NSA : garnement démocrate et insurrection au Congrès

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NSA : garnement démocrate et insurrection au Congrès

Alan Grayson est un garnement. Ce député démocrate de la Floride, immensément populaire dans son district, est connu pour ses coups fourrés qui font froncer les sourcils au Système. Ainsi, au printemps 2009, il invita à une audition de la Chambre des Représentants la dame qui contrôlait la circulation des capitaux à la Federal Reserve, pour lui poser cette question : “Où sont passés ces quelques $9.000 milliards de la Fed dont personne ne connaît le destin ?”, et s’entendre répondre : “Je ne sais pas”. (Voir le 26 juin 2009.) Il n’étonnera donc personne d’apprendre que Grayson fut le principal complice (démocrate) du républicain Justin Amash, dans la mise en place et le vote de l’amendement du même nom qui a été battu de justesse (217-205) à la Chambre des Représentants, mercredi dernier. (Voir le 26 juillet 2013.) C’est aussi Grayson qui battit le rappel des démocrates anti-NSA jusqu’à réunir 111 voix pour soutenir Amash et constituer la plus exceptionnelle coalition antiSystème (les 111 démocrates + 95 républicains de tendance libertarienne) de l’histoire récente du Congrès, – voire, de l’histoire tout court du Congrès des États-Unis.

Grayson, garnement et pétroleur de première, n’est jamais à court d’idée. Il s’est posé une question : “Pourquoi entend-on en audition au Congrès les seuls partisans de la NSA et de ses programmes, à savoir tous les dirigeants du renseignement et de la sécurité nationale, et jamais les critiques de la NSA ?” Bonne question, qui suppose simplement que le Congrès est complètement (et volontairement, certes) désinformé, ou mésinformé, puisqu’il n’entend qu’un seul parti dans une affaire qui divise de plus en plus les USA à l’avantage du parti (les anti-NSA) dont les experts ne sont jamais entendu comme témoins aux auditions. Grayson est rapidement passé de la question à la réponse, en passant directement à l’acte. On apprend alors que, subito presto, de telles auditions sont déjà programmées pour mercredi prochain à la Chambre, avec un soutien bipartisan qui recompose les 205 voix de soutien à l’amendement Amash, que ces auditions ont bien entendu le soutien d’Amash, que les témoins qui vont être contactés ou qui sont en train de l’être comprendront notamment, d’une part des représentants d’associations comme l’ACLU et le CATO Institute (deux organisations représentant les deux ailes de la coalition, ACLU pour les libéraux-progressistes, CATO pour les libertariens) ; d’autre part, des personnalités comme le célébrissime Glenn Greenwald, – qui témoignerait à partir de Rio, par transmission vidéo directe. (Pourquoi pas Snowden, en direct depuis l’aéroport de Moscou ?, serait-on tenté d’ajouter... On note d'ailleurs, plus sérieusement, que ces diverses initiatives tendent de plus en plus à renforcer la sécurité directe de ces divers protagonistes anti-NSA, contre lesquels il devient difficile, à cause de leur “officialisation” dans le débat, d'effectuer des tentatives d'élimination brutale.) Cerise sur le gâteau : le même jour qu’auront lieu ces auditions, une autre série d’auditions aura lieu, dans un autre cénacle du Congrès puisque cela se passera au Sénat, des habituels dinosaures, avec Alexander, le directeur de la NSA, son adjoint, des dirigeants du FBI et du Pentagone. Tout cela est dans le Guardian du 26 juillet 2013.

«Congress will hear testimony from critics of the National Security Agency's surveillance practices for the first time since the whistleblower Edward Snowden's explosive leaks were made public. Democrat congressman Alan Grayson, who is leading a bipartisan group of congressman organising the hearing, told the Guardian it would serve to counter the “constant misleading information” from the intelligence community. [...]

»Grayson, who was instrumental in fostering support among Democrats for the the amendment, said Wednesday's hearing would mark the first time critics of NSA surveillance methods have testified before Congress since Snowden's leaks were published by the Guardian and Washington Post. “I have been concerned about the fact that we have heard incessantly in recent weeks from General Keith Alexander [director of the NSA] and Mr James Clapper [director of National Intelligence] about their side of the story,” he said. ”We have barely heard anything in Congress from critics of the program.”

»“We have put together an ad hoc, bipartisan hearing on domestic surveillance in on the Capitol. We plan to have critics of the program come in and give their view – from the left and the right.” Grayson said the hearing had bipartisan support, and was backed by the Republican congressman Justin Amash, whose draft the amendment that was narrowly defeated. “Mr Amash has declared an interest in the hearing. There are several others who have a libertarian bent – largely the same people who represented the minority of Republicans who decided to vote in favour of the Amash amendment.”

»The hearing will take place at the same time as a Senate hearing into the NSA's activities. That will feature Gen Alexander and possibly his deputy, Chris Inglis, as well as senior officials from the Department of Justice and FBI. The simultaneous timing of the hearings will lead to a notable juxtaposition between opponents and defenders of the government's surveillance activities.

»“Both Congress and the American people deserve to hear both sides of the story,” Grayson said. “There has been constant misleading information – and worse than that, the occasional outright lie – from the so-called intelligence community in their extreme, almost hysterical efforts, to defend these programmes.” Although not a formal committee hearing, Grayson's event will take place on Capitol Hill, and composed of a panel of around a dozen members of Congress from both parties.

»Grayson said those testifying would include the American Civil Liberties Union as well as representatives from the right-leaning Cato Institute. “They are both going to come in and make it clear that this programme is not authorised by existing law – and if it were authorised by existing law, that law would be unconstitutional," Grayson said. The congressman added that Glenn Greenwald, the Guardian journalist who first revealed details of the surveillance programmes leaked by Snowden, had also been invited to testify via video-link from his base in Rio. “Even today, most people in America are unaware of the fact the government is receiving a record of every call that they make, even to the local pizzeria,’ Grayson said. “I think that most people simply don't understand that, despite the news coverage, which my view has been extremely unfocused. There has been far too much discussion of the leaker, and not enough discussion of the leak.”»

Certes, il y a l’événement, qui parle de lui-même et nous dit l’importance d’une telle initiative. Mais il y aussi, et peut-être surtout, la forme de cet événement. L’initiative de Grayson constitue une sorte d’insurrection au cœur du Congrès par rapport aux normes de Congrès, puisqu’il s’agit d’une commission ad hoc formée en pleine polémique, en dehors des canaux habituels de contrôle par les directions des partis, pour organiser une catégorie d’auditions qui a jusqu’ici été complètement bannie du Congrès dans cette affaire. L’insurrection est donc aussi bien formelle que sur le fond, marquant par là un processus d’investissement du Congrès par l’intérieur de lui-même, ou bien, plus généralement, une attaque contre le Système, à partir de l’intérieur du Système, par le biais d’instruments du Système lui-même. A cet égard, le tonitruant garnement qu’est Grayson est également une parfaite termite (voir Glossaire.dde du 10 avril 2013), mais effectuant son travail de sape sans se dissimuler une seule seconde, et même en faisant de cet élément “à ciel ouvert“ un facteur de l’efficacité de ce travail.

C’est la meilleure tactique antiSystème qu’on puisse imaginer, parce qu’elle tend à générer le virus antiSystème à partir des structures institutionnelles du Système, à l’intérieur même des structures du Système, et dans un but implicite, éventuellement involontaire peu importe, de déstructuration de ces structures. Pour toutes ces raisons, on comprend le caractère “révolutionnaire” de cette initiative, et singulièrement (ou doublement) “révolutionnaire”, répétons-le, parce qu’absolument conforme à la légalité qui protège le Système, et par là même rendue légale elle-même selon les références du Système. (La seule initiative récente approchant en intensité antiSystème celle de Grayson, mais beaucoup moins antiSystème dans sa forme, dans sa chronologie et dans sa vitesse de constitution, fut la constitution d’une sous-commission d’enquête de la Chambre sur la Federal Reserve, sous la présidence de Ron Paul.)

Enfin, un dernier constat doit être fait, qui concerne la chronologie. L’initiative de Grayson indique combien les organisateurs de la “résistance anti-NSA” à la Chambre entendent, non seulement poursuivre leur bataille, mais encore plus, l’accentuer avant même les vacances du Congrès. (Un autre article du Guardian, qui bat toute la presse-Système US dans la couverture de l’événement, met en évidence la combativité des parlementaires de la coalition Amash, le 26 juillet 2013. L’une de ces parlementaires, Barbara Lee, explique  : «The stage is now set [to curb the NSA.] It was a great beginning – a first step.») Cette tactique d’exploitation immédiate du résultat du 24 juillet est une façon de mettre encore plus sur la défensive la “majorité” à-la-Pyrrhus réunie de justesse contre l’amendement Amash, de préparer aussi bien les batailles de la rentrée de septembre que de susciter et de favoriser des ralliements de certains membres de cette majorité vers les anti-NSA. Dans un tel climat général où les positions politiques radicales tendent à l’établissement d’un climat évoluant vers une sorte d’“insurrection permanente” marqué par des initiatives concrètes, l’affrontement prend des allures fondamentales de bataille pour la prise du pouvoir au Congrès, dans tous les cas à la Chambre, selon des clivages qui pulvérisent l’habituelle structure du “parti unique” républicain-démocrate. (D’autre part, il est généralement signalé que le climat se dégrade aussi au Sénat vis-à-vis de la NSA, avec certains sénateurs, dont Ron Wyden et Mark Uddal chez les démocrates, et Rand Paul chez les républicains, de plus en plus activistes.)

Cette potentialité quasi-insurrectionnelle par rapport aux normes du Congrès illustre d’une façon décisive combien les événements actuels ne sont en rien une démonstration du bon fonctionnement du système américaniste (selon la vertueuse appréciation que ce système peut aussi laisser parler l’opposition), mais la démonstration exactement inverse, – que ce système-là a de sérieuses ratés. Une telle amorce, une telle possibilité d’insurrection dissidente qui porte une potentialité de déstructuration intérieure du Système, indiquent que des verrous sont menacés de sauter, et qu’ils ne pourront sauter éventuellement qu’en mettant à mal la direction-Système classique du Congrès. Il s’agit d’une situation sans précédent par cette potentialité, qui est celle d’un affrontement et nullement d’une “cohabitation”. Pour l’instant, cela n’implique en rien ni une victoire, ni la certitude d’une épreuve décisive ; il s’agit du constat d’une possibilité extrêmement sérieuse à l’intérieur d’une entité-Système jusqu’alors absolument verrouillée, absolument contrôlée et assurée d’une croyance d’invulnérabilité contre les tendances antiSystème. Cette seule possibilité est d’ores et déjà un événement historique, parce que sans précédent au Congrès des États-Unis.


Mis en ligne le 27 juillet 2013 à 09H12