Offensive générale contre Moby Dick

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Cette fois la chose est très sérieuse. Une offensive déterminée contre le Pentagone, alias le monstrueux Moby Dick. Il ne s’agit pas d’attaques extérieures, de dissidents et de réformistes, mais de l’intérieur même du système, du Congrès lui-même, et d’attaque bipartisane (démocrates et républicains). Pour donner une idée : un plan de réforme soutenu par une coalition bipartisane, avec des noms aussi prestigieux que le démocrate Barney Frank et le républicain Ron Paul, propose une économie de $1.000 milliards en dix ans…

Citons plusieurs textes et autres documentant la chose.

• Un article de Winslow Wheeler, le leader des réformistes, qui fait partie de la commission ayant élaboré ce plan, sur Huffington.Post le 10 juin 2010, et le même 10 juin 2010 sur le site du Center of Defense Information. Winslow Wheeler présente une autre proposition, du sénateur Coburn, allant dans le même sens. De tout cela, Wheeler écrit : «Business as usual at the Pentagon may be about to meet its worst nightmare: a broad political coalition to put its undisciplined spending under severe restraint and to fundamentally reform the way it makes decisions.»

• Le document du sénateur Coburn, envoyé au Sénat le 18 mai 2010 présente sur huit pages un ensemble de réformes radicales commençant par un audit du Pentagone. Wheeler signale que Coburn, membre de la National Commission on Fiscal Responsibility and Reform, a un pouvoir discrétionnaire concernant toutes les dépenses fédérales, y compris le Pentagone. Coburn rassemble autour de lui, indique Wheeler, une coalition aussi diverse que dans le cas de Frank : «The proposal suggests a broad political coalition encompassing progressive Democrats, conservative Republicans, and government fundamentalists, such as libertarians and tea baggers.» Wheeler estime que les deux plans sont absolument compatibles et peuvent être intégrés.

• Un article RAW Story présente également le plan Frank-Paul, le 11 juin 2010. Il donne également le lien, en date du 11 juin 2010 du rapport sur lequel s’appuient Franks et Paul, ou Report of the Sustainable Defense Task Force. Signalons, pour l’intérêt constant de ce site pour la chose, que ce rapport prévoit, parmi les réductions immédiates, pour le budget de l’année fiscale 2010, une réduction de $10,4 milliards à $3 milliards pour l’allocation prévu pour le programme JSF, et, parmi les hypothèses, l’abandon de la version navale du JSF, ou l’abandon pur et simple du programme.

Notre commentaire

@PAYANT “Très sérieuse”, cette affaire ? Sans aucun doute, et pour plusieurs raisons. D’abord, parce que la cause se trouve dans la nécessité vitale pour la survie des USA de réduire le déficit astronomique qu’on sait et qu’à cet égard, seules les dépenses de défense parmi les dépenses fédérales sont encore susceptibles de réductions. Ensuite, parce que les coalitions rassemblées sont bipartisanes et comprennent quelques parlementaires de grand poids, qui ont montré à la fois leur conviction et leur puissance manœuvrière pour imposer des législations radicales. (Barney Frank est le président de la commission financière de la Chambre ; quant à Ron Paul, tout le monde le connaît. Il y a aussi une brochette de parlementaires qui font partie de la commission désignée par le président pour déterminer des économies budgétaires pour réduire le déficit, à l’image de Coburn.)

Alors, l’heure de Moby Dick a-t-elle sonné ? Le gouvernement et Robert Gates ne sont pas des adversaires de ces initiatives du Congrès, puisqu’ils clament depuis deux ans que le Pentagone doit subir une réforme radicale, que leur tentative dans ce sens, pour louables qu'elles soient, n'ont donné que des résultats bien miteux. Donc, à côté de la nécessité de faire des économies budgétaires, il y a la situation même du Pentagone, absolument catastrophique, ayant atteint un stade absolu d’inefficacité où l’afflux d’argent ne fait qu’alimenter l’inefficacité, l’immobilisme et la paralysie. On voit mal comment de meilleures conditions peuvent être réunies pour parvenir à une situation radicale nécessitant, appelant de sa nécessité une réforme profonde du Pentagone, qui impliquerait des réductions de type structurel, l’abandon à terme court ou moyen de programmes fondamentaux selon la philosophie actuelle (le F-35 ne survivrait pas à une pareille offensive, c’est une chose assurée), la réduction considérable des forces, la réduction des engagements outre-mer (les plans proposés prévoient des retraits importants de forces US d’Europe et d’Asie).

La démarche n’est pas seulement budgétaire et s’il en fallait un signe la présence de Ron Paul serait celui-là. (Ron Paul est un adversaire résolu de la politique de sécurité nationale d’intervention extérieure et de toutes les entreprises bellicistes des dernières années.) De telles réductions budgétaires impliquent d’énormes restructuration des forces et des stratégies, c’est-à-dire à terme un changement de la politique extérieure offensive qui est menée depuis 9/11, et qui est héritée dans son esprit du temps de la Guerre froide. Les initiatives en jeu vont donc être rapidement politisées et vont devenir l’enjeu d’un choix radical de stratégie et de politique extérieure, c’est-à-dire tout ce qui fait la politique US à tendance belliciste, impérialiste et de projection de force et d’influence. Nous allons donc passer très rapidement, dans le débat qui se profile, de la question de la réduction du déficit à celle de la réforme du Pentagone, à celle de la réforme fondamentale de la politique de sécurité nationale… Ira-t-on jusque là ? On verra.

Dans tous les cas, nous sommes dans le cas où il est permis d’observer deux choses, – avant même d'aborder l'hypothèse d'un possible débat d'orientation sur la politique de sécurité nationale.

• Jamais on n’a été aussi proche d’actions concrètes et d’un débat sur l’orientation, le volume et la dynamique de la puissance des USA, c'est-à-dire du Pentagone qui est la motrice centrale.

• Si cette phrase de tentative de réforme ne réussit pas, ou n’aboutit pas dans tous les cas à des résultats tangibles, c’en est fait de tout espoir de jamais réformer le Pentagone et plus personne ne serait capable de dire ce qu'il adviendrait du monstre (Moby Dick), devenu officiellement et structurellement incontrôlable.


Mis en ligne le 12 juin 2010 à 13H52