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375630 août 2013 – Combien de fois répéterons-nous ce constat : la rapidité des événements nous stupéfie... Mais il n’y a pas d’événement à proprement parler et selon notre entendement contraint par tant d’habitudes prises à l’aune de notre “idéal de puissance” et de la certitude de notre supériorité et de notre maîtrise de l’organisation et de la marche du monde. Il n’y a pas d’événements, ou alors il y a des événements qui nous dépassent, qui ont pris une forme étrange et ainsi acquis une puissance irrésistible qui ne cesse de nous prendre en défaut...
Il y a un flot de communication, soudain mugissant et antagoniste, une psychologie soudain exposée et mise à nu, l’affirmation proclamée d’une décision funeste mais sans retour, puis aussitôt le constat stupéfait de sa débâcle. Cette époque est fluide comme de l’eau, insaisissable comme du sable, fuyante comme le vent, et pourtant un grondement indistinct mais terrible ne cesse de la presser chaque fois davantage, comme l’emprisonnement d’un destin inéluctable.
En d’autres mots, il n’y a pas de crise syrienne. La crise est celle du Système et c’est celle de son effondrement ... La crise a fait un aller vers la Syrie et voici un retour sur elle-même, et elle apparaît soudain à nue dans sa profondeur abyssale. Nous pressons le destin et, soudain, avec une majesté surprenante de sûreté, le destin se rebelle et nous dit d’“aller jouer avec cette poussière”. Le destin est maître de tout.
Il va donc falloir qu’ils s’en relèvent, les sapiens-Système, comme chaque fois, mais de moins en moins vivement jusqu’à cette fois-là où ce sera une fois de trop où ils ne se relèveront pas ... Est-ce la bonne ? La question est posée et nous nous garderions bien d’y répondre, fidèle à notre tradition d’inconnaissance. Le spectacle de leur monde en déconfiture, de leur crise-Système, ce spectacle suffit à notre méditation. Il conduit au constat qu’à chaque nouveau spasme crisique, la chute de la sinusoïde est plus dure et le relèvement plus aléatoire. Le bloc BAO, et le Système avec lui, vacillent comme un même géant pris d’une ivresse fatale.
Nous-mêmes sommes pris de vitesse, et nous acceptons ce sort avec entrain, le jugeant après tout fort roboratif. Il est bon d’être pris de vitesse par des événements qui comblent les vœux des âmes pures. Hier matin, ce 29 août 2013, nous observions le désarroi britannique soudain apparu en plein jour, et le vacillement de Cameron et de sa politique-Système. Pour nous, c’était l’essentiel, et le reste de cette longue journée n’importait pas ...
«Bien, soyons sérieux... Il ne s’agit certainement pas d’un tournant politique, voire stratégique, d’une sorte de réflexion décisive de l’un ou de l’autre sur l’opportunité d’attaquer, sur la question de savoir qui est responsable de quoi en Syrie, etc., toutes ces billevesées. Nous n’attendons même pas le vote des Communes pour statuer là-dessus parce qu’il n’a guère d’importance en lui-même en vérité ; pour notre édification le désordre nous suffit, et le désordre ne cesse de galoper.»
Erreur, erreur ... Le désordre ne cesse de galoper, certes, mais il va encore plus vite que prévu, et plus dévastateur encore. Cameron ayant tout de même mis aux voix une motion autorisant l’attaque, – entêtement fatal, piètre erreur tactique, – il s’est retrouvé mis en minorité aux Communes dans la pire des humiliations. Les salons pourraient nous dire, pour le cas, que la démocratie fonctionne... Trente-neuf conservateurs et libéraux ont voté contre leur propre gouvernement, aux côtés des travaillistes unanimes, et l’on eut 285 voix contre 272 ...
Hier matin, nous jugions que cette journée aux Communes avait peu d’importance, l’essentiel du vacillement de Cameron étant acquis. Ce matin, la chose s’impose à nous et nous dit que cette journée comptait jusqu’à son terme, et que cet événement a pris sa place dans la séquence historique comme un fait majeur. L’événement n’a nul besoin de nos commentaires, encore moins de notre direction, pour s’imposer comme il l’entend. «Comme dans les situations crisiques paroxystiques désormais, les événements ont une fois de plus pris le commandement de leur propres destins, et une fois de plus avec une décision encore plus affirmée et des effets à mesure...» (Le 29 août 2013.)
Lorsque la débâcle s’installe, lorsque les événements commandent, tout s’empile pour rendre les choses plus lourdes et accablantes. Comme d’habitude, Washington ne doutait pas de la fidélité du poodle britannique qui suit ses traces avec un entêtement de bouledogue, même sans laisse ; Washington avait tort. La chronologie semble avoir été composée par les dieux pour laisser le champ libre aux événements qu’ils machinent : le vote des Communes eut lieu trente minutes avant une réunion importante des dirigeants du Congrès, où des senior intelligence officials venaient instruire les nobles représentants du peuple de la valeur indubitable des “preuves” de la félonie d’Assad ...
Les “preuves” étant ce qu’elles sont et les Communes ayant voté comme l’on sait, on imagine l’ambiance. On vacille, on vacille, comme l’observe le Guardian du 30 août 2013, rapportant l’enchaînement des certitudes disloquées.
«The US appears to have taken British support for granted. Hours before the vote, the chairman of the Senate intelligence committee, Diane Feinstein, expressed confidence that Britain would join any strike. Feinstein, a Democrat and staunch administration ally, told Time magazine: “I think the UK makes a difference. I think if the president were to decide to go there's a very high likelihood that the United Kingdom would be with us.”
»The timing of the British vote, 272 to 285 against the government, was disastrous for Obama. Less than 30 minutes after the vote, senior intelligence officials began a conference call with key members of Congress, in an attempt to keep US lawmakers on side. Congressional leaders and the chairs and ranking members of national security committees were briefed by the most senior US intelligence officials, amid signs that some of the support for military strikes against Syria was fading.»
Cameron s’est incliné devant la décision de son Parlement. C’est sans doute la première fois depuis longtemps, peut-être depuis le début des special relationships, que les Britanniques ont vraiment pesé sur la politique des USA, – comme ils prétendent souvent le faire pour justifier ces special relationships, – et c’est pour saboter cette politique ! Car, certes, cette occurrence survient dans le sens négatif et d’une façon complètement inattendue : ils ont pesé sur la situation, ils ont soudain compté dans l’équation générale de la crise, parce que le vote des Communes a confirmé décisivement un tournant des événements qui était déjà amorcé. C’est à ce point que la pseudo-coalition et l’intention d’agir sont entrées nettement et clairement dans leur phase de détricotage.
Il faut le répéter : ce n’est nullement un changement de politique voulue et calculée. Ni les Communes, ni les travaillistes, comme nous le disions le 29 août 2013, n’ont cherché cela. C’était une affaire de politique intérieure, mais aussi du malaise général où se sentaient tous les parlementaires qui restent comptables autant de leurs électeurs que de la perception qu’ont ces électeurs, et parfois eux-mêmes les parlementaires, de cette politique. (Miliband disant à Cameron “Vous devez réaliser qu’après l’Irak, plus personne ne nous fait confiance...”)
Il n’empêche que le résultat fut ce que l’on voit, – détricotage, débandade. Mais il s’agit d’une circonstance involontaire et non orientée, qui s’adapte parfaitement à la course autonome des événements réservant leurs pressions contradictoires et antagonistes de plus en plus fortes aux entreprises du bloc BAO.
(On ajoutera, en piètre “note de bas de page”, comme si la chose n’avait aucune importance, que le président-poire de la France annonçait hier, après que le recul britannique se soit affirmé, qu’il fallait effectivement songer à explorer d’autres voix que celle de la frappe punitive. Heureusement, cette note qui faisait penser qu’on pouvait songer à suivre une politique un peu moins absurde était aussitôt effacée, wiped out disent nos “alliés américains”, par l’affirmation gaullienne (interview au Monde) que la France restait ferme derrière ses alliés des USA, ses vieux alliés de plus de deux cents ans. Les USA l’ignorent, d’ailleurs, qui ne voient plus qu’une possibilité après le vote des Communes, celle d’“attaquer seuls”, comme si la France n’existait pas. La France réduite à l’état de “note de bas de page” ? Bien entendu, mais de surcroît d'une page blanche, qui conserve ainsi ce qu’il nous reste de mémoire historique. Ce pays n’existe plus puisqu’il ne sait même plus ce qu’il fut. “Allez jouer avec cette poussière”, au trot, et les Français de s’atteler à la tâche de faire l’analyse de la poussière ... Il ne faut jamais laisser l’intelligence française sans emploi.)
Parallèlement à la trahison britannique des special relationships sacrées, court toujours l’affaires des “preuves” indubitables de la félonie d’Assad (voir le 30 août 2013) ; l’une est d’ailleurs liée à l’autre, car cette incertitude du montage mal réalisé n’a pas pesé pour rien dans le malaise des parlementaires britanniques. Cette affaire des “preuves” indubitables, quelles que soient les réparations qu’effectueront les plombiers de la CIA, de la NSA et consort, ont ouvert une jolie voie d’eau dans le Titanic qui en est pourtant criblé. On s’y engouffre sans coup férir.
Ainsi doit-on signaler l’apparition en première ligne du sénateur du Kentucky Rand Paul, fils de Ron, qui ne prend plus de gants pour mettre en accusation la politique suivie dans cette phase, et la politique-Système en général. Après d’autres sorties remarquées, Rand Paul s’affirme de plus en plus comme le leader de l’opposition au “parti unique”, que ce soit les démocrates qui suivent leur président, que ce soit les caciques du parti républicain avec leur aile des “fous de guerre” type-McCain/Graham. Il a 2017 en perspective, si le Système survit d’ici là, avec une candidature présidentielle antiwar, quasiment antiSystème, par exemple contre une Hillary Clinton réchauffée au soleil des expéditions bellico-humanitaires type-Syrie.
Rand Paul ne laisse rien au hasard, citant Pat Buchanan, affirmant que ce sont les rebelles qui ont monté l’“attaque chimique”, qu’à poursuivre sur cette voie d’amateurs exacerbés de folies guerrières, on risque de rencontrer Poutine & Cie au coin du bois. (Dans Infowars.com, le 29 août 2013, retranscription d’une intervention radiodiffusée de Rand Paul.)
«Kentucky Senator Rand Paul says it’s more likely the Syrian rebels were behind last week’s chemical weapons attack, warning President Obama that military escalation risked provoking a major war with Russia in the longer term. “There are some questions, it sounds more and more like chemical weapons were used but there are some questions and it should be investigated who used them,” said Paul during a radio interview, adding, “Pat Buchanan had an article the other day and he asked the Latin phrase cui bono – to whose benefit is this?….This is to the benefit of the rebels because now it’s bringing other people in on their side, so there’s a great incentive for this to have actually been launched by rebels not the Syrian Army.”»
Cela dit, on n’en continue pas moins à explorer la voie d’une frappe anti-Assad. Le moyen de faire autrement, sinon au prix d’une perte de cette fameuse “crédibilité” dont Stephen M. Walt déplore tant qu’elle soit une telle obsession pour les dirigeants-Système à Washington :
«What is most striking about this affair is how Obama seems to have been dragged, reluctantly, into doing something that he clearly didn't want to do. He probably knows bombing Syria won't solve anything or move us closer to a political settlement. But he's been facing a constant drumbeat of pressure from liberal interventionists and other hawks, as well as the disjointed Syrian opposition and some of our allies in the region. He foolishly drew a “red line” a few months back, so now he's getting taunted with the old canard about the need to “restore U.S. credibility.” This last argument is especially silly: If being willing to use force was the litmus test of a president's credibility, Obama is in no danger whatsoever. Or has everyone just forgotten about his decision to escalate in Afghanistan, the bombing of Libya, and all those drone strikes?»
Mais que signifie ceci, de protéger sa crédibilité, quand c’est au prix de sa puissance, de son poids, de son influence ? Sans doute la réponse est-elle qu’ils semblent tous avoir des yeux pour ne surtout pas voir.
... Effectivement, c’est bien une “ligne rouge”, – pour lui, pour BHO, engagé dans un infernal imbroglio. Il apparaît déjà fort probable que David Cameron sera amené à nous quitter prochainement, dans une de ces “révolutions de palais” dont la classe politique britannique, à l’intérieur de chaque parti, a le secret, – sanction de son énorme erreur de jugement d’hier aux Communes. Il est apparaît alors également possible qu’Obama se trouvera, au terme de la séquence, sur la même “ligne rouge” menaçante...
La crise syrienne commence à dévorer de grand appétit ses manipulateurs, comme Cronos, le “dieu aux pensées fourbes”, dévorait ses enfants. La cause en est, certes, que revenue à son point d’enfantement, la crise syrienne n’est pas autre chose qu’une représentation régionalisée de la crise d’effondrement du Système. Le Système est bien un Cronos postmoderne, et BHO aura du mal à échapper à sa gloutonnerie.
... Sa trouvaille serait donc une sorte de version aseptisée, extrêmement soft, de l’attaque initialement prévue. Bien entendu, puisque la perfide Albion nous laisse choir, nous ferons cela tout seul, comme des hyper-grands que nous sommes. Ainsi verrions-nous le POTUS, l’“homme le plus puissant du monde”, tenter de passer entre les gouttes d’un Congrès qui voudrait bien voter à l’imitation des Communes, d’une ONU sur le point de publier son rapport sur les “preuves” de l’“attaque chimique”, d’une OTAN qui s’en fout et d’une Ligue Arabe qui regarde ailleurs, pour pouvoir se décharger de ses cruise missiles fort encombrants. (Voir Antiwar.com ce 29 août 2013.)
«[...O]fficials today reiterated that [Obama] is prepared to “go it alone” on the Syrian War.
»Saying he’s willing to and actually doing it are two different things, however, and with the administration desperately trying to avoid Congressional authorization on the war, failing to get UN, NATO or even Arab League support, not having good evidence, and now not even getting backing from Britain and France, arguably the architects of the entire war scheme, there’s not an awful lot left for the administration to base its war on.
»Still, there could be a “window of opportunity” for Obama between the United Nations coming out with its conclusions early next week and Congress returning to session on September 9, though that risks the evidence from the UN not backing the war narrative, and is clearly something Obama has been loathe to risk.»
Quel paradoxe ! Sans doute Obama est-il celui qui, dans cette horde du bloc BAO, voulait le moins cette intervention (voir Walt, plus haut). C’est lui qui s’y colle pourtant, seul, abandonné de ses compères. Ni Israël ni l’Arabie eux-mêmes, les deux plus durs et les deux plus bidouilleurs dans cette affaire, ne lèvent le petit doigt pour venir à son aide. (Il est très probable que l’Arabie, avec Prince Bandar en bandouillère, est le plus sûr candidat au rôle de monteur de l’“attaque chimique” à la base de la séquence.) Il est vrai que, s’ils sont encore accrochés aux basques des USA, ils détestent tout autant Obama, ses habiletés, ses sinuosités, ses temporisations, – tout autant même si selon des circonstances différentes, Israéliens et Saoudiens, ceux-là même qui portent la plus grande responsabilité dans l’entraînement d’Obama dans cette affaire.
On fait même grand cas de la version de la chose que DEBKAFiles a diffusée le 29 août 2013. Il s’agit de l’exposé d’une version effectivement nommée “softened strike” (on tape mais gentiment, avec une “brutalité douce”), assortie d’un accord secret avec Poutine, l’attaque soft enchaînant aussitôt sur une conférence Genève-2 qu’on convoquerait au son des baïonnettes, pour forger un accord, et en finir avec cette horrible fardeau syrien. Ainsi va la narrative courante à Washington, avec une sorte d’étrange happy end hollywoodien.
«DEBKAfile’s Washington and Moscow sources disclose he has applied the brakes on the momentum for its implemention to buy time for US Secretary of State John Kerry to wind up secret negotiations with Russian Foreign Minister Sergey Lavrov and strike a deal: The US would soften its military action against the Assad regime and his army and reduce it to a token blow, after which the American and Russian presidents would announce the convening of Geneva-2 to hammer out a solution of the Syrian crisis and end the civil war.»
Cette étrange idée, ou bien cette idée désespérée d’une “attaque douce”, – quoi qu’il en soit des diverses autres affirmations de DEBKAFiles, – semble avoir été renforcée dans son esprit par une circonstance inhabituelle. Il s’agit du déluge de “fuites” concernant la forme de l’attaque, son intensité, éventuellement ses objectifs, tout cela suivant d’ailleurs des affirmations réitérées selon lesquelles l’attaque n’avait aucunement comme objectif un changement de régime. Cet ensemble de dispositions peut éventuellement être perçu comme une ruse, mais dans les circonstances qu’on connaît on le verrait plutôt s’ajuster à l’idée de cette “attaque douce” que développe DEBKAFiles et Cie : informer l'adversaire pour qu'il se mette le plus possible à couvert et adoucisse encore les effets de la “softened strike”.
Foreign Policy rendait compte de cet aspect particulier de la situation, le 28 août 2013.
«And while Obama's aides publicly insist that the President hasn't made a final decision about whether to attack Syria, anonymous officials within his administration are leaking a strikingly large amount of detailed information about the timing, duration and scope of the potential military intervention. The flood of details raises a pair of related questions. Is the administration deliberately trying to telegraph its plans for a strike? And if so, why? “I have no earthly idea why they're talking so much,” said retired Admiral William Fallon, the former head of the military's Central Command. “It's not leaking out; it's coming out through a hose. It's just a complete head-scratcher.”
»David Deptula, a retired Air Force lieutenant general who commanded the no-fly zone over Iraq in the late 1990s, said that military action was most effective when a U.S. foe like Assad didn't have a clear sense of the timing and severity of a potential strike and couldn't take protective measures in advance like dispersing his troops or weapons so they'd be harder to find and destroy. The administration's public and private comments, he said, meant that Assad would have an easier time figuring out when and how to prepare for a U.S. assault. “You don't want an adversary to know what's coming,” Deptula said. “Now Assad does.”»
Ainsi semble-t-il que le débat autour de cette colossale affaire en est-il réduit, pour l’instant et avant quelque autre rebondissement original qui pourrait être à nouveau une soudaine aggravation, à la pesée des charges explosives et à la discrétion de l’effet sur le terrain. C’est un exercice singulier qu’imposerait le président US aux forces armées qu’il commande, elles qui sont habituées à ne pas faire dans la dentelle. On voit bien que les impératifs de communication, et d’une communication kafkaïenne et abracadabrantesque, ont pris le dessus sur les impératifs de puissance auquel leur fidélité au système du technologisme ont habitué ces mêmes forces armées. Voilà qui caractérise d’une façon remarquable les traits essentiels de cette séquence crisique, au point où elle en est.
... C’est qu’il importe de ne pas oublier que nous sommes partis d’un point où l’évocation du risque d’une guerre mondiale ne semblait nullement ridicule, et pour les meilleures raisons du monde. (Rand Paul, citant Pat Buchanan.) L’irresponsabilité sous sa forme hystérique implique tous les possibles, et celui d’un conflit général, dans cette occurrence où les événements se sont libérés du contrôle de sapiens aussi peu sûrs que les dirigeants politiques du bloc BAO, n’avait effectivement rien d’absurde. Soudain, nous voilà réduits à une comptabilité dérisoire concernant le nombre de cruise missiles, dans une occurrence où il semblerait parfois que le système de l’américanisme s’emploie à avertir les Syriens de leurs intentions pour que toutes les mesures soient prises pour réduire au maximum les conséquences matérielles et humaines des frappes.
Ce qui est singulier dans cette approche, c’est de voir la façon dont cette immense affaire, – ainsi l’a-t-on voulu, de cette séquence de la crise syrienne, – se réduit comme une peau de chagrin à des marchandages de souk sur le nombre de cruise missiles qu’on tirerait. Mais cette singularité est bien celle du caractère central de toutes ces crises, lorsqu’elles entrent dans une phase paroxystique suscitée par l’hystérie du bloc BAO. Elles tombent aussitôt sous le joug d’une dynamique réductrice qui contracte de plus en plus l’effet bénéfique que ses initiateurs irresponsables en attendaient. Commencées dans le fracas de l’hystérie déchaînée, avec en ligne de mire une Guerre Mondiale n°3 selon le modèle-1914, elles s’enlisent, s’abaissent et se perdent jusqu’à la réduction la plus absurde dans des décomptes étrangement dérisoires. L’on voit bien alors que la communication domine tout, écrase tout, sous les exigences de l’effet et de la perception, au détriment de la réalité de la “brute force” qui se dissout à mesure que la dynamique réductrice fait son effet...
Il n’avait pas tort, William Pfaff, lorsqu’il écrivait, il y a 21 ans, évoquant le destin des USA après la fin de la Guerre froide, tel qu’il en distinguait les premiers signes : «To Finish in a Burlesque of an Empire». (Texte publié le 12 mars 1992, repris sur ce site le 23 novembre 2003.) “A Burlesque of an Empire”, est-il besoin de traduire ?
Le résultat brut et net, lui, est cette évolution de la dynamique-boomerang, ce retour de la crise hystérique du départ de la Syrie à laquelle elle était destinée, vers le bloc BAO où elle est revenue. Une bonne indication à cet égard est l’évolution de DEBKAFiles. Plus encore que ses infirmations, – à boire et à manger, allant de la pure désinformation à parfois une information importante, – ce qui est intéressante à suivre est sa “tendance”, son inclination psychologique pendant la séquence, et certes relativement aux choix qui dirigent ce site, – et qu’on connaît certes.
Pendant 3-4 jours, exactement du 25 août au 28 août, DEBKAFiles “y a cru”. Il s’est emporté, il a peut-être cédé à une certaine ivresse faussaire, à une hybris qui trompe la lucidité. DEBKAFiles a cru qu’Obama, objet de sa détestation constante à cause de son incertain bellicisme, avait changé, ou bien était forcé à changer, et que l’attaque, la vraie, pas la chiquenaude, était à portée de main. Depuis le 29 août, le ton a complètement changé. Le rapport du 30 août 2013, qui n’apporte guère d’information mais s’attache au commentaire, est celui du complet désenchantement. Le commentaire veut bien admettre la probabilité d’une frappe, – et alors ? – A quoi bon ?... Une “softened strike” !
»The White House hastened to stress that America, while still interested in engaging allies, was ready to act unilaterally without UN or allied support. Nonetheless, the Syrian conflict after nearly three years continues to be covered in confusion, much of it generated by the Obama administration’s conflicting policies.
»After resolute condemnation of the Assad regime’s “heinous crime” of using chemical weapons against its people, the president opted for a low-key, practically painless military strike against Syria. The Syria ruler would be able to wave his hands in a gesture of victory, followed by Vladmir Putin. Iran’s leader Ayatollah Ali Khamenei would say, I told you so, the United States is a paper tiger and will never attack our nuclear program.»
Ainsi le ton, l’esprit, le terme de cette affaire commencent-ils à montrer leurs couleurs : ternes, tristes, désabusées, pour ce qui est du Système, qu’aucun maquillage ne semble plus pouvoir farder. La chute se poursuit, inexorable, sans fin sinon à son terme la catastrophe évidente. Rien, rien ne semble pouvoir arrêter sa course, alors que la psychologie de la chose ne cesse de s’abîmer dans une pathologie que l’hybris décrit parfaitement, et un comportement qui s’arrange pour mêler schizophrénie et paranoïa. «Ceux que les dieux veulent détruire, écrit Patrick Buchanan, ils les rendent d’abord fous».
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