Ombre et lumière de BHO

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Ombre et lumière de BHO

7 mai 2009 — Il est vrai que nous devions attendre d’avoir mis en ligne nos deux commentaires, dans le Bloc-Notes d’aujourd’hui. Le premier que nous citons concerne le président afghan Karzaï et, au-delà, la politique US vis-à-vis du bloc AfPak. Le second concerne Israël et la politique US éventuelle dans la région, concernant notamment la recherche d’une “zone dénucléarisée”. Certes, ces politiques ne sont pas au même point de certitude dans leur existence et leur application, mais il existe d’assez nombreux éléments (dans le cas d’Israël-zone dénucléarisée au Moyen-Orient) pour considérer qu’on se trouve devant un cas si extrêmement probable qu’on peut le tenir comme faisant partie de la réalité diplomatique.

• Dans le premier cas, il s’agit d’une politique qui poursuit en l’aggravant une politique de l’administration GW Bush, employant pour cela des méthodes inefficaces et grossières, dont certains aspects renouvellent et aggravent des démarches de violation de la souveraineté nationale, d'ingérence, d'interventionnisme illégal, etc. L’effet probable de cette politique, avec l’exemple de tout ce qui a précédé, tant du point de vue de la politique afghane que du point de vue des rapports avec Karzaï, est très déstabilisant et très dommageable pour les USA et pour la région. Un échec de cette politique, qui se traduirait notamment par une affirmation de la position de Karzaï, serait au contraire une perspective stabilisante.

• Dans le second cas, il s’agit d’une politique nouvelle et délicate; d’une perspective puissante, développée à la fois avec discrétion mais, semble-t-il, avec une certaine détermination, si l’on en juge d’après les échos et les références qui se sont succédés depuis trois mois. Le cas considéré est extrêmement audacieux, abordant ensemble plusieurs problèmes essentiels, d’un point de vue très nouveau, sinon révolutionnaire: les relations avec Israël, les relations avec l’Iran, la question nucléaire (notamment au Proche-Orient). L’effet possible de cette politique serait extrêmement pacificateur pour la région.

Le contraste entre les deux politiques est frappant. Il signale un considérable déséquilibre, voire une opposition très préoccupante entre deux axes importants de la politique extérieure US. Qui plus est, cette opposition n’est pas seulement conceptuelle; les deux théâtres où les deux politiques opèrent étant proches sinon liés, cette opposition peut éventuellement susciter des interférences qui seraient nécessairement dommageables à la plus novatrice des deux, puisqu’elle est également la plus fragile et la plus vulnérable; qui aggraveraient encore plus la situation en Afghanistan et au Pakistan.

Il y a aussi des contradictions dans l’esprit, entre les deux politiques. Dans le premier cas, il s’agit d’une politique qui poursuit l’effet déstructurant constaté avec la guerre d’Afghanistan, avec des interférences grossières dont sont victimes l’Afghanistan et le Pakistan. Le caractère structurant est plutôt du côté de ces deux pays, avec leurs dirigeants enfermés dans des positions de plus en plus délicates, d’où ils peuvent prétendre sortir en affirmant des positions nationales qui seraient des condamnations de la politique washingtonienne. Dans le second cas, l’évidence est contraire. L’effet sur le terrain de ce qui s’annonce en fait de politique US est stabilisateur, pacificateur, avec un effort dans le sens de la structuration et un effet qui tend au respect des souverainetés (le problème du nucléaire iranien abordé de cette façon, dans le cadre d’un traité qui serait librement accepté par un ensemble de nations, sauvegarde effectivement les souverainetés, notamment celle de l’Iran).

Ce contraste est saisissant, si l’on en juge par l’esprit de la chose, disons, notamment, par l’aspect psychologique qui préside aux conceptions des deux orientations. Ce jugement n’est pas gratuit, par ailleurs. Il prend en compte une réalité que nous avons souvent mentionnée sous le nom de “contraction” de la politique US, qui constitue une transcription politique des nouvelles données apparues avec l’élection d’Obama et de tout ce que cette élection a fait apparaître comme un aggiornamento objectif de la situation générale (prise de conscience de la crise systémique générale, mise en évidence du déclin de la puissance US, fin de la “parenthèse 9/11” avec le déclin de la préoccupation du terrorisme comme menace centrale). L’une des orientations (Israël, “zone dénucléarisée”) y répond évidemment tandis que l’autre s’y oppose lourdement et d’une façon étrangement anachronique.

Ces constats conduisent à s’interroger, non seulement sur la politique d’Obama, mais une fois de plus sur la personnalité du président US.

Deux orientations contradictoires

On comprend, sans nécessairement l'approuver certes, la logique de la stratégie de l’administration Obama sur le théâtre AfPak si cette stratégie tend à renforcer la position US (occidentale) pour mieux pouvoir quitter ce théâtre. Dans le cas contraire, s’il s’agit de “gagner” une guerre en battant ce qu’on nomme “les talibans” au nom, directement ou indirectement, de la logique de “la guerre contre la terreur”, alors la démarche devient incompréhensible lorsqu’elle est comparée à l’autre axe (Israël, Iran, nucléaire). Ce second axe, en effet, se réfère de facto à une conception dégagée des normes de cette “guerre contre la terreur”, considère les acteurs nationaux (y compris l’Iran) comme des entités souveraines pour lesquelles il convient d’appliquer une politique selon cette logique et non plus selon la logique agressive, unilatéraliste, déstructurante, qu’appliquait l’administration GW Bush.

Pour le cas d’AfPak, si la seconde hypothèse est la bonne (gagner la guerre “à la Bush”), alors le cas est vite tranché. Il y a une contradiction si fondamentale dans les conception d’Obama, entre les deux théâtres, entre les deux cas, qu’elle est nous paraît complètement insoluble et qu’elle devrait conduire, d’une façon ou l’autre à des situations désastreuses à cause des corrélations contradictoires entre les différents théâtres. Il faudrait alors un autre aggiornamento, de BHO cette fois, admettant la réalité de la situation et changeant complètement ses conceptions.

Toujours avec le cas d’AfPak, si la première hypothèse est plutôt la bonne (renforcement avant un désengagement), la contradiction entre les deux cas demeure malgré une certaine similitude d'état d'esprit. L’un dans l’autre, les choses n’iraient pas mieux pour autant. Littéralement, le président US “se tirerait dans le pied” car ce qu’il gagnerait en crédit, en apaisement, en possibilité de désengagement ordonné du côté Israël-Iran, il le perdrait aussitôt du côté d’AfPak. La situation serait un peu celle du cas précédent, mais avec une frustration encore plus grande puisque les intentions paraîtraient plus proches.

Il y a là, quel que soit l’état d’esprit régnant, l’évolution vers une situation d’impasse, dans laquelle la situation irakienne, si elle s’aggrave effectivement, viendrait ajouter une pression de plus, un verrou de plus. (D’une façon significative, cette situation irakienne pourrait évoluer, elle, vers une issue plus pacifique, notamment grâce à l’aide de l’Iran et à ses liens avec l’Irak, si une nouvelle politique BHO allait vers le règlement de la question du nucléaire iranien, et si la tendance à l’aggravation de la situation AfPak était contenue, voire renversée, par une stratégie tournée vers le désengagement qui n’interférerait pas dans la nouvelle politique vis-à-vis de l’Iran.) Il y a plusieurs points de crise dans cette situation de l’“arc de crise” et un enchaînement entre toutes. Il paraît bien difficile de lancer une politique d’apaisement d’une ou deux crises, si on n’agit pas de même pour la troisième. On ne peut jouer l’apaisement avec Iran-Israël si on ne le fait pas avec l’Irak et AfPak; on ne peut jouer l’apaisement avec Iran-Israël et l’Irak si on ne le fait pas avec AfPak. Il faut le faire avec les trois, de manière coordonnée.

Mais cela suppose une révolution, si l’on en arrive à un si vaste projet: la dénonciation officielle et générale de la politique expansionniste et agressive, non seulement de l’époque GW Bush, mais également de l’“empire” en général, depuis quelques décennies. Sans une telle déclaration générale de grand bouleversement stratégique, les démarches impliquées ne seraient pas comprises, ou vouées à l’échec. On comprend la hauteur considérable de l’enjeu.

Finalement, tout revient à la personnalité d’Obama, tant la politique des USA est surtout, actuellement, une représentation de mouvements politiques qui sont dictées par les pressions de la crise, – avec, c’est selon, une attitude de résistance à ces mouvements ou leurs épousailles par les USA. Tout revient à la personnalité d’Obama et à la volonté qu’il aurait ou n’aurait pas de présenter les événements de politique extérieure d’une façon ou l’autre, et notamment, et éventuellement, d’une façon révolutionnaire en proclamant que la politique expansionniste traditionnelle doit être stoppée, révisée, soumise à une critique fondamentale.

On dira: la question ne se pose pas, le risque d’une telle affirmation, dans l’hypothèse où BHO y songerait, où il le voudrait, est trop grand. Il serait balayé par le système avant d’y songer… Pourtant, il nous semble qu’il faut reconnaître un fait considérablement étonnant et troublant. Les signes d’une évolution radicale de la politique US vis-à-vis d’Israël n’ont pas manqué ces derniers temps. Le fait est qu’on doit admettre que ces signes n’ont guère soulevé de protestations, y compris chez les plus extrêmes et les plus allumés des extrémistes aux USA, alors que cette politique constitue un véritable anathème pour eux qui influencent largement le conformisme washingtonien. (Lorsqu’un John Bolton, interrogé sur cette question du nucléaire israélien, répond simplement: «If I were the Israeli government, I would be very worried about the Obama administration's attitude on their nuclear deterrent. You can barely raise the subject of nuclear weapons in the Middle East without someone saying: ‘What about Israel?’ If Israel's opponents put it on the table, it is entirely possible Obama will pick it up.», – on observe que son attitude, à lui qui est si extrémiste, est de prendre en compte la possibilité évoquée, sans s’exclamer à ce propos, avec l’indignation qu’il serait normal d’attendre de lui.)

Il y a peut-être une “fatigue” générale d’une aventure (la politique expansionniste US) qui, quoi que cela ne soit pas reconnu officiellement, n’engendre que désastre sur désastre, alors que tant de crises systémiques se développent. Peut-être ne le mesure-t-on pas encore précisément. Peut-être Obama ne le perçoit-il pas. Peut-être, après tout, se trompe-t-on sur ce qu’on a cru percevoir d’une éventuelle attitude révolutionnaire chez lui, et ne l’est-il pas complètement…

Quoi qu’il en soit, BHO a fait ce qu’il a fait, qui est d’engager des politiques contraditoires… Quoi qu’il en soit, il apparaît que certaines de ces initiatives vont, à un moment ou l’autre, le confronter à des choix ou à des décisions nécessaires, avec des conséquences déstabilisantes. C’est un constat, ce n’est nullement une précision dans un sens ou l’autre.