Observations “techniques” sur l’effondrement du “modèle”

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Observations “techniques” sur l’effondrement du “modèle”

15 avril 2010 — Hier, nous avons publié trois nouvelles dans notre Bloc-Notes, avec nos commentaires, qui caractérisent, selon nous, ce que nous nommerions la “technique”, ou le processus “technique”, de la crise d'effondrement de notre “modèle” universel, – le modèle anglo-saxon, indeed.

Ces trois nouvelles sont :

• Le 14 avril 2010, la nouvelle sur la colère des électeurs britanniques, telle que nous la restitue un sondage. Le fait remarquable est le souhait majoritaire des personnes interrogées que le résultat des élections “sabote” le fonctionnement institutionnel traditionnel du gouvernement britannique (essentiellement, avec un “Parlement paralysé”, sans majorité nette).

• Le même 14 avril 2010, la nouvelle de l’existence d’une “dissidence” à Wall Street, nous rapportant que des banquiers toujours en fonction ont lancé un “blog” anonyme pour exposer leur désapprobation, voire leur dégoût devant l’évolution du système de Wall Street.

• Toujours le même 14 avril 2010, la nouvelle concernant la “dissidence” qui s’élabore dans l’Oklahoma, avec le projet, rassemblant des dirigeants de Tea Party et des élus de la législature de l’Etat, de légaliser les milices privées et de les constituer en une force armée légale sous contrôle de l’Etat. Le but est d’éventuellement contrecarrer certaines interventions de maintien de l’ordre d’officiers fédéraux sur le territoire de cet Etat.

@PAYANT Ces trois “nouvelles”, ou exemples pour notre propos, ont l’avantage d’“anglo-saxonniser” (qu'on nous pardonne l'expression...) ce même propos puisque Britanniques et Américains y sont mêlés. C’est d’autant plus aisément qu’on pourra parler de “modèle” anglo-saxon. C’est avec d’autant plus d’entrain qu’on prendra ces exemples comme caractéristiques de trois axes principaux de la crise du “modèle” anglo-saxon, c’est-à-dire de la crise du système américaniste et occidentaliste et, plus généralement, de la civilisation occidentale, deuxième du nom selon nos conceptions.

• Le premier cas (la situation britannique caractérisée par un sondage) met en évidence la crise de la notion d’ordre dans l’esprit du public anglo-saxon (britannique), – et entendons le mot “ordre” dans le bon sens de rangement, agencement équilibré, etc. (On dit “anglo-saxon” car cette nouvelle renvoie sans aucun doute à la situation washingtonienne, caractérisée par la formuleThe system is broken”, et à l’attitude de l’opinion publique US vis-à-vis de ce système. Il y a une correspondance entre les deux situations, selon nous.) Ce qui est remarquable dans le sondage présenté est bien le souhait majoritaire exprimé, par le biais du souhait d’arriver à un “Parlement paralysé” à l’issue des élections britanniques du mois de mai, d’introduire le désordre dans l’institution d’un pouvoir qui représente l’ordre par excellence du modèle anglo-saxon. L’exaspération du public est telle qu’on voit s’exprimer une volonté qu’un événement général (l'élection) dont il fait partie mais que personne ne contrôle à lui seul “casse” cet ordre qui ne parvient plus à accoucher que de la corruption, du déséquilibre économique et social, de l’impuissance politique. (Il est évidemment plus important ici de faire valoir ce sentiment, ce souhait, que le fait de savoir si nous arriverons à une telle situation. Le rejet psychologique fondamental de l’ordre d’un système qui fut respecté si fortement par une population particulièrement consciente à cet égard est un fait bien plus important que l’agencement des Communes en mai prochain.)

• Le deuxième cas (l’apparition de “dissidents” au sein du système de Wall Street) caractérise bien sûr la mise en cause de la validité intrinsèque du système financier, d’une façon d’autant plus convaincante qu’elle vient de personnes (de dirigeants) de l’intérieur de ce système, et qui continuent à y officier. La situation très particulière de cette “dissidence” est bien le signe que ce sont des créatures du système lui-même qui mettent en cause ce système sans pour autant en rejeter les fondements, sans une seconde mettre en cause sa validité originelle. Cela justifie pour nous l’idée que ce système apparaît de plus en plus, non seulement comme mauvais en soi pour une catégorie importante de personnes (ce qui est l’idée des opposants et “dissidents” extérieurs), mais comme ayant perdu sa vertu fondamentale de sagesse aux yeux de certains de ses propres partisans, qui constatent que cette sagesse a évolué comme sous le coup d’une évolution psychologique malsaine, vers une véritable pathologie qui le rapproche de la folie. Il s’agit de la sagesse affirmée par ses partisans de l’idéologie des marchés, et sagesse confirmée par le caractère quasiment divin (“la main invisible”) qui définit cette idéologie du fonctionnement de la société humaine. (Nous parlons effectivement du “système” comme d’une entité, c’est-à-dire un modèle à l’image d’un système anthropotechnique dont nous discutons dans notre rubriqueDIALOGUES”.)

• Le troisième exemple est naturellement celui de la mise en cause du centralisme aux USA, qui est désormais un aspect classique de la crise générale que nous traversons, ou, plutôt, dans laquelle nous évoluons désormais comme dans une structure nouvelle (“structure crisique”). Cette mise en cause du centralisme est un cas, sans doute le plus remarquable, d’un mouvement général de mise en cause de l’autorité du système général, qui a jusqu’ici fonctionné avec une souplesse acceptable, assez acceptable pour en faire accepter tous les abus (pour le cas US, après le coup de massue sanglant de la Guerre de Sécession). Cette perception dépasse le seul aspect de la dévolution en cours aux USA, pour embrasser la situation de l’ensemble américaniste-occidentaliste, c’est-à-dire du “modèle” anglo-saxon qui en est l’inspirateur et l’organisateur. C’est dans tout le système, effectivement, que l’autorité du système est mise en cause, de façons différentes selon les situations et selon les sensibilités. Certes, les USA restent le meilleur exemple, d’abord par leur position de centralité dans le système, ensuite par la puissance du cimier historique où s’alimente le mouvement de dévolution qui est caractérisé ici par l’exemple de l’Oklahoma.

Ainsi trouve-t-on une sorte d’équation réunissant la subversion et l’effondrement des trois vertus supposées, et affirmées comme fondamentales, du “modèle” anglo-saxon: l’ordre et la sagesse qui caractérisent son fonctionnement, l’autorité qui s’en dégage naturellement, comme par l’évidence de ces vertus, pour permettre la poursuite de leur application pour le bien commun. Ces trois exemples, heureusement réunies en une seule journée par les “hasards” de l’actualité, – expression toute faite qui dit son contraire, car il n’est pas question de hasard mais bien de son contraire, – permettent de fixer les dimensions de la crise de notre système général, qualifié indifféremment d’américaniste, d’occidentaliste, d’américaniste-occidentaliste, mais qui est évidemment d’essence anglo-saxonne. Elles permettent surtout de fixer l’extension des dimensions de la crise, c’est-à-dire la dynamique de la crise et son évolution.

Extension du domaine de la crise

En un sens, on devrait rendre grâce au Ciel du fait que la crise du 15 septembre 2008 (9/15) avec ses conséquences économiques ait pu être colmatée, en apparence, dans ses aspects les plus spectaculaires, – ce qui rassure le plus facilement, à la façon du Prozac, nos psychologies malades. Après tout, le Dow Jones vient de dépasser les 11.000 points il y a deux jours, ce qui pourrait signifier que tout va très bien dans The Brave New World. Et c’est bien cela qui se marque dans nos psychologies malades. Cet espèce d’apaisement artificiel empêche ceux qui pourraient encore le faire, s’il y en avait, de tenter de réparer (de “réformer”) le système, donc d’écarter, ou disons plutôt de freiner, pour un temps supplémentaire, le processus de son effondrement. Car il est évident qu’il n’y a pas d’autre possibilité acceptable que son effondrement total.

Justement, cet effondrement est en cours. Nous sommes malheureusement habitués, lorsque nous parlons d’“effondrement”, à des conceptions explosives, sonores, des conceptions spectaculaires qui secouent la collectivité de la nécessité de l’urgence et de la perception de la catastrophe. Nous avons trop à l’esprit, lorsque nous évoquons des perspectives catastrophiques, l’idée classique du bouleversement physique qu’implique la catastrophe. Notre idée, – à nous, à dedefensa.org, – est que, au contraire, une telle entité systémique fondée pour la perception qu’on en reçoit sur un système de la communication (un de ses deux sous-systèmes avec le système du technologisme) d’une extraordinaire puissance, existe d’une façon assez éloignée désormais des normes physiques habituelles. Le système général est à la fois virtuel, insaisissable, en constante déformation et reformation sans jamais atteindre aucune fixité identifiable; en constante oscillation de puissance et de faiblesse, d’affirmation rassurante et d’affirmation de crise. Il s’agit, à côté de ses aspects les plus brutaux, d’une matière extrêmement molle et diluée…

La “guerre” en Afghanistan est un bon exemple. D’un côté, il y a la disposition et l’utilisation d’une énorme puissance, brutale, explosive, dévastatrice, mais dont les effets sont finalement restreints par rapport à l’intensité de puissance qui est disponible. La réalité de la “guerre”, c’est tout un domaine de l’incertitude caractérisé par la communication, les consignes de retenue pour éviter des pertes civiles (qui ont quand même lieu), la lourdeur et la lenteur de la logistique, les déformations voulues ou non de l’information, l’utilisation massive de la corruption y compris “légale”, la présence nécessaire d’“alliés” à double ou triple face, un ennemi qualifié de “taliban” mais qu’on ne peut en aucun cas enfermer dans cette classification, les variations sans fin sur les rapports à entretenir avec cet ennemi, de la destruction totale à l'intégration dans la vie civile, la nécessité pour la communication vers les pays de la “coalition” de l’annonce d’opérations éclairs et d’offensives finales qu’on ne voit jamais venir en tant que telles. La “guerre”, “notre guerre” car nous semblons seuls à vraiment la faire, est devenue molle et insaisissable et semblerait comme si elle n’avait pas lieu, comme si elle était figée. En réalité, elle se dissout de l’intérieur, elle se décompose, elle se vide d’abord par la contraction et l’amollissement de sa substance en gardant une enveloppe d’apparence. C’est une catastrophe qui se réalise en silence et discrètement.

La situation sur la frontière au Mexique est un autre aspect de cet amollissement de l’effondrement côtoyant la brutalité qui perd le sens qu’on croit distinguer en elle. La brutalité de la situation américano-mexicaine dure sans discontinuer depuis 2007 à un rythme très effrayant (près de 23.000 personnes tués), mais le changement de sa forme et de son orientation s’est fait de façon subtile et discrète, d'une pure perspective de chaos vers un processus qui participe objectivement à l’effondrement du “modèle” anglo-saxon.

Ainsi se réalisent notre crise et notre effondrement. Nous sommes au cœur de notre crise finale et notre effondrement est en cours. Le coup de tonnerre de 9/15 aurait pu changer cela s’il nous avait plongé dans une vraie crise spectaculaire sur la longue durée avec des événements brutaux en chaîne, qui aurait affecté une dimension du système, devenu alors bouc émissaire au nom duquel on aurait pu justifier de sauvegarder le reste, éventuellement à l'aide de moyens exceptionnels sinon d'exception. Au lieu de quoi a lieu une réparation de fortune, qui restaure les attributs d’apparence et ne résout évidemment rien, et laisse au contraire se poursuivre le reste, c’est-à-dire la poursuite paradoxale de l’effondrement. C’est ainsi que s’ouvrent les champs nouveaux et que la crise s’étend (voir les domaines signalés plus haut), également catastrophique, également d’une façon “molle” qui écarte l’habituel tintamarre auquel nous sommes accoutumés lorsque nous parlons d’une “catastrophe”.

Il s’agit sans aucun doute d’une orientation rendue possible parce qu’il s’agit du “modèle” anglo-saxon comme centre inspirateur et moteur unique de sa propre crise, qui est bâti sur une totale absence d'esprit critique vis-à-vis de lui-même, sur l’édifice d’une apparence de légitimité qu’il s’est donné à lui-même, qui est représenté par une utilisation massive du système de la communication dont il est évidemment l’inventeur. Le système anglo-saxon a conçu un “modèle” global, qui n’a pas de limites, qui n’a aucune appréciation subjective de lui mais qui prétend au contraire s’imposer selon une appréciation objective (quasiment divine) de son caractère inévitable. Par conséquent, son effondrement, pour l’être effectivement, ne peut être que général, total. C’est une sorte d’“effondrement totalitaire” qui l’attend parce qu’il s’est lui-même conçu comme totalitaire, comme déchargé des obligations et des contraintes de l’Histoire.

Les mises en cause signalées plus haut des principales vertus du “modèle”, – ordre, sagesse et autorité, – indiquent une progression soutenue de sa crise générale. Nous sommes sur la bonne voie. Parfois, dans le climat général d’aveuglement total, l’un ou l’autre des commentateurs du système et de son “modèle” est touché par un éclair de lucidité et signale la présence de l’abîme vers où s’effectue l’effondrement. Cela ne change rien, tout se poursuit selon le plan prévu. Nous ignorons qui est le concepteur de ce plan, qui fonctionne à la perfection.