Obama et le chimique, l’Irak et les rebelles syriens

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Obama et le chimique, l’Irak et les rebelles syriens

Jeudi (voir le 25 avril 2013), DEBKAFiles faisait grand cas, jusqu’à une discrète hystérie guerrière qui caractérise le sens historique du site, du changement («a remarkable reversal») d’appréciation du secrétaire à la défense Hagel par rapport à l’utilisation ou pas de l’armement chimique par Assad. Hagel se trouvait à la fin d’une tournée au Moyen-Orient et voilà que, après qu'il ait écarté dans des déclarations les jours précédents l’évaluation selon laquelle Assad aurait utilisé de l’armement chimique, cet usage devenait désormais dans son estimation assez probable. En même temps, la nouvelle était annoncée par le président Obama aux dirigeants du Congrès...

«In a remarkable reversal, Defense Secretary Chuck Hagel said in Abdu Dhabi Thursday afternoon, April 25, that the US intelligence community believes the Syrian government has used chemical weapons against its own people, determining with “varying degrees of confidence” that Syrian President Bashar Assad's forces have used the nerve agent sarin against civilians and forces fighting to remove Assad from power. The White House is informing Congress about the chemical weapons use now, Hagel said, hours after he voiced reservations about the assessment Tuesday by senior Israeli military intelligence officer Brig. Gen. Itai Brun that the Assad regime had begun to practice chemical warfare.»

La chose serait importante parce que, l’année dernière, Obama avait annoncé que l’emploi d’armes chimiques par Assad était la “ligne rouge” à ne pas dépasser, qu’il s’agirait quasiment d’un casus belli de type postmoderne, et que les USA envisageraient l’intervention... Et puis non, ce n’est pas sûr : on est fort discret, à Washington, sur cette “fameuse” “ligne rouge” qu’il ne faut pas franchir (lieu commun usé jusqu’à la corde des présidents US régentant le monde) ; et encore plus discret sur le fait que le susdit possible emploi (qui est de moins en moins présenté comme assuré) implique l’automatisme d’une intervention.

Attardons-nous quelque peu sur cet imbroglio chimique, relancé pour la nième fois, non sans d’ores et déjà noter que, s’il y a vraiment un événement important en Syrie ces dernières 72 heures, ce serait plutôt la possible, sinon probable intervention d’un avion irakien contre des rebelles syriens en territoire syrien. On en voit plus là-dessus, plus loin dans ce texte.

• D’une façon générale, l’“alerte” pompeuse de Washington sur l’emploi (?) d’armes chimiques en Syrie rencontre pas mal de scepticisme. (Voir John Glaser, dans Antiwar.com le 26 avril 2013 : «This seems to violate President Obama’s “red line,” triggering some unspecified action presumed to be military in nature. [...] While it’s not clear whether that’s true, this talk about a “red line” is bogus.» Ou Stephan M. Walt, le 26 avril 2013, sur Foreign Policy : «Nobody should be pleased that Assad's forces (may) have used chemical weapons, but it is not obvious to me why the choice of weapon being used is a decisive piece of information that tips the balance in favor of the pro-intervention hawks.»)

• Quelles peuvent être les motivations derrière les arguments des uns et des autres en faveur de la narrative Assad-a-utilisé-du-chimique ? Du côté israélien, chez les maximalistes type DEBKAFiles (le 26 avril 2013), il s’agit toujours d’enclencher un mécanisme impliquant les USA en Syrie, pour les amener à passer au problème iranien, cette fois selon l’argument des armes de destruction massive (ADM). Du côté US, où il paraît assuré qu’Obama ne veut pas d’engagement direct en Syrie, il semble que la dramatisation de la “nouvelle” aussitôt assortie de réserves sérieuses, avec information du Congrès, a été faite pour prévenir une offensive de ce même Congrès contre l’administration qui aurait été alors accusée de “mollesse”, à partir d’informations alarmistes qu’Israël aurait pu “fuiter” vers les parlementaires les plus activistes, type Graham-McCain.

• Sur le terrain même, en Syrie, les arguments en faveur du cas de l’utilisation d’armes chimiques, le plus souvent instrumentée par la propagande rebelle pour impliquer Assad, a évidemment à voir avec la situation sur le terrain qui deviendrait de plus en plus difficile pour ces rebelles justement. Nous citons notamment deux articles dans ce sens, de sources très distantes de la propagande-Système courante, mais pour autant d’orientations différentes. Il s’agit notamment de la plume extrêmement respectée et respectable de Robert Fisk, dans The Independent du 26 avril 2013 : «They may be fighting for Syria, not Assad. They may also be winning.. Death stalks the Syrian regime just as it does the rebels. But on the front line of the war, the regime’s army is in no mood to surrender – and claims it doesn’t need chemical weapons...» L’autre source citée est Tiny Cartalucci, dans Land Destroyed le 25 avril 2013 :

«The last two weeks have seen a series of victories for the Syrian Army across Syria. It appears that 2 full companies of so-called “Free Syrian Army” fighters have been annihilated near Damascus, while government forces have restored order in parts of Homs and along the previously porous Lebanese-Syrian border. Time has run out for the West, and it appears that they are desperately seeking any excuse to rescue their failing proxy war. When urgent, but otherwise unjustified military intervention is needed, a “humanitarian” pretext is usually invented – as it was in Libya. Failing that, as the West has already clearly done in Syria, an even more tenuous narrative has been resurrected from its well-earned grave. CNN has reported in their article, “Hagel: Evidence of chemical weapons use in Syria,” that...»

• Pendant ce temps, le débat continue pour l’éventuel envoi d’une équipe d’“experts” des Nations-Unies pour enquêter sur les allégations d’usage d’armes chimiques. Russia Today, ce 27 avril 2013, nous explique fort bien les incroyable manœuvres de la part de l’ONU instrumentée par le bloc BAO, qui, après n’avoir pas répondu aux sollicitations d’Assad lui-même, voudrait intervenir avec une équipe largement anti-Assad, d’où sont exclus des experts chinois et russes jugés “de parti-pris”. L’envoyé russe auprès de l’UE Vitaly Chourkine condamne “cette sorte de logique”, estimant que, dans ce cas, il recommanderait «l’exclusion des pays de l’OTAN également». Le porte-parole du ministère russe des affaires étrangères explique  : «The management of the UN Secretariat demanded that Damascus agree to the establishment of a permanent mechanism for inspection throughout Syrian territory with unlimited access to everywhere. The proposed scheme of inspections is similar to those used at the end of the last century in Iraq, which, unlike Syria, was under UN sanctions.» Dans tous les cas, la Syrie (qui n’est sous le coup d’aucune sanction de l’ONU et n’a donc aucune obligation vis-à-vis de l’organisation), n’autorise pas, pour l’instant, l’accès de son territoire à cette équipe.

Sur cette affaire, on se permettra quelques précisions sans le moindre rapport, – c’est cela qui fait leur charme. Le Secrétage général de l’ONU Ban Ki-moon est dans le cours de son second terme qui se déroule sur la base de conditions internes extrêmement contestées (voir le rapport de l’OIOS, service chargé de l’audit du Secrétariat Général, du 14 juillet 2010, d'un ton critique sans appel). Le président de la Commission européenne Barroso, lui aussi dans le cours du second terme de sa fonction, avait très récemment glissé un mot à l’oreille d’Obama, lui suggérant l’idée qu’il serait parfaitement satisfait, lui Obama, si lui-même, Barroso, obtenait l’avantage de succéder à Ban. (Ban termine en 2016, Barroso en 2015, la vision est à long terme, comme chez tous les grands hommes d’État.) L’affaire pouvait être intéressante (et rassurante pour nous, vu le calibre de Barroso), tout le monde ne doutant pas une seconde du départ de Ban Ki-moon tant sa direction est médiocre et totalement inconsistante, y compris pour les USA qui l’ont installé où il se trouve comme leur homme-lige affiché. Puis soudain, surprise, et Barroso doit remballer ses vertueuses ambitions puisqu’on apprend, dans les couloirs conjoints de l’ONU et de la Commission, que Ban se battrait bien finalement pour obtenir un mandat de plus. D’où il paraît complètement inapproprié, sinon insultant, de s’interroger à propos du comportement de l’ONU favorisant si outrageusement le parti du bloc BAO, dont les USA, dans cette affaire de contrôle de l’emploi du chimique, et par qui, par une équipe de l’ONU. Il serait absurde de croire qu’une telle manœuvre supposée, et aussi basse, puisse avoir été imaginée par le stratège Ban pour commencer à se reconstituer une base de soutien pour son avenir, – essentiellement le soutien des USA... N’y pensez pas une seconde ! Passons à autre chose.

• En fait, la chose la plus importante, si elle se confirme, importante symboliquement, pour la communication autour de la “guerre syrienne“, éventuellement pour de possibles conséquences géopolitiques, est d’un tout autre domaine. Il s’agit de l’incursion de ce qui serait un avion irakien dans l’espace aérien syrien pour attaquer des rebelles syriens. C’est la FSA (Free Syrian Army, en langue coutumière) qui l’affirme. Antiwar.com résume l’affaire ce 27 avril 2013.

«Local rebels say that the warplane which launched the strike was seen flying across the Iraqi border, though there are differences in opinion as to whether it was an Iraqi plane or simply a Syrian MiG that used Iraqi air space during the bombing run. Iraq has made it a public point to attempt to stay neutral in the ongoing civil war next door, but with some of the rebels openly tied to Iraqi militants and a sectarian fight growing in Iraq itself, there may be pressure on Maliki to back Assad more openly.

»That said, while spillover violence is being experienced by multiple Syrian neighbors, this would be the first time a neighboring military directly took a role inside Syria, since even Turkey, which has been hosting the rebels, has so far refused to take the step of crossing the border...»

Cette éventuelle intrusion irakienne est effectivement, si elle se révèle probable, à considérer symboliquement, – mais symbole d’un quel poids ! Depuis de nombreux mois, on sait que les événements qui déchirent l’Irak vont dans le même sens que ceux de Syrie, donc avec la même attitude de l’Iran vis-à-vis des deux pays, si bien que l’on peut parler de facto d’un axe Damas-Bagdad-Téhéran. Le symbole viendrait d’autant plus à son heure qu’il suivrait des engagements irakiens contre des correspondants irakiens des rebelles djihadistes en Syrie qui sont de la même famille, la confirmation du rôle actif de l’Irak comme relais de transfert d’armes et de forces iraniennes vers la Syrie, et enfin la récente réaffirmation, discrète mais très significative, du gros contrats d’armements entre l’Irak et la Russie (voir le 12 octobre 2012). Ce contrat avait été suspendu pendant quelques mois autant à cause de pressions US que par des affaires de corruption très graves du côté russe.

Un symbole n’a pas vraiment besoin de confirmation “opérationnelle” s’il correspond à une situation, et alors il entraîne effectivement la perception. Dans ce cas, il rappellerait cette position de l’Irak, élargissant ainsi la potentialité de la “guerre syrienne”, avec le déplacement de son centre de gravité vers son Sud-Est et vers le plein Moyen-Orient, aux dépens de l’ouverture plutôt occidentale de la crise, correspondant au bloc BAO, à sa dialectique humanitaro-démocratique et aux relais (Jordanie et Israël) du bloc. (Les pays du Golfe n’ont pas de réelle position géographique ni stratégique dans cette schématisation symbolique, parce qu’ils n’ont pas de réelles identités, complètement inféodés qu’ils sont à leurs rapports extravagants à l’argent du pétrole encore plus qu’à leurs rapports avec le bloc BAO.) Ce déplacement potentiel du centre de gravité de la crise n’a une identification religieuse (axe Damas-Bagdad-Téhéran = axe chiite ou apparenté, dans tous les cas anti-sunnite) que pour la facilité du classement et parce que le classement religieux répond parfaitement aux phantasmes du bloc BAO. En réalité, cet axe a comme vocation, pour acquérir de la substance, de se débarrasser du classement religieux et de se poser comme anti-impérialiste, donc anti-bloc BAO, – ce qui est particulièrement surréaliste dans le cas de l’Irak dans sa perspective historique récente, – mais après tout, ce surréalisme-là équilibrant et éliminant le surréalisme initial qui a présidé à l’invasion de l’Irak par les USA. C’est par rapport à de tels reclassements que des pays comme l’Égypte et la Turquie (si elle se sortait des phantasmes d’Erdogan) devraient se situer.

Ce contexte-là est beaucoup plus intéressant, bien entendu, que celui de l’armement chimique qui relève principalement, lui aussi, des phantasmes occidentaux concernant la fabrication effrénée de dangers en armes de destruction massive dans tous les azimuts et de toutes les façons (y compris les cocottes minutes des frères Tsarnaev, dont on déduit qu’elles sont classées “armes de destruction massive” puisque le survivant du duo est inculpé du chef d’en avoir fait usage). L’affaire du chimique syrien n’est finalement que la transposition dans cette crise des remous intérieurs de la crise du bloc BAO avec la psychologie terrorisée de ses élites, avec les narrative forcenées sur le terrorisme et les ADM, – transfert, encore une fois, de notre désordre conceptuel et de nos diverses impuissances chez les autres. L’“habileté” incontestable de BHO, qui joue en virtuose improbable, depuis des mois, avec la “menace syrienne” pour jouer avec le Congrès dont il craint d’être le prisonnier, et dont il montre qu’il l’est effectivement, prisonnier, en concentrant tous ses efforts sur cette question, cette habileté-là constitue un objet de grande lassitude pour les commentateurs. De même que les officiels russes ne se cachent plus pour dire qu’ils ne comprennent rien à la politique des USA, ni à ce que veulent réellement les USA, de même finira-t-on par admettre que les dirigeants US eux-mêmes l’ignorent, et ceci et cela. Cela ne signifie pas qu’on ne risque rien de ce côté, et nous irions même jusqu’à dire “au contraire”... Avec une politique étrangère réduite à un tel état d’hébétude, de faux semblants et de simulacres pour soi-même, tout peut effectivement arriver, y compris le pire selon la formule consacrée. Ce serait ironique, après tout, en plus d’être stupide et tragique à la fois, qu’un avion US et un avion irakien se retrouvent, face-à-face, dans les deux camps mortellement opposés, dans le ciel syrien...


Mis en ligne le 27 avril 2013 à 17H38