Notes sur les transversales de l’autodestruction

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Notes sur les transversales de l’autodestruction

Pourquoi attendre 2012, après tout ? Le désordre de 2011 est effectivement en train de passer à une vitesse supérieure, pour faire de 2012, avec ses divers rendez-vous démocratiques de changements de pouvoir, une année singulièrement agitée ; mais ce désordre est tel qu’on se croirait déjà en 2012…

Dans notre numéro de dde.crisis du 10 décembre 2011, que nous consacrons à cette année 2012, nous identifions deux grands courants de désordre qui s’ajoutent aux incertitudes fixées des changements de pouvoir (présidentielles en Russie, en France, au Mexique, aux USA, peut-être en Egypte, nouvelle direction en Chine). Le premier concerne l’agitation intérieure qui touche les pays du bloc BAO, essentiellement les USA désormais, pour l’importance de la chose. (Ce que William Pfaff désigne, parlant évidemment des USA, comme «our own revolutionary unrest».) Le second concerne les événements au Moyen-Orient, ce qu’on nomme le “printemps arabe”, devenu un désordre pour toutes les saisons et hors de sa région propre. A propos de ce second élément, nous écrivons dans ce dde.crisis :

«Le second de ces évènements est l’évolution en un chaos d’évènements furieux et incontrôlables du “printemps arabe”, ou disons de la folle saison du Moyen-Orient, de la Libye à l’Egypte, de l’Egypte à Israël, à la Syrie, à l’Iran, à Bahrain et à l’Arabie, au Yemen, à la Turquie, etc., avec en plus les acteurs extérieurs (USA et bloc BAO, Russie, Chine, etc.). Il n’est plus possible de donner une orientation précise ni de faire un compte binaire de ce désordre (les “révolutions” et les “contre-révolutions”) ; partout se glissent des facteurs inattendus, des intérêts contradictoires dans divers sens, des changements de position ou de politique, etc. Il n’existe plus aucun point de stabilité nulle part dans cette zone et il existe en même temps une extrême rapidité des évènements qui prend continuellement les acteurs extérieurs à contrepied. Bien entendu, l’importance stratégique énorme que les autres acteurs, notamment le bloc BAO, accordent à cette région étend son instabilité et sa rapidité de déstabilisation à ces mêmes acteurs extérieurs.»

Intégration de crise et Amiral Kouznetzov

On a vu, ce 26 novembre 2011 comment la crise syrienne est en train de s’inscrire, en plus d’être en partie née de la chaîne crisique du “printemps arabe”, comme une crise internationale per se. Cela implique, dans notre univers plongé dans la grande crise d’effondrement de la civilisation, une intégration de la crise syrienne per se dans la grande crise générale. (Sur ce concept d’intégration, voir le 4 août 2011, le 15 août 2011, le 19 août 2011.)

Pour ce cas, la présence conjointe d’unités militaires navales US et russes, dans des positions implicitement antagonistes, en dit long sur le processus. Signalant le déplacement du seul porte-avions russe Amiral Kouznetzov (avec son groupe de combat) vers les côtes syriennes pour soutenir les navires qui s’y trouvent déjà, DEBKAFiles observe (le 26 novembre 2011) :

«The Russian Kuznetzov carrier and its accompanying strike vessels will join the three Russian warships parked opposite Tartus for more than a week. It will enter the same Syrian offshore waters as the USS Bush and the US Sixth Fleet, which is permanently posted in the Mediterranean.

»The Syrian crisis is therefore building up to a superpower face-off unparalleled since the Cold War between America and the Soviet Union ended in the nineties, DEBKAfile's military sources note. While Washington clearly stands ready to back operations against the Assad regime, Moscow is drawing a red line around his presidential palace in Damascus. The Kremlin is warning the US, NATO and the Arab League that they will not be allowed to repeat their feat in Libya of overthrowing Muammar Qaddafi against Assad.»

Un relent de “guerre froide”, ou une nouvelle “guerre froide” ? Comme l’on peut le voir aussitôt, ce ne serait pas la seule. Nous sommes dans ce temps métahistorique épique où l’on peut prétendre installer plusieurs “guerres froides” alors que toutes les bases économiques et sociales des puissances qui s’engagent dans cette voie s’effondrent. Mais, dirait-on aussitôt, ceci expliquerait bien cela…

L’hubris qui pédalait dans le vide

Effectivement, nous nous tournons aussitôt, et pour un instant, vers l’Asie et le Pacifique. La tournée du président Obama dans la zone a accouché effectivement d’un étrange rejeton. PressTV.com signale (le 26 novembre 2011) que la chose est officielle : «The formal organ of China's ruling party has reported that a cold war era has started between China and the US as Washington has stepped up a campaign to counter Beijing's growing clout across the globe.»

Le 22 novembre 2011, William Pfaff avait commenté avec une perplexité inquiète ou découragée c’est selon, la progression de cette “déclaration de guerre froide” du président Obama. Il note d’abord l’extraordinaire prétention de la dialectique USA, comme si le Titanic clamait son air de triomphe de la technologie moderniste et navale après avoir heurté l’iceberg : «This message said that the United States now considers itself a permanent Pacific and Asian power. Just as it long ago settled in as an unofficial permanent European power (the ally who wouldn’t go home), it now is permanently Asian, and anything that happens in the Pacific and the Far East automatically will concern Americans.»

Que se passe-t-il ? s’interroge Pfaff. Il songe à l’hubris, jamais plus fort dans une psychologie dérangée que lorsqu’on en perd toutes les raisons d’y prétendre («What does that actually mean, and what is it worth? Bragging rights about who is top nation? That’s what Washington seems to care about»). Puis il conclut finalement, avec l’absurdité de la démarche, par l’explication (souligné par nous en gras) qui vient naturellement sous la plume de tout commentateur du Système-qui-s’effondre, comme complément évident de cet hubris à la fois exacerbé et vidé de toute substance :

«Are we Americans really sure that we want to be “all-in”? “All-in what? A war over China’s claims on Taiwan and the South China Sea? Or over access to “rare earths?” Or over – as just might happen – a China reduced to ruins by revolutionary upheaval? Or is Mr. Obama and the Washington élite looking for distraction from our own revolutionary unrest?»

En passant par le Pakistan…

Revenons vers l'Ouest, vers ce “printemps arabe” pour toutes les saisons, d’ailleurs en passant par le Pakistan, qui est sur notre route, pour noter à ce propos que les relations entre ce pays et les USA (avec le bloc BAO) sont bien exécrables après la tuerie de 24 soldats pakistanais par des hélicoptères US, en territoire pakistanais, par erreur coutumière et hautement civilisée, – car qu’est-ce qui distingue un basané pakistanais d’un basé taliban, on vous le demande ? Outre de bloquer l’approvisionnement par route des forces du bloc BAO en Afghanistan, le Pakistan, note PressTV.com le 26 novembre 2011, a donné 15 jours à la CIA pour évacuer la base de Shamsi qu’elle occupe dans le sud-ouest du pays. On verra si l’ultimatum tient la route, car cette fois le Pakistan semble à bout de patience.

(En attendant, on notera que PressTV.com, station iranienne, a sorti la nouvelle 24 heures avant le Guardian, en général bien informé, qui parle de cette affaire d’expulsion de la base de la CIA le 27 novembre 2011. Entre Karachi et Téhéran, les nouvelles vont vite, comme si l’on s’entendait bien, tous comptes faits...)

Parallèlement, et pour agrémenter notre périple, on peut noter qu’en même temps se termine un grand exercice militaire conjoint sino-pakistanais au Pakistan (Friendship-2011), qui apparaît comme une concrétisation à propos du resserrement spectaculaire des liens stratégiques entre le Pakistan et la Chine. Tout se fait dans le sens de la transversale…

L’Arabie qui virevolte

Revenus au Moyen-Orient, vers qui se tourner ? L’Arabie Saoudite, par exemple. Un site égyptien libéral, Arabisnet.com, présente, le 25 novembre 2011, un texte de David Ignatius, du Washington Post (du 19 novembre 2011). En se référant implicitement au sentiment régnant dans la région, le site égyptien semble tenir pour particulièrement importante l’analyse d’Ignatius selon laquelle l’Arabie, sous la direction nouvelle qui s’est mise en place, nuance notablement sa politique régionale, certes en réaffirmant son rôle qui correspond à l’effacement US, mais en le nuançant par rapport à certaines obsessions.

Les deux extraits cités de l’article d’Ignatius sont les suivants :

«Saudis describe the kingdom’s growing role as a reaction, in part, to the diminished clout of the United States. They still regard the U.S.- Saudi relationship as valuable, but it’s no longer seen as a guarantor of their security. For that, the Saudis have decided they must rely more on themselves — and, down the road, on a wider set of friends that includes their military partner, Pakistan, and their largest oil customer, China. […]

»They may be spearheading the counter-revolution, but the Saudis are not just a status-quo force anymore. Like other states, they are restructuring to the new reality… […] Two weeks ago, at a meeting of the International Institute for Strategic Studies in Geneva that I attended, Prince Turki outlined his proposal to deal with the region's most urgent issues through two broad arcs: reviving the Arab Peace Initiative (ie a comprehensive Israeli-Arab peace rather than a separate Israeli-Palestinian one) and the decades-old idea of a Middle East free of weapons of mass destruction (ie tackling the Israeli and Iranian nuclear issues together, rather than ignoring the former and focusing on the latter.) The proposal was interesting not so much on its details as what it implied: a much more multilaterally-driven agenda for Middle East diplomacy. No more waiting for Washington to act first.»

Ces deux extraits nous conduisent observer, (1) que, parmi les nouveaux alliés sur lesquels l’Arabie s’appuierait pour remplacer les USA, se trouvent le Pakistan et la Chine, dont on a vu la chaleur caractérisant leurs liens avec ces mêmes USA ; et (2) que, plutôt qu’appuyer l’idée d’une attaque de l’Iran qui plaisait tant à Israël, l’Arabie commencerait à préférer à nouveau l’idée d’une zone dénucléarisée qui déplaît tant à Israël.

L’Egypte, comme du sable entre les mains

Certes, il y a également l’Egypte. Il y a ceux qui disent que le désordre est sciemment entretenu par le bloc BAO depuis l’origine, sans doute pour éliminer l’une après l’autre les directions qui lui sont favorables (au bloc BAO). C’est une tactique dialectique habile pour dissimuler les impuissances et une vieille rengaine, tout cela qui n’empêche pas la vérité de la situation de se manifester : l’incapacité des militaires égyptiens de rendre efficace l’usage d’une force qui s’appuie en fait sur l’irrésolution et l’incompréhension, – car, pour eux principalement, la situation égyptienne est comme du sable qui coule entre les mains.

Aujourd’hui, les Frères Musulmans qui font traditionnellement si peur à tout le monde semblent la seule force politique consistante d’opposition a encore soutenir les militaires, parce qu’il existe un marché entre eux et les militaires pour le futur pouvoir. Dans l’autre camp, Mohamed El Baradei, ancien secrétaire général de l’IAEA, récemment et rétrospectivement baptisé “agent de l’Iran” à ce poste par Israël pour n’avoir pas acquiescé aux intuitions fulgurantes de Netanyahou sur les projets d’Holocauste-II de ce même Iran, se pose comme candidat de la foule de la place Tahrir, d’ailleurs acclamé par elle dans la nuit du 26 novembre, comme candidat Premier ministre d’un gouvernement civil de transition ; cela, à la place du nouveau Premier ministre nommé par les militaires, un vénérable (78 ans) d’un service de 20 ans aux ordres de Moubarak.

Même si les militaires arrivent à faire passer leur programme de “démocratisation” à leur sauce, au moins pour l’image, avec la probabilité d’une majorité parlementaire gagnée par les Frères Musulmans devenus alliés de ces militaires, la perspective n’est pas nécessairement radieuse (du point de vue de notre cher bloc BAO). Un expert des questions égyptiennes observe, pour Russia Today, le 27 novembre 2011 : «Political analyst Dr. Marcus Papadopoulos says if the Muslim Brotherhood comes to power, it may lead to a new Libya-like conflict with the West. ”If the people vote them in you could see in a few years time NATO or the British and Western press talking about how awful the regime is there, how dangerous it is, and then you are back to a situation where there is discussion about NATO air strikes against Egypt.”»

Certes, il y a la Syrie qui occupe toutes les pensées humanitaires des stratèges du bloc BAO, mais n’est-ce pas à nouveau l’Egypte “where the action is”, aujourd’hui au Moyen-Orient ? Le bloc BAO a oublié de menacer les militaires égyptiens d’une intervention humanitaire contre la répression des foules de la place Tahrir.

Les Turcs, ou comment se passer des USA

Ce caractère essentiel des événements égyptiens, c’est aussi l’avis des Turcs, – dans tous les cas, en partie. Le 25 novembre 2011, le commentateur Ilan Tanhir, du quotidien Hurriyet, célébrait le “printemps arabe” comme nullement endeuillé par les frimas de l’hiver  : «The Arab Spring had a whirlwind week. While skepticism about where the uprisings are headed continues, the historic transformation gained three significant victories.»

Parmi les trois “victoires” de la semaine, Tanhir célèbre la deuxième “révolution égyptienne”, “Tahrir 2.0”. Il s’étend longuement sur la légitimité et la puissance du mouvement et sur l’inconsistance, les contradictions et la lenteur de Washington à réagir aux événements. Tanhir écarte l’idée d’un “complot” occidental en la matière, idée par ailleurs fort répandue et permettant de faire survivre le mythe de l’invincibilité intellectuelle et machiavélique des restes de la puissance américaniste.

Les deux autres événements célébrés par Tanhir sont d’abord l’acceptation du gouvernement de Bahrain des conclusions d’une commission d’enquête indépendante sur les abus de la répression lors des manifestations dans ce royaume ; ensuite, la condamnation de la Syrie par la Ligue Arabe, avec l’accent très fortement mis par le même Tanhir sur l’effacement des USA derrière la Ligue… C’est ce point qui est essentiel dans cette analyse :

«On Syria too, it appears Washington is also not taking the lead. U.S. Secretary of State Clinton, during a series of interviews last week, kept emphasizing Turkey and the Arab League’s importance in ending the bloodshed there; a line that suits perfectly both of these actors’ wishes which, for months, have stated the solution for Syria can only be found regionally.»

Sur la Syrie, la Turquie a pris une position en flèche, qui est un mélange de calculs politiques de communication (soutien, partout, au “printemps arabe”), visant à établir un leadership dans la région, et une furieuse équation personnelle d’Erdogan et de son ministre des affaires étrangères contre Assad. Le problème pour les Turcs, désormais, est de contrecarrer toute tentative occidentale du bloc BAO de confisquer à son avantage une éventuelle intervention “humanitaire” en Syrie. Difficile, l’exercice.

La Libye ne fera qu’une bouchée de la Syrie

…D’une certaine façon, pas moins difficile exercice pour Israël. L’idée, qui vient d’être émise par le nouveau régime libyen (voir Antiwar.com, du 25 novembre 2011), d’envoyer en Syrie des “combattants de la liberté” (on dit aussi moudjahiddines) contre Assad n’enchante guère Israël. Ces moudjahiddines seraient des islamistes, sorte de transfuge de l’al Qaïda régional, et ils pèseraient d’autant pour une alternative très islamiste au régime d’Assad. Les Israéliens sont furieux de cette idée, favorisée par certains pays de l’OTAN, dont certains habiles diplomates français. Ils ont déjà remarqué, les Israéliens, que des islamistes libyens, tous frais sortis de leur guerre de libération sous les ordres du maréchal BHL et de l’OTAN, se sont installés à Gaza avec des missiles Grad.

Les Libanais, les Jordaniens et les Irakiens sont également terrorisés à l’idée d’une Syrie basculant dans l’extrémisme et tentent de freiner d'autant (sans beaucoup de succès) l’action de la Ligue Arabe. Toutes ces finasseries qui pourraient également signifier le désir de conserver le traitement de l’affaire syrienne dans le champ régional, ne font au contraire qu’exacerber un peu plus la volonté humaniste et vertueuse des plus activistes du bloc BAO, dont les Français, d’intervenir en Syrie. Peut-être n’ont-ils pas remarqué que cela pourrait les placer en confrontation directe avec les Russes ?

Le désordre BMDE hors les murs (européens)

…Cette dernière idée nous ramène au thème de “guerre froide”, évoqué au début de cette analyse. Une autre retombée de la “guerre froide” new age, proliférant en diverses versions, concerne le réseau anti-missiles BMDE. Un radar de ce réseau devrait être placé en Turquie, mais les conditions sont encore bien nébuleuses, – et quant à l’acceptation de la Turquie, et quant à la réticence agressive des Turcs d’éventuellement transférer des données de ce radar vers les Israéliens qui feraient partie du réseau.

Pour ajouter à cette simplicité du propos, les Iraniens viennent donc d’annoncer qu’en cas d’attaque du bloc BAO contre l’Iran, le radar qui serait installé en Turquie serait la première cible iranienne. Et cette attaque aurait lieu, en un sens, pour déciller les yeux du peuple turc sur la façon dont il est manipulé par les USA et les “intérêts sionistes”… (Voir PressTV.com du 26 novembre 2011.)

«Brigadier General Amir-Ali Hajizadeh, Commander of the Aerospace Division of the Islamic Revolution Guards Corps says in case of a military movement against Iran, NATO's missile shield in Turkey will be Iran's first target. “The West's missile shield which is being deployed in Turkey by NATO (North Atlantic Treaty Organization), is managed by America and the Zionists, but to deceive Turkish people, they call it NATO defense shield,” Brigadier General Amir-Ali Hajizadeh said.»

(...P.S. à ce point, pour donner un peu plus de cohésion à l'analyse et ajouter au charme de la confusion cosmique de nos temps en cours, cette déclaration du ministre iranien des affaires étrangères, ce 28 novembre 2011, après une rencontre avec un vice-ministre turc des affaires étrangères. Pour lui, et en complet accord avec son interlocuteur, les liens entre l'Iran et la Turquie ont devant eux un avenir confiant et brillant, et plein d'une entente mutuelle.)

Faire la guerre, mais avec quoi ?

Cette abracadabrantesque affaire de missiles anti-missiles réunissant, dans ce cas, l’Iran, la Turquie et Israël dans des relations incestueuses, hostiles ou pas du tout, à contrepieds divers, résume parfaitement le tableau général. Elle le colore mieux encore lorsqu’on sait de connaissance assurée que ce vaste programme n’a aucun sens stratégique à son origine, puisque né d’une impulsion-Système du complexe militaro-industriel qui raisonne en $milliards, et débouche sur le chaos stratégique. (Pour un historique de cette “crise” du système BMDE, voir par exemple le 12 juin 2007.) C’est effectivement le couronnement de cette œuvre générale d’un Jérôme Bosch abstrait et postmoderne décrivant d’un pinceau convulsif la situation générale qui ne l’est pas moins, et cela justifie parfaitement d’y inclure la “déclaration de guerre froide” en Asie du robot-Obama lisant avec zèle les fiches pour lui préparées par les services du Pentagone.

Ces diverses initiatives partent dans tous les sens, et l’on a la juste impression d’initiatives prises sans qu’il soit tenu aucun les unes des autres, ni surtout de la situation générale, particulièrement avec les USA qui sont les maîtres du cloisonnement. Les stratèges américanistes, chacun dans son domaine, continuent à fonctionner comme au temps de la splendeur de leur puissance commune et sans pareille, et le pouvoir civil, qui ne pense qu’à la réélection du président, suit les instructions sans souci d’y comprendre davantage. Si les Russes ont décidé d’établir devant la Syrie un dispositif naval, conséquent avec l’arrivée de leur Amiral Kouznetzov et sans crainte d’affaiblir leur dispositif ailleurs, c’est qu’ils savent bien qu’au-delà de ses porte-avions en affectation (un en Méditerranée, un au large du Golfe Persique également sollicité par l’Afghanistan), l’U.S. Navy n’a rien de disponible pour une escalade dans cette zone à moins de mobiliser toutes ses forces pour une attaque générale ; laquelle deviendrait une option catastrophique alors qu’existent tant de points de tension, dont par exemple les projets permanents d’attaque de l’Iran qui devient dans le paysage actuel une perspective assurée d’explosion de toute la région ; dont, autre exemple, l'entretien actif de la nouvelle “guerre froide” contre la Chine.... Les Russes savent bien que le Pentagone, au rythme des lamentations de Panetta, est en cours de transformation accélérée en “tigre de papier”.

Question subsidiaire et complémentaire quoique classique : risque-t-on une guerre générale et généralisée ? Vu les effectifs disponibles, ce ne peut être qu’une gesticulation en forme de chaos ou bien la vraie “der des ders”, la nucléaire. Le deuxième cas, le plus net, est difficile à envisager pour une bureaucratie (l’américaniste) qui cultive paradoxalement, à côté de son hubris, le goût d’une prudentissime planification, qui déteste les aventures, qui n’envisage quelque sorte de conflit que ce soit dans les conditions actuelles qu’avec une marge de supériorité générale entre 5 contre 1 et 10 contre 1 avant de se décider. Pour le reste, il s’agit d’une non-guerre menaçante faite de tensions et contrepieds divers, et nous verrions les Russes en meilleure posture que les autres… Après tout, lorsque ces mêmes Russes (voir Rogozine le 26 novembre 2011) annoncent que les missiles Iskander qu’ils déploient à Kaliningrad contre le BMDE ne menacent pas la Pologne, membre de l’OTAN, c’est pour signaler qu’ils peuvent très bien, s’il le faut, menacer la Pologne, membre de l’OTAN ; ce qui détournerait l’attention du principal (au Moyen-Orient et en Asie) en fournissant une nième “guerre froid” et l’occasion à la dynamique d’autodestruction du bloc BAO de se manifester avec encore plus de vigueur. (Selon des sources cachottières mais non dépourvues de connaissance, les services de l’OTAN ont calculé qu’actuellement, en cas de besoin en Europe, les pays européens de l’OTAN ne parviendraient même pas à réunir 30.000 combattants, et cela en un nombre respectable de semaines. Il est bon de noter qu’aujourd’hui encore, ni l’OTAN, ni les USA, ni les Israéliens ne sont encore revenus de la rapidité et de l’efficacité avec lesquelles les Russes, avec leurs chars fumants et pétaradants, et les vieilles tenues de combat de leurs tankistes, ont investi près de la moitié de la Géorgie en trois jours, en août 2008.)

L’ensemble restitue cette dynamique de “fuite en avant” aveugle et obstinée au nom d’un hubris automatisé devenu une sorte d’affect de vieille midinette encombrée du souvenir de ses fortunes d’antan. Il en résulte une manifestation dialectique de surpuissance insupportable d’arrogance sans fondement, une surpuissance dont la substance se dissout à une vitesse accélérée et se transforme le plus naturellement du monde, et tout aussi rapidement, en une dynamique d’autodestruction. Effectivement, pour conserver l’effet de cette surpuissance qui n’existe plus, la dynamique de l’affirmation continue à être activée et elle devient, désormais plus naturellement que paradoxalement, celle de l’affirmation de l’autodestruction… Fascination pour l’autodestruction ? C’est en effet peut-être ce à quoi sert aujourd’hui leur caricature d’hubris, – comment s’autodétruire le plus efficacement possible. Le Système a d’excellents serviteurs jusqu’au bout, jusqu’à l’inversion finale.