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2818Il est courant, surtout aux USA, de s’intéresser, à l’arrivée d’un nouveau président ou dans le cours de sa présidence, à son “modèle de président”, à sa référence dans la liste de ceux qui l’ont précédé. Obama a souvent été et est couramment considéré comme une sorte de “réplique” de Franklin Delano Roosevelt, essentiellement à cause des circonstances. Il s’avère que sa référence est républicaine (ce point-là anecdotique, on en conviendra) et que c’est l’un des géants de l’histoire des USA: Abraham Lincoln, l’homme de la crise totale des Etats-Unis d’Amérique.
Obama a déjà beaucoup cité Lincoln dans ses discours. Il a composé son discours d’inauguration du 20 janvier 2009 en se référant intellectuellement et spirituellement à Lincoln. Il s'inspire du thème d’un des plus fameux textes de la littérature politique US, la Gettysburg Adress de Lincoln, à la fin de la bataille de Gettysburg de 1863 qui fut le tournant de la Guerre de Sécession, – un texte court, magnifique au moins par sa puissance et sa forme, sur le thème d’“une deuxième naissance de la liberté”.
CNN.News donnait, le 19 novembre, une analyse sur cette démarche intellectuelle d’une proximité entre Obama et Lincoln. Certains sont sceptiques quant à l’utilisation qu’il faut faire de ce trait intellectuel, ou de l’importance qu’il faut lui accorder. C’est le cas du professeur d’histoire de la Columbia University, Eric Foner, un spécialiste de Lincoln et l’auteur de Our Lincoln: New Perspectives on Lincoln and His World.
«Lincoln is a great man, and people should learn from him. But I think, as a historian, people ought to calm down a little about these comparisons. They are entirely different situations, worlds, political systems. There aren't I think a lot of exact direct lessons one can or should necessarily try to learn from Lincoln. […] Lincoln is a Rorschach test. Everybody finds themselves in Lincoln. Everybody finds what they want to find in Lincoln. There are dozens of Lincolns out there. So saying “I'm reading Lincoln or modeling myself on Lincoln” doesn't really tell us a heck of a lot.»
Obama lui-même croit à cette référence, puisqu’il cite souvent Lincoln et dit s’inspirer de l’exemple de ce président. L’analyse citée, qui donne la parole à divers historiens, s’attache surtout à deux aspects d’une possible comparaison: la composition des cabinets respectifs, surtout avec la nomination d'Hillary Clinton par Obama au département d’Etat, et la situation du pays.
«In a recent CBS interview, Obama said he's been spending a lot of time reading up on Lincoln, a further sign that he may try to channel the former president's successes. Obama said he was reading presidential historian Doris Kearns Goodwin's 2005 book ‘Team of Rivals,’ which focuses on Lincoln's Cabinet. “There is a wisdom there and a humility about his approach to government, even before he was president, that I just find very helpful,” he told ‘60 Minutes‘ correspondent Steve Kroft. When asked whether he would be willing to put political enemies in his Cabinet, Obama responded, “Well, I tell you what, I find him a very wise man.”
»Lincoln, after all, put a political rival in his administration: fellow Republican and New York Sen. William Seward. He fought a hard campaign against Lincoln, often using his experience as a reason why he should win the party's nomination over the Illinois politician. Seward later lost the vote. The same held true for Obama's former primary rival Sen. Hillary Clinton, who is being discussed now as a potential pick for secretary of state. Like Seward, Clinton is a senator from New York and fought a long, bruising primary battle, albeit a Democratic one. Watch analysts weigh in on Clinton's future »
»But as Obama considers Clinton and even Republicans for the Cabinet, the use of a Lincoln playbook may not help. “A lot of what has been said as a historian strikes me as a little misguided. [Obama], for example, is modeling himself after Lincoln by [possibly] putting Hillary Clinton in the secretary of state,” Forner said. “But, by the way, that was typical in the 19th century. Most presidents took a major figure of their own political party, often someone who wanted the job himself, and made him secretary of state. That was a fairly conventional thing to do.”
»[Ronald White, author of the upcoming book ‘A. Lincoln: A Biography’] said Lincoln's strategy was to surround himself with people who were equally strong. “And I think one of the comparisons to recent presidents is that they often have put in people from their own states who often are 'yes people' to them. Therefore, they have not been given the benefit of strong contending points of view,” he added. So would a team of rivals work today? “I think this is the great question. Would it be possible? I hope it is. I think it's a more difficult task today," White said. “The Civil War also helped kind of say, ‘we have to have kind of a unity government.’ This is a big challenge. I hope [Obama] can do it. I'm not sure he can.”
»Harold Holzer, one of the country's leading authorities on Lincoln and the Civil War, said the state of the nation today may be a major barrier to putting in place Lincoln's playbook. “Sen. Obama could have never contemplated a state leaving the country in reaction to his election, which was pretty rough. Lincoln could have never imagined nuclear war, the kind of foreign challenges that occur,” Holzer said.
»Holzer's new book, ‘Lincoln President-Elect: Abraham Lincoln and the Great Secession Winter 1860-1861,’ examines the period between his election and inauguration. But Holzer said that although the nation's challenges may be different, “leadership comes not from experience alone or sometimes not from experience at all. It comes from a gravitas and self-deprecation and understanding of other people. It's going to be a very interesting period.”»
Il y a beaucoup de similitudes entre Lincoln et Obama: la jeunesse au moment de l'accession au pouvoir, le talent oratoire, la croyance dans la puissance du verbe, voire une certaine dimension spirituelle de la démarche politique, etc. Il y a une certaine similitude aussi dans la perception qu’on a de deux personnages, à la fois énigmatiques (avant leur prise de pouvoir) et, peut-être, à la fois conscients de prendre le pouvoir à un moment d’une crise intense et gravissime du pays. Y a-t-il une différence de caractère ou une similitude de caractère? Le point est important.
Lincoln est apparu récemment, dans les écrits historiques qui ont exploré des aspects jusqu'ici délaissés, sans doute par conformisme, de sa personnalité, comme un personnage angoissé, dépressif (en plus, avec une femme psychologiquement malade); une psychologie tourmentée et d’essence très pessimiste, affectée de ce que les Romains nommaient le “tædium vitae ” (“dégoût de vivre”). Cela peut paraître surprenant par rapport à l’image historique officielle qu’on en a, d'un Lincoln nécessairement optimiste pour le bien de l'américanisme, – mais surprise de courte durée lorsqu’on se rappelle ce que l’histoire officielle, surtout aux USA où elle n'est que promotion de l'américanisme, fait des personnages dont elle veut se servir.
Pour cerner rapidement ce trait de caractère fondamental de Lincoln, nous citons cet extrait d’une interview de Arnaud Teyssier, auteur d’une biographie du maréchal Lyautey, paru dans La Nouvelle Revue d’Histoire, en février 2006. Teyssier fait une comparaison révélatrice entre les caractères de Lincoln et Lyautey.
La NRH: «Votre biographie de Lyautey, récemment publiée, s’écarte de la littérature pieuse. Vous insistez souvent sur le caractère torturé, la nervosité, la fréquente déréliction de cet homme d’exception. Comment définiriez-vous son tempérament?»
Arnaud Teyssier: «Lors d’un récent voyage à New York, j’ai lu un important article sur Lincoln, – un personnage qui m’a toujours intéressé – dans la revue américaine “The Atlantic”… Il nous révèle que cette figure mythique de l’histoire américaine était un dépressif et un mélancolique, qui transcendait ses pulsions autodestructrices par l’action politique et la construction d’un grand rêve collectif. Je dis bien qu’il “transcendait”, ou “sublimait”, mais en aucun cas ne cherchait vraiment à guérir cette profonde maladie de son âme. J’ai été saisi par cette lecture parce que j’ai retrouvé “mon” Lyautey. Lyautey était un homme torturé par la mélancolie, qui fut malheureux toute sa vie. Mais, chose extraordinaire, il ne s’inclina pas devant son mal, mais au contraire en usa comme d’un ressort pour agir, pour servir son pays, ses idées, entraîner la jeunesse dans son sillage. Lyautey disait lui-même qu’il souffrait du ‘tædium’, mot latin qui évoque un véritable “dégoût” de la vie. Sa psychanalyse, à lui, ce ne fut pas le divan, mais l’action…»
Il s’agit évidemment d’un facteur essentiel qui est ici exploré, aussi bien dans le cas de Lincoln que dans celui de Lyautey, – et question tout aussi importante, on le comprend, si le caractère d’Obama a cette proximité-là de celui de Lincoln. Jusqu’ici, rien ne l’a montré, mais c’est dans la nature même de la chose que de ne pas se montrer, puisqu’il y a effectivement “sublimation” et que cette démarche est destinée essentiellement à l'action politique, donc à la vie publique. La question revient à savoir si Obama est un caractère tragique, et la réponse donnerait une précieuse indication sur ce que sera son gouvernement, et, surtout, sur la façon dont il abordera la crise.
Mis en ligne le 24 novembre 2008 à 09H05