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977On ne l’espérait plus guère et, pourtant, la rencontre a eu lieu. Barack Obama a en effet rencontré Franklin Delano Roosevelt (FDR). La pression de la crise a fini par atteindre le candidat démocrate, dont on sait depuis longtemps qu’une de ses options naturelles est d’adopter un “climat” de campagne renvoyant à la campagne présidentielle, du côté de FDR, de l’automne 1932. La similitude de “climat” justement, la similitude de la perception de la gravité des situations, donc la similitude psychologique (plus que la similitude des situations économiques, beaucoup plus contestable), invitaient à cette rencontre. C’est chose faite, la rencontre a eu lieu.
C’était lors d’un discours de sa campagne électorale, dans l’Ohio, le 10 octobre, selon le rapport qu’en fait le Times de Londres. Il semble que ce fut un discours inspiré, au cours duquel Obama en appela aux mânes de FDR, pour inviter le peuple américain à ne pas entendre ce qu’il estime être les calomnies du camp républicains et à se rassembler autour de lui, pour affronter la tourmente de la crise.
«Barack Obama accused John McCain today of trying to incite anger and divide the country as he made an impassioned plea to voters to ignore the Republican's attacks on his character and honesty.
»Invoking Franklin Roosevelt, the president who steered America out of the Great Depression, Mr Obama declared: “Nothing's easier than to rile up a crowd by stoking anger and division. But that's not what we need now in the United States. The American people aren't looking for someone who can divide this country. They're looking for someone who will lead it.
»He added: “That’s why we remember that some of the most famous words ever spoken by an American came from a President who took office in a time of turmoil – ‘The only thing we have to fear is fear itself.’” […] “Now is not the time for fear. Now is not the time for panic. Now is the time for resolve and steady leadership. We can meet this moment. We can come together to restore confidence in the American economy. We can renew that fundamental belief – that in America, our destiny is not written for us, but by us. That’s who we are, and that’s the country we need to be right now.”»
Il faut évidemment tout connaître des circonstances qui ont conduit Obama à ce discours. La crise économique l’a fait monter dans les sondages au point où l’avis commence à se répandre que l’élection est jouée, et qu’elle l’est en sa faveur; à nouveau, Obama apparaît irrésistible, notamment à cause de la faiblesse de la paire républicaine qui, dans le domaine économique qui devient essentiel, n’a rien à dire d’intéressant ni rien à promettre d’alléchant, et qui paye l'inexistence totale du président Bush. Les républicains ont, en désespoir de cause, multiplié les attaques “personnelles” contre Obama, notamment à propos des liens qu’il a eus ou qu’il est supposé avoir eus, avec des personnalités et des groupes extrémistes, voire “terroristes” selon la terminologie républicaine toujours généreuse dans ce cas. C’est donc la réponse d’Obama, qui devient une exhortation pour les électeurs: écartez ces calomnies sans consistance, venez à moi qui vous promets une politique de sauvegarde dans ces temps de grand danger, une politique à l’image de celle du leader inspiré que fut Saint-FDR.
La question qui vient aussitôt à l’esprit est évidente: ce tournant dans la campagne et dans la dialectique d’Obama est-il tactique ou est-il fondamental? Obama en appelle-t-il aux mânes de Saint-FDR pour simplement détourner les attaques des républicains ou bien parce qu’il croit réellement que la situation est très grave et qu’il faut désormais faire passer sa campagne au stade de la mobilisation populaire qui comprend nécessairement une composante antisystème (on sait où sont les responsabilités de l’actuelle situation)? Dans ce cas, qui est celui d’un Obama croyant à la gravité de la situation et à la nécessité de la mobilisation, la référence FDR le conduit à suivre la logique impérative qu’elle suggère, qui est une logique conduisant à cette posture antisystème qu’on évoque. Le paradoxe est qu’alors, la véritable référence d’Obama devient Gorbatchev, destructeur de système (le communiste en l’occurrence, mais nous sommes si proches structurellement du cas), et non plus FDR.
(Car l’on sait bien que la référence-FDR est chargée également de toute l’ambiguïté du personnage et de son action; à partir d’une rhétorique et d’une action psychologique fortement antisystème, FDR a développé une action politique et économique qui a contribué à sauver le système… Cela correspond à la différence que nous faisons entre la période dite de “tragédie historique” de la Grande Dépression, de 1931 à 1933, et la période de l’“accident économique”, également commencée en 1931 et qui se termina au mieux en 1939-1941.)
Le tournant d’Obama vers FDR reste à être confirmé et évalué pour apprécier sa véritable signification. Jusqu’ici, dans tous les cas depuis fin mai, le candidat démocrate s’est montré extrêmement prudent et très conformiste dans ses prises de position. L’avantage tactique indiscutable, l’opportunité tactique également, de passer à la référence FDR sont trop évidents pour qu’on n’envisage pas effectivement comme sérieuse l’hypothèse d’un acte uniquement tactique, et qu’il faille attendre quelques jours pour en juger selon l’évolution de la situation. D’autre part, s’il s’agit d’une réelle conviction suscitée par la situation, n’est-il pas trop tard pour transformer une campagne dans le sens “rooseveltien”?
Une seule chose assurée : il existe toujours une énigme Obama.
Mis en ligne le 11 octobre 2008 à 07H14
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