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1433Certains ont fait grand cas du changement du nom désignant l’opération lancée par l’IDF contre Gaza. (IDF pour Israël Defense Forces [en anglais, dans l’emploi général et officiel], et non plus Tsahal, qui est de moins en moins usité, – tout cela ayant une signification symbolique, pour qui veut s’y attacher.) Comme la parenthèse qui précède, dans une époque où la communication domine tout, les mots ont leur poids spécifique, qui peut être fortement symbolique.
…Ainsi commencerons-nous ces “notes” sur l’affaire de Gaza, par l’aspect symbolique, et l’aspect symbolique construit en toute hâte, pour donner un argument d’une certaine solidité à une action de si faible substance malgré les effets à mesure d’une brutalité qui tente de dissimuler cette pathétique absence. La situation générale dérive furieusement, hors du contrôle de la raison, – fût-elle diplomatique, militaire, stratégique, – ou du simple bon sens.
Au départ, l’opération était nommée par l’IDF “Pillar of Cloud”, puis elle fut renommée, très rapidement et subrepticement, on veut dire par le seul emploi de l’expression par l’IDF, “Pillar of Defense”, – tout cela, et à nouveau en anglais dans l’emploi général et officiel… Mais, également, avec l’emploi initial de l’hébreu, pour le nom initial de l’opération.
Le site The Moon of Alabama, dans le chef de son commentateur, “b”, a développé un intéressant commentaire à cet égard. Cela est écrit le 15 novembre 2012.
«The Israeli operations name was first announced in Hebrew as “Pillar of Cloud” which the general sense is a “Shekhinah” – the visible symbol of the divine presence – which occurs several times in the Exodus, the saga in which the Israelite flee from Egypt. In this case there is a more specific interpretation: As a couple representative verses from Exodus 14:20-21 state: “Then the angel of God, who had been traveling in front of Israel’s army, withdrew and went behind them. The pillar of cloud also moved from in front and stood behind them, coming between the armies of Egypt and Israel.” […]
»About an hour after the “pillar of cloud” name was announced the IDF spokesperson on Twitter started to use a different name, “pillar of defense”, as a hashtag in its English tweets.W […] The question is why?...»
Le 20 novembre 2012, Robert Fisk, dans un texte général qu’il publie dans The Independent sur l’affaire de Gaza, revient sur le cas, sans avoir eu besoin, sans aucun doute, de consulter The Moon of Alabama.
«That wise old Israeli owl Uri Avneri – he is 89 years old – thinks this is just the trap that Hamas fell into by launching its preposterous “Gates of Hell” rocket attacks in revenge for Jabari’s death. The whole Operation “Pillar of Defence” was about destroying Hamas’s weapons – not about the largely ineffective missiles themselves. Isn’t this why Israel gave its operation the name it did? For, despite our constant repetition of “Operation Pillar of Defence”, Israeli friends tell me that the correct Hebrew translation of this sick war is Operation Pillar of Cloud. Which makes a lot more sense. For this comes from the Book of Exodus (13:21) – “And the Lord went before them by day in a pillar of cloud, to lead them the way.”
»I wonder, indeed, if the ridiculous William Hague realised he was doing God’s work when he gave his support to this bloodletting?»
On distingue, dans ces diverses précisions, la passion et les sentiments extrêmes qui se précipitent dans le vide laissé par la raison défaillante et accompagnent cette crise et l’attaque de Gaza. Les mêmes Israéliens qui se réfèrent à leurs textes sacrés pour identifier ces entreprises “humaines, trop humaines”, accompagnent tout cela, dans certaines circonstances, d’invectives d’envergure biblique elles aussi. C’est la promesse du ministre de l’Intérieur Eli Yishai de renvoyer Gaza “au Moyen Âge”. (C’est peut-être mieux que Curtiss LeMay proposant en 1965 de renvoyer le Vietnam à l’Âge de la Pierre, – tout cela, d’ailleurs avec des interrogations sous-jacentes, – car qui peut tenir comme acquis que le Moyen-Âge est une époque moins honorable que la nôtre, que ce n’est pas le contraire…)
Yishai en a remis encore deux jours après son projet d’aller simple au Moyen Âge («The war in Gaza “must be so painful and difficult that the terror groups will not think twice but a hundred times before they fire missiles against Israel again”»), tandis que le fils Sharon se signalait par la suggestion de se référer au modèle connu de tous… Cela donne : «We need to flatten all of Gaza. The American’s didn’t stop with Hiroshima – the Japanese weren’t surrendering fast enough – so they hit Nagasaki too. There should be no electricity in Gaza, no gasoline or moving vehicles, nothing. Then they’d really call for a ceasefire…» (Tout cela, venu de Russia Today, le 20 novembre 2012.)
On ne s’étonnera pas, évidemment, de trouver des sentiments très vifs de l’autre coté également, comme le signale Antiwar.com le 20 novembre 2012, citant notamment le portrait d’une activiste du Hamas. (Dans The Times of Israel, le 20 novembre 2012 : «As for an end to the rocket fire at civilians in southern Israel, Salibi said “we believe this is not called terror attacks. [Palestinians in Gaza] believe these are not terror attacks, they are our right, it is guaranteed by international law. As long as Israel is committing crimes against Palestinians in the West Bank and the Gaza Strip, Hamas will not stop, of course”»).
Il n’y a, dans tout cela, aucune tentative de mesure des responsabilités et de graduation des culpabilités, une chose qui nous paraît finalement assez vaine quand par ailleurs existe l’évidence des situations. (Voir par exemple ce que nous dit le rabbin Rosen pour cet aspect des choses.) Ce que nous voulons mettre en évidence, c’est que, dans ce désordre extraordinaire qu’est d’abord cette affaire de Gaza, ne survit plus aucune notion structurelle, y compris celle qu’impliquerait la tentative de définir des choses telles que “crimes de guerre” ou “lois internationales”, ou bien celle qui consisterait à définir ce qu’est une stratégie, un but stratégique, une stratégie de sortie, etc.
Que dire, par exemple mais exemple principal, de la “stratégie” d’Israël, qui effectue cette nième attaque contre Gaza, dont il devrait savoir qu’elle déclenchera nécessairement des réactions furieuses à travers le monde, qu’elle radicalisera les positions des uns et des autres à son désavantage, qu’elle provoquera l’accentuation des pressions US contre lui malgré le soutien apparent inconditionnel auquel se croit contrainte une administration Obama engluée dans les pressions multiples du Système. Est-il utile que les Israéliens attaquent de façon si visible tel ou tel centre d’information sous prétexte de “contrôler l’information”, s’attaquant en plus à la presse-Système (le siège de l’AFP à Gaza) d’habitude si favorable à Israël. Il faut entendre les correspondants des grands réseaux-Système geindre furieusement, – exercice remarquable, – parce que les Israéliens leur demandent de ne pas servir de boucliers pour le Hamas, «...alors que nous avons plutôt l’impression d’être pris pour cibles» (par les F-16 israéliens)... (Correspondante de la RTBF/France-Inter, ce 21 novembre 2012 au matin).
Mais, bien entendu, tout s’explique et s’expliquera, y compris les déclarations allumées d’un ministre de l’Intérieur ou de Sharon Junior. Tous ces gens vivent dans un état obsessionnel et pathologique, d’auto-terrorisation de leurs propres psychologies. Alors, Sharon Junior suggère de nucléariser Gaza pendant que les chars de l’IDF, alignés à la frontière, tremblent de crainte et hésitent à pénétrer dans Gaza parce qu’il se susurre que le Hamas aurait des systèmes antichars portables Milan. On ajoutera, pour le fun et la cerise sur le gâteau, qu’il se dit également que certains de ces systèmes auraient été déroutés par des Frères Musulmans quelconques, à partir de certaines livraisons destinées d’abord, – il faut le croire pour le voir, – à la “résistance” syrienne... (Cela dit, personne n’a encore vu la queue d’un Milan, mais tout le monde peut mesurer la pathologie en cours.)
Il y a d’abord l’exposition de l’exacerbation des sentiments, largement alimentée par tous les moyens de la communication utilisés par une direction politique dont on sait le caractère obsessionnel et la bassesse exceptionnelle. Il y a ensuite la déformation considérable de l’importance politique et stratégique de cette affaire. Il y a, d’une façon générale un climat psychologique marqué par l’exacerbation, l’extrême en toutes choses, les descriptions apocalyptiques, etc…
Il y a aussi, et cela c’est tout à fait nouveau puisque cela n’existait pas en décembre 2008 pour l’opération “Plomb Fondue”, la référence omniprésente à la mésaventure israélienne de juillet-août 2006, face au Hezbollah. Il y a effectivement quelque chose de tout à fait inhabituel, qui est ce qui semble être la peur israélienne de s’engager dans un conflit terrestre, avec ce fantôme de 2006 qui, curieusement, n’existait pas en 2008-2009. C’est ce qu’exprime, nous semble-t-il, le commentateur indien M.I. Bhat, ancien chercheur et ancien universitaire, dans son article repris le 20 novembre 2012, sur PressTBV/.com.
«The fact that Israel has come to table to seek truce within just three days of launching a fresh war on Gaza is something unusual that points to its weakness. This is contrary to the situation during Operation Cast Lead in 2008 when the terrorist state didn’t respond Hamas and international calls for truce but ceased fire on its own volition only after pounding Gaza for 21 days.
»Although too early to predict which way the Israeli war on Gaza would finally turn out, significant signs have emerged that seem to suggest the terrorist state possibly fears the repeat of the failure it had to face in its onslaught on Hezbollah in 2006. The war proved a shock for both: for Israeli politicians who initiated the war and the army who conducted it. Despite all the verbal bravado and occasional airspace violation of Lebanon, the terrorist state has conveniently avoided messing with Hezbollah since…»
Dans tout cela, on ne trouve pas un climat propice aux arrangements et à l’apaisement, – mot, “apaisement”, qui sonne étrange dans ces contrées. C’est donc à la lumière de cette réalité, – personne n’a assommé personne, personne n’a soumis personne dans ces relations conflictuelles et ces affrontements, – qu’il faut observer l’avancement des pourparlers de cessez-le-feu.
Avancement, éventuellement, de type marche de l’écrevisse… Hier, tout était conclu, emballé, plié comme on dit, sous la haute direction de Morsi, institué négociateur en chef et Monsieur Loyal de cette crise, au Caire bien entendu où les foules grondent sur le mode anti-israélien. Le même Morsi annonçait (Russia Today, le 20 novembre 2012 : «The “farce” of Israeli aggression will end on Tuesday, Egyptian President Mohamed Morsi said, expressing certainty that Israelis and Palestinians will shortly reach a ceasefire.) Finalement, la fin de la “farce” est remise, peut-être à aujourd’hui (selon PressTV.com et un représentant du
Effectivement, Morsi joue un rôle fondamental, malgré les réticences des Israéliens, et sous la pression des gens de Washington. DEBKAFiles les exprime clairement, sans les expliciter (ce 20 novembre 2012) :
«For Washington, Morsi’s acceptance of a key role in the execution of the truce would signify that Egypt’s Muslim Brotherhood had after all chosen to join the US-Israel orbit in preference to the radical Middle East camp - albeit without fanfare for fear of embarrassment at home and in the inter-Arab arena.The Obama administration expects Israel to go along with this perception.
»DEBKAfile’s sources report that this is a dangerous illusion because, in the first place, it does not truly represent the intentions or orientation of the Egyptian president or the Muslim Brotherhood. In the second, it flies in the face of ten years of experience. Even when Hosni Mubarak, a far more pro-Western figure, ruled Egypt, Cairo never upheld a single security accord negotiated with Israel for the Gaza Strip or Sinai and sponsored by Washington. Why would the Muslim Brothers behave any differently?
»But even if Cairo does take charge of the ceasefire deal, it would put Israel in the invidious position of having to run to the Egyptians to complain about every Hamas violation, helpless to do anything about the smuggling into the Gaza Strip of fresh and better munitions with more powerful multiple warheads, or stop the groundwork being laid for the next Palestinian blitz.»
En attendant, Hillary Clinton est arrivé à Tel Aviv, pour mettre les choses au point, comme Washington s’y entend. DEBKAFiles constate, à propos des dirigeants israéliens : «With US Secretary of State Hillary Clinton due to land in Israel Tuesday night, it was clear they had missed the boat for independent decision-making…» D’accord, en un sens, mais en sachant que, de toutes les façons, ces dirigeants semblent divisés entre Netanyahou qui veut continuer, éventuellement avec une attaque terrestre, et Barak, son ministre de la défense, qui veut signer l’accord Morsi, au Caire.
Pour terminer, dira-t-on, il suffit de recommencer, sans fin, mais chaque fois un étage plus bas dans le désordre et la déstructuration, et resservir les mêmes observations. Cela, à l’image de Stephen M. Walt qui, ce 20 novembre 2012, sur Foreign Policy, se contente finalement de renvoyer à son commentaire sur “Plomb Fondu” il y a quatre ans…
«The first Gaza War (aka Operation Cast Lead) took place shortly after I started writing this blog. I thought that operation was “worse than a crime, it was a blunder,” and that underscored what I called the “myth of Israel's strategic genius.” I argued that although Israel's leaders were often clever tacticians, they had frequently engaged in acts of strategic folly that harmed their victims, undermined Israel itself, and harmed U.S. interests too. Interestingly, even some patriotic Israeli experts have recently offered critical appraisals of Israel's lack of strategic acumen.
»The latest pummeling of Gaza seems equally foolish, as I argued a few days ago. But it's part of a long pattern rather than an isolated incident. And one obvious lesson is that U.S. leaders shouldn't allow U.S. Middle East policy to be overly influenced by an ally whose strategic judgment is often even worse than our own.
»In any case, if any of you want to re-read my original piece from 2009, you can find it here. [17 janvier 2009]»
Pourtant, non, “Pilier de défense” n’est pas une simple resucée, même un étage plus bas, de “Plomb fondu”. La différence frappante, c’est que, dès le troisième jour de l’“offensive”, le théâtre de la crise s'est transporté à Tel Aviv et au Caire parallèlement, autour du fait central des incertitudes et des hésitations d’Israël. D’habitude, les rôles sont bien distribués : Israël attaque et laboure Gaza sans sourciller, Washington soutient sans autre commentaire, le monde s’exclame, les alliés arabes s’égayent après une volée de menaces sans conséquences.
Aujourd’hui, c’est Israël qui montre ses diverses hésitations avec le soutien suspect de Washington (la haine coriace et tenace Netanyahou-Obama veille), laissant le champ libre à quelques dirigeants musulmans (Erdogan et surtout Morsi en l’occurrence), qui voguent naturellement toutes voiles dehors vers une radicalisation anti-israélienne, y compris dans les négociations, qui leur permet de renforcer une popularité à bon compte. La “rue arabe” est contente. Même la bataille a, malgré la disproportion des pertes, autant d’effets de communication et de perception de faiblesse stratégique en Israël (des morts déjà, du fait des roquettes, et un attentat dans un bus à tel Aviv) que dans la bande de Gaza.
Le paysage est bien différent. Jusqu’alors, la déstructuration se faisait, sous les bombes israéliennes, dans la bande de Gaza par ailleurs bien dépourvue de quelque structure solide encore en place. Cette fois, le mouvement de déstructuration touche la force de déstructuration elle-même : le monde politique israélien, les hésitations militaires, le “vide stratégique”, tout cela constitue autant d’indices de déstructuration.
Le rapport de DEBKAFiles cité insiste d’une façon pathétique pour que l’attaque ait lieu, pour que “la paix” avec le Hamas soit repoussée, parce que cette paix serait une victoire du Hamas. Dans son jusqu’auboutisme, DEBKAFiles n’a pas tort : après avoir déclenché ce cyclone où il hésite à entrer, Israël risque beaucoup plus dans le paix que le Hamas, et l’on comprend l’argument (sans pourtant croire à son efficacité) selon lequel une attaque poursuivie et étendue à l’offensive terrestre constituerait en un sens une tentative de structurer la politique et la stratégie israélienne… Mais la politique d’Israël, comme sa stratégie, comme dit Walt, est “vide”, c’est-à-dire déstructurée, – et, n'est-ce pas, comment espérer structurer le vide ? En un sens, on se trouve, du côté d’Israël, pas loin d’un point (leur “point Oméga inverti”) situé exactement entre Charybde et Scylla, à peu près à égale distance du marteau et de l’enclume, etc. Le point de leur tragédie, si souvent écarté au prix de la tragédie chez les autres.
Une question qui se dessine, par conséquence inéluctable : si Israël entre dans le rang, et lorsque Israël entrera dans le rang, comme le veut Washington, n’est-ce pas à ce moment que va commencer la vraie crise ? C’est-à-dire la crise intérieure israélienne que ce pays repousse depuis des années, sinon des décennies, à coups d’agressions extérieures ? Finalement, Israël bouclerait son cercle vicieux et inverti : chevauchant depuis des années pour attaquer l’Iran, très loin, le plus loin possible, aussi loin que possible pour repousser l'inéluctable ; chaque fois ramené à ses frontières (Hezbollah, Hamas, Liban, Gaza) ; peut-être, sans doute même, désormais confronté à son rendez-vous avec lui-même, avec sa crise véridique d’identité écartée depuis si longtemps et jamais résolue, certes…
Une fois encore, – cette fois pour Israël membre d’honneur du bloc BAO, – l’équation magique surpuissance-autodestruction.
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