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13887 mars 2009 — Commençons par le plus important. Habiles diplomates et gens du monde, les Américains avaient prévu qu’Hillary Clinton remettrait au Russe Lavrov un présent symbolique de l’esprit de la “retrouvaille”. Cela marquerait la rencontre, à Genève hier, des deux ministres des affaires étrangères, sorte de “retrouvailles” effectivement, comme allait nous l’indiquer ce cadeau. Ce fut donc un boîtier jaune sur lequel on trouve un bouton rouge et deux mots qui n'en font qu'un, l’un anglo-américain et l’autre sa traduction en russe, symbolisant l’esprit de la diplomatie lancée pour tracer un nouveau cours aux relations USA-Russie, – le mot, disons-le en français, pour faire bref: “redémarrage” de ces relations, – ce qui indique bien que, jusqu’ici nous étions bloqués. Le mot est repris du discours de Joe Biden à la conférence de Munich, du début février, lorsque le vice-président affirma qu’il était temps “to press the reset button” des relations entre les deux puissances ; le passage avait été grandement apprécié par les Russes.
Il y avait donc inscrit sur le boîtier jaune: “reset” et “peregruzka”. Malchance et horreur: c’est “perezagruzka” qu’il fallait écrire, comme nous en informait, le 6 mars, l’agence Novosti (“peregruzka” signifie “surcharger”, tandis que “perezagruzka” signifie bien “relancer”). Cela donna cet échange, selon le New York Times du 7 mars:
«“We worked hard to get the right Russian word,” Mrs. Clinton said, handing the button to Mr. Lavrov. “Do you think we got it?” “You got it wrong,” he replied, explaining that the Americans had come up with the Russian word for overcharged. “We won’t let you do that to us,” she said quickly, with a full-throated laugh.»
Puis, il s’avéra que cela tombait bien, après tout, puisque la charge de travail est considérable semble-t-il, pour rétablir des bonnes relations de coopération. «Mr. Lavrov said he hoped the linguistic miscue would “contribute to the advancement of Russian in the United States and English in Russia.” Mrs. Clinton said the faulty translation was more apt than the correct one because in resetting ties, both sides faced an “overload” of work. Mr. Lavrov agreed, saying “the load is enormous in terms of our agenda, but neither Hillary nor I have any desire to get rid of any of that load.”»
Enfin, l’esprit américaniste restant ce qu’il est, et puisqu’il faut s’attacher à s’expliquer en toutes choses et leur donner la tournure la plus rationnelle possible, nous avons droit à ces explications du NYT: «State Department officials professed not to know who was responsible for the error. But Mrs. Clinton was accompanied by several diplomats and White House officials who had lived in Russia and speak Russian — any of whom conceivably could have caught it. Recognizing that the error threatened to overshadow the substance of the meeting, the State Department dispatched several senior officials to brief reporters traveling with Mrs. Clinton.»
Pour le reste: l’une appelle l’autre “Serguei” et le second donne du “Hillary” à la première. On s’est dit enchanté par l’atmosphère de la rencontre; on n’a évité aucun des grands sujets bilatéraux, y compris ceux qui fâchent d’habitude; on a annoncé que des progrès seraient faits dans les principaux domaines, on y est décidé. Clinton espère un nouvel accord de limitation des armes stratégiques d’ici la fin de l’année. On parle des anti-missiles, avec toutes les solutions possibles, pourvu qu’elles s’accordent aux préoccupations des Russes. On espère le soutien des Russes dans l’affaire iranienne.
«“I appreciate the openness and willingness of Minister Lavrov to discuss any and all issues,” Mrs. Clinton said. “Nothing was off the table. It was, Sergey, a good beginning from my perspective.”
»Mr. Lavrov, who had a famously stormy relationship with Secretary of State Condoleezza Rice, concurred. “I think we can manage to arrive at a common view, both in the context of strategic offensive weapons and missile defense,” he said. Asked whether he and Mrs. Clinton got along, he smiled and said, “I venture to say we have a wonderful personal relationship.”
»He and Mrs. Clinton agreed on a “work plan” that would set the stage for a treaty to replace the Strategic Arms Reduction Treaty, or START, the 1991 pact that expires this year. President Obama and President Dmitri A. Medvedev of Russia will set out a blueprint for the renegotiation when they meet for the first time in London in early April.
»Mr. Lavrov and Mrs. Clinton also discussed Mr. Obama’s recent offer, in a letter to Mr. Medvedev, of flexibility in the deployment of a missile defense system in Poland and the Czech Republic, while seeking increased support from Russia in constraining Iran’s nuclear program. The Russians are “thinking very carefully” about ways to cooperate, said a senior administration official, who spoke on condition of anonymity, citing the delicacy of the matter. “We’re not talking about their good will in helping us to diminish this threat,” he said. “We’re talking about diminishing the threat.”»
• On sait qu’Hillary Clinton venait d’une réunion de l’OTAN, jeudi à Bruxelles, où elle avait préparé sa rencontre avec Lavrov en obtenant des pays de l’Organisation qu’ils rétablissent complètement et de façon officielle les relations de l’OTAN avec la Russie. La chose n’alla pas tout seul puisqu’au moins un pays, «un des pays baltes», disent avec précaution les sources officielles otaniennes, refusait l’idée et menaça d’y mettre son veto, – avant que l’on s’arrange, grâce aux “amicales pressions” habituelles (d’Hillary, mais aussi des Français et des Allemands). «C’est une bonne chose pour l’OTAN, disent les mêmes sources. Cela prouve qu’à l’OTAN, on discute, que l’accord n’y est pas acquis d’avance, comme on nous le reproche habituellement.» D’accord, – cela prouve que l’IOTAN respire encore, – ou bien, que les USA et quelques autres n’ont pas de temps à perdre, et que les consignes n’ont même pas le temps d’arriver qu’il faut déjà les appliquer. (Cela, pour le cas d'«un des pays baltes».)
L’impression est effectivement que les deux mots conviennent, après tout, et que la confusion pourrait s'avérer être un lapsus révélateur… Il s’agit bien de relancer (“perezagruzka”) et la relance est surchargée (“peregruzka”) tant l’on veut que les relations soient arrangées aussi vite et d’une façon aussi stable que possible.
Comme disent certains critiques qui voudraient que tout continue, il est vrai qu’il n’y a pas grand’chose de nouveau dans les intentions et les principes de l'administration Obama, par rapport à ce qu’affichait officiellement l’administration GW Bush lorsqu’il s’agissait de la Russie. Pourtant tout est nouveau. Les intentions de l’administration GW Bush, dès qu'elles avaient été affichées, se perdaient dans le maquis des intrigues et des complots divers, neocons mâtinés de relais d’influence de Lockheed Martin en tête (voir Bruce P. Jackson) pour appliquer en Europe la consigne générale du système (le “désordre créateur”) et investir évidemment le bloc russe. Avec Obama, il y a un renversement. Les principes en mission de camouflage de l’activisme extrémiste deviennent les références obligées vers une pacification des relations avec a Russie en Europe. Le cas n’est pas tant les avantages et les intérêts que la pacification elle-même, ce qui implique une position plus “objective”, un véritable goût soudain affichée pour le bon rangement des relations internationales. La diplomatie américaniste devient plus vertueuse par inadvertance, – et par nécessité pour d’autres causes, là est l’essentiel bien sûr. Dans ce cas, la vertu est fille de l’urgence, ce qui est la meilleure explication possible.
On a un signe de cette urgence des choses. Partout, l’on va répétant que l’administration Obama est en train de faire un grand travail de “révision stratégique” (voir par exemple Philip Giraldi, le 3 mars sur Antiwar.com: «President Barack Obama is reportedly reviewing America's involvement in various conflicts overseas as well as its domestic defenses»). C’est une procédure qu’on retrouve dans les nouvelles administrations, qui se veulent en rupture avec les précédentes; en général, on attend de voir ce que cette “révision stratégique” donne comme indication avant de réorienter sa diplomatie. Ici, on réoriente déjà la diplomatie, avant que la “révision stratégique” soit conduite à son terme; simplement, on attend les résultats de la “révision stratégique” pour savoir dans quel contexte de concession et de compromis l’on va précisément évoluer. Pour l’esprit de la chose, nous sommes fixés.
Tout est nouveau dans l’administration Obama dans cette matière de la politique de sécurité nationale parce que la politique extérieure (politique de sécurité nationale) est passée d’une position de substance à une position annexe dans les préoccupations; de centralité de la politique générale, elle devient marginalité. C’est le contraire de l’administration GW Bush, où la politique de sécurité nationale, faite pour casser, déstabiliser et déstructurer, était centrale. Du coup, avec Obama l’Amérique devient multilatéraliste non pour plaire aux Européens qui soupirent après la réunion de “la famille occidentale” (nouveau terme affectionné dans les salons chics) mais parce que la politique extérieure n’est plus centrale à son programme de politique générale. On peut faire attention aux autres quand ce que vous avez à traiter avec eux n'est plus votre priorité.
La cause d’un tel renversement? Toujours la même réponse: la crise, bien sûr; et, de plus en plus palpable, une crainte fondamentale d’un enchaînement catastrophique, notamment et essentiellement du côté de la position du dollar, du côté de la possibilité de l’effondrement de la position du dollar qui placerait les USA (et le reste d’ailleurs) dans une situation d’urgence. Pour se préparer à cette possibilité évidemment centrale, il faut déminer partout où cela peut l’être. En termes de marine à voile, on dit qu’on réduit la toile en prévision du possible coup de tabac, alors qu’on navigue déjà par très gros temps.
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