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405627 mars 2013 – Nous avons développé depuis quelques années plusieurs concepts à partir du qualificatif “crisique”, c’est-à-dire plusieurs concepts signalant une évolution des crises en général et celles-ci considérées d’une façon collective, regroupées en formes (“structure crisique”) ou en dynamiques (“chaîne crisique”). Nous actions par là ce que nous jugions être une transformation décisive de la situation du monde avec désormais comme principal caractère et comme principal moteur de cette situation le composant-“crise”.
Il s’agit, nous semble-t-il, d’une perception très complexe puisque l’idée de “crise” suppose la violence paroxystique soudaine d’une part, la brièveté d’autre part, la résolution d'une façon ou l'autre enfin. Considérer la crise comme ce qui revient à être le composant permanent d’une situation implique en apparence une contradiction plus ou moins grande avec ces deux caractères et cette issue. C’est pourtant le cas, et c’est évidemment ce qui fait la spécificité tout à fait exceptionnelle, voire inédite par l’intensité et la durée de la chose, jusqu’à admettre qu’il s’agit d’une véritable structuration opérationnelle, de l’époque de l’effondrement du Système que nous vivons.
Nous proposons un nouveau concept comprenant le qualificatif “crisique”, qui suppose une évolution de plus par rapport aux concepts précédents. Ce concept est celui d’infrastructure crisique, qui ne supprime pas les précédents (“structure crisique” et “chaîne crisique”) mais les complète, les élargit, les transforme et, finalement, les intègre. Le matériau de base reste “la crise”, qui mérite effectivement une redéfinition lorsqu’il est exprimé sous le qualificatif de “crisique”. Comme on le rappellera à mesure ci-dessous, nous avons déjà annoncé, depuis quelques jours, l’apparition du concept d’“infrastructure crisique”.
Nous ne prétendons certainement pas effectuer ce travail général suggéré par les diverses remarques ci-dessus, et ici et là, dans cette Note d'analyse. Nous le réservons à un texte du Glossaire.dde qui portera sur “le facteur ‘crisique’” en général, que nous utilisons effectivement d’une manière systématique. Nous travaillons parallèlement à ce texte, au-delà de cette Note d’analyse. Certains éléments de cette Note d’analyse seront repris dans ce Glossaire.dde, certains intégralement, le reste étant bien sûr un apport inédit pour le Glossaire.dde.
Nous allons prendre quelques exemples de la situation actuelle, que nous interpréterons, pour introduire des données expérimentales et hypothétiques à partir desquelles nous estimons qu’on peut parler d’un nouveau concept pour caractériser notre situation. Ensuite, nous donnerons notre appréciation de ce qu’est, selon nous, l’“infrastructure crisique” qui constituerait désormais, outre d’être le caractère et le moteur de la situation générale, le cadre actif, le contexte impératif, le véritable kosmos de notre situation (au sens que lui donnaient les Grecs d’univers clos en soi, d’entité), – ce qu’on pourrait désigner après tout comme notre “kosmos crisique”.
Bien évidemment, comme le plus souvent dans notre travail de fondement, il s’agit d’une interprétation d’une situation qui, pour d’autres, et à s’en tenir aux détails, semblerait être sans cette originalité extrême qu’on veut signaler ici parce que nous la percevons comme telle. Nous tentons, pour notre part, d’écarter les détails retardateurs de la pensée et facteurs d’inversion subreptice qui sont à finalité réductionniste (inconnaissance). Il s’agit pour nous de mieux embrasser l’ensemble d’une façon très générale, pour en saisir aussitôt le caractère extraordinaire, cela nécessitant par conséquent interprétation, hypothèses et concepts à mesure.
La situation syrienne nous offre des exemples de ce que nous voulons présenter. Le premier de ces exemples est détaillé dans le texte du Bloc-Notes de ce 25 mars 2013. Ce qui est remarquable, bien entendu, c’est la confusion, les contradictions, les paradoxes, les incertitudes, etc., qui émaillent ce constat, aussi bien dans des déclarations de Barack Obama en Jordanie que, d’une façon générale, dans l’affaire de l’attaque chimique de Alep. Il ne nous importe évidemment en rien, ici, dans cette Note d’analyse spécifique, de déterminer la vérité de la situation, d’ironiser sur le comportement de tel ou tel, de dénoncer telle ou telle attitude, etc. Ce qui nous importe est de constater, une fois de plus mais d’une façon de plus en plus singulière, que la crise syrienne sur le terrain même de la “guerre syrienne” suscite des réactions erratiques et incontrôlables dans la situation des diverses puissances extérieures impliquées.
Nous disons “guerre syrienne” entre guillemets comme produit de “la crise syrienne” car de quoi s’agit-il ? Guerre civile ? Agression extérieure ? Confusion des genres entre terrorisme, affrontements du crime organisée, complot(s) géopolitique(s) ?... Eh bien, de tout cela à la fois et de rien de tout cela… Il s’agit de la “crise syrienne” installée, qui se poursuit sans rien produire de décisif, mais produisant des nécessités de désordre (“la confusion, les contradictions, les paradoxes, les incertitudes, etc.”) pour les acteurs impliqués. Ces acteurs sont littéralement prisonniers de cette crise qui devient la structure principale, exactement comme l’est une infrastructure. Il faut donc regarder l’évolution des événements non pas des acteurs vers la crise (les acteurs tentant de dénouer la crise, de la détourner à leur avantage, de l’aggraver, etc.), mais de la crise vers les acteurs, la crise imposant des réactions aux acteurs sans leur laisser la possibilité, soit de conclure, soit de s’en extirper, soit de changer radicalement de position.
Un constat similaire, de type méthodologique sur le fonctionnement des choses, peut être porté sur un autre domaine politique qui s’alimente nécessairement à la “guerre syrienne”, concernant cette fois l’évolution des rebelles. Le constat, fait à partir des observations de ces derniers jours, n’est qu’une étape de plus dans une agitation sans fin, dont rien de certain n’émerge, avec les mêmes références décourageantes pour la raison (“la confusion, les contradictions, les paradoxes, les incertitudes, etc.”).
Le 22 mars 2013, nous pouvions décrire le “coup” politique réussi par le Qatar et les Frères Musulmans cinq jours plus tôt, avec la nomination d’un Premier ministre d’un “gouvernement intérimaire”, Ghassan Hitto. Certes, certes… Deux jours plus tard, les commentateurs divers pouvaient noter la démission du président de la Coalition Nationale des forces rebelles, Moaz al-Khatib. Lorsqu’elle est placée dans le contexte où la met Antiwar.com ce 25 mars 2013, voilà qu’Hitto apparaît faible, isolé, sans la moindre autorité… Que reste-t-il du “coup” du Qatar et des Frères Musulmans ?
«Khatib’s departure leaves Ghassan Hitto, who was named “prime minister in exile” last week, as the closest thing the group has to a leader. Yet his position is enormously weak, and that weakness stretches beyond him being just a few months removed from being a middle manager for a small company in Dallas.
»Gen. Salim Idris, the head of CORF’s military branch, has announced that he will not recognize Hitto as prime minister, and says the Free Syrian Army (FSA) won’t endorse Hitto unless he gets more support. Though Hitto got a solid majority of the votes cast last week, he had the bare minimum of votes needed, with 15 of the 63 active members refusing to vote for anyone at all. There is concern that the lack of unity on Hitto would make him a weak leader, and this is doubly so without the FSA’s imprimatur.»
Bien entendu, ce “dossier” pour un court laps de temps de la crise syrienne comme exemple d’événement stagnant et paralysant peut être renforcé par ce texte de notre Bloc-Notes du 26 mars 2013, portant également sur la situation syrienne encore plus élargie. Dans ce texte sur le destin étrange d’une déclaration sensationnelle de John Kerry et sur le destin convenu d’une audace énervée du camp franco-britannique, nous introduisions justement l’idée de “infrastructure crisique”. Pour la situation décrite à cette lumière, il s’agit d’une sorte d’agitation paralysée, d’une espèce d’explosion stagnante.
«[I]l ressort de ces deux circonstances qu’aucun parti ne l’emporte, qu’aucun parti ne progresse, que ce soit celui des négociations ou celui du jusqu’auboutisme… C’est effectivement le point qui nous paraît essentiel, que nous voulons souligner, et qui s’avère d’ailleurs constant depuis de nombreux mois : tout se passe comme si la situation de stagnation et de paralysie de la crise semblait être la ligne favorisée… […]
»C’est ce constat de la stagnation et de la paralysie de la crise qui nous semble le plus avéré, et de plus en plus à mesure que “les événements avancent” comme l’on dit, ce qui signifierait plutôt, dans ce cas, à mesure que les événements “font de plus en plus du sur-place”. Nous pensons que pour tenter de répondre à cette question, nous devons quitter le seul domaine des interventions humaines… […]
»Du point de vue de l’organisation des choses qui serait une sorte d’“organisation de la désorganisation paralysante”, qui s’exprime à notre sens dans la situation que nous observons, nous pensons qu’il y a une évolution par rapport à ce qui a précédé du point de vue de l’influence et de la pression des moyens employés. Ces moyens employés sont basés sur le fait de la crise telle qu’elle existe dans tous les domaines, et l’évolution serait celle de la transformation du phénomène initial de “structure crisique” en un phénomène nouveau que nous désignerions “infrastructure crisique”.»
Pour quitter la crise syrienne qui n’est nullement une exception mais qui a valeur d’exemple hautement significatif, – mais exemple quasi-parfait, cela va sans dire, – nous nous arrêtons également à la crise de Chypre et, au-delà, à la crise au sein de la zone euro et de l’Union européenne. Cette réflexion de Larry Elliott, du Guardian, le 24 mars 2013 nous donne le même sens du commandement absolu des événements exercé par la crise qui s’est installée dans sa position infrastructurelle, et, littéralement, qui règne. Les sapiens-Système, galonnés et empanachés de leurs titres divers et de leurs positions glorieuses, n’ont rien vu venir et ont réagi n’importe comment, et ils continueront de même…
Ce qui est intéressant dans le texte d’Elliott, c’est bien cette description de facto (involontaire, sans conscience de le faire) de la méthodologie de la crise devenue infrastructure de la situation générale, – dans ce cas, pour la section “Europe-euro”… On y voit combien les directions politiques (économiques) ont cru avoir maîtrisé les choses, assurées de l’avoir emporté, d’avoir réduit la crise. Aucune conscience de ce phénomène que la crise semble s’assoupir, veille d’un œil qui vaut bien un regard standard rehaussé de lunettes et d’une longue-vue d’un sapiens--Système, et peut à chaque instant ressurgir comme un volcan dit-éteint s’éveille et remet l'horloge cosmologique du monde à l’heure de l’univers.
«One Sunday in September 2008, the world waited for the expected rescue of Lehman Brothers by the US Treasury. It didn't happen. When no buyer could be found, the plug was pulled on the investment bank. The assumption that Lehman was too small to matter proved wrong – disastrously wrong. Unless Europe wishes to compound the follies of the past week, the Lehman precedent will surely be borne in mind at the talks on Sunday to piece together a bailout for Cyprus – the fifth in the eurozone in less than three years. Those who say the monetary union has been a success must have an interesting definition of failure.
»The Cypriot storm came as a shock to Europe's policy elite. The assumption has been growing for the past few months that the crisis was over, which was true to the extent that the existential threat to the euro has greatly diminished. Financial markets were soothed by the pledge by Mario Draghi, the president of the European Central Bank (ECB), to do “whatever it takes” to safeguard the euro, but life was not really returning to normal.
»The rest of the eurozone knew Cyprus was festering away, but considered the country too inconsequential to worry much about. Meanwhile, complacency set in and there was no longer the urgency to make rapid progress on the economic and political integration necessary to underpin monetary union. Europe lapsed back into its default mode: muddling through. That was a mistake, because the problems of a country that accounts for just 0.2% of eurozone GDP have highlighted two structural weaknesses of the monetary union…»
Le schéma infrastructurel crisique de la question de l’euro, au-delà de l’affaire chypriote, s’effectue sous la forme de l’emprisonnement volontaire de tous, coupables de la crise, victimes de la crise et bourreaux des victimes de la crise pour renflouer les coupables de la crise, ces “fonctions” pouvant d’ailleurs évoluer des uns aux autres selon les circonstances. Le fait principal est qu’ils se soumettent tous à la crise européenne qui est devenue, d’une façon complètement paradoxale mais qui se comprend pour ces psychologies énervées d’épuisement de nos directions politiques, le seul socle de stabilité possible, la seule référence on dirait presque “structurante” envisageable. Cette étrange identification totalement invertie constitue sans le moindre doute la reconnaissance que la crise est désormais une infrastructure crisique, et comme toute infrastructure elle est à la fois “socle de stabilité” et “seule référence… envisageable”.
Les dirigeants économiques eux-mêmes cèdent à cette influence de l’infrastructure crisique. (Voir ce 26 mars 2013.) Ils deviennent les premiers critiques des mesures prises pour tenter de contenir les effets des multiples manifestations de cette infrastructure. Ils décrivent même parfaitement la situation de cette infrastructure crisique, –
«[…P]arce que la crise est partout, qu’elle peut ressurgir à tout moment là où ne l’attend pas, et d’ailleurs parce qu’on ne sait plus de quelle crise il s’agit (“Whichever crisis we are talking about, it is far from over”, dit Melvyn King).»
Dans ce texte également, nous entérinions la proposition de l’idée d’une “infrastructure crisique”, cette fois en insistant sur son côté fermé, hermétique, quasiment absolutiste et nous-mêmes parlant d’une “dictature de la crise”.
«Certes, cela n’a rien pour nous étonner par rapport à ce que nous écrivons avec entêtement, mais ce qui nous intéresse ici c’est le constat du caractère omniprésent, désormais directeur et inspirateur, effectivement dictatorial, que manifestent la crise/les crises. Ce point nous intéresse parce qu’il renforce notre perception de la présence générale de la crise/des crises, jusqu’à nous faire parler de la formation d’une “infrastructure crisique” qui embrasse bien entendu tous les domaines… […] La crise n’est plus un accident, ni même un accident structurel (“structure crisique”), ni même un accident en série ininterrompue (“chaîne crisique”) ; elle est l’essence même de la situation du monde, elle est le Système lui-même.»
Ces divers exemples et les premiers commentaires qui les accompagnent rendent compte à notre sens d’une situation générale en train de se transformer, ou même qui a déjà achevé sa transformation qu’il nous reste à identifier et à décrire. Plusieurs éléments, que nous allons développer hypothétiquement, vont nous permettre de préciser cette situation, jusqu’à voir dans quelle mesure, et en fait comment son évolution nous permet d’aboutir à l’hypothèse nommée “infrastructure”, et avec quels caractères l’on peut préciser la définition de ce nouveau concept.
Le premier constat que l’on peut faire est simplement un rappel de l’accumulation des crises, sans qu’aucune ne soit résolue, avec leur interpénétration et leurs connexions grandissantes, comme c’est la nature même puisqu’il y a accumulation, que les acteurs ou ceux qui les subissent sont les mêmes, les causes souvent similaires, les événements souvent à effets multiples et eux-mêmes interconnectés, etc. Aucune de ces crises n’est autonome, ce qu’on a déjà vu avec les concepts de “structure crisique“ et de “chaîne crisique”. Cette accumulation s’accompagne d’une évolution de situation extrêmement caractéristique par son originalité dès lors qu’il s’agit de “crises”.
Leur accumulation et leur interconnexion, surtout depuis quatre ans (depuis la crise d’automne 2008), avec la faiblesse grandissante des acteurs (sapiens-Système), font que ces crises stagnent de plus en plus, en devenant à la fois structurelles et de moins en moins volatiles, et elles provoquent elles-mêmes, chez les soi-disant acteurs-sapiens, stagnation et paralysie. Elles entrent dans la substance même des choses, des situations qu’elles affectent, en s’agglomérant entre elles dans une sorte de solidification de l’ensemble. Bien entendu comme l’on dit d’un événement évident et presque naturel, cet ensemble a fini par épouser l’ensemble du Système , sa diversité et son ampleur finissant par embrasser à peu près l’entièreté du monde actif sous l’empire du Système, par conséquent la quasi-entièreté des domaines fondamentaux de la modernité.
La caractéristique principale de la situation d’infrastructure crisique, par rapport à ce qui a précédé, par exemple la “structure crisique”, c’est un renversement du sens des influences. Autant la stagnation des crises que leur abondance, leur interconnexion, ont fini par créer justement cette infrastructure dont la dimension spatiale et la puissance événementielle deviennent dominantes dans l’évolution de la situation. C’est une évolution “dynamique” qui aboutit paradoxalement à son contraire (stagnation des crises, paralysie des acteurs), mais qui se caractérise par des changements fondamentaux de sens.
Le renversement s’effectue en ceci que ce sont les crises elles-mêmes qui deviennent les inspiratrices et les moteurs des politiques. Auparavant, les politiques existaient avant les crises, elles engendraient les crises, elles pouvaient être contrariées, bloquées, etc., par les crises, mais elles restaient les forces dominantes, ou dans tous les cas déterminantes de la situation. Aujourd’hui, les crises occupent cette position. Ainsi parle-t-on d’une infrastructure crisique, exactement comme l’on parle d’une infrastructure routière ou ferroviaire, c’est-à-dire un cadre contraint, absolument impératif, auquel on doit se prêter, dont on ne peut dépasser les limites, qui impose lui-même les conditions de déplacement, etc., – bref qui règne… La crise règne sous une forme désormais infrastructurelle qui transforme absolument tout.
C’est aussi dire que l’un ou l’autre acteur, une politique ou l’autre, peuvent échapper temporairement ou conjoncturellement à une crise ou l’autre, mais, à notre sens, ils se retrouvent rapidement obligés de regagner ce cadre, ou bien ils se trouvent plongés, à cause de l'intervention des crises, dans des situations absolument inattendues, imprévues, et souvent très dangereuses. (Pour prendre un exemple extrême dont la possibilité ne cesse de stagner depuis huit ans : ils peuvent attaquer l'Iran, certes, et ils peuvent être assurés que le résultat sera un enchevêtrement encore plus colossal, sinon décisif, de leur emprisonnement de l'infrastructure crique, jusqu'à la chute éventuelle des attaquants-agresseurs [eux-mêmes].) Ainsi ce renversement du sens des influences implique-t-il également une transmutation du sens tout court. La politique ne peut plus être ce qu’elle prétend être, parce qu’elle est devenue la chose de l’infrastructure crisique, elle est passée complètement “sous influence”.
Le choix de l’expression désignant notre concept s’est fixé à l’aide du préfixe “infra” (on aurait pu envisager “‘superstructure” ou “métastructure”, etc.), pour cette raison très précise de l’indication de la situation (“en-dessous”, – du latin infra, pour “en dessous de, inférieur à, en bas”). Comme dans le cas du concept d’“infraresponsabilité”, nous voulons indiquer que l’infrastructure crisique, d’une influence écrasante sinon exclusive sur la politique sinon sur la politique-Système elle-même puisque puissance désormais dominante sinon exclusive de la situation générale, est néanmoins mise en position, non pas inférieure mais “du dessous”, pour indiquer qu’elle ne cesse d’attirer les politiques et les situations vers des domaines de plus en plus bas. Bien entendu, comme ces politiques et ces situations sont toutes engendrées par le Système, cette attraction “vers le bas” est objectivement vertueuse, comme le sont les crises par conséquent, puisqu’il s’agit d’abaisser des choses mauvaises en soi, déstructurantes et dissolvantes. C’est un cas classique d’inversion vertueuse.
Pour nous, l’infrastructure crisique constitue évidemment un élément fondamental de la crise d’effondrement du Système. Elle constitue un de ces éléments qui, par la stagnation, la paralysie où elle met les politiques et les acteurs de ces politiques, contribuent décisivement à la dégradation constante de la situation. C’est en cela que la crise d’effondrement du Système, qui renvoie plus pour son opérationnalité aux “termites intérieures” à soi qu’à des chocs extérieurs violents, se fait, d’une certaine façon, mezzo voce, sans faire de bruit particulier. Elle se fait sans trop alarmer ceux qui pourraient s’aviser de son “déferlement furtif” (stealthy surge irait bien, non ?).
En ce sens, on peut aussi bien figurer l’infrastructure crisique comme un trou noir silencieux qui siphonne les politiques, les situations, les cohésions internes du Système et ainsi de suite. Ce “trou noir”, naturellement, est objectivement vertueux.
Pour reprendre toute notre hypothèse, nous dirions que nous assistons à une sorte de “solidification” des crises, d’éléments instables et de courte durée qu’elles étaient en éléments stables et de très longue durée, finissant ainsi par devenir la substance même d’une base fondamentale de la situation générale. (Base, aussi bien au sens spatial qu’au sens figuré, mais “base” qui est aussi une forme hermétique englobant les acteurs et les utilisateurs.) La “structure crisique” qui caractérisait le défilement du temps historique depuis les événements venus de l’époque 1999-2001, qui devenait un enchaînement avec la “chaîne crisique”, qui se déterminait alors en un “temps crisique”, devient désormais une forme générale et spécifique, l’élément stable principal de la situation générale.
…Effectivement une infrastructure, c’est-à-dire bien plus qu’une structure dont la place et la fonction ne sont pas déterminées ; c’est-à-dire une forme générale, un fondement et un soubassement englobant la situation générale, la tenant, la guidant, et ce fondement restant effectivement crisique. Il n’y a donc plus addition de crises, enchaînement de crises, temps devenu caractérisé par la crise, – il y a autre chose, il y a une substance absolument nouvelle, d’une très grande force d’influence qui fait que tout ce qui se passe ne peut être que crisique. Tout ce qui naît, tout ce qui s’installe, tout ce qui se développe dans cette infrastructure devient instantanément “crise”.