Il n'y a pas de commentaires associés a cet article. Vous pouvez réagir.
1532Un thème désormais important, voire dominant de la vie politicienne à Washington, c’est celui de l’“obstructionnisme”, voire du nihilisme du parti républicain. (Voir notre Bloc-Notes du 28 juillet 2009.) Ce dernier jugement est caractéristique de l’affaire Van Jones, telle que nous l’avons présentée le 8 septembre 2009.
Le cas est si général, si répandu, si intimement marié par ailleurs aux méthodes de communication dont la matière domine toute la vie politique, qu’on peut parler désormais d’une “vie politique” plus que d’une “vie politicienne” dominée par cet état d’esprit. La matière n’est plus seulement marginale, anecdotique, polémique, etc. La question qu’on peut poser est de savoir si la matière ne devient pas substance de la vie politique elle-même (le qualificatif “politique” est impératif, dans ce cas), de l’américanisme.
C’est le point de départ de cette réflexion. On verra qu’on atteindra très vite un autre champ de spéculation, qui est l’effet sur l’équilibre du régime dans l’hypothèse où cette évolution devient substance de la vie politique washingtonienne.
La question que nous abordions encore récemment à la lumière des réflexions de Harlan K. Ullman, de savoir qui l’emporterait dans l’affrontement entre la “politique de l’idéologie et de l’instinct” et la “politique de la raison” censément être promue par le président Obama nous semble tranchée. (Les choses vont vite.)
Certes, la “politique de la raison” a été vaincue, mais ce n’est pas pour autant la victoire de la “politique de l’idéologie et de l’instinct”. Quelque chose d’autre a émergé de cet affrontement, hors de cet affrontement si l’on veut, à un point et à une vitesse telles que nous dirions que cet affrontement n’a pas eu le temps d’avoir lieu. Lorsque Ullman posait la question, déjà la question était tranchée par une autre matière qui était en train de se former, sinon déjà en place. Certes, les choses vont vite et nous avons du mal à les réaliser… Ullman ne faisait pas une mauvaise analyse, il faisait une analyse dont les effets dépassaient déjà les termes choisis pour la faire.
L’évidence de cette situation en si rapide changement, c’est que les partisans de la “politique de l’idéologie et de l’instinct”, notamment les neocons qui en sont les archétypes, sont eux-mêmes complètement dépassés, inefficaces, comme “passés de mode”. Nous l’observions hier dans le cadre de notre réflexion sur George F. Will et l’Afghanistan.
Car le paradoxe de cette évolution extrêmement rapide, en effet, c’est que George W. Bush, le promoteur de cette “politique de l’idéologie et de l’instinct”, est lui-même dépassé. Son legs est en train d’être mis en cause, menacé d’être pulvérisé à la mesure de la situation chaotique qui est en train de caractériser de plus en plus précisément la guerre en Afghanistan, relancée par Obama. La guerre en Afghanistan fait partie de la “politique de l’idéologie et de l’instinct”, elle en est le fleuron de sa survivance – et voyez l’état où elle se trouve.
La guerre divise l’administration même qui est censée la prolonger et la relancer, au point où certains n’hésitent pas à dire qu’un James Jones (directeur un NSC) pourrait, dans certaines circonstances extrêmes de la crise afghane qui ne sont pas du tout impossibles, songer à sa démission. Ce serait une catastrophe pour l’administration Obama et accélérait la crise afghane de Washington.
Les républicains triomphent-ils? Ce n’est pas sûr du tout. Eux-mêmes, placés devant ces péripéties qui affectent bien plus que l’administration Obama, qui menacent la situation politique générale à Washington, sont brusquement placés devant des incertitudes graves qui pourraient dépasser leur seul souci de mettre Obama en difficultés. L’affaire de la volte-face de George F. Will sur l'Afghanistan les affecte considérablement. Elle traduit un malaise au cœur du mouvement conservateur, dont les républicains font évidemment partie. Ce qui était au départ l’obstructionnisme du parti républicain, qui tend à devenir du nihilisme, tend parallèlement à échapper au contrôle complet du parti.
A ce point, nous sommes conduits à observer une modification de la situation washingtonienne, avec ce que nous décrivions le 8 septembre 2009 comme du “maccarthysme nihiliste”, en mettant l’accent sur le caractère d’une sorte de “dictature de la communication”, sous la forme d’un “terrorisme de la communication” ou “terrorisme communicationnel”. La substance même de la situation politicienne change.
En un sens, nous passerions de la “politique de l’idéologie et de l’instinct”, de toutes les façons réduite par les avatars extrêmes des aventures extérieures qui en étaient le support, à une sorte de “politique de la communication et de l’instinct”. L’idéologie y joue son rôle, mais comme outil, nullement comme fondement ou comme objectif. C’est un outil de manipulation d’une action de “terrorisme communicationnel”, et le but est plus nihiliste que celui d’une victoire idéologique quelconque.
A une “politique de l’idéologie et de l’instinct” aussi forte qu’elle semblait encore l’être dans les derniers mois de son affirmation (et dans les premiers bois de la présidence Obama), lorsqu’elle profitait de l’impulsion de la politique Bush, il fallait opposer autre chose que “la politique de la raison”, selon les termes de l’affrontement décrit par Ullman… Dans un tel cas, pour briser cet engrenage de l’installation d’une opposition idéologique très dure, mais surtout d’une opposition idéologique en pleine dégénérescence vers une “politique de la communication et de l’instinct”, une vraie “politique de la raison” eût été de lui opposer un paroxysme. Non pas utiliser la raison comme objectif bipartisan commun à des groupements, à des intérêts, à des individus qui n’entendent rien à la raison ou ne sont pas intéressés à l'entendre, mais utiliser la raison comme outil d’appréciation exacte de la situation pour bien juger de cette situation. Cela conduit au choix de la dramatisation et du tragique, et dans le cas de la situation évoquée et d’Obama cela eût conduit à une mobilisation tragique seule capable de réduire, voire de prévenir le terrorisme communicationnel. La crise financière et économique en était l’occasion idéale.
C’est l’une des graves fautes d’Obama. Son refus de rendre la crise tragique, d’utiliser cette aggravation de la perception par la communication pour obtenir un soutien actif, militant, avait toutes les chances de mettre cette opposition à finalité nihiliste sur la défensive.
l’intervention de cette activité de communication nihiliste risque également de jouer un rôle dans la crise afghane qui est en train d’enflammer Washington. A première vue, on pourrait croire qu’elle pourrait “aider” le parti de la guerre, qui se réduit de plus en plus dans sa frange active et promotionnelle, notamment à des néo-conservateurs particulièrement discrédités. Ce n’est pas assuré.
La communication nihiliste ne fonctionne pas selon un plan préétabli mais selon des opportunités qui lui permettent de déployer son maximalisme, basé sur des techniques journalistiques d’investigation et de délation. L’impression générale qui en ressort est une campagne générale de diffamation qui abaisse le débat, parfois dans des conditions anarchiques, souvent dans des conditions d’exagération extravagantes. Il faut se rappeler que McCarthy est tombé alors qu’il était en train de tenter d’impliquer dans sa campagne de diffamation l’U.S. Army pour la tiédeur anticommuniste supposée des militaires, ce qui montre que même les tendances du système qu’on aurait pu croire la plus proche de lui se révélèrent violemment hostiles.
Le climat actuel risque plutôt de contrecarrer un regroupement unitaire et sérieux, mais fondé sur un maximalisme interventionniste, auquel rêvent les néoconservateurs vis-à-vis de l’affaire afghane. Le désordre va s’accentuer, et à mesure l’irritation extrême de certaines parties de l’establishment vis-à-vis de ces activités.
Même les républicains, qui ont d’abord favorisé cet activisme communicationnel, risquent de se trouver dans des cas difficiles lorsque certains dossiers requièrent une tendance au compromis, ou une tendance à l’organisation patriotique comme le soutien à la guerre en Afghanistan. Il est difficile de construire des cas, certes virtualistes, de rationalisation d’un conflit comme celui de l’Afghanistan, avec une activité aussi incontrôlable et soumise à des pulsions et à des intérêts si divers que ce terrorisme communicationnel.
Il serait même logique d’envisager que la prolifération de cette communication nihiliste, plus ou moins identifiée avec le parti républicain, interférant directement ou indirectement sur des cas essentiels tels que la crise afghane à Washington, favorise ou accélère d’éventuels regroupements anti-guerres comme celui qu’entrevoit Raimondo, conduits par la lassitude de la politique expansionniste et belliciste héritée de Bush. C’est possible mais cela ne paraît pas suffisant pour déclencher une réaction très puissante, parce qu’aussitôt réapparaissent les clivages entre interventionnistes et non-interventionnistes.
Néanmoins, cette évolution devrait conduire des républicains à s’éloigner d’un parti qui est proche, ou manipulé par de telles forces. Cela devrait encore accentuer la tendance à la parcellisation et au fractionnement de l’establishment
La tendance décrite a une longue tradition dans la vie publique US, où les caractères sensationnels et diffamatoires ont toujours dominé les activités de communication. Dans la phase extrême qu’on décrit, elle a commencé avec le spécialiste de radio Rush Limbaugh, extrémiste, diffamateur, etc., qui était considéré, à la fin 2008, comme le véritable leader d’un parti républicain jugé en déroute avec la fin de l’époque Bush. La chose n’a pas été vraiment rectifiée, non que Limbaugh s’affirme effectivement comme leader désigné et officiel mais parce que personne ne s’impose comme leader républicain. D’une certaine façon, même s’il en subit des conséquences peu ragoûtantes, le parti républicain correspond bien à cette nouvelle situation de domination par le terrorisme communicationnel.
Le principal résultat est certainement de créer une situation où des leader solides sont interdits d’apparaître, certainement du côté républicain qui a privilégié cette culture, ou cette structure (ou, plutôt, “non-structure”) politique. Le choix d’une Sarah Palin comme co-listière de McCain a bien fait mesurer cette infécondité marquant la qualité des personnes. Les démocrates sont eux-mêmes, indirectement, victimes de cette évolution, par leur refus d’engagement, par crainte d’être l’objet de ce terrorisme communicationnel. Les dégâts sont encore plus grands par ce que ce terrorisme communicationnel décourage de faire.
D’une façon générale, cette tendance du terrorisme communicationnel pousse grandement au désordre, au fractionnement de l’establishment, à son effacement d’une certaine façon, et à l’affaiblissement de sa cohésion. Ce qui est acclamé comme la grande puissance du système, qui est la cohésion de sa direction et de ses élites, déjà grandement ébranlée par les mobilisations virtualistes du régime Bush et leur confrontation avec la réalité, est aujourd’hui menacée par une tendance singulièrement irresponsable.
Le même phénomène s’était produit avec McCarthy, ou menaçait de se produire, lorsqu’on commençait à découvrir que son irresponsabilité pouvait le conduire loin, que déjà il s’en prenait au Pentagone. Mais c’était à une échelle beaucoup plus faible et, à cette époque, nous l’avons dit, l’URSS et le communisme avaient tout de même une réalité structurelle puissante et faisaient peser sur leurs adversaires une pression très forte pour imposer des regroupements et l’élimination des irresponsables. Surtout, à cette époque, il suffisait de faire sauter un homme (McCarthy), par ailleurs d’une psychologie suffisamment faible, notamment par son alcoolisme, pour donner un coup d’arrêt à cette tendance en la domestiquant.
Aujourd’hui, il s’agit bien d’un phénomène de système, où la communication triomphe de toutes les façons comme la force centrale de puissance et d’influence, qui recrute sans discontinuer, où les supports et foyers de cette action (les médias parlés et télévisuels) sont eux-mêmes prisonniers de leur audience tout en étant relativement insensibles à un “sens commun” de l’intérêt du système par leurs caractères privé et mercantile. Un Beck prend le relais d’un Limbaugh, sans pour autant que Limbaugh cesse son travail de termites.
“Termites”, le mot est trouvé. On retrouve l’idée déjà évoquée d’un système qui se défend contre “les loups du dehors” qui ne sont pas vraiment dangereux, s'il y en a, et qui est miné par “les termites d’en-dedans”, qu'il ne voit pas et qui sont potentiellement mortelles. Dans ce cas, il s’agit des “termites du nihilisme”, espèce finale du genre. Ses dégâts sont encore plus souterrains et imperceptibles que spectaculaires et visibles (l’élimination de Van Jones). Ils se mesurent surtout et d’abord par leurs effets d’interdiction, de découragement, etc., par tout ce qui n’est pas fait pour tenter de réparer ou de sauver le système de crainte de tomber sous le feu des termites.