NSA : la crise se radicalise

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NSA : la crise se radicalise

L’intervention de Barack Obama avant son départ en vacances et quelques parties de golf bien méritées a permis de faire progresser notablement l’état général de la crise Snowden/NSA. Au contraire d’apporter un apaisement dans la tension qui s’est développée depuis quelques semaines au sein du pouvoir washingtonien, elle l’a accrue en permettant aux uns et aux autres d’affirmer leurs positions. (Effectivement, c’est bien cet aspect de la crise de la tension “au sein du pouvoir washingtonien” qui préoccupe la direction politique du Système, et nullement le sentiment du public sauf lorsqu’il apporte un élément à cette tension en pesant sur la position de certains parlementaires.) D’abord, l’intervention d’Obama a officiellement, sinon solennellement acté qu’il existe une crise autour de la NSA, qui concerne non pas une évolution possible de l’agence et, par conséquent, du réseau d’écoute et de surveillance qu’elle aurait l’intention de développer et de mettre en place, mais bel et bien d'une situation présente. Il ne s’agit pas de spéculer et de supputer sur ce que sera, ce que pourrait être, ce que devrait être le phénomène en question, mais bien de constater qu’il existe, qu’il est en place et qu’il fonctionne ; d’où l’urgence de la situation, et la tension qui va avec.

En même temps et selon la même perception de l'évolution de la crise, il est devenu évident, sinon acté, que ce phénomène n’est pas une simple opération de surveillance, d’écoute, d’espionnage, etc., définie comme limitée dans l’espace et l’objectif ; qu’il s’agit bel et bien d’un ensemble général de type globalisé, systématique et donc sans limites fonctionnelles nécessaires, ni pour l’espace et le temps couverts, ni pour l’objectif (ce que l’Église orthodoxe russe nomme un “Goulag électronique globalisé” [voir le 1er août 2013]). Par conséquent, surtout, il s'ensuit qu'il est devenu évident et qu'il est acté, et cela fait l’objet de déclarations péremptoires à cet égard, que ce système-là, avec toutes ses caractéristiques, existe d’ores et déjà, qu’il est opérationnel, qu’il fonctionne. Il faut donc répéter que nous sommes dans ce cas, et surtout avec ce dernier point, dans le domaine de la situation opérationnelle en cours et nullement dans le domaine de la spéculation et des intentions. Cela structure la crise dans un sens bien précis : elle est actuelle et pressante, en plein développement, avec tous les impondérables et les prolongements imprévus que cela implique.

• C’est ce dernier point, justement, qu’a largement et impérativement confirmé le général Michael Hayden, ancien directeur de la NSA puis de la CIA, largement consulté par certains segments de la presse-Système sur les divers aspects critiques de la NSA. (Dans un commentaire critique de Hayden et de l’accès de Hayden à certains médias-Système, Glenn Greenwald résume cette situation de la consultation régulière de Hayden, – ici, en attaquant violemment Bob Schieffer, de CBS.News, qui interrogeait Hayden, – dans le Guardian du 12 août 2013, en citant un commentaire extérieur : «The Twitter commentator sysprog3 put it this way: “Inviting Hayden to comment on regulation of surveillance is like having Bernie Madoff comment on regulation of Wall Street.”») Sur Infowars.com, le 12 août 2013, Kurt Nimmo résume l’intervention de Hayden dans son titre («Government will continue surveillance, so get used to it»). Le propos principal de l’ancien chef de la NSA est effectivement de nous confirmer que le programme général de la NSA est en place et fonctionne et qu’il serait très dangereux de modifier son statut, ne serait-ce que sa perception ou son apparence selon l’argument de la transparence.

«Former NSA and CIA boss Michael Hayden went on Face the Nation Sunday and told America the NSA’s Fourth Amendment busting surveillance program is “lawful, effective, and appropriate.” He made it clear Obama did not say during a Friday news conference he would implement “operational changes” to the NSA program.

»The former Air Force General [...] said oversight of NSA surveillance is “already quite good” and “there have been no abuses under him or under his predecessor,” although Obama “does have this issue of confidence, this issue of transparency.” “The president is trying to take some steps to make the American people more comfortable about what it is we’re doing,” Hayden continued. “That’s going to be hard” because “some steps to make Americans more comfortable will actually make Americans less safe,” he said. In other words, if the government decides to obey the Constitution it will result in terrorism.»

Relevant un aspect complémentaire de cette intervention, Russia Today insiste, le 12 août 2013, sur le fait que Hayden estime nécessaire un renforcement du réseau général actuellement en place selon certaines circonstances dont on peut juger que ce commentateur ne doute pas qu’elles se produiront évidemment. C’est-à-dire qu’il prône son renforcement constant, mais toujours selon la base et le schéma d’ores et déjà en place. «“But you got this metadata here,” Hayden told Schieffer. “It's now queried under very, very narrow circumstances. If the nation suffers an attack, there are other things you could do with that metadata. There are other tools. So in that kind of an emergency, perhaps, you would go to the court and say, ‘In addition to these very limited queries we're now allowed to do, we actually want to launch some complex algorithms against it.’”»

• Le constat qu’on peut alors faire est que la principale fonction d’un tel système, qui devrait être d’exercer un contrôle sans entraves et sans résistance, sans débat ni contestation, sans visibilité publique excessive et plutôt dans la plus complète discrétion, n’opère nullement dans ce sens puisque, depuis le 6 juin, nous avons entraves, résistance, débat, contestation, là où nous n’avions rien précédemment, alors que la fonction générale était déjà assurée. Plus encore, on cherche en vain les traces de l’efficacité absolue du réseau général de la NSA, au vu des multiples erreurs, ignorance d’opérations ou de machinations antagonistes, maladresses, etc., qui marquent systématiquement la politique de sécurité nationale des USA depuis de nombreuses années, et encore plus récemment, depuis 2009 qui est semble-t-il l’année où les grands programmes dénoncés par Snowden ont été activés, selon les indications de Hayden. (Les affirmations selon lesquelles la NSA a déjoué 56 complots terroristes, mais que cela reste top secret, pourraient être de la plus haute fantaisie, selon une tradition bien établie .... Pourquoi pas 57 ou 205, qui étaient deux parmi les nombres variables d’agents communistes infiltrés au département d’Ettat selon le sénateur McCarthy et selon ses discours, dans un des épisodes les plus grotesques du McCarthysme, celui du lancement de sa campagne en 1951 [voir Joe McCarthy, sur Wikipédia, «Wheeling Speech»].) C’est donc un point capital à avoir à l’esprit : le “Goulag électronique globalisé” est en place et il est loin, très loin d’avoir l’efficacité absolue qu’il prétend avoir, jusqu’à faire envisager l’hypothèse inverse, – et cette efficacité absolue qu’il doit avoir impérativement pour être lui-même...

• D’une certaine façon, l’intervention d’Obama a montré indirectement ce malaise diffus concernant l’efficacité et le fondement du programme général de la NSA, pour ceux qui soutiennent son action. En plus de mécontenter ceux qui veulent des restrictions décisives à l’action de la NSA, BHO mécontente également ceux qui ne veulent au contraire qu’aucune entrave ni restriction ne soit apportée à cette action, qui dénoncent le fait que l’action de la NSA puisse être mise en cause, qui ne veulent surtout pas que l'action et l'efficacité du système-NSA puissent être évaluées pour ce qu'elles sont. C’est ce qu’observe synthétiquement Jason Ditz, d’Antiwar.com, le 12 août 2013.

«President Obama’s Friday effort to placate the rising opposition to NSA surveillance was clearly style over substance, but beyond the predictable panning of critics of the surveillance state, the speech is also attracting growing criticism from the surveillance state’s proponents.

»Rep. Michael McCaul (R – TX) rejected the comments as “window dressing,” and faulted the president for failing to “explain these programs” to the American public, which in poll after poll is shown opposed to them. He went on to lament that young Americans “don’t trust the government” and that this is getting in the way of a lot of the government’s plans. Rep. Peter King (R – NY), another outspoken supporter of surveillance, lashed Obama for allowing Snowden’s leaks to “dominate the media,” lamenting that people “actually think the NSA is spying on people,” which of course they are.

»President Obama’s speech promised some nominal additional transparency, but centered on the idea that the American public needed to be convinced to be “comfortable” with the program. They clearly are not, and a few hastily prepared whitepapers insisting the program is legal is simply bad strategy.»

• La commission dont la formation a été annoncée par Obama, dont le but affirmée est de passer en revue les activités de la NSA pour mettre les citoyens “plus à l’aise” avec elles, – sans pour autant envisager de les modifier de quelque façon que ce soit, ce qui indique par avance ce que sera le résultat de l'enquête, – cette commission est en train d’être constituée. Elle est d’ores et déjà l’objet de contestation et de diverses ambiguïtés, d’ailleurs principalement alimentées par la Maison-Blanche elle-même. Ces ambiguïtés portent essentiellement sur le rôle que devrait y jouer James Clapper, le directeur national du renseignement (DNI). Le Guardian du 13 août 2013 rapporte les hésitations de la Maison-Blanche à cet égard, et les interprétations antagonistes inévitables. Russia Today du même 13 août 2013, produisant le fac-similé de l’ordre présidentiel à cet égard, assure que Clapper aura tous les pouvoirs. (Russia Today cite la réaction “tweetée” de Greenwald hier en milieu de journée : «Only in DC: James Clapper, instead of being prosecuted or fired for lying to Congress,will now lead the review of the programs he lied about» ; et aussi celle du député Amash, qui mène l’action anti-NSA à la Chambre : «Still waiting for DNI Clapper to resign. He lied under oath & should be prosecuted. Where is U.S. government's commitment to Rule of Law?»). Quoi qu’il en soit : si Clapper joue un rôle effectif de direction, la commission sera discréditée aux yeux des anti-NSA, et le contraire si Clapper ne tient pas effectivement ce rôle, avec les pro-NSA dénonçant Obama au nom de la sécurité nationale. De la façon dont elle est mise en place, cette commission va exacerber les deux positions antagonistes.

• En complément, ce point qui n’est pas sans importance : la complète défiance des citoyens US à l'encontre de la mesure principale prise par BHO, qui est justement la constitution de la “commission Clapper” (avec Clapper comme président). Un sondage Rasmussen à cet égard montre que seulement 11% des personnes interrogées jugent que l’activité de surveillance et d’écoute de la NSA sera réduite et contrôlé à la suite de la décision du président, 49% jugeant qu’elle ne sera affectée en rien, 36% qu’elle augmentera encore ... Infowars.com commente ce sondage le 13 août 2013.

«A newly released opinion poll reveals that only 11% of Americans believe that the president will act upon a promise last week to scale back and provide more transparency on the surveillance programs operated by the NSA. The survey by Rasmussen found that the vast majority of Americans simply do not believe a word Obama says when it comes to domestic spying. Out of 1000 respondents, only 11% said they believed that the president’s pledges would make it less likely that the NSA will monitor Americans’ communications.»

• Le même clivage antagoniste que celui relevé après l’intervention d’Obama apparaît au Congrès, où le député Amash a lancé une violente attaque contre les 1% du Congrès qui contrôlent les commissions sur le renseignement. Amash rapporte que des documents qui auraient dû être transmis aux députés avant les votes cruciaux sur le nouveau Patriot Act ne l’ont pas été, privant ainsi la Chambre de l’information adéquate pour le vote. Amash affirme que cette loi n’aurait pas été votée si le document avait été disponible. Le Guardian du 12 août 2013 rapporte cette situation de tension existante au sein du Congrès, que les vacances en cours ne semblent nullement devoir apaiser, mais au contraire exacerber.

«The accusation represents an escalation between Amash and the intelligence leadership, which fiercely fought his late-July effort to end the NSA's bulk collection of American phone records. The panel chairman, Amash's fellow Michigan Republican Mike Rogers, swiped at the younger congressman during a raucous July 24 floor debate: “Are we so small that we can only look at our Facebook "likes" today in this chamber?”

»Rogers has pledged to introduce greater privacy protections over the bulk phone records program when his committee takes up the annual intelligence funding bill after the August congressional recess. Amash, meanwhile, has pledged to renew his efforts to vastly restrict the NSA's ability to collect phone data on Americans without individual suspicion of wrongdoing. Asked if it would be possible to work with the Rogers and the House intelligence committee leadership after learning the committee withheld the document, Amash replied: “I don't know.”»

La grande caractéristique de la situation aujourd’hui n’est nullement dans l’existence du système général de la NSA, qui est acquise, mais bien dans la situation qu’a créée la mise en lumière de cette situation au sein même du pouvoir washingtonien. Le fait caractéristique de la situation présente n’est pas le constat de la puissance de la NSA, qui est également acquise, mais bien que cette puissance n’ait pu empêcher qu’elle soit elle-même mise en cause au cœur du pouvoir washingtonien. Le constat essentiel n’est donc pas la “découverte” de l’omnipotence de la NSA mais bien que cette “découverte” provoque une telle division et un tel affrontement au sein du pouvoir washingtonien. Les vacances du Congrès sont plutôt une veillée d’armes avant l’affrontement qu’un étouffement de la crise. Tout est mis en place pour que s’ouvre une session exceptionnelle du Congrès à partir de septembre, avec un débat dont nul ne peut dire quelle direction il va prendre, comme l’ont montré précisément les deux mois depuis les premières révélations des documents-Snowden. (Il faut rappeler que les conditions initiales accompagnant les premières publications de ces documents étaient extrêmement défavorables à l’ouverture d’un débat, les premières réactions ayant conduit à mettre l’accent sur la démonisation de Snowden et ayant été accaparées par l’odyssée du même Snowden à Hong Kong et à Moscou. Ce n’est qu’à la mi-juillet que s’est déclenché un mouvement de contestation que les partisans de la NSA auraient dû à tout prix empêcher mais qu'ils n'ont pas vu venir.)

Le fonctionnement hermétique du Système en général impliquait effectivement l’impossibilité de la mise à jour du système-NSA, l’impossibilité d’un débat contradictoire, l’impossibilité de la possibilité que le système-NSA soit mis en cause, bref l’hermétisme de la NSA à l’image du Système. De ce point de vue qui forme l’essentiel des événements en cours, le Système a été mis en échec alors qu’il disposait de tous les atouts pour ne pas l’être ; surpuissant, le Système, mais pas vraiment finaud, ou bien fasciné par son destin inéluctable d’autodestruction... Cette situation de désordre antagoniste au sein de la direction washingtonienne engendrée par la crise est un point fondamental parce que l’efficacité du système-NSA, – déjà largement contestable alors que son statut n’était nullement mis en cause, – dépend évidemment de l’absence d’interférences à son encontre, et notamment d’interférences législatives qui restent extrêmement contraignantes, sinon impératives. (Obama n’a ni les moyens ni la possibilité d’un 18 Brumaire, d’autant qu’une fraction grandissante des forces armées, elles-mêmes victimes de l’action de la NSA comme on l’a vu avec l’élimination du général Petraeus de la direction de la CIA en décembre 2012, est de plus en plus hostile au Président.) Le vote de la Chambre du 24 juillet a montré que de telles interférences peuvent apparaître dans le champ législatif d’une façon complètement imprévue (malgré la NSA...), et les conditions de plus en plus antagonistes de ces derniers jours vont sans aucun doute renforcer la vigueur du débat. Ce facteur-là de la division du pouvoir washingtonien est aujourd’hui le nœud gordien de la crise, bien plus que les capacités, les ambitions et les affirmations impératives des sapiens étoilés type Alexander-Hayden.


Mis en ligne le 14 août 2013 à 09H03