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1181Dans son plus récent texte, Paul Craig Roberts (PCR), qu’on sait volontiers apocalyptique, et sérieusement apocalyptique si l’on peut dire, examine le cas des USA dont il détermine qu’ils sont train de développer des avancées pour conduire des guerres sur trois fronts, – trois guerres, si vous voulez : contre une partie du Moyen-Orient, contre la Russie, contre la Chine… Roberts développe ses arguments d’une façon assez neutre, décrivant des faits qui sont d’ailleurs largement reconnus et documentés, même par ceux qui en sont les responsables (c’est-à-dire ce qu’on désignerait comme “la machine-Système de toutes les guerres”, essentiellement américaniste certes, agissant dans un mode aveugle et agressif de déstabilisation qui conduit la recherche d’une déstructuration générale dans tous les domaines abordés, avec tous les moyens allant de l'“agression douce” à l'agression tout court, et appliquant ainsi la logique du Système lancé dans son activisme forcené). Finalement, dans son texte, le dernier paragraphe de conclusion est le plus intéressant. Le commentateur, PCR, d’habitude furieux et apocalyptique, se fait ironique, presque apaisé et cédant aussi bien à la lassitude d’une démonstration toujours recommencée qu’au goût de la dérision devant cet activisme à la fois aveugle et nihiliste ; comme s’il observait et décrivait, dans le chef de cet activisme, le comportement d’un énorme mammouth empaillé et mangé par la vermine, ayant maintes fois prouvé son impuissance à mener à bien quelque projet que ce soit dans la séquence actuelle (références à l’Irak et à l’Afghanistan), continuant à s’agiter furieusement dans des projets de conquête du monde, comme une sorte de grotesque caricature des rêveries d’un Alexandre postmoderne…
Ainsi termine-t-il son texte de ce 16 juillet 2012, sur son site de l’ Institute for Political Economy… «It looks as if an over-confident US government is determined to have a three-front war: Syria, Lebanon, and Iran in the Middle East, China in the Far East, and Russia in Europe. This would appear to be an ambitious agenda for a government whose military was unable to occupy Iraq after nine years or to defeat the lightly-armed Taliban after eleven years, and whose economy and those of its NATO puppets are in trouble and decline with corresponding rising internal unrest and loss of confidence in political leadership.»
On peut avancer l'hypothèse que cette idée d’une force déchaînée, aveugle et complètement incontrôlable, et dont personne n’est vraiment capable de s’expliquer à propos de ses intentions, c’était aussi un sentiment présent dans cette remarque de Kofi Annan dans son interview au Monde à propos de la Syrie (voir le 9 juillet 2012), lorsqu’il évoque l’expression de “l’éléphant dans la pièce”. On peut y voir en effet, également, l’idée que d’aucuns réalisent, particulièrement les Russe dans ce cas, que toute appréciation des intentions de ceux (le bloc BAO) qui poussent à une intervention en Syrie en arrive au constat qu’ils sont aussi bien les prisonniers que les machinistes de ce déchaînement de puissance (de surpuissance) aveugle ; que le résultat de leurs actions se ramène finalement à des destructions supplémentaires, un désordre bien pire que celui qui existait, (autodestruction), – effectivement dans un raccourci de la démarche surpuissance-autodestruction du Système :
«Je vais vous dire franchement : la manière dont la “responsabilité de protéger” a été utilisée sur la Libye a créé un problème pour ce concept. Les Russes et les Chinois considèrent qu'ils ont été dupés : ils avaient adopté une résolution à l'ONU, qui a été transformée en processus de changement de régime. Ce qui, du point de vue de ces pays, n'était pas l'intention initiale. Dès que l'on discute de la Syrie, c'est “l’éléphant dans la pièce”.»
L’effet qui ressort de ces diverses remarques, dans le contexte où elles sont faites, est effectivement celui d’un vide complet dans la conception et la réalisation de ces projets d’une ambition complètement étrangère à la vérité du monde, indifférente à cette vérité, absolument ignorante de toute préoccupation d’établir quelque rapport que ce soit avec cette vérité. Lorsque nous parlions hier (voir le 17 juillet 2012) de ce diplomate français répondant à un interlocuteur lui demandant de débattre sur le fondement des intentions syriennes du bloc BAO : “la Syrie, c’est tabou”, on retrouve le même phénomène. (Il s’agit bien d’un témoignage concret et précis, et des plus récents, comme indiqué dans le texte : «Lorsque vous rencontrez, disons un ambassadeur ou un haut fonctionnaire du Quai dans un cocktail du genre, disons pour fêter le 14 juillet, que vous lui dites que la question de la Syrie mériterait tout de même d’être débattue, vous vous entendez répondre, sur un ton de comploteur impératif, que “la Syrie, c’est tabou”…») Ce tabou-là n’a rien à voir ni avec le secret, ni avec des ambitions mystérieuses ou des conceptions nécessairement élevées puisque développées au plus haut niveau des États responsables, – dans le sens d’avoir le sens des responsabilités ; et tout à voir, au contraire, avec ce vide complet, cet aveuglement de la surpuissance déchaînée, incontrôlable et incompréhensible, que ces sapiens-Système “gèrent” sans y rien comprendre… Alors, pour dissimuler ce vide, quelle meilleure remarque pour vous clore le bec que cet remarque du type de l’impératif de la foi qui ne peut être discuté, dit avec un air inspiré et un regard d’initié : “La Syrie, c’est tabou”.
Il n’empêche que la durée (celle de la crise syrienne dans sa phase actuelle de poussée pour la chute d’Assad et pour une intervention) fait son œuvre de dissolution chez ceux-là même qui se trouvent dans cette machine poursuivant elle-même l’œuvre de dissolution des structures encore en place. (Cela se manifeste comme si le mouvement furieux du Système aboutissant à la dissolution suscitait lui-même, chez ceux-là qui “gèrent” ses modalités, une dissolution du jugement convenu sur cette action, qui serait une sorte de “révolte silencieuse” contre son emprise.) L’on entend de plus en plus, si l’on a des contacts assez dégagés des contraintes du formalisme conformiste du Système, des réponses qui diffèrent heureusement des stéréotypes du genre “la Syrie, c’est tabou”. On découvre alors, sans la moindre surprise tant la chose est par ailleurs évidente à un observateur extérieur, que cette poussée maximaliste du bloc BAO dans la crise syrienne, jusqu’à une intervention et une guerre éventuellement, ne répond à aucune conception cohérente, à aucune approche qui ait le moindre rapport avec la raison d’une part, avec la vérité de la situation d’autre part. Même si vous évoquez, pour vous faire l’“avocat du diable”, les “valeurs humanitaires” dont sont farcis les discours-Système des conférences, vous trouvez des interlocuteurs pour écarter l’argument et évoquer avec la plus grande certitude “l’air du temps, la volonté de faire plaisir aux amis, de suivre le courant d’opinion des médias qui, eux-mêmes, s’imaginent suivre le courant d’opinion des dirigeants, les uns et les autres comme dans une sorte de cercle vicieux du vide”.
Nous parlons là, en prenant toutes les précautions nécessaires pour ce genre de rapports, de “sources” placées dans des positions opérationnelles et d’information du meilleur niveau possible dans le flux d’activisme bureaucratique du bloc BAO vis-à-vis de la crise syrienne, notamment dans les organismes européens. Ce constat du vide complet qui accompagne cette dynamique (plutôt que “politique”) du bloc BAO est fait de plus en plus souvent, accompagné du constat qu’il ne semble y avoir aucun moyen d’espérer l’arrêter. Tout cela s’accompagne d’une appréciation, qui rejoint là aussi bien des jugements extérieurs, selon laquelle, dans le cas de la chute d’Assad, «la crise, la vraie crise, commencera vraiment quand Assad tombera…» ; cela, évidemment, avec d’infinies possibilités d’extensions et d’aggravations diverses.
Un autre aspect de la crise syrienne, mais toujours dans le même sens bien entendu, est de plus en plus largement pris en compte comme constituant désormais un élément majeur, voire central de cette crise. Lavrov l’a clairement défini lundi, lors de sa conférence de presse évoquée dans le même texte du 17 juillet 2012 (il semble qu’il n’y ait plus que les Russes, parmi les acteurs principaux, pour “parler vrai” à cet égard, eux qui sont dénoncés comme obscurantistes, ennemis de la transparence et ainsi de suite) : «“It is worrying that, according to multiple eyewitnesses, a so-called third force in the form of Al-Qaida and extremist organizations close to it has become active,” Lavrov said. “This is a tendency that has been observed in other parts of the region and threatens security.”»
Cette idée est largement documentée dans un texte de Igor Ignatchenko, dans Strategic-Culture.org, le 17 juillet 2012, qui détaille “the Holy Alliance” entre les USA et al Qaïda, où il est décrit comment les USA (et leurs divers supplétifs) aident massivement al Qaïda à s’organiser, s’armer, et pénétrer en Syrie. On retrouve la tendance aveugle, déstructurante, dissolvante, de l’appareil-Système de l’américanisme décrit par ailleurs par Craig Paul Roberts, déjà expérimentée à de nombreuses occasions mais atteignant dans ce cas un niveau jamais vu d’activisme et d’aveuglement dans la conception. Le terme de Lavrov est juste : à côté d’Assad et de l’“opposition”, al Qaïda, et tout ce qui se regroupe sous ce label éventuellement de convenance, sont en train de s’installer comme une “troisième force” dans la crise-guerre syrienne, donnant ainsi le schéma classique de ces guerres civiles qui deviennent le champ d’expérimentation et d’activisme interventionniste d’une myriade de forces extérieures (type Guerre d’Espagne de 1936-1939, mais avec la cohérence et la signification en moins, et l’aveuglement et l’aspect déstructurant et dissolvant en plus).
On pourrait même ajouter l’apparition à un niveau d’activité assez élevé pour qu’on puisse avancer l’hypothèse d’une “quatrième force”, d’un nouvel acteur. L’“opposition”, qui est fortement alimentée en armes et en argent par les soutiens extérieurs, surtout le Qatar et l’Arabie, avec bien sûr la CIA omniprésente, se plaint de plus en plus de voir ces flots contrariés, voire même taris. Il s’agit désormais de l’intervention de cette “quatrième force” qui se définit par les différentes activités et groupes du “crime organisé”, trafiquants, passeurs, sociétés pseudo-sécuritaires ayant des liens avec le crime, etc., qui interviennent de plus en plus massivement pour détourner à leur avantage les armes et l’argent envoyés aux groupes anti-Assad.
Voilà : si le tableau ne prétend pas être complet, il est déjà assez chargé pour prétendre être une œuvre majeure du courant de déstructuration de la post-postmodernité… Là-dessus, effectivement, les géopoliticiens et autres peuvent commencer à plancher pour nous expliquer les grands desseins stratégiques, l’usage qu’on fera d’un al Qaïda gonflé aux stéroïdes, d’un crime organisé encore mieux organisé, tout cela préparé secrètement depuis des années selon une ligne parfaitement cohérente et qui est aujourd’hui en impeccable application en Syrie. Cela nous fait de la lecture.
Mis en ligne le 18 juillet 2012 à 08H13