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111024 juin 2011 — Il ne faut jamais perdre une occasion de sonder la psychologie américaniste, – et celle qui suit avec, celle de nos directions politiques du bloc américaniste-occidentaliste en général, – l’ensemble représentant de plus en plus évidemment une psychologie-Système. En voici une qu’il était intéressant de ne pas rater : une intervention, à Londres, lors d’une conférence organisée par le Guardian, d’un conseiller spécial d’Hillary Clinton, la Secrétaire d’Etat , – pas un personnage suspect de l’altermondialisme, ou d’un mouvement de résistance quelconque, pas un suppôt de Chavez ou une vieille barbe castriste… Alec Ross est Senior Adviser for Innovation de dame Hillary. Ce n’est pas une plaisanterie.
Le Guardian du 22 juin 2011 nous donne quelques mots de transcription, assortis de quelques remarques sympathiques, de l’intervention de Alec Ross. On trouve aussi une vidéo de cette même intervention, également du 22 juin 2011
…Nous soulignons ici ou là, l’un ou l’autre mot qui nous semble, comme on dit, très, très fort, du genre à vous donner le goût de considérer un engagement sur le front de la vertu humanitariste en général fort goûtée par le U.S. State Department. Cette sorte d’intervention toinitruante devrait, à son tour, susciter bien des vocations. Peut-être un Ben Ali, ou un Moubarak, malgré sa maladie ?
«Speaking at the Guardian's Activate summit in London on Wednesday, Alec Ross said “dictatorships are now more vulnerable than eve”" as disaffected citizens organise influential protest movements on Facebook and Twitter. The US has pledged to back the pro-democracy movements that have swept the Middle East and north Africa since January. Ross welcomed the “redistribution of power” from autocratic regimes to individuals, describing the internet as “wildly disruptive” during the protests in Egypt and Tunisia.
»“Dictatorships are now more vulnerable than they have ever been before, in part – but not entirely – because of the devolution of power from the nation state to the individual,” he said. “One thesis statement I want to emphasise is how networks disrupt the exercise of power. They devolve power from the nation state – from governments and large institutions – to individuals and small institutions. The overarching pattern is the redistribution of power from governments and large institutions to people and small institutions.”
»Ross said that the internet had “acted as an accélérant” in the Arab spring uprisings, pointing to the dislodging of former Tunisian president Zine el-Abidine Ben Ali in little over a month. The internet had facilitated leaderless movements, Ross added, describing it as the “Che Guevara of the 21st century”.
»However, he said it was a “bridge too far” to describe the Egyptian uprising as a “Facebook révolution”. Ross added: “If hierarchies are being levelled then people at the top of those hierarchies are finding themselves on much shakier ground. What's remarkable is the speed, this is lightning fast change taking place and I've got to be honest, I think this is fun. It's going to be wildly disruptive in the next few years and net-net I think this is a good thing.”»
Bien entendu, entendre l’apologie indirecte mais incontestable et sans dissimulation du Che, par l’intermédiaire de celle d’Internet et du rôle d'Internet dans la chaîne crisique, par un fonctionnaire du département d’Etat de haut rang, représente une situation dont il est difficile de ne pas goûter l’ironie, – qui revient à largement justifier notre titre, dans le sens philosophique et le sens symbolique le plus large, – “Obama, Guevara, même combat…”. Le Che fut flingué, exécuté, “liquidé” par la CIA et certains de ses commanditaires de l’armée bolivienne, en Bolivie, en 1968, à la façon d’un vulgaire ben Laden, – pas si vulgaire, finalement, conclura-t-on aussitôt, en se demandant si, sous peu, on ne viendra pas nous faire l’apologie de ben Laden, bombardé icône supplémentaire d’un Internet libérateur des “damnés de la terre”, version Moyen-Orient… Patience, patience.
(Il faut mesurer la force du propos par rapport à la situation psychologique de la direction américaniste… On n’imagine guère combien l’évocation du Che dans ce sens, dans le camp de l’américanisme devenu mouvement révolutionnaire internationaliste prônant, “un, cent, mille place Tahrir (au Caire)”, comme le Che appelait en 1965 à créer “beaucoup de Vietnam”, est quelque chose d’une puissance contradictoire, iconoclaste et sacrilège, d’une force extraordinaire, qu’on jugerait normalement impensable. La haine anti-guévariste des années 1960 dans la direction politiqsue US, largement sinon toujours aussi vivace dans les milieux de droite US et anticastriste alors que le blocus contre Cuba est toujours en place, atteignit une intensité rarement égalée, bien plus grande que la haine anti-ben Laden. Pour des mémoires aussi figées et formatées que celles de l’américanisme, notamment dans le cadre de la narrative de haine anti-guévariste des années 1960, Guevara reste une figure diabolique. L’intervention signalée représente l’exemple d’une initiative psychologiquement déstructurante et porteuse de désordres psychologiques marqués dans la psychologie-Système de la direction US, dans le cadre d’une situation diplomatique et de sécurité nationale déjà complètement à vau l’eau, que nombre de jugements estiment mortellement menacée.)
La question est encore et toujours de savoir si une ligne cohérente de logique peut être tenue dans des esprits si complètement infectés par une subversion et une inversions systématiques, que le Système qu’ils servent émet continuellement. De plus, ces esprits, parce qu’ils sont là où ils sont et qu’ils disent ce qu’ils disent, sont évidemment bas et par conséquent faible. (Ils ne sont pas mauvais, selon nous, car nous ne croyons pas que le Mal habitue le sapiens en général ; le faiblesse est plutôt la marque de la chose, les multiples formes de faiblesse, de la lâcheté au conformisme, à la vanité et ainsi de suite. Le Mal, c’est l’affaire du Système.)
C’est dire si nous ne croyons pas une seule seconde que Alec Ross-Che se moque de nous, ou mente sciemment, ou rien de cette sorte. Sa ligne de raisonnement est la suivante : l’Amérique est le beacon de la démocratie pour le reste du monde, et Obama en est l’icône incontestée ; il y a une extension crisique et incontrôlée (et très “fun”) de la démocratie dans des pays notoirement dictatoriaux, au Moyen-Orient ; c’est le produit des “réseaux sociaux”, c’est-à-dire de l’Internet, c’est-à-dire de l’américanisme, et, bien entendu, le produit “des jeunes”, cette sacro-sainte valeur du “jeunisme” qui s’accorde nécessairement avec l’américanisme ; il se trouve qu’ils se rendent en foule, “les jeunes”, sur toutes les places al Tahrir de la zone, souvent affublés d’un T-shirt reproduisant le visage fameux de Che, et en brandissant son nom ; par conséquent, vive Internet et la “révolution”, vive l’américanisme, – et “Obama, Guevara, même combat”… (Nous préférons nommer ce mouvement “
Bien entendu, il ne vient pas à l’esprit rigoureusement cloisonné de Alec Ross, lorsqu’il utilise cette image, le moindre souvenir de qui fut le Che par rapport aux entreprises du Système, via “l’Empire”, la CIA, etc. – entreprises qui se poursuivent, tant bien que mal mais plutôt mal ces derniers temps par épuisement de la bête. Il ne vient pas à l’esprit du même que Ben Ali, Moubarak & compagnie sont des créatures absolument fabriquées par le Système, et soutenues par la CIA et le State Department depuis l’origine, – comme d’ailleurs le sultan de Bahreïn, les mille et un princes d’Arabie, le roi de Jordanie, le roi du Maroc, le président Saleh du Yemen, et ainsi de suite, tous autant cible “des jeunes” et de leur Internet… D’ailleurs, “les jeunes” de la place al Tahrir, où certains d’entre eux sans aucun doute, furent et sont aussi aidés (le verbe est plus soft que “subventionner”) par la CIA et le State Department, ce qui est sans aucun doute incontestable. Cela ne prouve rien puisque le Système arrose tout le monde, dans un geste corrupteur absolument automatique, sans qu’il faille y voir la moindre intention complotiste précise, ou bien alors, au contraire, chaque geste du Système est un complot, et les complots partent dans toutes les directions, jusqu’à comploter entre eux, les uns contre les autres, ou eux-mêmes contre eux-mêmes. Désordre, désordre.
Tout cela, toutes ces considérables contradictions, cohabitent dans les mêmes esprits parce que la psychologie américaniste est dotée de caractères qui lui permettent d’écarter absolument ces contradictions, de cloisonner les sujets et de saucissonner les logiques. Ces caractères permettent à ces esprits, et même les obligent à ne pas concevoir comme possible la culpabilité de l’américanisme en quelque occurrence et de quelque façon que ce soit (“inculpabilité”), et à ne pas concevoir comme possible, également en quelque occurrence et de quelque façon que ce soit, que l’américanisme puisse essuyer un échec ou, encore moins, être vaincu (“indéfectibilité”). Ces deux caractères de la psychologie américaniste assurent une formidable carapace contre les “agressions” de la réalité lorsque cette réalité est l’expression active de la vérité. Jusqu’à ces dernières années, la puissance de l’américanisme permettait d’écarter les inconvénients les plus graves de cette dysfonctionnalité psychologique quasiment pathologique. Aujourd’hui, cette impunité a de plus en plus de difficulté à perdurer, et les incidents tels que l’engagement du Che sous la bannière de l’américanisme, avec des actes et des politiques à mesure, et le ridicule dévastateur qui va avec et qui discrédite, se multiplient.
En effet, ce qui nous permet d’atteindre aujourd’hui le sublime du ridicule, c’est que la vérité du sort du Système, et donc de l’américanisme, présente des situations de culpabilité et de défaite d’une telle évidence et d’une telle force, que leur confrontation avec le discours virtualiste, monocorde ou exacerbé c’est selon, du Système nourri par la psychologie américaniste, suscite effectivement le sublime du ridicule... Et tout cela, en plus, nous confie Alec Ross, c’est terriblement fun. L’intervention d’Alec Ross transformé en Alec Ross-Che soulève la question à la fois idéologique et stratégique de savoir si, à force d’user jusqu’au sublime de la chose, le ridicule ne pourrait pas se mettre à nouveau à tuer. Si, en effet, on découvrait que le ridicule devenait un ennemi aussi déterminé que l’al Qaïda de ce brave ben Laden, il faudrait envisager au plus vite une nouvelle doctrine stratégique pour les USA. Cela peut se faire tout de même, il suffit que la CIA consulter les exploits du Che et s’y conforme.
Ces observations sans beaucoup de sérieux en apparence dissimulent un argument plus fort, qui est la déstructuration du discours officiel, son affaiblissement par perte complète de substance et perversion totale de son essence. Que la parole officielle soit un mensonge, ou mieux encore du virtualisme, c’est une chose qu’on peut tenir pour acquise d’une façon avérée depuis longtemps, et une chose qui est supportable dans certains cas du point de vue de l’“opérationnalité” ; mais qu’elle soit un mensonge ridicule, un mensonge déstructuré et par conséquent subversif dans la forme jusqu’à détruire l’essence du mensonge qu’on voudrait ferme et cohérent par rapport à une “ligne” officielle, cela constitue un acte grave de déstructuration du système de la communication et du Système lui-même, sinon d’autodestruction si l’on se place d’un autre point de vue. Personne ne s’en aperçoit, puisque tout le monde vit sous le même empire de cette bulle déstructurée, de cette psychologie faussaire, etc., mais il s’agit d’une situation délicate et dangereuse qui se marque et se marquera de plus en plus dans la vérité de la situation…
A côté de ces constats d’évidence sur la déstructuration du discours mensonger officiel, se trouve éventuellement un réel paradoxe. Il faut bien comprendre qu’à côté de ce qui nous paraît évidemment comme une affirmation déstructurante par la faiblesse de la narrative mensongère, on trouve chez les serviteurs les plus zélés du Système une réelle croyance à cette narrative, à l’affirmation selon laquelle la chaîne crisique est une génération vertueuse et spontanée de démocratisme à laquelle l’Occident (les USA, le bloc BAO) ne peut qu’adhérer puisque l’effet de cette chaîne sera de rencontrer “objectivement” les valeurs du bloc BAO. Il est aujourd’hui un courant puissant et sincère, dans la bureaucratie américaniste-occidentaliste, y compris l’européenne, qui rencontrer l’analyse tendant à considérer cette “révolution” (la chaîne crisique) comme une objectivation de la vertu humaniste occidentale née d’une façon spontanée, donc oignant cette vertu d’une approbation quasiment transcendante ; il s’agit donc d’une confirmation de la justesse profonde de cette civilisation (et le refus évident d’y voir une “contre-civilisation” qu’on pourrait soumettre à la critique). La thèse inverse, c’est-à-dire le constat de la vérité, qui est que l’intervention massive et constante de l’américanisme-occidentalisme dans la déstabilisation de ces pays, dans le soutien aux dictateurs, etc., suscitant le paroxysme de la chaîne crisique, cette thèse n’est pas considérée au regard de l’aveuglante interprétation de la “magie” de la révolution démocratique et spontanée. A partir de là, l’inclusion du Che, dont le romantisme au cigare et à la barbe éparse vaut effectivement bien celui d’Internet, s’inscrit aisément dans le processus.
Il s’agit d’une logique complètement sentimentale, protégée des atteintes peu amènes de la vérité par l’inculpabilité et l’indéfectibilité, ce qui nous permet de boucler la boucle en une implacable logique fermée : une narrative a été créée à partir d’une vision arrangée par l’inculpabilité et l’indéfectibilité, et l’on croit à cette narrative à cause de ces mêmes caractères psychologiques d’inculpabilité et d’indéfectibilité. Ainsi tient-on à la fois, dans une même vertu, les causes et les conséquences, la dénonciation des causes et la résistance contre les conséquences, la gauche et la droite, le rouge et le noir et le noir versus le blanc, et ainsi de suite. Ces bureaucraties sont d’ailleurs comptables, et elles assument aisément, dans leur démarche apologique de l’américanisme-occidentalisme, du Pentagone, de Wall Street, de la “liquidation“ de ben Laden, de l’accident de forage de BP, de la déforestation et du global warming, du Che, de la place Tahrir et de ses “jeunes”, d’Internet, d’Obama & Sarkozy, des bombardements contre la Libye, de la démocratie triomphante, d’Hollywood, – tout cela dans une seule entité privée de toute possibilité d’accusation ou de contradiction suscitée par la logique du processus de cause à effet grâce aux caractères psychologiques qu’on a vus et aux processus de la communication offrant une perception virtualiste repoussant toute incursion de la vérité.
Le seul point réaliste et conjoncturel important, très actuel, est qu’à ce degré de confusion que nous atteignons actuellement, la question de l’opérationnalité de l’analyse commence à se poser très gravement, parce qu’elle conduit à la profusion des erreurs, ou bien à la paralysie face à des réalités disant la vérité, démentant trop violemment le discours, ou les deux alternativement ou parallèlement. Nous vivons dans ces contradictions depuis quelques années, vaille que vaille, mais elles atteignent aujourd’hui un point de complète confusion, de confrontation suscitant le sublime du ridicule, pour ceux-là même qui les instrumentent tout en y croyant réellement et ne s’apercevant de rien.
Un point complémentaire important, sur lequel nous travaillons, concerne l’extension du phénomène psychologique au Système, par anthropomorphisme du Système. C’est la question de savoir s’il y a des connexions, une solidarité ou des “échanges” psychologiques entre le Système et ses serviteurs-sapiens, notamment portant sur les deux caractères d’inculpabilité et d’indéfectibilité, qui conduisent à des discours aussi complètement indifférents à la vérité, et des politiques ou des paralysies à mesure, avec la capacité de tenir très longtemps et très fermement contre la vérité. En effet, le Système fonctionne lui-même comme s’il avait ces deux caractères psychologiques, ce qui lui permet de déployer toute sa surpuissance sans avoir besoin ni d’un but, ni d’un sens. L’inculpabilité (certitude de l’absence de toute culpabilité) et l’indéfectibilité (certitude de n’être jamais vaincu) permettent de suivre une dynamique qui n’a besoin ni de justification d’agir, ni de but pour son action, puisqu’elle signifie par définition qu’il n’y a ni culpabilité envisageable, ni défaite possible. La simple animation de sa surpuissance conduite par de tels caractères psychologiques procure à la fois une justification d’innocence et un but qui, comme on dit selon une phraséologie révélatrice de la manipulation, “fait sens”. C’est en général la façon de fonctionner de l’américanisme, lui-même, avec cette certitude de l’innocence, comme si seule l’innocence existait pour l’américanisme, cette indifférence au but avec cette certitude de soi d’être “un sens” en soi, qui écarte la nécessité de donner un sens à l’existence et à la progression des choses. L’américanisme et, au delà, le bloc américaniste-occidentaliste, et, au delà, le Système, forment par conséquent la force la plus absolument dévastatrice, la plus totalitaire et la plus déstructurante.
En même temps, ces mêmes caractères, impliquant l’aveuglement pas absence de nécessité de voir, l’absence de sens par absence de nécessité d’un sens, etc., suscitent les catastrophes opérationnelles qu’on a dites, et une situation de dégradation et d’effondrement. On retrouve là aussi le parallèle entre la surpuissance du Système et son autodestruction inéluctable, les deux dynamiques étant liées par une même poussée, comme s’il s’agissait d’un même moteur. Effectivement, la CIA a fait parvenir de l’argent aux groupes “de jeunes” comme elle en a toujours fait parvenir à Moubarak, et les circonstances, les “réseaux sociaux”, l’usure des dynamiques diverses, ont permis à la place Tahrir d’avoir lieu. Malgré le patronage du Che, il sera bien difficile, au bout du compte, d’établir un bilan favorable, pour les intérêts du Système, par rapport à l’Egypte immuable de Moubarak qui constituait la mécanique la plus sérieuse pour les intérêts du Système, parce que la plus figée dans la narrative de la corruption.
(La question que nous nous posons est de savoir s’il y a effectivement une correspondant psychologique, une sorte de “capillarité” psychologique entre le Système, l’américanisme, les sapiens dotés de ce caractère, etc. Nous sommes très largement enclins à répondre par l’affirmative. Nous étudions et développons cette question et notre réponse dans le dernier dde.crisis de cette saison, à paraître le 10 juillet 2011.)
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