Out of History, – par en-dessous…

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Out of History, – par en-dessous…

23 juillet 2012 – Depuis qu’il a ouvert son propre site à l’enseigne de The Institute for Political Economy, Paul Craig Roberts (PCR), l’ancien ministre adjoint du Trésor de l’administration Reagan, a entrepris un travail plus en profondeur que celui auquel il nous avait accoutumé. Tout en gardant son ton polémique selon les circonstances, et en abordant toujours quoique plus occasionnellement des sujets de synthèse assez vastes, il développe désormais des analyses financières (surtout) et économiques très poussées. Il écrit certains articles avec l’ancienne analyste de Bear Starns et ancienne directrice de la gestion chez Goldman Sachs, passée à l’ennemi, auteure d’un fameux bouquin sur Wall Street (It Takes A Pillage), la séduisante Nomi Prins.

Le 19 juillet 2012, après plusieurs articles sur le “scandale Libor”, PCR revient sur le sujet en faisant une mise au point, – selon le titre de son article : «The Libor Scandal In Full Perspective». C’est surtout un article (Roberts-Prins) du 15 juillet 2012 que PCR veut compléter.

Le passage qui nous intéresse concerne les responsabilités précises, chronologiques et historiques, à la fois du “scandale Libor” et, d’une façon générale, de toutes les crises systémiques financières qui se succèdent depuis le début du XXIème siècle, – à commencer par le “bulle Internet”. Dans ce cas du contexte général, les banksters, notamment ceux du “scandale Libor”, ne sont qu’une partie du problème, et ils ne sont certainement pas plus coupables que les divers président de la Fed et autres secrétaires au Trésor qui se sont succédés, disons depuis 15 ans au moins…

«Does this mean that the US and UK financial systems can only be kept afloat by fraud that harms purchasers of interest rate swaps, which include municipalities advised by sellers of interest rate swaps, and those with saving accounts? The answer is yes, but the Libor scandal is only a small part of the interest rate rigging scandal. The Federal Reserve itself has been rigging interest rates. How else could debt issued in profusion be bearing negative interest rates?

»As villainous as they might be, Barclays bank chief executive Bob Diamond, Jamie Dimon of JP Morgan, and Lloyd Blankfein of Goldman Sachs are not the main villains. The main villains are former Treasury Secretary and Goldman Sachs chairman Robert Rubin, who pushed Congress for the repeal of the Glass-Steagall Act, and the sponsors of the Gramm-Leach-Bliley bill, which repealed the Glass-Steagall Act. Glass-Steagall was put in place in 1933 in order to prevent the kind of financial excesses that produced the current ongoing financial crisis.

»President Clinton’s Treasury Secretary, Robert Rubin, presented the removal of all constraints on financial chicanery as “financial modernization.” Taking restraints off of banks was part of the hubristic response to “the end of history.” Capitalism had won the struggle with socialism and communism. Vindicated capitalism no longer needed its concessions to social welfare and regulation that capitalism used in order to compete with socialism.

»The constraints on capitalism could now be thrown off, because markets were self-regulating as Federal Reserve chairman Alan Greenspan, among many, declared. It was financial deregulation–the repeal of Glass-Steagall, the removal of limits on debt leverage, the absence of regulation of OTC derivatives, the removal of limits on speculative positions in future markets – that caused the ongoing financial crisis. No doubt but that JP Morgan, Goldman Sachs and others were after maximum profits by hook or crook, but their opportunity came from the neoconservative triumphalism of “democratic capitalism’s” historical victory over alternative socio-politico-economic systems.

»The ongoing crisis cannot be addressed without restoring the laws and regulations that were repealed and discarded. But putting Humpty-Dumpty back together again is an enormous task full of its own perils. The financial concentration that deregulation fostered has left us with broken financial institutions that are too big to fail. To understand the fullness of the problem, consider the law suits that are expected to be filed against the banks that fixed the Libor rate by those who were harmed by the fraud. Some are saying that as the fraud was known by the central banks and not reported, that the Federal Reserve and the Bank of England should be indicted for their participation in the fraud.

»What follows is not an apology for fraud. It merely describes consequences of holding those responsible accountable…»

Cette description des circonstances de la deuxième partie des années 1990, qui est d’ailleurs un épisode-clef classiquement admis pour la crise financière, nous conduit effectivement à rappeler certaines circonstances qui furent pour nous particulièrement frappantes dans cette période. Du point de vue historique et symbolique, nous avions fait grand cas, à l’époque, d’une déclaration du président d’alors de la Federal Reserve, Alan Greenspan, le 11 juin 1998. Cette déclaration, lors d’une déposition devant la commission économique du Congrès (commission commune aux deux Chambres), rapportée par l’International Herald Tribune et mise en évidence dans notre Lettre d’Analyse dedefensa & eurostratégie n°19, Volume 13 (25 juin 1998), était marquante par ce passage, avec notamment cette précision extraordinaire soulignée par nous en gras (on en retrouve l’écho dans la remarque de PCR «Taking restraints off of banks was part of the hubristic response to “the end of history”»)  : «La situation ne correspond pas à ce que l’évolution historique nous conduisait à attendre à ce point de l’expansion économique et, quoiqu’il soit possible, en un sens, que [notre économie] ait dépassé l’histoire, nous devons également rester vigilant au fait que des relations historiques moins favorables puissent s’imposer à nous.»

Le “détail” souligné (“ait dépassé l’histoire”, ou “beyond history” en anglais) constituait une incursion du domaine économique dans l’appréciation métahistorique. Nous avions repris ce “détail” comme une déclaration symbolique fondamentale dans une période d’ivresse de puissance des USA qui n’a aucun précédent dans son expression répandue par le système de la communication, et qui démarra d’une façon extrêmement visible, – là aussi, la chose est rarement, sinon jamais mentionnée dans l’“histoire officielle”, – à l’occasion des Jeux Olympiques d’Atlanta de juillet 1996. On peut se reporter à notre interprétation de la période, extraite des Chroniques de l’ébranlement (Philippe Grasset, éditions Mols, 2003), le 2 septembre 2005. Le passage des Chroniques de l’ébranlement où est rappelée l’intervention de Greenspan est le suivant :

«Quel déchaînement, à partir de là ! Pour tenter de ranger ce temps historique si étrange, on peut le séparer en deux ou trois grands domaines. Le domaine économique est connu de tous : cet engouement extra-atmosphérique, pour lequel on ne trouve que la comparaison des folles années vingt menant au krach d'octobre 29, où l'Amérique vit au rythme du NASDAQ et de Wall Street, de la “nouvelle économie”, l'économie new age des start-ups. Résumons tout cela par un spectacle insolite, fort peu noté parce qu'on n'ose plus s'étonner de la grande République de crainte d'être mal noté, et rapporté sans étonnement par un article de première page de l'International Herald Tribune du 11 juin 1998 : le président de la Fed, le si fameux et si sérieux Alan Greenspan, venu témoigner devant une Commission du Sénat et disant aux parlementaires qu'il existe, bien qu'il n'en soit pas lui-même l'adepte, une école de pensée dans les milieux économiques américaines avançant que l'économie américaine atteint de tels sommets qu'elle a changé de substance, qu'elle échappe aux lois de l'histoire, qu'elle est, comme dit précisément Greenspan, “beyond history”. Cette expression extraordinaire, telle qu'elle a été vraiment dite, aurait mérité un sort plus significatif que l'indifférence qui l'a accueillie : le président de la Federal Reserve admettait sans barguigner, sans paraître un instant s'en gausser, que l'on put envisager que l'économie américaine fût effectivement quelque chose qui était sortie de l'histoire, et sortie par le haut, et désormais évoluant “beyond history”. Cela fixe les esprits et leur état.»

C’est effectivement cet état des esprits, qui nous importe d’abord, qui explique et introduit le comportement de l’administration Clinton, du secrétaire au trésor Rubin, du Congrès, de tout l’establishment (républicains et démocrates mêlés), tel que le rapporte Paul Craig Roberts. Il s’agit bien là d’un entraînement collectif, d’une fièvre de la psychologie qui toucha toute une direction politique, toutes les élites dirigeantes aux USA, selon laquelle non seulement l’économie, mais les USA eux-mêmes étaient “sortis de l’histoire”, ou “au-delà de l’histoire” (“beyond history”). La dérégulation absolue avec l’abrogation de la loi Glass-Steagall et le vote de la loi Gramm-Leach-Bliley (sénateurs républicains et démocrates mêlés) ne fut pas à cet égard une mesure “technique” de dérégulation mais la transcription dans “la Loi” de cette “sortie de l’histoire” de l’économie US et des USA eux-mêmes, de cette projection de la Grande République “beyond history”.

A l’aune de cette interprétation, on conviendra que 9/11 (l’attaque du 11 septembre 2001) n’est pas une rupture historique mais une sorte de confirmation métahistorique de “la sortie des USA de l’histoire”, essentiellement par la réaction de déchaînement triomphant de puissance qui fut provoquée par cette attaque en même temps que totalement justifiée par elle, comme si l'attaque contenait en elle-même la logique sacrée de la riposte absolue, celle-ci comme l'accomplissement métaphysique de la démarche. C’est la thèse de 9/11 comme “événement métaphysique”, tentant d’imposer par la force l’irruption de la métaphysique dans notre narrative générale (narrative des USA s’avérant en vérité la narrative du Système). Nous exposions un résumé de cette thèse dans notre numéro du 10 juin 2012 de dde.crisis (accès gratuit au pdf sur ce site), – cette fois à propos de la “terrorisation” des psychologies des dirigeants-Système, serviteurs du Système, qui n’est que le double négatif, dans le mode maniaco-dépressif, de l’ivresse folle qui saisit les psychologies américanistes à partir de 1996 et aboutit, pour notre propos, à la complète libération de la structure financière (“libération” et non “libéralisation”, pour montrer qu’il s’agit bien de compléter par l’appareil juridique la sortie “libératrice” de l’économie de l’histoire, pour rencontrer sa position “beyond history” selon le mot du très rationnel et très éminent Alan Greenspan)…

«Puisque nous avons proposé notre conception que l’attaque du 11 septembre 2001 échappait à la seule machinerie humaine, mais répondait à un enchaînement supérieur dont la psychologie terrorisée des directions politiques était la réplique terrestre, il devient inutile de déterminer s’il y eut complot ou non, et comment, et dans le chef de qui. En quelque sorte, 9/11 était écrit, c’est-à-dire nécessaire, et le jugement qu’on rencontre si souvent d’extrême bizarrerie, sinon de suspicion de “complotisme”, se trouverait justifié seulement si 9/11 n’avait pas eu lieu (un complot pour que 9/11 n’ait pas lieu ?)... Ainsi faut-il raisonner aujourd’hui, nous semble-t-il, à la lumière des évènements depuis 9/11 et de la mémoire d’avant 9/11, si l’on accepte ce constat de l’inéluctabilité de la terreur, attestée par la terrorisation des psychologies.

»Ainsi considérerons-nous 9/11 comme un évènement dépendant d’une nécessité supérieure, au dessus de sapiens et de ses diverses manigances. Dans notre livre “La grâce de l’Histoire”, nous interprétons l’attaque de 9/11 comme une tentative d’établissement d’une “métaphysique de la force”, comme l’avait été la bataille de Verdun selon notre interprétation un peu moins d’un siècle plus tôt, ceci et cela dans la filiation de la source du “déchaînement de la Matière” de 1776-1825. Il y a, dans cette tentative, selon cette interprétation, effectivement un élément puissant de terreur, qui ne tient pas à l’acte du soi-disant terrorisme, mais à la terreur portée par une tentative si évidente de la force née de la Matière, cherchant à accomplir, par ce moyen de la contrainte et de la coercition, l’usurpation suprême qu’est cette effraction du domaine de la métaphysique…»

Greenspan balbutiant devant le Congrès, en 2008

Tout cela nous conduit à envisager plus que jamais la proposition que la crise financière, enchaînant sur ses diverses conséquences (économie, dettes, etc.) ne peut être comprise dans son seul cadre financier et, plus largement, économique. La psychologie américaniste l’a elle-même déterminée d’une façon impérative dans les conditions de création du détonateur de cette crise ultime, en proposant l’idée que l’économie américaniste ne dépendait plus des lois de l’histoire, qu’elle était “sortie de l’histoire“, qu’elle était “au-delà de l’histoire”, c’est-à-dire hors des contingences terrestres. D’une certaine façon, d’ailleurs, le Ciel l’a entendue, cette psychologie américaniste, en faisant passer l’histoire elle-même au niveau de la métahistoire (l’histoire devenant Histoire majusculée), notamment avec l’évènement 9/11 et tout ce qui l’accompagne, et considéré dans sa tentative de s’imposer comme une véritable métaphysique. Certes, l’économie US et les USA eux-mêmes sont “sortis de l’histoire” mais l’histoire, en même temps, est sortie d’elle-même pour devenir métahistoire, opposant ainsi à ces acteurs à prétention eschatologique le plus terrible défi qu’on puisse imaginer, dont l’issue inéluctable est évidemment la sanction suprême et libératrice (pour nous, cette fois), leur effondrement, – manœuvre métahistorique parfaitement réussie et bouclée… Dès ce moment, les affaires du monde, devenues métahistoriques, ont complètement échappé au contrôle du sapiens courant, et particulièrement du sapiens américaniste, dans sa version policée et littéralement bouffée par l’hubris des élites washingtoniennes.

Paul Craig Roberts ne croit pas si bien dire lorsque, ayant cerné la cause technique fondamentale de l’effondrement du système financier, il constate que la solution pour rétablir un système, le rétablissement de la régulation, est impossible à réaliser, – point final. («The ongoing crisis cannot be addressed without restoring the laws and regulations that were repealed and discarded. But putting Humpty-Dumpty back together again is an enormous task full of its own perils. The financial concentration that deregulation fostered has left us with broken financial institutions that are too big to fail…», bla bla bla.) Nous nous trouvons bien au-delà de ces considérations, parce que, à l’occasion de cette transmutation bidouillée par les psychologies énervées et hypomaniaques, une situation complètement nouvelle s’est installée, avec ces mêmes psychologies à mesure, complètement prisonnières du dogme moderniste et idéologique et de la poussée aveugle de surpuissance et d’autodestruction du Système, – et totalement terrorisées derrière l’apparence de l’agitation hypomaniaque.

La démonstration en a été faite largement, à l’occasion de 2008 et depuis 2008, que rappelle notamment Joseph Stiglitz et qu’on retrouve sous la forme d’une parabole à la fois psychologique et métahistorique, dans un autre extrait de ce même dde.crisis du 10 juin 2012 (voir le 19 juillet 2012) : «Ainsi, loin d’être interprétée comme une sanction catastrophique, un “avertissement” fondamental de la fausseté de la politique suivie, la crise de 2008 fut en vérité perçue par ces psychologies terrorisées comme la confirmation de la justesse de cette politique, – on dirait presque : comme le triomphe de cette politique... Cela n’est d’ailleurs pas seulement un paradoxe pathologique, mais également, et surtout, une appréciation finalement logique. Ce qui parle au travers des psychologies terrorisées de cette catégorie de sapiens entièrement soumise au Système, c’est le Système lui-même ; comme le Système est passé d’une dynamique de surpuissance à une dynamique d’autodestruction, il est complètement logique que le catastrophique effondrement de 2008 soit en vérité perçu, à peine inconsciemment, comme un triomphe puisqu’il s’agirait effectivement d’un triomphe sur la voie de l’autodestruction…»

La circonstance décisive de ce drame colossal est celle, piètre et médiocre, d’une psychologie incapable d’accepter la dimension historique, et qui voulait se faire aussi haute que la métahistoire. Le nœud de ce drame colossal est celui de l’enchaînement inéluctable, à partir de cette médiocrité, de forces d’une puissance incroyables, nées du “déchaînement de la Matière”, et dont l’activité sans frein, ainsi libérée de toute contrainte et de tout garde-fou, dévaste impitoyablement tout ce que ces mêmes forces ont contribué à édifier en fait de manifestation de cette puissance. Le binôme antagoniste surpuissance-autodestruction est absolument conforme aux plans prévus ; reste la question passionnante de savoir qui a conçu ces plans… Les imbéciles (les sapiens), ou les forces métahistoriques qui se sont ainsi levées ?

La piètre déposition du pauvre Alan Greenspan devant la Chambre, le 22 octobre 2008 (voir le 24 octobre 2008), à la lumière de l’effondrement alors en cours de tout le système financier, nous ramène impitoyablement à la pauvreté des esprits des “maîtres du monde” (de la Fed à Goldman Sachs). Ce n’est pas un machiniste et un comploteur de la puissance financière dominant le monde qui témoigne devant la Chambre, une puissance déchue qui fut formidable et qui reste digne dans sa défaite, mais un pauvre esprit d’une médiocrité sans bornes, une psychologie effectivement terrorisée devant le spectacle de la déroute du monde qu’il crut avoir aidé à créer pour le dominer et qui s’avère être un piège faustien entraînant l’effondrement de cette énorme puissance devenue factice, – surpuissance devenue autodestruction. Ainsi revenons-nous aux deux faces maniaco-dépressives de la psychologie, passant de l’exaltation hypomaniaque si évidente dans la période 1996-2001, poursuivie par les illusions autour de 9/11 et de son déchaînement de puissance, mais s’avérant en fait le double faussaire d’une complète terrorisation de ces psychologies par le “déchaînement de la Matière” qu’ils ont servi au travers du Système. La crise financière et ce qui suit, et ce qui l’entoure, elle qui n’est qu’un maillon d’une chaîne crisique métaphysique, ne sont explicables dans leur essence que si on sort impérativement cette crise de sa classification catégorielle.

Devant la Chambre, le 22 octobre 2008, Greenspan n’est plus que cette pauvre psychologie terrorisée, balbutiant des explications et des excuses informes et pathétiques, – sur la façon dont “le monde marche”, dont il croyait savoir, lui, “comment il marche” : «I made a mistake in presuming that the self-interest of organisations, specifically banks, is such that they were best capable of protecting shareholders and equity in the firms ... I discovered a flaw in the model that I perceived is the critical functioning structure that defines how the world works.»… Sapiens, va jouer avec cette poussière, – occupation moins agaçante pour les nerfs que de savoir si bien et avec la plus grande certitude du monde, à faire pâlir Dieu de jalousie, – “how the world works”...