Notes sur un “monstrueux avatar” de la postmodernité

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Notes sur un “monstrueux avatar” de la postmodernité

On peut lire par ailleurs, le 22 octobre 2012, le détail très révélateur d’un accrochage entre le délégué spécial de l’ONU pour la Syrie Lakhdar Brahimi et le ministre qatari des affaires étrangères Sheikh Hamad Bin Jassim al-Thani. L’épisode nous en dit long, constatons-nous, sur Brahimi “pris sur le vif”. Il nous en dit long également sur le ministre qatari et, plus largement, sur les dirigeants qataris en général.

C’est d’eux, les dirigeants qataris, et du Qatar, que nous voulons parler ici. Le Qatar constitue en soi un cas extraordinaire et un problème extrêmement remarquable, révélateur et exemplaire à la fois. Ce n’est pas seulement d’un cas politique, voire géopolitique, éventuellement financier, voire même d’influence, que nous voulons parler. Le Qatar est tout cela à la fois, mais il nous apparaît être bien autre chose.

Un “État frontiste” ?

A qui parlait Brahimi lorsqu’il parlait au ministre qatari des affaires étrangères ? Au ministre qatari ou à l’envoyé à peine dissimulé des USA et du bloc BAO ? Ces question intéressantes ne sont nullement gratuites. Elles sont largement alimentées par divers échos de presse et d’analyses sur la posture et le rôle du Qatar, non seulement dans la crise syrienne mais vis-à-vis de tous les évènements génériques de la chaîne crisique nommée “printemps arabe”.

Ces échos tournent autour d’une autre question, qui précise et substantive le problème : le Qatar est-il un “État frontiste”, au service essentiellement des USA, et, au-delà, du bloc BAO dans les affaires dont nous parlons ? (“État frontiste”, comme l’on dit d’une “organisation frontiste” cherchant à imposer une influence d’une autre puissance dont elle est le relais opérationnel, en la “blanchissant” par son statut et son apparence d’indépendance vis-à-vis de cette puissance.) Les relations du Qatar et des USA constituent pourtant un “modèle” nouveau, qui substituent aux rapports habituels (domination et contrôle par les USA d’un pays quelconque vassalisé) une forme assez inédite où le “vassal” apparent dispose de très puissantes capacités propres, voire même d’une capacité de contrôle de son suzerain. En cela, nous hésiterions fort sur l’emploi de l’expression “État frontiste”, qui implique un rapport de sujétion complètement indiscutable et indisputé du “frontiste” par rapport à celui dont il est le front…

Le “parrain” qui a besoin d’un “tuteur”

Le 15 octobre 2012, Al-Sayyid al-Najjar décrivait, dans le quotidien égyptien Al-Akhbar ce qu’il qualifiait (titre de son article) de «Godfather of Arab Revolutions», dito le Qatar, ce micro-État de 1,9 million d'habitants dont 300.000 nationaux, avec le plus haut revenu par habitant du monde ($179.000/an), – cela, en moyenne, avec la puissance de subversion que peut donner une notion quantitative (“moyenne”) par rapport à la réalité qualitative. Le journaliste décrivait donc un pays minuscule qui est pourtant “le parrain de la Révolution Arabe”, et un pays néanmoins minuscule et “sans tuteur” qui se serait acheté un tuteur sous la forme d’une très puissante base US («The United States got its biggest military base in the area in Qatar»). La question qui demeure accessoirement ouverte est de savoir si cette base est seulement un centre logistique couvrant toute la zone, déjà ancien, ou bien s’il a été agrandi très récemment, et décisivement, à un centre naval de commandement et de contrôle, dans le chef du transfert de tout ou partie de l’état-major opérationnel et de commandement de la Vème Flotte de l’U.S. Navy.

L’histoire récente de la Vème Flotte est intéressante quoique très peu documentée publiquement, sinon dissimulée, – ou peut-être est-elle intéressante parce que peu documentée, sinon dissimulée. Le caractère hypothétique de récents changements, mais aussi la forme de ces changements, substantivent éventuellement la transformation du Qatar en pseudo-“État frontiste”. La Vème Flotte couvre pour l’U.S. Navy la zone dite “du Golfe”, de la Mer d’Oman à l’Océan Indien. Elle est de création récente (comme la IVème Flotte couvrant la zone des Amériques au sud du Mexique), à côté des classiques IIème, IIIème, VIème et VIIème Flottes : activée en 1944 comme complément de la fameuse et puissante IIIème Flotte de l’amiral Halsey dans le Pacifique, elle fut désactivée en 1947 ; elle fut de nouveau activée dans les années 1990 à cause de la première Guerre du Golfe, dans des conditions stratégiques si différentes que l’analogie ne porte que sur la numérotation de la Flotte. Elle fut officiellement installée à Bahrain, dans le port de Manama, en juillet 1995. Mais de très récents changements, très peu documentés, pourraient avoir eu lieu (conditionnel janséniste de rigueur). L’article sur la Vème Flotte du Wikipédia implique que le centre de commandement opérationnel de cette Flotte aurait pu être transporté discrètement en 2011 au Qatar ou aux EAU, à la suite des troubles au Bahrain. (« Son quartier général (NSA Bahrain) se trouve à Manama, au Bahreïn. Le soulèvement bahreïni de 2011 aurait conduit le commandement américain à envisager d'implanter le quartier général de la flotte dans un pays plus stable, le Qatar ou les Émirats Arabes Unis.») (Il faut noter que la version US de l’article, sur la U.S. Fifth Fleet, ne fait aucune mention de cette possibilité de transfert, malgré l’abondance de l’article. Cela n’est en aucune façon, pour nous, une preuve de la véracité de cette version, ni même un signe encourageant.)

Les exigences de sa propre sécurité

Le texte de Al-Sayyid al-Najjar, dans Al-Akhbar, pourrait entériner la version du transfert de la direction de la Vème Flotte au Qatar, bien qu’il reste vague dans sa formulation (« The United States got its biggest military base in the area in Qatar») ; une version plus précise serait alors le transfert secret au Qatar de certains éléments très sensibles de commandement et de contrôle de la Vème Flotte au Qatar.

Cette version du transfert au Qatar est surtout politiquement très concevable et acceptable, si l’on considère le rôle récent du Qatar, depuis l’affaire libyenne, et sa position d’une certaine forme de leadership dans une partie très activiste de la “coalition” BAO formée à cette occasion, position confirmée et renforcée depuis. Cette “certaine forme de leadership”, entérinée et acceptée par les pays occidentaux (et les USA) en perte accélérée de puissance, implique une positon de force du Qatar, selon les conceptions postmodernes. Le Qatar a des exigences, et parmi elles celle de sa propre sécurité ; une présence de haute valeur d’éléments US sur son territoire est une garantie de sa sécurité, du fait des USA et en fonction des intérêts militaires “sensibles” US. Ainsi a-t-on la version postmoderne d’une “position de force”, d’une “certaine forme de leadership” et d’une politique étrangère hypertrophiée, dont la source aurait paradoxalement un urgent besoin de protection d’un “parrain”.

Certaines allusions dans la presse turque, bien informée sur le Qatar et très intéressée par lui, selon une orientation plutôt méfiante de la direction turque, irait dans le sens d’un transfert discret de certains organismes de contrôle et de commandement de la Vème Flotte. Par exemple, ce commentaire de Cumali Onal qui nous est donné comme référence, du 19 février 2012 dans Zaman (proche du parti de la direction turque), «Qatar, a young emirate that gained its sovereignty in 1971, has been governed by the Al Thani family since the mid-19th century. Its security is majorly dependent on the Fifth Fleet of the United States Navy. Being such a small country, Qatar’s name is mentioned rather frequently due to its disproportionately active foreign policy.»

“…se payer les USA” ?

Ce caractère extrêmement discret de l’éventuelle “transaction” stratégique avec les USA serait absolument en conformité avec la forme d’activité du Qatar et la définition nouvelle d’un “État” qui l’accompagne. Cette définition implique la recherche de l’acquisition par l’argent de toutes les formes postmodernes de la puissance et de la souveraineté, – ou de l’apparence absolument virtualiste de la souveraineté. Dans cette évolution, on met l’achat complètement paradoxal de sa sécurité par ce qu’on a coutume de considérer comme une forme de soumission (une base centrale US de contrôle et de commandement installée sur le sol national), et qui représenterait en fait le contraire. Le Qatar se serait donc bien, selon cette version, “payé” les USA plus que les USA ne se sont “payés” le Qatar… Ainsi en est-il de la version de Al-Sayyid al-Najjar, qui décrit la philosophie d’“achat” de sa puissance par le Qatar.

«…A popular saying goes that “those who do not have seniors should buy themselves seniors.” This is what Qatar has applied by buying the biggest country in the world, the United States. The two States found their opportunity to attain their objectives. The United States got its biggest military base in the area in Qatar which was assured in return of the strongest form of international protection. The United States acquired the influence while Qatar obtained the ability to be spoiled and adopt decisions supported by the American Administration and by plentiful money. It sells and buys whomever it wants, even if it wants to impose somebody specifically as Secretary General of the Arab League. It felt that it was entitled to get rid of its deep-seated inferiority complex by showing that the prestige of States is not due to geographical location, history, or the achievements of their peoples but to political prowess. Who can rival Qatar in this now after it became the American paw[n] and became in control of a loud media voice through a network of satellite TV channels that support its position and carry out this design with money? Who can rival it today after the volume of its foreign investments reached $300 billion? Its biggest chance today to control the resources of the Arab Spring countries is through investments in real estate, tourism, and banks. It is the primary profit maker in times of crises and not the primary savior, as it tries to appear in its image with Egypt. This is another subject we shall discuss. »

The French touch

Comme l’on sait, le Qatar joue un rôle important dans la vie-politico-économique française, depuis la rachat de l’équipe de football PSG, l’entrée dans l’actionnariat Total, jusqu’à de plus récentes, et de plus en plus nombreuses frasques. La plus récente est l’entrée du Qatar dans l’organisation de la Francophonie. Un chroniqueur observa à ce propos, avec une ironie à mesure, plus ou moins involontaire (dans Le Quotidien Jurassien, le 14 octobre 2012) :

« …Ce petit émirat du golfe Persique, peuplé de 1,8 million d’habitants, n’a pourtant rien de francophone. Il a néanmoins été admis dans la Francophonie au prétexte qu’il accueille sur son sol “maints expatriés hexagonaux”. L’argument fait sourire. Appliqué à tout le monde, il ferait entrer dans la Francophonie a peu près tous les pays du monde. Ce n’est pas tout. Le Qatar prend pied dans l’organisation sans même passer par la case de “membre observateur” pourtant de règle. Un traitement de faveur qui le rend suspect.

» Le Qatar est très riche et ambitieux. Au deuxième rang mondial en terme de PIB par habitant, cette petite monarchie pétrolière et gazière s’est lancée depuis quelques années dans une politique d’investissements étrangers tous azimuts. Elle est massivement présente en France où les fonds qataris pour financer des projets dans les banlieues suscitent la polémique. Le Qatar a des ambitions en Afrique aussi et ceci explique sans doute cela. Doha, la capitale qatarie, sait que l’estampillage francophone pourra la servir dans un continent africain qui représentera, selon les projections, le 85% des 750 millions de francophones dans le monde en 2050.»

Vergennes entre l’asile et le souk

Lorsqu’on écoute le Quai d’Orsay, le ton change comme il est de tradition. Du fauteuil de Vergennes, il n’est pas question de verser dans la polémique oiseuse. Le porte-parole du Quai (voir le 16 octobre 2012) a déclaré qu’il y avait « des “raisons de fond” pour l’adhésion du Qatar à la Francophonie («l’engagement de Doha en faveur du renforcement du français […] L’enseignement du français rétabli dans les établissements publics qataris à la rentrée 2012…», etc.)

Tout cela s’est décidé lors du sommet de la Francophonie de Kinshasa, où des participants africains ont observé avec inquiétude qu’en fait d’enseignement du français le Qatar passait plutôt pour financer des écoles religieuses (musulmanes, plutôt fondamentalistes comme il se doit) à la place des écoles en français, cela en Afrique francophone. On a négocié dur à Kinshasa et il a fallu le lobbying du Qatar (dito, les $milliards) et l’autorité de la France souveraine pour emporter l’affaire. Pendant ce temps, Hollande sermonnait pompeusement Kabila sur les vertus de la démocratie. Bombastique, really

Peu de temps auparavant, le ministre Fabius, l’homme qui juge incompréhensible et insupportable que Bachar al-Assad puisse vivre sur notre terre, comme vous et moi, et comme lui (Fabius) avenue Victor-Hugo, avait “souhaité la bienvenue” aux investisseurs (qataris) et juré que le Qatar, par ses frasques diverses, n’exerçaient aucune influence sur la politique extérieure française… Le fauteuil de Vergennes se situe donc à égale distance de l’anathème maniaco-dépressif et des rêveries volantes du marchand de tapis.

Qatar, Frankenstein du Système

Finalement et puisqu’il est capable du meilleur comme du pire, ne dissimulons pas une seconde à cette occasion que Jean-Luc Mélanchon a donné du meilleur de lui-même. On parle ici de la définition du Qatar-en-France qu’il propose (le 26 septembre 2012, sur AFP/France 24), après l’annonce d’investissements qataris dans les fameuses “banlieues à problème”. (Une autre affaire qui fait grand bruit dans la France en voie de “qatarisation”.) :

« “La présence du Qatar dans les banlieues est l'enfant de la politique pourrie de contractions des dépenses de l'Etat, de refus de services publics et de l'ouverture des marchés financiers” […] [Mélanchon] a fustigé “le Qatar (qui) vient mettre de l'argent pour faire de l'argent”. “Le Qatar a commencé à s'installer ici, là-bas, et ainsi de suite. Ça, ça s'appelle une espèce de colonisation. Par qui sommes-nous colonisés ? Nous sommes colonisés par l'argent. L'argent n'a pas de patrie, l'argent n'a pas de peuple, l'argent n'a pas d'autres intérêts que lui-même”, a poursuivi M. Mélenchon pour qui “le Qatar est une espèce d'avatar d'un système monstrueux”.»

“Avatar” certes, monstre, avorton, Frankenstein, tout cela va très bien après tout… Avec le Qatar tel qu’il est devenu en 2012 à cause de son rôle dans le Système, nous découvrons une nouvelle sorte d’entité monstrueuse ; pure création de la modernité devenue folle et postmodernité à la fois, parce qu’arrivée au bout d’elle-même, effectivement pure création du Système.

Le Qatar et ses bottes de sept lieues

…En effet, rien de plus moderniste que le Qatar, avec ses tours vertigineuses, ses parcours de golfe en synthétique dans le désert et ainsi de suite. Mais le Qatar n’est semblable à aucun autre lorsqu’on met en regard de ses caractères fondamentaux de tradition, de taille et de puissance, ses ambitions politiques, sa “politique étrangère” hypertrophiée, ses pratiques intrusives et sans grand souci de la légalité, son emploi manipulateur massif de l’argent pour des fins qui ont nécessairement un poids politique considérable, son rôle tout autant considérable dans des affaires géopolitiques de grande importance, etc. Tout se passe comme si le Qatar avait usurpé un rôle, comme s’il avait chaussé des bottes de sept lieues pour apparaître infiniment plus grand qu’il n’est.

Ce qui permet de développer cette analogie, bien entendu, c’est l’absence totale de légitimité de ce qu’on baptise un “État frontiste” et qui est en réalité un non-État, une “absence d’État” posée sur une structure artificielle qui voudrait en avoir l’allure et la pratique. Il s’agit donc d’une chose complètement déstructurée, absolument ennemie de tout ce qui ressemble à un principe, et qui par conséquent tente tout et ose tout. Effectivement, comme l’observe furieusement Mélanchon, le facteur dominant, exclusif, omniprésent jusqu’à en constituer la vertu absolue et fournir la fonction vitale de l’oxygène pour la vie, c’est l’argent dans son usage sans la moindre contrainte ni le moindre principe. Si ce n’est la légitimité décidément enfuie, c’est donc l’argent, comme étant la seule chose qui pourrait avoir une apparence de substance pour le Qatar ; c’est dire si ce “non-État” prolifère sur une non-substance, ou plutôt une substance négative avec la caractéristique elle-même de proliférer comme un agent dissolvant, et même un agent d’entropisation.

L’absence de légitimité comme raison d’être

Certes, d’autres entités peuvent prétendre à ce rôle, mais elles ont en général l’un ou l’autre caractère qui brouille le jeu et les rendent moins exemplaires que le Qatar. Car le Qatar est devenu exemplaire…De cette façon qui n’est qu’à lui, par son insignifiance géographique et historique, son absence de tout caractère qui marque une Nation ou un État, son absence presque absolue et quasiment constitutive de légitimité, – comme si, pour être en 2012 précisément, le Qatar se devait absolument de n’avoir aucune légitimité, – le Qatar est, dans sa forme actuelle et à cause de l’orientation qu’il a prise, l’exemple remarquable d’une pure création de ce que nous nommons le Système. L’on veut dire par là que c’est cette fonction dans le Système, finalement recherchée et assumée, qui rend tous les caractères qui sont les siens créateurs forcenés d’une illégitimité qui n’a guère d’équivalent et qui permet tout en n’assumant rien.

Le comportement de puissances comme les USA et la France devant cette création du Système qu’est le Qatar de 2012, finit effectivement par ressembler à une sorte de révérence. Ainsi, ces puissances au-dessus de tout et ces vieilles nations habituées à la colonisation des autres, se trouvent-elles colonisées d’abord par une sorte de sentiment d’allégeance paradoxale, bien plus que par l’argent lui-même. Il s’agit bien d’une révérence pour le Système, et pour l’une de ses constructions les plus achevées. C’est dans ce sens qu’on doit comprendre l’observation qui vient naturellement sous la plume : «Le Qatar se serait donc bien, selon cette version, “payé” les USA plus que les USA ne se sont “payés” le Qatar…» («…This is what Qatar has applied by buying the biggest country in the world, the United States.»).

D’une certaine façon, le Qatar constitue donc une parfaite mesure de l’état des choses et des principes dans les vieilles nations qui campent dans le bloc BAO, dans cette année 2012. Les incursions dans les arcanes françaises, y compris jusqu’à cette farce-bouffe de se faire membre de la Francophonie, mesurent l’état des restes de la souveraineté et de la légitimité qui traînent dans les coins et recoins plus ou moins rancies de cette France postmoderniste.

“Tout ou rien” en Syrie

…Par conséquent, il est d’autant plus remarquable, et certainement significatif pour révéler cette situation illustrée par le poids du Qatar dans l’ensemble-Système qui est le nôtre, de constater l'action de la logique également propre au Système dans les aléas et les infortunes que rencontre désormais cette création du Système dans ce qu’elle a de plus ambitieux, qui est sa “politique étrangère”. Cela nous renvoie aussitôt, logique effectivement satisfaite, au fameux processus de la surpuissance engendrant l’autodestruction. La Syrie est un exercice parfait à cet égard, une démonstration remarquable de ce qui commence à ressembler, pour le Qatar, à une impasse caractérisant la politique extrémiste inspirée par le Système, et aboutissant à des “tout ou rien” catastrophiques.

C’est cette orientation qu’observe la note de Conflicts Forum publiée sur ce site ce 22 octobre 2012. On y voit que le Qatar se trouve même en décalage par rapport à l’Arabie, qui garde quelques réserves d’habileté politique…

« We see that the Qatar-Saudi alliance originally forged by Prince Nayef has unravelled. It is noticeable that little has emerged from Saudi Arabia by way of statements on the subject of Syria for some two months now; whilst the Emir of Qatar remains as voluble as ever on Syria. But more significantly, the Qatari and Saudi representatives in the (Syrian) field not only now do not deign to talk with each other, they are deliberately funding quite different armed insurgents within Syria – groups that are not just rivals, but which increasingly are killing each other.

»Qatar mainly prefers Muslim Brotherhood orientated groups, whereas Saudi mostly funds Salafist movements that it hopes will contain and circumscribe the power of the Brotherhood in the vacuum that would follow, were President Assad’s government ever to fall. In truth, there is a huge ambiguity about the real nature of most of these groups who have become chameleons adept at presenting the ideological ‘shape’ that respective donors are thought most likely to fund. The big difference between the two main funding states however, is that whereas Saudi can – and seemingly is - discretely ‘walking back’ the Syrian issue, the Emir is way out on a branch, with no way back: It is ‘all or nothing’ for him.»

Ainsi en est-il de la “politique étrangère” du Qatar, que tout les commentateurs ont découvert avec stupéfaction et, pour nombre d’entre eux, avec admiration, lors de l’aventure libyenne. Comme nous le notions récemment, cette “politique étrangère” a la prétention et le maximalisme de l’argent mais se heurte rapidement dans son développement à son absence de légitimité (l’illégitimité n’est efficace que sur un temps très court) et s’abîme dans cette substance négative qui jette dans l’entropisation tout ce qu’elle prétend concerner.

Comme le destin d’Aljazeera

Le Qatar et son aventure constituent effectivement un exemple archétypique de l’activité du Système, avec le Qatar devenu lui-même dans son développement des quelques dernières années une parfaite émanation du Système. La rapidité des changements d’orientation de son destin est remarquable, et mesure la puissance de l’activité du Système et des effets que cette activité engendre.

Il importe en effet de rappeler que la célébrité et la puissance du Qatar dans cette séquence sont nées avec l’ascension de la chaîne de télévision Aljazeera, que la fine équipe Bush-Blair eut par instant, dans la période euphorisante des années 2001-2004, le projet de bombarder avec une de ces attaques aériennes dont le Système a le secret. Dans cette période, il arriva même que le petit Qatar parût héroïque dans ce qui semblait être une remarquable fonction antiSystème, laquelle aurait pu constituer, si elle avait été poursuivie, une véritable légitimité. Aljazeera, qui avait le soutien de son principal actionnaire (le Qatar lui-même), fournissait seul, dans le déchaînement de la puissance du Système inscrit dans les aventures américanistes, une information qui mettait à nu les fondements de ce déchaînement. Ce n’était donc qu’un état transitoire et qui paraît aujourd’hui nécessairement trompeur, qui s’est dissipé avec le vertige du Système. Le destin d’Aljazeera, telle que cette chaîne est devenue, illustre parfaitement, avec cette chute finale, celui du Qatar s’inscrivant finalement avec entrain, et même en tête, dans la dynamique du Système. Tout s’est passé comme si la puissance antiSystème d’Aljazeera avait servi de monnaie d’échange, pour permettre à son Emir d’occuper une de ces premières places de choix.

Sans légitimité et sans autre substance que cette charge de puissance négative et dissolvante qu’est devenu l’argent dans le cadre de l’activisme fou du Système, le Qatar est parvenue au sommet de la courbe de son activité de surpuissance devant laquelle tous les pays du bloc BAO s’inclinent avec respect. Dans la logique même de la dynamique qu’on connaît bien désormais, le processus d’autodestruction ne devrait pas tarder à porter tous ses fruits, et l’on peut d’ores et déjà considérer que les avatars rencontrés par les ambitions syriennes du Qatar en sont les premiers.