Patience et sinistres desseins

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Patience et sinistres desseins

20 février 2009 — L’affaire des anti-missiles en Europe (BMDE) évolue désormais, entre alliés (US et Est-Européens) au niveau de la rhétorique diplomatique arrangeante préparant le retrait, et, du côté des quelques partisans du BMDE restants aux USA, au niveau de la rhétorique dramatique en déroute. Les indications sont désormais claires, selon lesquelles le débat est devenu interne au camp US et appointés, et porte sur la façon dont l’administration Obama peut gérer et contrôler le renversement de sens général qu’elle doit, qu’elle est dans l’obligation d’imposer à la dynamique du BMDE, vers un désengagement progressif. Il est remarquable à cet égard que le lancement d’un satellite iranien n’a guère changé l’orientation de cette rhétorique, alors qu’il aurait aussitôt suscité une mobilisation des partisans du BMDE, et un silence contrit et coupable chez ses adversaires, du temps de l’administration GW Bush.

• Il y a eu hier une réunion des ministres de la défense des pays de l’OTAN à Cracovie, dans le Sud de la Pologne. L’AFP en fait un rapport le 19 février (via Spacewar.com), concernant ce qu'on a déclaré en marge du sommet, à propos du BMDE. Le secrétaire à la défense US Robert Gates a fait une déclaration destinée aux Polonais et aux Tchèques, – mais essentiellement aux premiers, avec lesquels l’accord principal a été signé le 14 août 2008.

«The United States urged Poland Thursday to be patient over a missile defence deal it inked with Washington while President Barack Obama's team reviews the controversial multi-billion dollar shield. “What I told the defense minister today is that they have to give us a little more time to review these things,” US Defense Secretary Robert Gates said at a NATO meeting in Krakow, southern Poland.

»Gates said no final decision on the shield, which has enraged Russia, has yet been made. “Between the economic crisis, Afghanistan and Iraq the administration has not yet reviewed where it is on a whole range of issues including relationships with our allies, the missile defense program, the relationship with the Russians.”»

• Les Polonais ont fait des déclarations de leur côté, par leur ministre de la défense Klich. Leur position est clairement d’affirmer leurs droits à la suite de l’accord du 14 août, essentiellement sur les compensation qu’ils ont obtenus à cette occasion, notamment le stationnement de missiles sol-air Patriot. La tactique des Polonais est devenue de tenter de conserver les avantages annexes de cet accord, dans la probabilté grandissante que le déploiement du BMDE, au bout du compte, ne se fera pas.

«Polish Defence Minister Bogdan Klich said talks with Washington on implementing the deal, and in particular the stationing of US Patriot missiles in Poland, were ongoing. “We must be patient and wait until the new administration in Washington will end the ongoing review and we will receive a clearer and forward looking position,” Klich said after talks with Gates. “I reminded him [Gates] that the agreements that were signed last year should be implemented,” Klich told AFP after the meeting.

»Klich however said talks at deputy ministerial level on technical aspects of the controversial US plan – the benefits Poland stood to gain from the deal – “are on track.” The minister told AFP there was no delay “on the topic of the SOFA [Status of Forces Agreement] supplemental agreement; we are speaking about implementation deals on the [missile] base agreement and the topic of locating American Patriot missiles in Poland.”»

• En complément de ces déclarations, AFP rappelle une déclaration du ministre tchèque de la défense, très conciliante par rapport aux intentions US dont les Tchèques semblent comprendre qu’il s’agit d’une retraite ordonnée et diplomatique. Le ministre parle d’ores et déjà d’une décision possible d’un délai de retardement de trois ans pour l’installation de la base. Dans l’esprit de la chose, on comprend qu’une telle hypothèse désigne ce qui pourrait être, de la part des USA, une décision de “gel” du déploiement, avant un possible abandon complet du programme. On comprend également que le gouvernement tchèque n’est pas mécontent d’un tel développement, dans ce nouveau contexte où il désormais acquis que les USA sont dans une logique de repli sur ce programme; cela lui permet d’écarter une question extrêmement controversée au niveau intérieur, où il se trouve quasiment minoritaire et en grand danger avec une position très instable, au niveau parlementaire et au niveau populaire.

«Quoted by the Czech CTK agency in Washington earlier this month, Czech Foreign Minister Karel Schwarzenberg suggested the Czech radar facility was likely to be delayed for three years while the Obama review was conducted. “Czechs will fully understand it if the US administration puts off the construction of the radar base by three years. We will not be basically opposed to this,” Schwarzenberg said.»

• Aux USA, les partisans du BMDE se révèlent pour ce qu’ils sont. Ils agissent au niveau des lobbies et des relais d’influence, marquant par là que le BMDE fut bien une initiative montée de toutes pièces par une coalition de lobbies privés, de relais idéologiques des milieux néo-conservateurs et associés, et de l’industrie d’armement (complexe militaro-industriel). Un texte d’Ariel Cohen, de Heritage Foundation, un think tank conservateur proche des neocons, publié le 19 février sur UPI, met en évidence cette tactique qui ressemble de plus en plus à un combat d’arrière-garde. Les arguments tournent autour des “sinistres desseins” du Kremlin, décrit comme “obsédé” par le BMDE, ce qui constitue un charmant renversement des priorités schizophréniques dans cette affaire. Le point central est que le Kremlin a entièrement manigancé la fermeture de la base US de Manas, au Kirghizistan, pour disposer d’un “bargaining ship”, pour contraindre les USA à abandonner le BMDE. L’accord sur le ravitaillement des forces US en Afghanistan par la Russie est également apprécié de ce point de vue, tandis que le lancement du satellite iranien est présenté comme une raison urgente pour déployer le BMDE.

«A sinister Kremlin agenda may be involved in the intrigue around the closure of Manas Air Base in Kyrgyzstan. The Kremlin is obsessed with the U.S. missile defense deployment in Poland and the Czech Republic. Sources in Moscow tell UPI that the Kremlin may use the Manas closure and an offer of cooperation in supply of the Afghanistan deployment as a bargaining chip in its negotiations with the United States on the future of missile defense in Europe.

»Russia is essentially creating bargaining chips it may be willing to trade in exchange for the American concessions it considers vital. This was the case with Russian President Dmitry Medvedev's threat to deploy short-range, nuclear-capable Iskander missiles in Kaliningrad province on the Baltic coast in response to the planned ballistic missile defense site that the Bush administration planned to construct in Poland. The missile shield in Europe has become even more vital after Iran launched its first satellite. History is witness to many a satellite program becoming a precursor to an active long-range ballistic missile program, or vice versa.»

Tout cela est éclairé d'une lumière “sinistre” pour l’avenir de la politique de l’administration Obama, et de la réputation des USA. Il s’agit d’arguments assez pauvres et qui se colorent d’une dérision significative, de la part d’un parti qui ne s’est pas montré avare d’une rhétorique hyperbolique pour hurler sa cause. On comprend que le moral, dans cette affaire du BMDE comme dans d’autres, n’est pas vraiment celui de l’entreprise triomphante. Il y a effectivement comme une soumission à un courant qui pèse irrésistiblement, qui écrase et contraint toutes les orientations politiques, qui suscite la perception de l'inéluctabilité de la réduction des ambitions, puis du retrait ordonné. Même les faucons exaltés, qui le sont de moins en moins, ressentent cela.

Conclusion de la plaidoirie de Heritage Foundation, comme une sorte de “service mimimum” ou de “minimum syndical”: «The Obama administration is under pressure to develop a coherent policy vis-a-vis Russia and correlate it to its goals in Afghanistan. Otherwise, the standing and reputation of the United States throughout Europe and Eurasia will be irrevocably damaged.»

Une politique d’obligation

Ce qu’on pourrait désigner comme “le courant général” de la politique US a changé du tout au tout. C’est ce que nous disent, ou nous confirment certes, ces péripéties autour du BMDE. Tout cela ressemble au développement d’une retraite ordonnée au cours de laquelle chacun entend sauvegarder ce qui peut l’être; la face et les liens avec les alliés impliqués pour les USA; les avantage collatéraux obtenus des USA (les missiles Patriot), pour les Polonais; une situation politique intérieure restaurée pour le gouvernement tchèque, qui s’en laverait les mains avec satisfaction.

En face, le camp belliciste, fait d’un aggloméré de fortune, de lobbies d’influence, d’intérêts industriels et de certains milieux du Pentagone, en est réduit aux arguments d’occasions. L’affaire de la base de Manas avait déjà été avancée par Friedman, de Stratfor.com, pour arguer de la permanence des grandes situations géopolitiques et proposer l’idée que la politique bushiste serait poursuivie droite et ferme par Obama. C’est nous faire prendre le coup tordu du BMDE complètement fabriqué par les “neocons” et Bruce Jackson, de Lockheed Martin, pour une “grande situation géopolitique”; c’est beaucoup d’honneur, – trop d’honneur en vérité. La complète artificialité de la “politique” Bush en Europe de l’Est (révolutions de couleur, Géorgie, BMDE, etc.) apparaît aujourd’hui dans toute sa force, – c’est-à-dire dans toute sa faiblesse. Elle ne représente rien de fondamental et n’a rien de sérieux à opposer à une puissante tendance qui, aujourd’hui, bouleverse tout. Elle devient rétrospectivement dérisoire, c’est-à-dire découvrant sa réalité évidente d’absence de quelque profondeur que ce soit.

On imagine de quoi l’on veut et doit parler à ce point, – la grande crise systémique générale, puisqu’il faut dire son nom, voilà le moteur puissant et grondant des choses aujourd’hui. Il est évident que nous ne voulons pas parler une seconde d’une “politique” concertée US, un camp des colombes qui l’emporterait aujourd’hui sur les faucons; de même est-il fâcheux d’apprécier une analyse, la nôtre notamment, en termes d’optimisme ou de pessimisme; ou en termes de “retrait”, comme l’on parlerait d’une politique volontairement restreinte. Toutes ces choses sont “humaines, trop humaines”. Il s’agit de rendre compte d’un courant d’une puissance déchaînée qui nous contraint absolument, et nous domine évidemment, et dicte notre conduite et nos “politiques”. Son avantage est de mettre en lumière certaines choses dont nous nous doutions, choses effectivement humaines, – vraiment trop humaines en l’occurrence.

Ce qu’il y a d’humain sans aucun doute, c’est la pathétique vacuité de la politique US qui a précédé, qui apparaît à la puissante lumière de la crise. La puissance US déchaînée depuis 9/11 ne reposait sur rien, une apparence de puissance offerte par une promotion publicitaire exaltée, à l’image de la puissance financière, “too big to fail” et “too big to fall”, et qui s’effondre comme un château de cartes, comme une vulgaire URSS en 1989-91, – encore plus vite, même, accordons-lui cela en hommage au goût US de la performance. L’affaire BMDE est aujourd’hui dans cette logique qui est celle d’un courant irrésistible de l’Histoire, et elle sera emportée comme un fétu de paille. Il y a et il y aura des péripéties, il faut bien jouer un rôle de figuration et donner un pauvre grain anémié à moudre aux commentateurs appointés du domaine. Mais la tendance est identifiée et il semble de plus en plus acquis que l’administration Obama n’a aucun réel désir de s’y opposer, sans parler de pouvoir le faire, – l'esprit bien trop occupé ailleurs. La politique US est devenue aujourd’hui une “politique d’obligation” qu’on veut concertée, pour ne pas trop paraître une “politique contrainte”. Accordons-lui que c’est la sagesse même, là où l’Histoire ne permet aucune alternative.


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