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1169Les hommes politiques russes sont d’une espèce devenue rare. Il leur arrive souvent de dire, sans fard, des vérités forcément intéressantes, – “‘forcément”, parce que c’est chose si rare que la vérité retrouve sa voie et sa place dans la bouche des dirigeants politiques aujourd’hui. Le ministre des affaires étrangères Lavrov, qui est d’un caractère affirmé, n’est pas le dernier dans cet exercice.
Ainsi de ces dernières déclarations, notamment celles qu’il a faites à des journalistes lors du voyage de retour d’une réunion UE-Russie à Bruxelles… Lavrov leur dit que les Occidentaux (notre “bloc BAO”) prient pour que les Russes et les Chinois continuent à bloquer toute résolution de l’ONU autorisant l’emploi de la force en Syrie, simplement parce que personne, malgré les discours interventionnistes-humanitaristes, n’a vraiment envie d’y tremper son doigt de pied et que tous les gouvernements du bloc BAO savent que si une telle résolution, qu’ils auraient introduite sur la pression de forces indistinctes auxquelles ils ne cessent de céder, était votée, ils se trouveraient dans l’obligation d’intervenir, toujours sous la pression de ces mêmes forces relayées par des groupes de pression bien plus irresponsables et chaotiques qu’ils ne sont en général décrits… (Sur Russia Today, le 23 décembre 2012.)
«“No one has any appetite for intervention. Behind the scenes, I have a feeling they are praying that Russia and China go on blocking intervention, as sanctioning it would mean they must act – and they are not ready,” Lavrov told journalists on a flight back to Moscow from an EU summit in Brussels. The FM was assessing the current mood in the UN Security Council after NATO cleared the stationing of Patriot missiles in Turkey. Ankara and the alliance say this is a containment tool to prevent any further Syrian violence from spilling over the border, but political analysts believe the step might signal the West and their Middle East allies are preparing to intervene in Syria.»
Un corollaire de ce qui précède, c’est l’insistance du bloc BAO auprès des Russes, sans trêve depuis des mois, pour qu’ils interviennent auprès d’Assad et le convainquent de quitter le pouvoir. Bien que cette idée n’ait strictement rien à voir, jusqu’à maintenant sans aucun doute, avec la politique russe, les pressions du bloc BAO n’ont jamais cessé. L’idée s’est toujours développée selon une logique curieusement binaire et antagoniste, posant 1) que les Russes sont sur le point de céder et de rejoindre le camp du bloc BAO, et 2) que les Russes sont les seuls assez influents et puissants en Syrie et alentour pour parvenir à remplir une telle “mission” auprès d’Assad. Cet étrange mélange d’attitudes prêtées aux Russes (tellement faibles et sans influence qu’ils vont capituler devant le bloc BAO, tellement forts et influents qu’ils manipulent Assad comme ils veulent), qui est en vérité une constante inébranlable de la pensée “BAOiste” (pourquoi pas ce néologisme si affriolant pour les mémoires révolutionnaires ?), reflète le caractère schizophrénique de cette pensée, complètement développée, complètement affichée, sans qu’aucun de ces souscripteurs n’éprouve une gêne réelle devant la contradiction qu’elle reflète. (On doit d'ailleurs se demander, avec les meilleures raisons du monde et en préjugeant d'une réponse évidemment positive, si les dirigeants des pays du bloc BAO ne sont pas dans une situation psychologique où ils sont incapables de distinguer là-dedans la moindre contradiction.)
«Russia refuses to act as an intermediary trying to Assad into fleeing, Lavrov also said. At the same time Moscow is not going to accommodate the Syrian president should he step down: “Assad is not going anywhere, no matter what anyone says, be it China or Russia.” On being asked whether the rebels will eventually oust President Assad, Lavrov replied: “Listen, no one is going to win this war.”»
Sur ce dernier point (le blocage de la guerre), de plus en plus d’avis rejoignent celui des Russes, et particulièrement celui d’officiels israéliens de la défense. D’une façon générale, Israël tend de plus en plus à épouser les appréciations des Russes, aussi bien sur la position et les intentions d’Assad, que sur l’évolution de la situation en Syrie si Assad s’en allait, que sur la “sécurisation” des armements chimiques, contrairement à ce que l’analyse générale du bloc BAO laissait entendre il y a deux et trois semaines.
The Voice of Russia du 23 décembre 2012 rapporte notamment les déclarations d’un officiel israélien du ministère de la défense, dimanche, sur ces différents sujets : «[Senior Israeli defence official] Amos Gilad told Army Radio that the civil war between Assad and opposition forces fighting to topple him had become deadlocked, but that the Syrian leader showed no signs of heeding international calls to step down. “Suppose he [Assad] does leave, there could be chaos ... in the Middle East you never know who will come instead. We need to stay level-headed; the entire world is dealing with this. At the moment, chemical weapons are under control” Gilad said…»
L’armement chimique syrien, autre vaste sujet qui a beaucoup été agité ces dernières semaines, et à propos duquel les Russes ont été ridiculisés parce que, seuls parmi tous, ils ont refusé de partager les alarmes du bloc BAO sur l’imminent usage de cet armement par le régime Assad (“contre sa propre population” précisaient évidemment, avec horreur, les chroniqueurs parisiens). Désormais, au contraire, ce sont, comme en tant d’autres aspects de la situation syrienne, les Russes qui ont la côte. Tout le monde en vient à partager leurs analyses selon lesquelles Assad contrôle parfaitement son arsenal et n’a absolument pas l’intention de l’utiliser contre qui que ce soit.
A cette occasion, DEBKAFiles nous donne une interprétation grandiose, qui a le mérite pour lui de confirmer, mais en l’incurvant complètement, la nouvelle qu’il donnait le 13 décembre 2012, annonçant la prise imminente du dépôt de chimique d’Al-Safira par des rebelles djihadistes, et la possible intervention de l’USAF pour empêcher cette action. Rien de tout cela n’ayant eu lieu, DEBKAFiles l’explique par l’intervention armée des Russes, la prise en main du problème chimique par les Russes, et par conséquent la nécessité de suivre désormais les Russes si l’on veut savoir ce qui se passe pour le chimique en Syrie, et de toutes les façons en Syrie en général, – bref, les Russes tout-puissants dans la connaissance et la gestion de la crise syrienne ! Il y a trois semaines, ils (les Russes) étaient moqués et ridiculisés parce qu’ils ne suivaient pas l’alerte générale sur l’emploi du chimique par Assad (notre fameux adage «Ce n’est pas parce que les Américains ont menti sur l’Irak qu’ils mentent sur la Syrie…»). Aujourd’hui ce sont eux qui mènent la danse, et d’une façon tout à fait étonnante par rapport à la narrative courante puisque semblant aller plus ou moins, et plutôt plus que moins, dans un sens voulu par le bloc BAO tout en écartant complètement les données habituelles de cette narrative, tout en étant parfaitement conforme à ce qu’eux-mêmes (les Russes) ont toujours voulu, et enfin dans le cadre quasi-idyllique de ce qui est présenté par DEBKAFiles comme une sorte de “coopération internationale” (Russie-Israël-USA, etc., éventuellement et pourquoi pas Assad lui-même).
DEBKAFiles du 23 décembre 2012 cite notamment Lavrov et l’officiel de la défense israélienne Amos Gilda, tous les deux cités plus haut, à l’appui de leur récit de l’intervention de forces armée russes…
«DEBKAfile’s military sources disclose that the battle of al Safira was abruptly interrupted by a foreign military force which stepped in and stopped the fighting in order to commandeer the chemical and biological stocks. In its report Saturday, DEBKAfile identified this force as a Russian special unit.
»The entire episode is covered in a heavy blanket of secrecy, imposed from Moscow, Washington, Jerusalem and Damascus. They are using the public preoccupation with the holiday period in the West to keep it dark. However, from the scraps of evidence available, it is transpires that the foreign special unit reaching al Safira gave both sides, the Syrian army and the rebels, an ultimatum to hold their fire until the arsenals were removed, or else this special unit would mete out crushing punishment.
»Since then, the Syrian army and rebels do not appear to have resumed fighting and it is not clear which side remains in control of the al Safira military complex. One of the many enigmas surrounding this episode is whether the Russians carried out their operation for the capture of Assad's WMD alone, or in conjunction with the US and Israel. And whether this cooperation extended up to and including implementation, or was confined to the intelligence and preparatory stages…»
Ces divers récits et mises au point nous indiquent essentiellement, ou plutôt nous confirment la distance extraordinaire existante entre les positions officielles du bloc BAO (ce que nous nommons les narrative), c’est-à-dire les positions qui nous sont habituellement présentées avec assurance et véhémence au nom de la raison et de la vertu américaniste-occidentaliste, et ce qui se dit précisément dans les contacts privés, essentiellement avec les Russes, et ce qui se partage parfois d’une façon encore plus privée, chez certains de ces dirigeants du bloc BAO, essentiellement entre eux. Lorsque Lavrov dit aux journalistes qu’il a le sentiment que, “en secret” (“behind the scenes”) ses “partenaires” du bloc BAO “prient pour que la Russie et la Chine bloquent à l’ONU toute possibilité d’intervention, parce qu’[une résolution impliquant la possibilité d’une intervention] signifierait qu’eux-mêmes devraient agir et qu’ils ne sont pas prêts à le faire”, il fait une analyse fort peu diplomatique et assez inhabituelle concernant le comportement de ses “partenaires”, et leurs pensées secrètes. Les “sentiments” de Lavrov (son “feeling”) ne sont rien d’autres que le résultat de certaines rencontres avec certains dirigeants du bloc BAO, où ce qui s’est dit n’a aucun rapport avec les communiqués et avec ce qui est affirmé officiellement. Cela signifie, ce qui ne devrait pas nous surprendre, qu’il existe un certain degré d’une “intimité” paradoxale, de “certains de ces dirigeants” du bloc BAO, notamment avec Lavrov. En effet, ce qui est rapporté ici par Lavrov, et qui représente sans aucun doute le sentiment profond d’un certain nombre de ces dirigeants des pays du bloc BAO, même entre eux et “behind the scenes” ces dirigeants ne se le disent pas volontiers tant leur liens d’emprisonnement psychologique avec la narrative-Système sont forts.
Toutes ces confidences et déclarations de Lavrov, et les commentaires venus du bloc BAO autour, permettent également d’“avancer” sur la question du chimique syrien. Quelle que soit la version avantageuse pour ses propres interprétations que nous livre DEBKAFiles, le fait est que les Russes n’ont jamais suivi la narrative du bloc BAO de fin novembre début décembre sur l’imminence d’un usage du chimique par Assad, éventuellement “contre son peuple”, et cette narrative qui s’est très vite nuancée jusqu’à devenir presque inverse, avec la crainte que du chimique tombe aux mains des djihadistes, donc l’espoir que Assad conserve bien en mains le contrôle du chimique. Les Russes ont suivi très précisément cette affaire du chimique, comme ils le font depuis longtemps, et ils ont suivi et éventuellement favorisé l’opération de regroupement de ces armes dans un nombre de lieux très restreint (trois, semble-t-il), où il est aisé de le contrôler. (Cette opération de regroupement a sans doute été rendue nécessaire par les récentes modifications de position dans les affrontements en Syrie.) Les Russes affirment aujourd’hui que ce chimique est “pour l’instant” sous complet contrôle du gouvernement syrien sans qu’ils aient jamais souscrit à la version qu’il y avait risque d’usage du chimique par Assad (ni éventuellement danger immédiat de prise de chimique par les djihadistes). Tout le monde, d’une façon ou l’autre, souscrit désormais à cette analyse des Russes sur le chimique, comme le reste. Là encore, les Russes sont ceux qui ont la vision la plus conforme à la réalité de la situation.
Il s’agit donc d’un passage de la crise syrienne où, après diverses paroxysmes de communication faisant croire à des alertes, à des affrontements, à des interventions imminentes, etc., réapparaît au moins pour un instant la réalité. Du point de vue opérationnel comme du point de vue conceptuel, les Russes sont ceux qui contrôlent le mieux la perception de la vérité de la situation syrienne. Les pays du bloc BAO, et les Israéliens dans ce cas, sont conduits à le reconnaître lorsqu’ils peuvent se débarrasser pour un laps de temps de la chape de plomb de leurs narrative qui influencent jusqu’à leurs analyses les plus immédiates et les plus opérationnelles. Les déclarations de Lavrov, qui n’ont amené aucun démenti indigné d’une des capitales des pays du bloc BAO sur l’image de l’un ou l’autre de ces ministres priant pour que les Russes et les Chinois mettent leur veto à l’ONU, ont permis effectivement un de ces “moments de vérité” qui ne changent pourtant rien en général, sur la suite de cette politique-Système. A la prochaine alerte de communication, les mêmes narrative seront à nouveau d’actualité.
Mis en ligne le 25 décembre 2012 à 08H55