Pathologie d'un simulacre (Ron Paul Blackout)

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Superficiellement, la situation ressemble à cette image classique d’une barque (ou d’un paquebot luxueux) qui prend eau de toutes parts, successivement ; vous bouchez une voie d’eau, une autre se déclare, à laquelle vous vous attachez à nouveau, tandis qu’une troisième se déclare, et ainsi de suite. C’est à quoi ressemble la situation de la campagne US des candidats républicains, qui n’est absolument pas spécifique mais qui représente un microcosme hautement représentatif de la situation générale du Système face aux effets du fonctionnement de son propre système politique opérationnel enfermé dans des impératifs-Système de plus en plus comminatoires et contradictoires.

L'un de ces impératifs-Système est la non-existence (l'inégibilité-Système) de Ron Paul. Considérez ces quelques faits qui sont connectés entre eux, d’une façon plus ou moins directe…

• Après une première sortie bruyante et tonitruante, le 16 août (voir notre Bloc-Notes du 17 août 2011), le gouverneur texan Perry, qui a été aussitôt adopté par la presse-Système comme “l’homme providentiel”, attaque la Federal Reserve. Le 16 août, c’est le côté cow boy, violent, etc., qui avait été dénoncé. Cette fois, c’est le fond même de la position de Perry, en campagne dans le New Hampshire, qui met en cause cette sacro sainte institution du Système, la Fed. (The Independent du 17 août 2011 : «Shrugging off criticism even from within his Republican party, Texas Governor Rick Perry kept up his attack on the Federal Reserve yesterday, demanding that the US central bank open up its books to show it was not engaging in “improper” actions that undermined the economy.») En même temps que la presse-Système et toute la basse-cour qui va avec continuent sur la lancée à applaudir Perry sans mesurer le risque naissant, des critiques non déguisées commencent à apparaître et à se manifester avec une certaine violence, devant le sacrilège de ces sorties contre la Fed. (De Karl Rove, l’homme qui a “fabriqué” GW Bush avec un cynisme exceptionnel, même pour le standard du marketing politique US, devenu entretemps, avec une audace ébouriffante, une “personne morale” de l’establishment : «It was a very unfortunate comment. You don't accuse the chairman of the Federal Reserve of being a traitor to his country… Governor Perry is going to have to fight the impression that he's a cowboy from Texas.»)

• Il se trouve que cette mis en cause de la Fed est une idée fondamentale de Ron Paul, l’homme au centre de la controverse nommée Ron Paul blackout, sur le boycott des médias contre lui. Paul n’aime pas Perry, qu’il considère comme un démagogue à la psychologie totalement corrompue, et la position de Perry contre la Federal Reserve ne change rien à cette opinion. (Selon Paul, Perry adopte cette politique pour s’attirer les faveurs de Tea Party, lequel s’est depuis longtemps reconnu dans cette position anti-Fed soutenu depuis plus longtemps encore par Ron Paul.) Au reste, l’on apprend qu’un sondage, fait au Texas par le Azimuth Research Group, le 17 août 2011, et communiqué par un site texan, le StateColumn.com, donne une avance substantielle de Ron Paul sur Perry en cas de primaires pour la désignation républicaine présidentielles… «Answering the question, “If the Texas Republican primary were held today, which presidential candidate would you be most likely to vote for?” 22 percent of those polled selected Mr. Paul. Just 17 percent of respondents voted in favor of Mr. Perry.»

• Le même message de StateColumn.com résume assez bien la situation après le développement public de la polémique dite Ron Paul Blackout : “ce boycott amène une poussée de soutien et de notoriété” pour Ron Paul («Meanwhile, Mr. Paul, who is facing a surge of support and attention after criticizing the media for downplaying his campaign, spent much of the weekend slamming his Republican opponents.»)

• Sur quoi est basé le Ron Paul Blackout ? On a interrogé Charles Krauthammer, une grande figure des neocons, partisan de la guerre à outrance et du soutien inconditionnel, non à Israël, mais à la clique likoudiste de Netanyahou, un des grands avocats de la guerre en Irak, en Afghanistan, etc.. Krauthammer était interrogé (sans surprise) par Fox.News. La question était ainsi formulée, en substance : “Paul a obtenu un résultat en Iowa qui le place en très proche deuxième, avec un résultat qui montre qu’avec quelques voix il aurait pu être le premier à la place de Bachmann. Pourquoi n’en parle-t-on pas ?” Avec un sens très particulier de la logique, Krauthmanner répond : “Je vais d’abord répondre à la seconde de vos questions, ( à savoir “pourquoi l’on ne parle pas de Ron Paul” , – ce qui est la seule question posée, mais par rapport au scrutin de l’Iowa)… On ne parle pas de Ron Paul parce que «Ron Paul is not going to be president of the United States. “We’re not a libertarian country. It’s a very important strain of conservative thought but it’s not the dominant one…» (voir Russiant Today, le 17 août 2011).

Cette fois, nous observons l’agitation extraordinaire née de ce premier épisode (le straw poll de l’Iowa) d’une campagne présidentielle exceptionnellement précoce. Le fait du Ron Paul blackout, examiné hier, introduit un facteur de confusion d’une force inattendue. Peu ou prou, tout le monde se situe par rapport à ce phénomène, pour protester contre lui, pour le nier, pour affirmer ostensiblement qu’on n’en tient aucun compte, – ce qui est la façon la plus psychologiquement tordue d’admettre son influence. Peu ou prou, ce phénomène a des conséquences partout au niveau politique. Si Perry prend une position aussi agressive contre la Federal Reserve, c’est parce qu’il sait que le thème est populaire dans le Tea Party, et nous savons également que c’est Ron Paul qui l’a popularisé et a fait prendre conscience Tea Party de son importance. Ainsi, Perry, l’homme acclamé par l’establishment pour remettre la campagne dans le droit chemin et, notamment, se débarrasser de Ron Paul, reprend-il un thème capital de la position de Ron Paul, en se mettant à dos, par la même occasion, l’establishment washingtonien et républicain qui le portait aux nues trois jours plus tôt. Cerise sur le gâteau : cela n’empêche, ou bien cela explique c’est selon, que Ron Paul est le candidat favori des Texans à la candidature républicaine, largement devant Perry (22% contre 17%).

…Un bel enchaînement de contradictions dont un seul homme sort intact, – Ron Paul, naturellement. Cela pose la question de savoir si, dans l’hypothèse où Ron Paul poursuit dans sa course actuelle, d’organisation de sa campagne qu’il entend mener en solitaire («I follow my way», répond-il, le visage sombre et déterminé à un reporteur de Russia Today qui l’interroge à ses intentions vis-à-vis du Ron Paul blackout), tous les efforts faits pour l’éliminer ne suscitent pas l’effet parfaitement contraire qui conduit presque automatiquement à le renforcer à chaque attaque lancée contre lui. Cela est d’autant plus possible que sa campagne et son organisation, décriées comme sans moyens sérieux et comme un des arguments de son échec certain parce que sans envergure nationale, montrent au contraire une envergure nationale, – à moins que Paul soit le Messie que tout le monde attend sans le savoir, et sans campagne nécessaire ! Sa campagne et son organisation lui permettent d’être le premier au Texas, devant le Messie-Perry, et de figurer comme le second républicain quasiment premier à égalité dans un Etat comme l’Iowa, bien loin de sa base naturelle du Texas. Dans la polémique sur cette affaire, les adversaires les plus déterminés de Paul en sont réduits à des raisonnements sophistes d’une telle force négative pour eux-mêmes qu’ils se confondent dans leur absolutisme, selon la remarque que faisait Stuart Mills, avec des tautologies ou des cercles vicieux ridiculisant leurs auteurs. Pourquoi ne parle-t-on pas de Ron Paul, demande-t-on à Charles Krauthammer ? Parce qu’il ne peut pas être président des Etats-Unis, répond Krauthammer, rejoignant à l’extrême de la formulation le propos général des comploteurs inconscients du Ron Paul blackout. Cela n’est pas loin de la tautologie parfaite et du cercle vicieux  : “On ne parle pas de Ron Paul parce que Ron Paul ne peut pas être président des États-Unis, parce que Ron Paul ne peut pas être président des États-Unis, parce que Ron Paul ne peut pas être président des Etats-Unis, parce que Ron Paul...”.

Krauthammer n’est pas un être stupide, ni même un imbécile. C’est un neocon pur et dur, mais aussi un historien d’un certain calibre. Ce n’est donc pas la question de l’intelligence qui est posée dans ce cas. Il s’agit plutôt d’une limite arbitraire, quasiment totalitaire, qui est imposée à la raison par un diktat supérieur, – un diktat du Système, sans aucun doute. Ce n’est plus Ron Paul qui est en cause, mais la projection d’un simulacre de Ron Paul selon le Système, qui se détache de plus en plus du personnage réel (ne serait-ce que parce que Ron Paul fait d’excellents résultats alors que sa projection de simulacre est censée n’en pouvoir faire aucun). La situation est à ce point qu’il n’y a aucune critique réelle contre Ron Paul lui-même, encore moins de “diabolisation“, – puisque tout concerne la projection du simulacre de Ron Paul. On pourrait pourtant émettre des critiques contre lui, jusqu’aux plus objectivement fondées. Après tout, son âge, – 77 ans pour le début de son mandat si, horreur, il était élu, – est tout de même un facteur objectivement important, qui n’est pas à son avantage ; quasiment rien contre lui à cet égard, sinon une moquerie stupide ici ou là. Même sa position antiguerre n’est pas critiquée per se, mais plutôt utilisée comme argument de son inéligibilité (“Ron Paul ne peut être élu parce qu’il est antiguerre”, sans qu’un jugement de fond soit porté, en général, sur le fait d’être antiguerre, alors qu’il y en a tant dans tout l’apparat du système). L’explication est simple, à notre sens ; toute critique de fond sur Ron Paul, sa politique et son personnage (son âge), supposerait qu’il existe, même seulement en théorie, une possibilité qu’il soit élu, ce qui est impensable, impossible, etc. L’anathème jeté par le Système contre la projection du simulacre de Ron Paul, contre la seule hypothèse qu’il puisse être envisagé qu’il soit élu, interdit tout autre argument qui impliquerait l’hypothèse qu’il y a une chance sur mille milliards de milliards qu’il puisse être élu.

Le résultat de ce désordre sera, est déjà en partie politique, avec le spectacle des négationnistes de Ron Paul qui se précipitent sur des aspects de la politique de Ron Paul (Perry contre la Fed). Il est déjà, il sera de plus en plus psychologique, surtout si Ron Paul continue sa marche tranquille. Le grand écart entre la vérité de la situation et la situation de simulacre imposée par le Système ne peut qu’exacerber les psychologies jusqu’à une situation de pathologie collective. On l’a déjà dit et on le répète ici : le potentiel explosif de cette évolution vaut bien plus, infiniment plus que toutes les situations et interférences politiques qu’on puisse imaginer, jusqu’aux plus révolutionnaires, selon nos bons vieux conformismes hérités du XXème siècle. Aux USA pour la campagne 2012, avec le vieux Ron Paul et grâce lui en soit rendue, le Système est devant nous, à visage découvert, avec ses interférences et pressions majeures sur nos psychologies, pour tenter de les infecter, dans un dernier effort de la perversion du Mal dont il est le représentant et le dépositaire exclusifs. Toutes les perversions et les innombrables faiblesses humaines, d’un Krauthammer à un Perry et à leurs divers manipulateurs washingtoniens, ne suffiront jamais à lui assurer le succès, dès lors que lui-même, le Système, est engagé dans son entreprise de subversion par un processus tel qu’il nourrit en même temps, et par-dessus tout, la tendance autodestructrice qui est la marque finale principale de son développement.


Mis en ligne le 18 août 2011 à 11H27