Notes sur un gaullisme postmoderne

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Notes sur un gaullisme postmoderne

16 mars 2013 – Nous avouons avoir été épouvanté… Un excellent ami de dedefensa.org, fort bien au courant des choses de la politique européenne, rarement en désaccord avec ce que nous écrivons, nous disant soudain : “C’est affreux à dire mais, finalement, j’en arrive presque à regretter Sarkozy…” Dieu sait s’il avait furieusement jugé Sarko, comme un être bas, d’une pauvreté rare, absolument déstructurant et dissolvant, lui-même Sarko complètement démantibulé jusqu’à son agitation physique à force d’ignorer la force structurante des principes… Mais ce qui est le plus épouvantable, c’est ceci : nous avons dû convenir que, eh bien oui, après tout l’“excellent ami” n’avait peut-être pas tout à fait tort. En effet, il ajouta : “Au moins, avec lui, on ne s’ennuyait pas”.

On comprend bien qu’introduire ce texte par cette anecdote n’est pas une seule seconde “prendre position” (dans ce cas, pour Sarko, même un tout petit peu), ni ne parler que de la France, – bien qu’il s’agisse d’elle, mais avec le Royaume-Uni. On ne distingue plus très bien les particularismes nationaux, les originalités souveraines, etc., dans cette sorte de pseudo-caverne d’un Platon postmoderniste, – théâtre d’ombres projeté sur une paroi de carton-pâte par des conteurs faussaires chargés de bercer les spectateurs d’une narrative triomphale et morale, et ayant pour premier effet de tromper les conteurs faussaires eux-mêmes qui y croient encore plus que les autres. Il est temps de préciser qu’il s’agit du théâtre d’ombre de la pseudo-“politique extérieure” dans le cas de la Syrie.

… La situation ainsi aisément décrite, et pour nous départager entre Sarko et Hollande en évitant de choisir, tout cela fait qu’on se trouve bien au-delà de la possibilité du fait de “prendre position”, comme nous craignions plus haut qu’on puisse croire. Ces dirigeants-Système qui précèdent le Système plus encore que le servir, engendrent autour d’eux la néantisation, l’entropisation. Leur pseudo-politique repose, comme la cause syrienne vue par eux, sur le socle entropique d’une affectivité exacerbée par les élans de communication moderniste du parti des salonnards, et sur la haine du Principe qui va avec. Il va de soi qu’on ne peut, dans un tel vide, “prendre position” que pour décrire le vide et observer les agitations de ceux qui l’entretiennent.

Cela dit, parlons d’autre chose.

Mais quelle mouche les pique ?

…En fait, le lecteur s’en doute, c’est parler de la même chose, à propos du zèle extraordinaire des dirigeants-Système représentant respectivement la France et le Royaume-Uni, pour envoyer avec célérité des armes aux “rebelles” syriens, – aux vertueux et aux modérés, ceux qui sont présentables conformément à nos “valeurs” privilégiant effectivement l’émotivité des talk-shows. Même le gentil animateur du site Bruxelles 2, qui ne ferait pas de mal à un Sarko ou à un Hollande, de s’interroger, le 14 mars 2013 au soir… (Qu’on ne s’inquiète pas à propos de cette citation : aussitôt après, nous étions mis au courant du nom de la mouche et le commentateur, dûment chapitré, trouvait toutes les vertus du monde à cette précipitation.)

«Mais quelle mouche a donc piqué tout d’un coup la France et le Royaume-Uni pour exiger de leurs partenaires européens la levée de l’embargo des armes vers la Syrie[?] Et unis comme les doigts de la main affirmer que si leurs partenaires ne l’accepteraient pas, ils envisageraient l’un comme l’autre, des mesures unilatérales…»

La théorie des trois souverainetés

Tenons-nous en pour l’instant aux arguments officiels. Les Français et les Britanniques se réfèrent à la même logique, qui s’avère fondée de facto sur l’affirmation étonnante qu’ils considèrent sur un même pied de légitimité, sinon de souveraineté, le régime officiel de la Syrie (Assad) et les rebelles ; et sur l’affirmation encore plus étonnante qu’ils sont contraints par la situation (présence des islamistes extrémistes chez les “rebelles”) à considérer, toujours de facto, sur un même pied de légitimité, sinon de souveraineté, le régime officiel de la Syrie (Assad), les rebelles islamistes extrémistes (les mauvais pour leur compte), les rebelles modérés (les bons pour leur compte).

Ainsi y aurait-il désormais selon la narrative qui a une fonction principielle selon ces gens, trois partis légitimes sinon souverains, puisque l’argument est celui de la nécessité d’une équivalence de ces équipements et de ces capacités qui fondent la puissance souveraine, qu’on ne peut proclamer que si l’on estime qu’il y effectivement équivalence. On retrouve tout cela dans cet extrait d’un article du Guardian du 15 mars 2013.

«William Hague, the UK foreign secretary, and David Cameron have this week spoken of the need for reviewing the EU arms embargo. British officials argue that they will not be "constrained" by the embargo. “The arms embargo prevents us from helping the moderates [in Syria],” said an official. “The regime is getting help. The extremists are getting help. The moderates are not.” But British officials also stressed no decision had been taken to arm the Syrian opposition.

»Fabius went further, accusing Iran and Russia of arming Bashar al-Assad's regime, while the resistance went defenceless. “We can't accept this current imbalance with on the one hand Iran and Russia supplying arms to Bashar and on the other the rebels who can't defend themselves,” Fabius told French radio.»

On ajoutera, pour la cerise sur le gâteau, qu’en faisant cette classification («The regime is getting help. The extremists are getting help. The moderates are not.»), l’“officiel” britannique ne précise pas, et Fabius pas davantage dans l’intervention citée, qui aide “les extrémistes”. Les candidats ne manquent pourtant pas : Qatar, Arabie… Cela nous mènerait-il vers une situation où les parties extérieures impliquées dans la crise syrienne elles-mêmes ne seraient plus deux mais trois : ceux qui aident le régime Assad, ceux qui aident les rebelles extrémistes et ceux qui aident les rebelles modérés ?

Application opérationnelle de la théorie des trois souverainetés

On peut expédier ici, et rapidement, la question de l’opérationnalisation de cette “théorie des trois souverainetés”. Jason Ditz le fait en un paragraphe, le 15 mars 2013, sur Antiwar.com.

«Indeed, though there is no indication that they’ve been successful at all in funneling the aid to specific recipients in the past, officials are claiming the growing number of al-Qaeda linked rebels is a justification for the arms as well, with their own aid going to “more secular” groups, at least in theory. The reality, of course, is that on the ground there is not a “secular” rebellion and a religious one, but rather a single rebellion, mostly led by Islamists, and no matter who the packages of arms are addressed to, they’ll spread quickly throughout the movement.»

…Comme l’observe Ditz, la rébellion étant menée par les islamistes, qui sont les meilleurs combattants, non seulement les armes destinées aux modérés seront contrôlées par eux, mais ce sera naturellement eux qui en profiteront le plus et le mieux, et peut-être même faudrait-il s’informer de leurs préférences à cet égard. Cela est écrit pour rappel, tant nous sommes dans le domaine de l’évidence.

Un “geste fort” contre les armes chimiques

Les Français, entrés dans le jeu peu après les Britanniques, se sont tout de suite montrés extrêmement zélés. Sans doute est-ce la conception postmoderniste de la politique gaulliste d’indépendance et d’affirmation nationales, – dans laquelle entre la trouvaille stratégique, authentifiée par la “une” de Libé (un Bachar au visage ensanglanté), de la nécessité de “poser un geste fort” pour le deuxième anniversaire de la “révolution”. Hollande, qui reste égal au modèle de GW Bush version pateline qu’il semble avoir adopté, cette fois selon l’argument des armes de destruction massive, a donc sorti de son sac à malices l’incontestable argument l’emploi des armes chimiques par la Syrie, tout en accusant Assad d’empêcher toute discussion de paix en Syrie, – simplement, en ne partant pas, conception diplomatique postmoderne toujours.

Un peu désabusés et sans vraiment d’enthousiasme, les commentateurs relèvent le vide habituel de ces arguments, particulièrement le pseudo-tonitruant faux nez des armes chimiques obligeamment servi par les habituels Israéliens de service. Jason Ditz, à nouveau le 15 mars 2013, sur Antiwar.com :

«With Britain already insisting that either the European Union needs to abandon the arms embargo on Syria or it is simply going to ignore it, France is now joining in, claiming it is vital for Europe to start throwing weapons, en masse, at the rebel fighters. French President Francois Hollande is citing a claim that Bashar Assad is planning to use chemical weapons, something neither proven nor backed by anything but a single comment from Israeli officials, as justification for sending arms to the rebels.»

Lavrov et la légalité internationale

Les Britanniques ont été, eux, les premiers, pour la séquence de la semaine en fin de parcours, à proclamer la nécessité d’envoyer des armes aux “rebelles modérés”. Avec eux, on entre dans un domaine un petit peu plus substantiel. Mardi, le ministre des affaires étrangères Hague recevait le Russe Sergueï Lavrov à Londres.

Les Britanniques espèrent retrouver de meilleures relations avec les Russes, après un froid polaire établi depuis plusieurs années (2006 et la mort à Londres du Russe Litvinenko, dont on parle toujours actuellement). L’entretien de Hague avec Lavrov a finalement tourné en boucle sur la crise syrienne, sur la question des livraisons d’armes et sur l’affirmation par Lavrov que de telles livraisons constitueraient une violation de la légalité internationale. Russia Today rapporte, ce 14 mars 2013, cette intervention de Lavrov lors de la conférence de presse cloturant la rencontre.

«Russian Foreign Minister Sergei Lavrov has said that plans to arm the Syrian rebels would violate international law, citing Libya, where anti-Gadhafi forces received arms despite an embargo on the country. […] “As for the possibility of arming the opposition, as far as I understand, it is not allowed by international law, that's why arming of the opposition directly or indirectly will be the violation of the international law,” Lavrov told journalists at the Press Conference.

»Lavrov continued that in Libya, when the UN Security Council imposed an embargo on supplying arms to either side of the conflict, it was broken with arms deliveries continuing openly, from both European and Arab countries and that this was a violation of international law…»

Le lion britannique rugit

Pourquoi voir dans cette rencontre un “domaine un petit peu plus substantiel” ? Parce que c’est toujours le cas lorsque les Russes entrent dans le jeu. En vérité, l’intervention de Lavrov, à Londres, devant le secrétaire du Foreign Office un peu pâlot, revenait à condamner par avance les Britanniques (et les Français) comme violeurs de la loi internationale. La chose a été perçue comme une humiliation par le gouvernement britannique. Ce n’est pas mal vu, et l’on sait qu’on n’humilie pas le lion britannique qui régnait sur un empire où le soleil ne se couche jamais sans y laisser quelques touffes de poils.

L’hypothèse de la livraison d’armes, évoquée dès lundi par Cameron, a donc été reprise et amplifiée par Hague mercredi, au lendemain de la rencontre avec Lavrov, pour laver l’humiliation en brandissant cette terrible menace. Finauds, les Français ont grimpé à bord et pris la tête de la tonitruance dans la nécessité de la livraison d’armes. Effectivement, on trouve là la substantivation de la “trouvaille stratégique”, toute en symbole : ce 15 mars, deuxième anniversaire de la “révolution syrienne” et de “la chute imminente” d’Assad, devait être marqué par un “geste fort”. C’est chose faite, et l’on roucoule dans les salons.

Le mur européen, avec Merkel à la truelle

A Bruxelles, hier lors du sommet européen, Français et Britanniques ont pu apprécier que leurs amis européens n’étaient pas enthousiastes pour lever l’embargo sur les armes (la décision doit être prise en mai, – reconduction ou levée de l’embargo). Le Guardian du 15 mars 2013 précise que l’initiative franco-britannique s’est heurtée “à un mur de résistance au sommet”, dont les briques les plus rudes furent lancées par Merkel... Le rapport de la chose est éloquent :

«The sudden Anglo-French move to overturn a European arms embargo on Syria in order to equip the rebels seeking to overthrow the Assad regime has run into a solid wall of resistance at an EU summit, with the German chancellor, Angela Merkel, dismissing the policy U-turn and others warning of a regional conflagration from which Iran would emerge the winner. […]

»David Cameron and the French president, François Hollande, had forced the issue on to the agenda of Friday's summit, on the second anniversary of the uprising. Other participants, who were not informed of the abrupt policy shift, were stunned at the attempt to overturn EU decisions on the sanctions regime against Syria agreed only a fortnight ago. Catherine Ashton, Britain's EU commissioner in charge of foreign and security policy, knew nothing of the change until she read about it in the newspaper, according to senior sources, and responded to the Anglo-French initiative by laying out the “pros and cons” of a lifting of the ban. “There were not any pros,” said an EU source.

»Merkel said Ashton told the summit that lifting the embargo would trigger a regional arms race in Syria from which Iran could emerge as the real victor. The Austrian chancellor, Werner Faymann, bluntly opposed lifting the arms ban and warned that he would order the withdrawal of hundreds of Austrian UN forces from the disputed Golan Heights between Syria and Israel if the European consensus shifted. The Dutch foreign minister wrote to the Dutch parliament also criticising the Anglo-French move.

»“We have a number of concerns,” said Merkel. “One has to ask if it does not fan the flames of the conflict.” The German leader has clearly been surprised by the swiftness of the Anglo-French change. EU foreign ministers met in Brussels last Monday, with the UN envoy on Syria, Lakhdar Brahimi, attending. Neither the British nor the French raised the demands for lifting the embargo then. “Just the fact that two have changed their minds doesn't mean that the other 25 have to follow suit,” said Merkel.»

Kerry et pourquoi pas Assad

Dernier coup d’œil sur la situation : la position des USA. Elle paraîtrait concerner un autre monde, tant le côté américaniste nous semble attaché à trouver une porte de sortie, si nécessaire sous l’aile des Russes qui continuent à être les seuls à maîtriser l’analyse de la situation, et si nécessaire sans l’habituel anathème contre la participation de cet Assad “qui ne mérite pas d’exister” (selon le philosophe française de la question, le ministre Fabius). Une très récente intervention du secrétaire d’État John Kerry est notamment analysée par Abdel Bari Atwan, le rédacteur en chef de Al-Quds Al-Arabi, quotidien arabe (palestinien) indépendant établi à Londres (le 14 mars 2013) :

«Recent statements made by US Secretary of State John Kerry suggest that US policy towards the Syrian crisis is nearing that of Russia and moving away from the vision adopted by its Gulf allies. Speaking in Oslo, the US secretary said: “What the US and the world want is to stop the killing in Syria.” He added, “Syrian President Bashar al-Assad should sit with the leaders of the Syrian opposition at the negotiating table to form a transitional government, according to the framework agreement concluded in Geneva.”

»Such statements tell us that the US administration, during its second term, has turned to adopt a different position to the Syrian crisis, looking to achieve a political solution. The US Secretary of State did not stipulate that the resignation of the Syrian president was a pre-condition condition for any political solution for the Syrian crisis during the press conference. He did not say that the Syrian regime or its representatives should sit with the Syrian opposition at the negotiating table, while he said Assad should negotiate with the opposition. The statement is essentially American recognition of the legitimacy of the Syrian regime…»

Nos amis de Conflict Forum (Beyrouth) ne sont pas loin de cette ligne d’analyse. Ils donnent, ce 15 mars, leur appréciation de l’évolution de la position US sur la Syrie : «We see American policy – in practice - moving ever closer to the Russian position, whilst still trying to convey the impression that it is Russia that finally will ‘get it’ and fall into line with US policy. In short, Kerry’s green light to the further arming of the opposition is far from unconditional. The US aim seems to be a measured increase in weapons sufficient for a final big push – before negotiations begin; and in order to strengthen the hand of the opposition in talks scheduled to begin shortly. We should expect yet another propaganda blitz in the international press centred on the ‘final battle’, with much talk of Damascus’ imminent fall. The US strategy’s Achilles’ heel are two: infighting within the opposition, and the Emir of Qatar’s apparent determination to wreck the negotiations by setting up a interim ‘all Syria’ government that would both divide Syria and, as it were, erase the ‘other’ party to negotiations – i.e. the Syrian government.»

La France en mode gaulliste postmoderne

C’est un exercice difficile, parce que si affligeant par son infécondité, que de tenter d’expliquer la position des Franco-Britanniques. Certains y chercheront de la stratégie, de la politique finaude, de la moralisation en politique, etc. On leur laisser volontiers ces domaines, parce que s’y aventurer serait risquer de plonger dans l’hébétude des narrative qui structurent l’épine dorsale type-éclair au chocolat de cette politique. Tout cela fut couronné d’ailleurs par le message de Hollande aux Russes, ou plutôt à Poutine (lors de sa conférence de presse après le sommet européen), plein de ce qu’on doit juger, à l’Elysée, être mesure et raison bien françaises ; c’est-à-dire en vérité une époustouflante condescendance et une stupéfiante inconséquence. Nous voilà confirmés que la bande parisienne, section socialistes au pouvoir, vit dans un bocal type poisson rouge…

«Nous respectons la position qu’a la Russie dans cette région et les intérêts qu’elle peut encore détenir ou préserver. C’est légitime. La Russie fait partie de ces puissances qui peuvent contribuer à l’équilibre, à la stabilité. J’ai plusieurs fois garanti au président Poutine que l’après-Assad ne signifierait pas la fin des relations que ce grand pays a en Syrie […] La levée de l’embargo sur les armes ne signifie pas couper la relation avec la Russie. […] Il faut tout faire pour associer la Russie à cette solution politique…», et ainsi de suite. Peut-être a-t-on perçu quelque éclat de rire consterné au Kremlin, où l’on pourrait tout de même songer à libérer les Pussy Riots pour saisir la main tendue par Hollande.

Les Français ont-ils l’intention d’ignorer l’embargo européen s’ils ne parviennent pas à convaincre les autres Européens de les suivre ? A cette question, le ministre Fabius a répondu, lors d’une interview radio (France-Indo), sourire parisien type-Quai d’Orsay et condescendant au lèvres : «La France est un pays souverain, madame.» Voilà qui vous sonne gaulliste, comme nous a habitué ce gouvernement depuis qu’il est au pouvoir, dans ses entreprises européennes et au sein du bloc BAO. Cette stature gaulliste, affirmée sur le socle de l’entropisation qu’ils ont créé, est confirmée par le président lui-même, à Bruxelles, en petit comité de presse, toujours selon l’empressé et gentil animateur du site Bruxelles 2 : «Et si il n’y a pas d’accord entre Européens ? Le président français refuse d’employer le mot de “veto”. Mais c’est tout comme : “Nous prendrons nos responsabilités”».

... Certains jugeront que cette attitude française, benoîtement maximaliste, a tout de même à voir avec la position désespérément préoccupante, du point de vue de la popularité sondagière qui est le point de vue privilégié, du président Hollande. Ce brave homme, arrivé au plus hautes fonctions, ne sait exactement quoi en faire ; il a gardé un goût agréable de l’aventure malienne qui l’a transformé pendant deux-trois semaines en “chef de guerre” populaire et à la stature pseudo-gaullienne ; pourquoi pas l’aventure syrienne ? Pourtant non : même en France, où l’on est désormais habitué à suivre au nom de l’émotivité postmoderne, voilà que les diverses oppositions trouvent à redire au maximalisme tranquille, type néo-bushiste, du président. On grogne un peu partout (Guéant, Bayrou, Alliot-Marie, Morin, le FN) contre cette idée de livrer des armes aux rebelles. La mayonnaise syrienne n’est pas la mayonnaise malienne…

De l’émotivité à l’infraresponsabilité

Nous revenons au plan le plus général de l’époque pour observer que le total épuisement psychologique de ces gens, leur exceptionnelle infécondité, la chose difforme qu’ils persistent à qualifier de “politique étrangère” nous conduisent à penser qu’il n’y a plus moyen de s’exercer à ce propos à la manufacture d’une critique structurée. Nous sommes totalement dans le domaine de l’l’affectivité nourrie aux talk-shows parisiens pour l’analyse politique, et dans celui de l’infraresponsabilité pour la prise en compte et la réalisation de la chose ainsi enfantée. Ainsi considérons-nous la question des armes vers la Syrie (embargo levé ? Contournement de l’embargo ?) comme secondaire du point de vue événementiel, dans le chef de ces dirigeants-Système. Leur impuissance à agir, absolument montrée et démontrée dès qu’il s’agit d’une politique élaborée et nuancée, répond de ce jugement ; le seul apport qu’ils font est le bruit de leur théâtre d’ombres, qui suscite bien entendu agitations et supputations, et de là est entretenue et même accélérée la mécanique des grands courants hors de l’emprise humaine qui parcourent cette époque métahistorique.

L’essentiel est donc de s’attacher aux événements que ces “actes” étranges et de pure communication suscitent et susciteront, pour mesurer les effets que ces événements, agissant quasiment d’une façon autonome et hors de ces politiques d’entropisation, pourraient exercer sur certaines situations. D’une façon révélatrice, nous observerions éventuellement ces effets plutôt sur l’Europe que sur la Syrie, décidément l’un des lieux favoris de ce théâtre d’ombre qu’on a dit, et évidemment sur le comportement les Russes, les seuls acteurs sérieux parmi ceux qui prétendent à un rôle international.

… Les Russes, justement. Nous nous demanderions bien, avec discrétion mais intérêt, si le ministre Lavrov n’a pas volontairement insisté, lors de la conférence de presse, sur le caractère d’illégalité et de banditisme international que constitueraient selon lui des livraisons d’armes aux rebelles. Nous y verrions moins de la provocation gratuite ou de l’inadvertance qui n’est pas dans ses habitudes, qu’une illustration d’une attitude désormais très ferme et sans concession de la part des Russes ; une sorte de version, à destination des franco-anglais du bloc BAO cette fois, de l’occurrence décrite par notre “sourire de Lavrov” du 1er mars 2013. Cela signifierait que les Russes ne prennent plus de gants et ne vont plus s’escrimer à tenter d’équilibrer et d’amadouer ce poulailler devenu chaotique qu’est désormais le bloc BAO. En d’autres mots, Lavrov savait qu’il allait humilier les Britanniques et il n’en était pas mécontent.

La Russie n’oubliera pas

Il est assuré, malgré ou plutôt grâce aux assurances de Hollande garantissant à la Russie un accès de belle influence à une Syrie libérée de Assad et rangé en bon ordre par l’équipe Londres-Paris, que les relations de la France et du Royaume-Uni avec cette puissance (la Russie) vont désormais être marquées par le poids de ces étranges rodomontades soulignant le “geste fort” du projet de livraison d’armes. C’est beaucoup sacrifier, du côté parisien, à l’influence des salons. La posture type-gaulliste postmoderne semble confondre les nécessités, dans le sens de les invertir. On ne joue pas impunément, d’une façon si impudente, avec des relations aussi essentielles à la position traditionnelle de la France, – équilibrer sa position minoritaire en Europe par un lien substantiel avec la Russie, – sans risquer de graves déboires. Cela est d’autant plus clair que les Russes ne sont plus d’humeur à laisser passer ce genre d’acrobaties.

Mais ce raisonnement est-il bien utile ? Après tout, leur “posture type-gaulliste postmoderne” revient finalement, selon le mouvement d’inversion habituellement suivie pour leur travail d’entropisation, à se noyer dans le bloc BAO et à en rajouter bientôt dans ce sens pour pouvoir être distingué en concluant que c’est la grande inspiration de l’“indépendance nationale” qui les guide. L’affaire de la livraison d’armes aux rebelles ressort de cette stratégie toute entière inspirée par la politique-Système.

Elle est justement si extrême dans le sens de la politique-Système, cette stratégie, qu’elle finirait même par amener les autres pays européens à reprocher à la France (et au Royaume-Uni, mais comme acteur secondaire qui n’est pas vraiment européen) de compromettre les maigres relations subsistant entre l’Europe et la Russie, voire de compromettre certaines tentatives timides, esquissées ici et là, pour tenter de rétablir un bon voisinage européen avec la Russie. Et tout cela, pour le mirage syrien… L’inversion est complète et ainsi accomplie par la politique française transformée en version salonarde de la politique-Système.

Hollande est-il un allié de Beppe Grillo ?

Ce dernier point nous conduit à la situation européenne elle-même. L’étrange initiative franco-britannique, encore plus étrange dans le chef de la France, sème un considérable désordre et de sérieuses inimitiés au sein de l’Europe communautaire. Cela l’est d’autant plus, étrange, que les mêmes Français, – décidément en vedette, – ont bâti toute leur grande politique d’indépendance nationale de type-gaulliste postmoderne sur une allégeance complète à l’Europe, au principe européen, au dessein européen devenu ce qu’on sait qu’il est… Cela est en accord logique avec l’intégration de la France dans le bloc BAO, mais le zèle à ce propos conduit finalement à introduire un non moins étrange motif de discorde dans les rangs européens. Version française du fameux propos, transformé du point de vue parisien en “discorde chez l’ami” ou “discorde chez soi-même”, sommet de l’inversion puisque inversion parvenue à l’inversion d’elle-même…

Il serait ironique, ou bien disons intéressant, que le mirage syrien introduise dans les rangs européens une mésentente telle que toute la belle unité d’allégeance pour une politique d’austérité et d’auto-étranglement s’en trouve brusquement perturbée. L’on pourrait alors voir que le président Hollande serait devenu une sorte d’“allié objectif” de Beppe Grillo, dans son entreprise de sabotage anti-européenne. Les anti-européens français, qu’ils soient de gauche comme de droite, auraient donc leur “divine surprise” et l’on entendrait alors un grand rire majestueux, celui du Général de dedans sa tombe.