Parlez, Sire, parlez (et voici ce qu’il faut dire)

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La réunion du G20 de Londres du 2 avril commence à faire sentir toute sa pression. Les Britanniques sont au premier rang dans l’agitation qui grandit, d’abord parce qu’ils sont les organisateurs du sommet, ensuite parce qu’ils se pensent comme les inspirateurs du système mondial en grand danger de s’effondrer, en même temps que leur pays est parmi les plus touchés des grands pays par la crise puissante en cours de développement.

Il y a un ton de solennité générale dans la presse et les commentaires britanniques en cours. Ce ton accompagne la visite de Gordon Brown à Washington aujourd’hui et demain, qui a le caractère inhabituel d’une requête pressante adressée au président des USA pour qu’il s’implique dans la conférence et qu’il lui insuffle le souffle nécessaire à sa réussite. C’est donc comme un commentaire également pressant de cette visite qu’il faut lire et ressentir le texte solennel de Martin Wolf, le commentateur le plus “institutionnalisé” du Financial Times, publié également, en français, dans Le Monde en date du 3 mars, – titre effectivement significatif: «Obama doit parler!»

Ci-dessous, nous reproduisons l’introduction et la conclusion de ce texte, qui en marque effectivement la solennité et la gravité.

«En 1933, le sommet de Londres marqua l'instant où s'effondrèrent les efforts de coopération visant à juguler la Grande Dépression. Le sommet des 20 pays les plus industrialisés, prévu le 2 avril dans la même ville, doit à tout prix connaître une autre issue. Qu'il se termine sur un banal communiqué serait une catastrophe.

»Car le monde a besoin d'un “changement auquel il peut croire”. Seul le président américain, Barack Obama, est en mesure d'assumer le leadership nécessaire : il a les mains propres ; il est populaire ; il dirige le pays qui, pour le meilleur ou pour le pire, demeure la clé de voûte de l'économie mondiale. Déjà, les “sherpas” du G20 préparent la première mouture du texte qu'il doit prononcer devant ses homologues. Ce serait parfait si, à l'occasion de ce sommet, il pouvait leur dire ceci:

[…]

»Concentrons donc nos efforts à résoudre la crise que nous traversons. Pour reprendre les mots d'Abraham Lincoln, laissons-nous toucher par “les meilleurs anges de notre nature”. L'objectif est de renforcer un ordre économique pacifique et coopératif. Le défi est devant nous; nous devons décider de le relever ensemble.»

Les mesures prônées par Wolf sont classiques. Elles visent à restaurer le système, en grand danger ou en cours d’effondrement c'est selon, par des mesures classiques et, surtout, en insufflant à la “communauté internationale” un esprit de coopération sous la direction restaurée du monde anglo-saxon; bien entendu, avec le président Obama au-dessus de tout, dont on comprend selon Martin Wolf qu’il a la vertu de la nouveauté, bref la vertu de n’avoir pas encore servi. Bon prince qui mesure ses commentaires, Wolf n’oublie pas de suggérer quelques actes de contrition, y compris des USA eux-mêmes («…oui, les Etats-Unis se sont fourvoyés. Nous pensions tout connaître des arcanes de la finance moderne. Nous avions tort.»); c'est une façon de donner à sa proposition générale une allure convenable d’équité et d’équilibre. Ainsi récompensera-t-on le système qui a failli de l’aveu même de ses promoteurs par un nouveau “contrat de confiance”, comme on dit dans la publicité; comme si l’échec démontré et l’erreur acceptée étaient, après tout, des arguments suffisants pour redonner une nouvelle autorité à celui qui a failli et qui s’est trompé.

Le texte est intéressant surtout par ce qu’il nous dit de l’état d’esprit du “centre”, c’est-à-dire des cercles dirigeants du système menacé d’effondrement, dont le FT est un pilier institutionnel, et Martin Wolf un commentateur de grande influence en son sein. Il marque l’inquiétude extrême de ces cercles, en prenant nécessairement un peu de recul, en se détachant des avatars quotidiens avec ses brusques écarts de confiance et d’abattement (l’abattement, surtout). Il n’est nullement question de projections économiques, de chiffres, de précisions, etc., c’est-à-dire de spéculations sur la gravité de la crise et, surtout, sur la “sortie” de la crise. Cette inquiétude concerne le domaine psychologique encore plus que le domaine de la technique financière et économique, voire même le domaine politique. Il s’agit d’un appel à la restauration de la foi, qui passe effectivement par le mot sacré de “confiance”, effectivement du domaine de la psychologie. Il s’agit de savoir si l’on “croit” encore dans ce système et il s’agit de comprendre que sa sauvegarde passe effectivement par la restauration de cette confiance. (La chose est dite lorsque Wolf fait dire à Obama: «Or, aujourd'hui, la grande priorité, et c'est mon deuxième point, est d'enrayer la chute de la demande»; qui dit “demande” dit confiance, effectivement.)

Il y a deux restaurations proposées ici: celle de la foi et celle de la confiance. Ce n’est pas la même chose mais, dans leur système, l’une ne va pas sans l’autre puisqu’il s’agit d’un système basé sur des convictions relevant effectivement de la foi (la “main invisible”). Ainsi l’ont-ils voulu. La confiance ne peut venir que d’une foi intacte ou d’une foi restaurée, – si cela se peut, “restaurer” une foi. L’appel de Martin Wolf, tout rationnel et raisonnable qu’il se veut, est d’abord l’appel d’un croyant aux fidèles qui semblent fourvoyés, à ceux qui semblent ne plus croire, à ceux qui semblent avoir l’âme ailleurs. C’est surtout un appel au premier d’entre eux, le président des Etats-Unis, – avec cette question angoissante implicite, puisqu’Obama est un homme neuf qu’on connaît peu, – au fait, le nouveau président des Etats-Unis est-il croyant lui-même? (C’est pourquoi, dans cette incertitude, Wolf prend la précaution d’indiquer au président ce qu’il devra dire au G-20. C’est plus sûr.)

Ceci est de plus en plus évident: l’église du libre-échange voit le sommet du G-20 comme une sorte de concile d’urgence pour sauver le système, une “réunion de la dernière chance”, etc. Cela mesure l’inquiétude extrême, réelle, profonde où elle se trouve de l’avenir de la chose, à côté des commentaires quotidiens sur le temps qu’il faudra pour sortir de la crise. Cela mesure combien on ne croit plus complètement à l’automatisme de la “sortie de crise”, quel que soit le délai, parce qu’on admet qu’il existe un risque que cette crise soit celle de la fin du système. Cet appel à la raison de Martin Wolf ressemble bien à un appel au secours; cela n’est certainement pas déplacé en la circonstance.


Mis en ligne le 3 mars 2009 à 06H28