vladimir Putin’s finest hours in the Kremlin. The point is, if Ukraine moves into the Western orbit, Russia falls back on its back foot in strategic terms; without Ukraine Eurasian Union remains grossly inadequate; with Ukraine the Eurasian Union all but restores the Soviet Union in politico-economic terms. Unsurprisingly, the West is aghast, and the mood of the cold warriors can’t be uglier than this. Russia is beating the West at its own game of cheque book diplomacy. No need for Russian tanks to roll into the streets of Kiev as in 1956 in Budapest.

»The European Union foreign ministers have unceremoniously come down from the high pedestal from where they preached to Ukraine on the virtues of human rights record and western liberal democracy and pleaded it is prepared to sign an Association at a special summit this very week if only President Yanukovich is willing. But it seems a case of too little too late. Washington too is left mumbling for words, not knowing what to say. All that the West is left with now are the protestors from western regions of Ukraine on the Kiev city square. Can the CIA push a color revolution through? This remains the only ray of hope.

»The poignancy lies in this that neither the US nor the EU has any money (or the political will to find the money) to help ease Ukraine’s staggering debt burden. Whereas, Russia is offering financial support of $15 billion and the slashing of the price of natural gas sold to Ukraine by one-third and adjusting the outstanding debt of $2 billion that Kiev owes to Gazprom for past transactions.»

La libération de Mikhaïl Khodorkovski

Reportons-nous à un autre épisode, encore plus récent, qui est la libération de Mikhaïl Khodorkovski. L’opération, conjointement avec une amnistie accordée aux Pussy Riot et aux personnes emprisonnées dans l’opération Greenpeace en Artique, s’est déroulée à la satisfaction des Russes et selon une tactique de relations publiques habile. (Les Russes apprennent vite des maîtres en RP du bloc BAO.) Malgré la narrative droitdel'hommiste grotesque montée autour de lui, Khodorkovski reste un personnage de milliardaire interlope, dont l’état réel de “capitaliste sauvage” ayant commis de nombreuses malversations a été reconnu par la Cour Européenne des droits de l’homme. L’écho rencontré par cette libération de Khodorkovski en fonction de ce qu’est le personnage réduit l’écho des autres libérations et fragilise à mesure l’argument classique de la mise en accusation “morale” du régime, – savoir, que ces libérations constitueraient une preuve de faiblesse et appelleraient d’autres libérations, surtout qu’elles mettraient en évidence son caractère oppressif.

Cette logique invertie, – les actes posés confirment le contraire de ce qu’ils signifient, – est générale dans la presse-Système antirusse, une sorte de classique dans l’inversion. (On trouve cette logique exprimée dans cet remarque “en passant” du commentateur Nick Cohen de The Observer [voir plus loin, plus en détails] : «At home, his control over the state and civil society is so complete that he can afford to play the merciful tsar and release dissidents and his former rival Mikhail Khodorkovsky», – autrement dit, cette mesure libérale est une preuve indubitable que Poutine est un autocrate absolu.) Cette fois, l’emploi de cet argument n’a pas l’efficacité habituelle, toujours grâce au personnage de Khodorkovski qui domine la séquence.

Le rôle de Hans-Dietrich Genscher

Les retombées polémiques étant minimisées contre l’avantage du geste posé, l’essentiel de la démarche revient à la signification de la libération de Khodorkovski qui constituerait cet “avantage”. L’événement est diversement apprécié du point des avantages et des inconvénients pour Poutine, mais ses inconvénients sont de toutes les façons limités par la personnalité de Khodorkovski, avec ses diverses casseroles de capitaliste sans foi ni loi.

Finalement, l’opération s’annonce plutôt avantageuse, d’abord parce que Khodorkovski ne semble pas devoir être utilisé par l’opposition à Poutine à cause de l’annonce qu’il ne prévoit pas de faire de politique. Surtout, l’opération s’annonce avantageuse pour les relations de la Russie avec l’Allemagne, puisque l’Allemagne a joué un rôle central dans cette libération, essentiellement par l’intermédiaire de l’ancien ministre des affaires étrangères Hans-Dietrich Genscher de 1974 à 1992.

... D’où ces observations, dans Russia Today, le 20 décembre 2013 : «Germany’s government has issued a statement saying that Chancellor Angela Merkel has welcomed Khodorkovsky’s release. Former FM Genscher described the move as “significant and very encouraging”. The statement issued by Genscher's spokesperson revealed the joint efforts of both the former FM and Chancellor Angela Merkel aimed at securing the release of Khodorkovsky. Genscher had met Putin in person twice to talk about Khodorkovsky and Markel “has repeatedly lobbied the Russian president for Mr Khodorkovsky's release” over the last few years, the official statement said.»

Et surtout ce dialogue extrait d’une interview d’Alexander Rahr, analyste politique qui conseilla Genscher dans cette affaire et servit même d’interprète entre Genscher et Khodorkovski (le premier étant venu accueillir le second après sa libération à l’aéroport de Berlin). (Voir encore Russia Today, le 21 décembre 2013) :

Russia Today : «Do you think that Genscher’s involvement was somehow influential to the resolution of this issue?»

Alexander Rahr : «I think that Genscher’s role was key in the release of Khodorkovsky. Without Genscher playing this role, Khodorkovsky might not have been released. I would go so far and say it because Genscher really worked hard, meeting with Putin, meeting with other Russian officials in a very soft manner. And he was also accepted in this role by Khodorkovsky, who knew him from previous years when Khodorkovsky came to the German Council on Foreign Relations. And also because Genscher has so much trust in Russia and in Germany. He’s very close to Angela Merkel.

»He was, of course, very close to Westerwelle. He could use the Ministry of Foreign Affairs for his tasks and also other German ministries. And, of course, the Russian elite very well remember his very positive role in the reunification of Germany after the fall of the [Berlin] Wall, whole support for Russia, which was given to Gorbachev and Yeltsin in the beginning of the 1990s.» [...]

Russia Today : «What meaning does the release of Khodorkovsky has for relations between Russia and Germany?»

Alexander Rahr : «He was a stumbling block in the relations. The Khodorkovsky matter came up at all negotiations all the time between politicians, but also in the civil dialogue, which happened between Germany and Russia.

»The Khodorkovsky release takes away a very problematic point from the agenda. Since the German government said recently that it wants a reset in the relations with Russia or at least an attempt for a reset in the relations with Moscow. Now this gesture, which followed – the release of Khodorkovsky – may have been a positive response to a positive gesture by the Germans, now from the Russians.»

On découvre donc à cette occasion de la mise en évidence de l’importance du rôle de Genscher dans l’affaire Khodorkovski, le rôle joué par Genscher dans la politique allemande, sa proximité de Merkel et l’influence qu’il exerce sur elle. Genscher étant ce qu’il est et ce qu’il fut (un partisan d’une affirmation allemande marquée, y compris avec une réaffirmation de souveraineté), on peut admettre que son influence auprès de Merkel qui doit être aujourd’hui au zénith après la réussite de l’affaire va dans le sens d’une affirmation allemande passant par un distanciement notable des USA (NSA oblige) et, par voie de conséquence politique naturelle dans ce contexte qu’on décrit, un rapprochement de la Russie. Là pourrait se trouver le véritable intérêt de l’affaire Khodorkovski, qui renforce et complète (en ajoutant l’élément des relations avec la Russie) l’idée exprimée le 20 décembre 2013 d’une “Allemagne-2014”.

Le rire de Poutine

Il faut aussi noter une évolution dans le comportement des dirigeants russes, qui concerne une psychologie de plus en plus libérée des complexes russes vis-à-vis de l’Occident et du bloc BAO, ces complexes russes hérités de la Guerre froide et de l’immédiat après-Guerre froide. Cela se remarque beaucoup plus dans certains détails, ou certains instants de libération du langage qu’on ne cherche même plus à dissimuler, au milieu d’un discours général que les Russes continuent à contrôler dans le sens de la mesure.

• Voir et écouter par exemple Poutine répondant à une question d’un journaliste sur l’argument grotesque et otanien à la fois des antimissiles (BMDE) déployés en Europe, à la frontière de la Russie, pour s’opposer aux terribles forces balistiques intercontinentales de l’Iran (voir la séquence sur YouTube). La séquence dure 1 minute 20, la question prend 5 secondes, la réponse de Poutine le reste, mais elle commence par 15 à 20 secondes d’un rire franc et massif de dérision pour l’argument exposé, ponctué par un “vous m’avez bien fait rire, cela détend après une journée de travail” (devant la mine ébahie du journaliste). La même attitude de Poutine se retrouve dans sa conférence de presse-mammouth devant plus d’un millier de journalistes du 18 décembre 2013. Répondant à une question sur l’espionnage de la NSA, – qu’il ne condamne pas par ailleurs, en bon ancien analyste du KGB (il rappelle à cette occasion son expérience), – il commence par une remarque assez leste, que l’on ne dut guère apprécier dans les milieux concernés, sur l’impunité grossière dont disposent les USA dans toutes leurs activités subversives. (Cette remarque à l’emporte-pièce est bien de la dérision pure sur le comportement US, qui concerne effectivement l’absence de conséquence juridique et personnelle des personnes concernées, l’observation de “l’absence de conséquences” ne portant nullement sur la situation diplomatique, – voir l’évolution de l’Allemagne, celle du Brésil.) D’après Russia Today le 18 décembre 2013 :

«“I envy Obama because he can spy on his allies without any consequences,” said Putin when asked about how his relations had changed with the US following Snowden’s espionage revelations...»

• On notera également une observation de Lavrov, parlant lui aussi des activités de la NSA, et avançant la comparaison du comportement de l’agence tel que la crise Snowden/NSA le met en évidence avec les pratiques du NKVD de Staline dans sa période la plus terrible, – la “Grande Terreur”, ou Iéjovtchina des années 1937-1939. Cette simple analogie par son poids de référence à une période d’une extrême violence et d’une oppression politique extraordinaire, c’est l'attaque la plus spectaculaire lancée contre la NSA par un haut dirigeant russe, et une attaque agressive, débarrassée de toute précaution diplomatique, montrant justement cette libération psychologique des dirigeants russes vis-à-vis de leurs “partenaires“ et “amis” du bloc BAO... (Russia Today, le 18 décembre 2013.)

«Russia’s Foreign Minister has compared the way NSA obtains permission for its surveillance with the way Soviet people received sentences in Stalin-era courts. Sergey Lavrov said the judicial entities which gave permission for NSA surveillance reminded him of “troikas,” or extrajudicial bodies that existed in the Soviet Union during the Great Purge of 1937-38. They consisted of only three people who passed sentences very quickly, based on very scanty evidence. "Without any control, they just dropped their signatures on inquiries the NSA representatives brought them,” Lavrov said, while speaking Wednesday at Russia’s upper house of parliament, the Federation Council, Interfax reported.

»Sergey Lavrov has spoken of the NSA activity as of “unlimited and uncontrolled” intervention into private lives. “It is necessary to draw a distinctive borderline between what law enforcement agencies really need for carrying out their work, for protecting citizens, and what appears to be intrusion into private life without any limits and control. And it’s exactly the latter, as far as I understand, which took place in the case with the American NSA,” Lavrov said.»

Fureur et évolution de la psychologie

Nous tenions à mettre en évidence ces instants révélateurs, disons ces “petits faits” psychologique, en nous référant à l’expression de Stendhal, qui mesurent la réalité d’une évolution profonde, psychologique également bien sûr, cette “psychologie de plus en plus libérée des complexes russes vis-à-vis de l’Occident et du bloc BAO, ces complexes russes hérités de la Guerre froide et de l’immédiat après-Guerre froide”. C’est un facteur révélateur d’une évolution importante de la situation de la Russie dans le sens de l’affirmation d’une maîtrise nouvelle, et, surtout, d’une sorte de légitimité à la fois de sa position, de sa politique et de sa critique globale de la politique générale du bloc BAO.

Pour le reste, qui est une partie essentielle de l’analyse, nous avançons l’hypothèse que le discours de Poutine (voir le 18 décembre 2013), qui acte l’“idéologisation de l’État” selon Fédor Loukianov, et qui est plutôt, selon nous, une mis en forme conceptuelle d’une perception principielle du monde, constitue un symbole d’une puissance extrême, qui entérine en un moment d’une très grande intensité l’évolution russe de ces trois dernières années, face au déchaînement surpuissance-autodestruction de l’“Ouest” devenue bloc BAO. Ce symbole et le concept qu’il recouvre constituent ainsi une étape capitale, moins dans l’évolution de la Russie d’ailleurs que, par des conséquences indirectes, dans l’évolution du Système. Cela nous conduit à enchaîner directement sur le deuxième point signalé plus haut (“les effets et la conscience naissante et très rapide dans le bloc BAO de cette dynamique initiée par la Russie”) : il s’agit de la fureur apocalyptique du bloc BAO, des élites-Système, bref et puissamment dit, – du Système lui-même.

La russophobie en frustration-turbo

Ainsi doit-on juger remarquable le texte de Nick Cohen (déjà cité plus haut), dans The Observer (The Guardian) du 22 décembre 2013. L’article n’est pas pessimiste, il est en un sens apocalyptique, présentant l’année 2013 comme celle du triomphe du Diable incarné, de ce Poutine qui ne cesse de prendre “l’Ouest” à contrepied («Vladimir Putin is outflanking the west at every turn»). En ce sens, l’article de Cohen exprime aussi bien la rage et la frustration du Guardian, symbole même pour ce cas de la russophobie à la fois viscérale et représentative de la position du Système des élites du bloc BAO. (L’ubiquité du Guardian, qui a assuré un relais puissant et efficace de la crise Snowden/NSA et qui constitue le meilleur relais antirusse du Système, illustre d’ailleurs assez bien le désordre des options politiques que les élites-Système les plus sophistiquées développent simultanément sans en mesurer les effets contradictoires : si le Guardian ne nous avait pas servi Snowden sur un plateau, il n’aurait pas donné l’occasion à Poutine-Lavrov d’expérimenter une telle libération psychologique par rapport à la pression étouffante de la vertu occidentale héritée de la période de la Guerre froide et de l’immédiat après-Guerre froide.)

Plus que tout, Nick Cohen a bien vu l’aspect “internationaliste” qu’implique la posture du néoconservatisme-poutinien (et il ne manque pas de citer Pat Buchanan [voir le 18 décembre 2013], dont le texte référencé constitue effectivement un signal de ralliement de type “conservateurs/paléoconservateurs de tous les pays, unissez-vous”) : «This has been the year of Vladimir Putin's ascendancy... [...] Forbes magazine was not making a mistake when it called Putin the world's most powerful person in 2013. However, the Centre for Strategic Communications, a thinktank for the Kremlin's pet intellectuals, assessed his power more precisely last week when it acclaimed him “world conservatism's new leader”... [...] Putin is giving every sign that he wants Orthodox Russia to repel the satanic west again... [...] In his state-of-the-nation address last week, Putin sounded like the most slavophile of patriarchs when he derided the liberal west as “genderless and infertile” and promised he would fight the western elite's “destruction of traditional values from the top”.

»If you think that makes him sound like a Christian Coalition or Muslim Brotherhood cleric, well that thought has struck others too. The leathery old American conservative “Pat” Buchanan, who has been involved in every foul movement on the American right since Richard Nixon's day, knows a potential collaborator when he sees one. Putin could be the leader of “conservatives and traditionalists in every country”, he said, and lead the fight against the “militant secularism of a multicultural and transnational elite”...

L’“Internationale [néo]conservatrice”

Nick Cohen cite dans son texte un collaborateur de Radio Free Europe/Radio Liberty, le Britannique Brian Whitmore, le 19 décembre 2013. Là aussi, mais en plus accentué, sont repris les traits d’une description de la résurgence d’une nouvelle “internationale” dont tout dans le charabia employé indique qu’elle renvoie à la période désormais hyper-diabolisée du communisme du XXe siècle.

«Vladimir Putin is calling on the conservatives of the world to unite – behind him. The Kremlin leader's full-throated defense of Russia's “traditional values” and his derision of the West's “genderless and infertile” liberalism in his annual state-of-the-nation address last week was just the latest example of Putin attempting to place himself at the vanguard of a new “Conservative International.” [...]

»And just days before Putin's address, the Center for Strategic Communications, an influential Kremlin-connected think tank, held a press conference in Moscow to announce its latest report. The title: “Putin: World Conservatism's New Leader.” According to excerpts from the report cited in the media, most people yearn for stability and security, favor traditional family values over feminism and gay rights, and prefer nation-based states rather than multicultural melting pots. Putin, the report says, stands for these values while “ideological populism of the left” in the West “is dividing society.” “Against the backdrop of a difficult economic situation, people are becoming more prudent," Dmitry Abzalov of the Center for Strategic Communications said at the news conference. “It is important for most people to preserve their way of life, their lifestyle, their traditions. So they tend toward conservatism. This is normal.” This, Abzalov added, represented “a global trend.”

»The Kremlin apparently believes it has found the ultimate wedge issue to unite its supporters and divide its opponents, both in Russia and the West, and garner support in the developing world. They seem to believe they have found the ideology that will return Russia to its rightful place as a great power with a messianic mission and the ability to win hearts and minds globally. As the West becomes increasingly multicultural, less patriarchal and traditional, and more open to gay rights, Russia will be a lodestone for the multitudes who oppose this trajectory. Just as the Communist International, or Comintern, and what Soviet ideologists called the “correlation of forces” sought to unite progressive elements around the globe behind Moscow, the world's traditionalists will now line up behind Putin... [...]

»“It is a mistake to believe that Putin wants to lower a new Iron Curtain, build a new Berlin Wall and pursue a policy of isolationism,” [political analyst Aleksandr] Morozov wrote in Colta.ru. “On the contrary, Putin is creating a new Comintern. This is not isolationism, but rather the maximum Putinization of the world. The Comintern was a complex system that worked with ideologically sympathetic intellectuals and politicians. What we are seeing now is not an attempt to restore the past, but the creation of an entirely new hegemony.”»

Le rôle de la Russie

Les attaques contre Poutine et la Russie venant de ces milieux libéraux, globalistes, multiculturels, etc., sont à la fois étranges et logiques, pleins de contradictions historiques et pleins de la juste reconnaissance que Poutine est le dirigeant nécessairement le plus antiSystème qui soit. Elles marquent plus le désarroi où l’offensive du néoconservatisme-poutinien les met, qu’elles ne leur inspirent une stratégie de défense dans un paysage-Système dévasté (il faut lire les appréciations furieuses et méprisantes de Cohen à l’encontre de la passivité et de la faiblesse d’un Obama). Elles mesurent l’avancée du phénomène surpuissance-autodestruction, car Dieu sait si le Système a fait étalage de sa surpuissance notamment antirusse au moins depuis la fin de la Guerre froide, et Dieu sait si les résultats obtenus montrent une déstructuration et une dissolution accélérées des positions et des convictions psychologiques asservies au Système...

“C’est un facteur révélateur d’une évolution importante de la situation de la Russie dans le sens de l’affirmation d’une maîtrise nouvelle, et, surtout, d’une sorte de légitimité à la fois de sa position, de sa politique et de sa critique globale de la politique générale du bloc BAO”, écrivons-nous plus haut à propos de ce que nous percevons de l’évolution psychologique des dirigeants russes. En ce sens, la posture et l’évolution actuelle de la Russie est évidemment absolument antiSystème, et elle est de plus en plus structurellement antiSystème. Pour autant et encore une fois, – nous ne cessons de répéter cela à chaque occasion, – cela ne signifie absolument pas que la Russie est une alternative, ni même qu’elle est en-dehors du Système. (L’évidence, selon nous, ne cesse de le proclamer : aujourd’hui d’une façon voyante et furieuse, comme hier d’une façon moins évidente dans la période du dernier demi-siècle, nul ne peut être en-dehors du Système et c’est pourquoi nous ne cessons d’affirmer qu’“on ne peut vaincre le Système si l’on n’est pas le Système soi-même” [voir le 18 décembre 2013]. Cela revient effectivement à dire que seul le Système peut se détruire [s’autodétruite] ; il s’y emploie avec zèle.)

Le rôle métahistorique de Poutine et de la Russie n’est donc évidemment pas de tenter de détruire le Système (ils ne le peuvent en aucune manière puisque, comme on a vu, ils en font partie et ne peuvent prétendre à sa surpuissance), c’est de façon très différente de susciter sa fureur et son désarroi pour l’inciter, le Système, à développer encore plus sa surpuissance. Il n’est pas nécessaire que Poutine et la Russie soient conscients de cette stratégie puisque cette stratégie se développe d’elle-même, qu’elle est naturelle à la dynamique générale du Système qui ne répond certainement pas, ni à des consignes humaines, ni à une volonté humaine. Simplement, on observera en jugeant cela comme une occurrence plutôt logique et vertueuse, du côté de notre jugement principiel des choses, que la Russie est, dans ce cas, dans son rôle historique et métahistorique incontestable. (Ce rôle que Nick Cohen dénonce avec fureur en croyant fournir l’argument final de la condamnation de la Russie, – ce qui est juste dans sa logique invertie, – lorsqu’il écrit de sa plume rageuse : «To true believers, the “Third Rome” of Christian tsarism defended the divinely ordained old order against the threats of liberalism, socialism, nationalism and modernity.»)

Le Système, de plus en plus fort...

Ce que nous montre cette situation, c’est la preuve une fois de plus développée du lien indissoluble que l’équation surpuissance-autodestruction impose. La surpuissance sans cesse en augmentation du Système n’est pas un gage de puissance selon l’entendement humain de la chose mais une opérationnalisation de son impuissance selon l’effet cosmique de la chose : plus le Système active sa surpuissance, plus il active le désordre en général, à l’extérieur certes, – mais “l’extérieur” de quoi puisque le Système est notre Tout aujourd’hui ? Et ainsi, le désordre s’étendant, se tordant, revenant sur lui-même et vers sa source principale sans rencontrer d’obstacles puisque le Système est partout chez lui ; désordre qui, à force de se développer de la sorte, frappe de plus en plus, en retour, le cœur du Système lui-même. (Le cas Snowden, enfant révolté de la surpuissance de la NSA, – peut-on rêver meilleur blowback autodestructeur de la surpuissance ? Mais aussi l’évolution russe : si le bloc BAO avait agi avec raison, respectant ses engagements de non-extension de l’OTAN en 1992, s’abstenant de ses menées subversives de désordre comme les “révolutions de couleur”, s’abstenant des aventures libyenne et syrienne, bref tout ce que produit vainement sa surpuissance pour parvenir à son impuissance, où croit-on que serait la Russie sinon en fidèle complément-Système du bloc BAO, sinon intégrée dans le bloc BAO ?)

Ainsi, plus le Système exprime sa surpuissance, plus il active son autodestruction... Ainsi soit-il, – et qui dit avec découragement “voyez, le Système est de plus en plus fort”, celui-là nous dit simplement : “Voyez, le Système alimente de plus en plus son autodestruction”.

Ainsi soit-il, bis repetita placent ...