Obama et sa narrative révélatrice

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Obama et sa narrative révélatrice

Robert Parry, excellent meneur du site ConsortiumNews, a eu l’heureuse idée de faire une analyse précise des discours d’Obama à l’ONU en 2013 et (surtout) en 2014 (discours du 24 septembre). (Texte de Robert Parry du 25 septembre 2014.) On peut le suivre dans son analyse où il détaille contre les affirmations grotesques du président ce que nous devons prendre pour des faits avérés, – ce que nous nommons des “vérités de situation” en signifiant qu’à certains moments, dans certaines circonstances, des situations révèlent leur part de vérité contre les constructions (les narrative) dispensées par le système de la communication. Plus encore, nous connaissons Parry et l’avons cité à diverses reprises selon le fait également avéré que ce chroniqueur dispose de sources indubitablement crédibles dans le domaine du renseignement US, et qu’il en use d’une façon à la fois professionnelle et suffisamment suggérée pour que nous en distinguions leur valeur effectivement, là aussi, de “vérités de situation”.

(Toutes ces précisions sur la méthodologie sont nécessaires, et toujours à rappeler, parce qu’il s’agit de bien fixer les domaines exploitables pour notre compréhension de la véritable situation du monde. Cela est fait pour marquer clairement le contraste absolument contradictoire, le plus souvent d’une façon antagoniste, avec ce qui ressort de la narrative qui est une mécanique de communication directement issue du Système pour installer le contraire structuré et agressif de la vérité du monde.)

Ce que Parry met en lumière, c’est une évolution décisive d’un homme, le président des États-Unis, d’une substance oratoire à une autre substance oratoire, – du discours disons “réaliste” où l’on défend une position nationale avec un mélange d’affirmations sélectives qui font partie du domaine d’une réalité encore cohérente bien qu’orientée, au discours qui a complètement répudié toute réalité objective au profit de cette affirmation d’une pseudo-“vérité du monde” totalement faussaire, complète inversion de la chose. Ce que Parry résume ainsi, avec la deuxième partie de la citation la plus tranchante, la plus illustrative du problème que nous voulons exposer (notre souligné en gras) :

«The longer President Obama has been in office the less honest he has become, a problem growing more apparent in his second term as he reads speeches containing information that he knows to be false or at least highly misleading. [...] During President Barack Obama’s first term, he generally was careful in making comments about world affairs – not that he was always completely honest but he was circumspect about outright lying. Over the past two years, however, he appears to have lost any such inhibitions.»

Parry s’emploie ensuite à faire la démonstration de cette dernière affirmation («Over the past two years, however, he appears to have lost any such inhibitions»), qui vaut essentiellement pour les discours-ONU d’Obama, – les plus significatifs pour l’adresse des USA autant à eux-mêmes qu’au reste du monde, – des années 2013 et 2014. Le point intéressant est que, dans ces deux discours, des affaires prises en compte (des “crises”, en fait) sont détaillées d’une façon inhabituelle pour ce type de discours dont la méthodologie est de rester le plus général et conceptuel possible. Il y a donc une volonté en quelque sorte de démontrer, de prouver sans la moindre ambiguïté la volonté de l’orateur d’appuyer sa “vérité du monde” (sa narrative) sur une re-création minutieuse de la “réalité”.

• En septembre 2013, il s’agit de l’affaire de l’attaque chimique en Syrie d’août 2013 : «In September 2013, Obama made what he knew was a deceptive comment about the mysterious Sarin gas attack in Syria a month earlier... [...] ... Obama knew before his 2013 speech that many of his own intelligence analysts believed Syrian rebels were behind the Aug. 21 attack that killed several hundred people outside Damascus. These analysts suspected the incident was part of a scheme to blame the government of President Bashar al-Assad and get the U.S. military to attack Assad’s forces. [...] Despite this knowledge, Obama delivered a formal address to the UN General Assembly on Sept. 24, 2013, declaring: “It’s an insult to human reason and to the legitimacy of this institution to suggest that anyone other than the regime carried out this attack.”»

• En septembre 2014, le point le plus sensible pour les observations faites par Parry, que nous utilisons comme base pour notre raisonnement en les jugeant comme absolument et décisivement suffisantes au-delà de toute contestation possible, concerne essentiellement et précisément la crise ukrainienne. Obama s’y attarde dans le moindre détail, là aussi en enquêteur minutieux qui présente les preuves indubitables de la “réalité” qu’il a mise en jour, pour pouvoir la présenter simplement comme “la vérité”... (Nous passons nombre de détails qu’expose Parry pour prouver sans aucune contestation que l’enquête présentée par Obama n’est faite que de mensonges avérés de type-objectif : ils décrivent la narrative absolument faussaire.) «Similarly, Obama knew the complex reality in Ukraine when he took to the podium on Wednesday. He knew that the crisis was instigated not by Russia but by the European Union and the United States. He knew that the elected President Viktor Yanukovych had been targeted for “regime change” by officials within the U.S. State Department, led by neoconservative Assistant Secretary of State for European Affairs Victoria Nuland, who literally hand-picked the new leadership with the aid of U.S. Ambassador Geoffrey Pyatt who described the need to “midwife this thing.”...»

»Obama knew that Nuland had told Ukrainian business leaders that the U.S. government had invested $5 billion in support of their “European aspirations”... [...] He also knew the key role played by Ukraine’s neo-Nazi militias... [...] Obama was aware, too, that the ethnic Russians of eastern Ukraine had rejected this coup regime and rose up in resistance... [...] He knew that the people of Crimea – faced with this coup regime in Kiev – voted overwhelmingly in a referendum to secede... [...] Obama knew that the Kiev regime brutalized southern and eastern Ukraine... [...] Obama also knew that some of his own intelligence analysts had concluded that extremist elements within the Ukrainian government were probably responsible for the shoot-down of Malaysia Airlines Flight 17 on July 17... [...]

«Yet, this is how Obama presented the Ukrainian crisis to the world: “Recently, Russia’s actions in Ukraine challenge this post-[World War II] order. Here are the facts. After the people of Ukraine mobilized popular protests and calls for reform, their corrupt president fled. Against the will of the government in Kyiv, Crimea was annexed. Russia poured arms into eastern Ukraine, fueling violent separatists and a conflict that has killed thousands.” “When a civilian airliner was shot down from areas that these proxies controlled, they refused to allow access to the crash for days. When Ukraine started to reassert control over its territory, Russia gave up the pretense of merely supporting the separatists, and moved troops across the border.

»“This is a vision of the world in which might makes right — a world in which one nation’s borders can be redrawn by another, and civilized people are not allowed to recover the remains of their loved ones because of the truth that might be revealed. “America stands for something different. We believe that right makes might — that bigger nations should not be able to bully smaller ones, and that people should be able to choose their own future. And these are simple truths, but they must be defended. America and our allies will support the people of Ukraine as they develop their democracy and economy...”»

Parry conclut en faisant d’Obama une sorte de nouveau Bush. Parti d’intentions complètement différentes, d’affirmations extrêmement nuancées et réalistes à la fois, se présentant comme un président sensible à des analyses complexes cherchant à approcher, sinon à rendre compte de la “vérité du monde” en s’appuyant sur une réputation largement substantivée d’une réelle capacité intellectuelle, Obama terminerait devant nos yeux et à nos oreilles au niveau du simplisme de Bush ... «This was similar to how President George W. Bush gave speeches in 2002 and 2003 juxtaposing the names Saddam Hussein and Osama bin Laden to create the perception among Americans that the two were joined at the hip when they were, in fact, bitter enemies. Now, President Obama has come to replicate these Bush-like deceptions.»

L’analogie ne nous paraît pas complètement juste, – elle nous paraît même injuste pour le président Bush... (C’est dire notre ouverture d’esprit à cet égard !) Le Bush que décrit Parry ne sait pas grand’chose de la réalité de ce qu’il décrit, par comparaison avec la minutieuse enquête qui caractérise la crise ukrainienne, les faits relevés, les observations confirmées, etc. Certes, Bush présente une grossière mésinformation sur les rapports Saddam-ben Laden (tout comme la mésinformation/désinformation sur les armes de destruction massives). Mais nous restons dans le domaine spéculatif en 2002-2003, et nous y sommes encore d’une certaine façon aujourd’hui, même si l’évidence ridiculise les spéculations de Bush. Avec Obama, répétons-le, nous sommes dans le domaine des “faits avérés” et de “mensonges avérés de type-objectif”, tout cela après enquêtes minutieuses, pièces à conviction, etc. C’est pour cela que nous parlons de “mensonges avérés de type-objectif”, en rassemblant deux mots qui paraîtraient inconciliables (“mensonges objectifs”, – ou mensonges-vrais si l’on veut plus net), alors que Bush reste dans le spéculatif.

Donc Obama n’est pas un nouveau Bush, ou un super-Bush. Il est quelque chose au-delà de Bush, dans un univers différent ; Bush était dans une sorte de rêverie primaire et idéaliste, convenant à son esprit, Obama est dans quelque chose de beaucoup plus élaboré. Nous pouvons écarter, sur le dossier de l’Ukraine, l’hypothèse de l’inconnaissance complète, comme c’est de plus en plus souvent le cas dans la politique US pour son chef. Il est très probable, à notre sens, qu’Obama n’a pas été informé des manigances initiales type-Nuland & compagnie, – au moins avant novembre 2013, – qui ont conduit à renforcer les conditions de déstabilisation que l’action de l’UE a déclenchée à partir du 18 novembre 2013 ; mais à partir de décembre 2013-février 2014, il doit nécessairement savoir certaines choses, assez pour entretenir un doute qui aurait dû le faire réagir très nettement. Lorsque Parry écrit « Obama also knew that some of his own intelligence analysts had concluded that extremist elements within the Ukrainian government were probably responsible for the shoot-down of Malaysia Airlines Flight 17 on July 17...», il a à l’esprit, outre les estimations de la communauté du renseignement (IC) qui peut être ou n’avoir pas été connues d’Obama, l’intervention du groupe VIPS (voir le 30 juillet 2014) dont Parry sait directement et de première main qu’Obama en a eu directement connaissance.

Tout cela conduit à s’interroger une fois de plus, et toujours plus en profondeur, sur la personnalité d’Obama par rapport à sa politique, mais aussi sur l’importance de la personnalité d’Obama dans la manufacture de sa politique. Toutes les influences présentes à Washington l’étaient déjà en 2009-2012, lors de son premier mandat, et également l’effet général de désordre qu’impliquait cette multitude exerçant une confluence de complète confusion, avec le plus souvent des positions différentes, divergentes, voire opposées. L’influence neocon appréciée comme prépondérante depuis 9/11 avait officiellement disparu depuis 2007-2008, mais ce retrait n’avait aucune signification dans la mesure où les neocons ne sont qu’une étiquette utile (comme on dit “idiots utiles”) pour ce que nous avons d’abord nommé, à l’instar de Harlan K. Ullman, la “politique de l’idéologie et de l’instinct”, et que nous rebaptisâmes ensuite, pour lui donner son identité et sa signification exactes, notamment dans ses rapports génétiques absolus avec le Système, “politique-Système”. A côté de cela, tous les groupes d’influence (AIPAC, Pentagone, communauté du renseignement, corporate power, etc.) gravitaient, avec leurs sous-groupes internes, toujours avec leurs mêmes intérêts contradictoires produisant souvent des effets nuls générateurs de confusion. Les mêmes “grands plans” (Grand Moyen-Orient, regime change, etc.) existaient, comme ils existent précisément ou potentiellement depuis 1992 (voir le 23 novembre 2003 et le 3 avril 2014), depuis 1945 (victoire US dans la Guerre mondiale, accord Roosevelt-Saoud, plan Marshall), depuis 1898 (invasions de Cuba et des Philippines), depuis 1847 (guerre de conquête contre le Mexique, affirmation de la Manifest Destiny). Le même désordre du aux conditions bureaucratiques et virtualistes des systèmes du technologisme et de la communication évidentes et en accélération exponentielle depuis le 11 septembre 2001 existait dans la politique-Système opérationnalisé par les USA, qui répondait de plus en plus aux orientations du Système et de moins en moins aux intérêts bien compris des USA... (Ce désordre est évident et écrasant aujourd'hui selon le fait que tous les actes de politique-Système des USA peuvent être interprétés de toutes les façons, que les USA attaquent ou n’attaquent pas, qu’ils frappent ISIS/Daesh/Tartempion en Syrie ou ne le frappent pas, qu’ils collaborent avec Assad ou veulent la peau d’Assad, et ainsi à l’infini, – et ainsi, revenus à la case-départ, avec la seule certitude concernant cette politique d’être désordre pur...)

Pourtant, certes, c’est dans ce cadre qu’Obama a évolué lors de son premier mandat, qu’il a fait des discours un peu plus nuancés, où persistait un certain respect pour les “vérités de situation” reconnaissables, où il y eut une politique russe acceptable et une politique arabe d’une esquisse de repentance ; où parfois, même, certains (et nous-mêmes) purent croire à la possibilité qu’il choisisse d’être un “American Gorbatchev”. Alors, que se passe-t-il aujourd’hui, pour 2013 et la Syrie, et encore plus, bien plus, pour 2014 et l’Ukraine ... Sans aucun doute, entendre un président des USA dire à la tribune de l’ONU, dans la solennelle séance de septembre de chaque années qui est la déclaration officielle la plus solennelle qu’on puisse imaginer, devant notamment les délégués de la Russie, une phrase pareille où l’invasion de l’Ukraine par les forces russes est présentée comme un fait-objectif que personne ne semblerait pouvoir contester...When Ukraine started to reassert control over its territory, Russia gave up the pretense of merely supporting the separatists, and moved troops across the border»), certes cela relève d’une sorte de fantasmagorie... Sur quelle planète vit-il, Obama ? Sur quelle planète, sinon celle des “mensonges-objectifs”, ou “mensonges-vrais” ? On comprend la vigueur extraordinaire des déclarations d’un Lavrov pour commenter le discours d'Obama(voir le 25 septembre 2014).

Nous ne trouvons rien à dire pour justifier politiquement, dans le sens de son avantage, cette sorte d’attitude d’Obama. Sa déclaration ne renforcera nullement sa position, l’espèce de somnambulisme répétitif qui lui sert de pensée politique étant partagé par toute la classe politicienne US, alors que l’absence de cette tonalité dialectique et le choix de formules plus diplomatiques ne lui auraient nullement porté préjudice. Par contre, de telles déclarations renforcent l’hostilité de ces pays si nombreux qui ne sont pas complètement prisonniers de l’orbite du bloc BAO, et échappent au susdit-somnambulisme. On ne peut imaginer qu’Obama ait lui-même insisté par hystérie novatrice, ou par calcul provocateur, lui dont la pensée politique a régressé jusqu'à devenir complètement ossifiée en se fixant sur la “doctrine” de l’exceptionnalisme US qui existait déjà du temps de Washington, de Monroe, de Jackson, de Lincoln, de Wilson... Dès lors, on est conduit à chercher l’explication de l’attitude d’Obama d’une façon beaucoup plus ambitieuse, beaucoup plus imprécise aussi, dans l’influence qu’exerce le Système sur lui, et le Système en tant qu’entité autonome, en tant qu’égrégore (voir le 27 août 2014, avec cette observation de Pascal Roussel : «On peut se demander si, en Europe et aux Etats-Unis, le monde politique et les grands media qui couvrent les questions financières ou géopolitiques ne sont pas collectivement sous l’influence malfaisante d’un égrégore»). C’est à ce niveau décidément qu’il faut chercher les causes fondamentales de la politique du bloc BAO, lorsque le personnage présenté comme son chef de file, émet de telles grotesqueries dans le cadre d’un discours officiel de cette importance et de cette solennité. L’hypothèse a l’avantage de rassembler les événements politiques courants, leurs interférences, leurs incohérences, en même temps qu’elle répond complètement au sens général de notre formule sur l’activité suicidaire du Système (surpuissance-autodestruction), autant qu’à son opérationnalisation dont on constate chaque jour l’avancement. Enfin, elle a surtout l’immense vertu de rendre compte, elle, de la grandeur extraordinaire, sans aucun précédent historique connu, de la crise de civilisation que nous traversons, et de renforcer l'idée qu’il s’agit effectivement de la crise d’effondrement du Système.


Mis en ligne le 26 septembre 2014 à 11H29