Panique chic à bord

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Dans un sens très technique et avec mesure, avec la raideur et la sûreté de soi qui caractérise sa plume, le Financial Times nous dit, sans doute sans le vouloir ni le savoir, que le monde qu’il a tant servi, que l’esprit même de ce que Churchill nommait au début du XXème siècle l’“anglo-saxonisme” est en train de suivre la pente d’un effondrement peut-être fatal avec la courbe abyssale de Wall Street. Il prononce le décès d’une culture, d’une conception du monde où le terme de “bien public” n’avait plus aucun sens, où le culte de l’individualisme comme vertu cardinale, la puissance du profit comme ambition universelle triomphaient et étaient devenus les signes du ralliement à la modernité. Aujourd’hui, “l’Etat” (on en serait à employer ce terme avec une nuance de respect plutôt que celui d’“administration” ou de “gouvernement”) nationalise à tout va. Et cela est bien, proclame sur un ton si docte le Financial Times, ce 17 septembre.

«Just two days after allowing a large investment bank to fail as a stern statement of free market discipline, Ben Bernanke, chairman of the Federal Reserve Board, and Hank Paulson, Treasury secretary, in effect nationalised American International Group, the insurance giant. There was no alternative, but these dramatic steps show how finance will never be the same again.

»By allowing Lehman Brothers to fall, the authorities demonstrated their reluctance to save financial institutions with public money. Banks – even big, famous ones – would be allowed to fail if it were felt the system could handle it.

»But AIG was too important to go under. Default on its $441bn exposure to credit default swaps and other derivatives would have been a global financial catastrophe. Cancelling the insurance it underwrote would cause another wave of writedowns, further reduce lending and spread the crisis deeper and further.

»As with Freddie Mac and Fannie Mae, the nationalisation of AIG has caused problems for future policymakers, but future systemic moral hazard is of secondary importance when the system itself is at risk. […]

»After a year of what felt, at times, like a phoney war, the past two weeks have seen unimaginable changes in the world financial system. The collapse of Lehman, the buy-up of Merrill Lynch and the nationalisations of Fannie, Freddie and AIG were obvious landmarks. Of potentially greater importance, however, the reach and power of the state has been greatly extended. The Bear Stearns bail-out involved the Fed moving to cover investment banks. With the AIG takeover, it has moved into insurance.

»In the long run, policymakers must turn their minds to how systemically important institutions should be governed without creating over-powerful regulators, and whether any parts of the financial system might best be kept in the public sector. They also need an exit strategy for those areas in which it has no long-term role. […]

»The rules of the game have been rewritten dramatically over this past fortnight but the game, at least, is still being played in some form. That is a victory of sorts. Governments are currently rightly preoccupied with crisis management. The next challenge will be to work out how far the state should stay as more than just an umpire.»

Un passage est à retenir : «…but future systemic moral hazard is of secondary importance when the system itself is at risk.» Le FT n’y va pas par quatre chemins avec ce mot. Il signifie à tous ceux qui seraient tenter d’ergoter, de mégoter, de chicaner, etc., au nom des principes du système: silence dans les rangs parce que c’est le système lui-même qui est en jeu. Le système se tourne vers la puissance publique et se jette dans ses bras, presque avec volupté, comme un enfant effrayé retrouve les bras de ses parents. Mais les parents sont-ils encore là?

On comprend tout cela. On ne s’attardera même pas à rappeler qu’il y a encore un an, le monde chic de l’esprit anglo-saxon ricanait à l’idée d’interventionnisme, qu’il y a deux ans encore le Premier ministre français Villepin était cloué au pilori parce qu’il parlait de “patriotisme économique” et de la protection par l’Etat des industries stratégiques et ainsi de suite. On ne perdra pas notre temps à rappeler les angoisses des salons parisiens, avant l’arrivée de Sarko, pour cette France rétrograde qui songeait encore à s’appuyer sur l’Etat pour contrôler son économie alors que le modèle anglo-saxon, outre-Manche et outre-Atlantique, lui indiquait l’évidence de la seule voie possible, et à suivre, et au galop plutôt qu'au trot. On se bornera à se demander si l’appel somme toute pressant du FT vers la puissance publique a des chances d’être pleinement entendu et entendu d’une manière efficace. La grande question est de savoir si cette “puissance publique” pourra répondre à cet appel, si elle existe encore en tant que telle, elle qui a été systématiquement abaissée, affaiblie, réduite, caricaturée, avec un personnel évoluant à mesure, justement par l’action du système qui demande désespérément aujourd’hui son aide.


Mis en ligne le 18 septembre 2008 à 09H58