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135126 novembre 2009 — Il y a un intéressant article dans l’une des publications (indépendante du Pentagone) destinées aux forces armées US, Stars & Stripes, ce 26 novembre 2009. Il s’agit d’une analyse de la décision US de “livrer” des batteries de missiles sol-air Patriot en compensation de l’abandon du réseau BMDE d’anti-missiles dans sa forme initiale, qui comprenait une base en Pologne. L’analyse est essentiellement négative, rejoignant en cela l’évidence de la situation.
Il s’avère qu’on est en train de s’activer, en Allemagne, au sein des quelques unités de l’U.S. Army restant en Europe (USAREUR), pour préparer le transfert temporaire en Pologne d’un bataillon de Patriot. (Ou faut-il nommer cela une batterie? On parle de cent militaires pour servir cette unique batterie.) Le transfert pourrait avoir lieu en 2010 et durerait six mois. Après quoi, les Patriot reviendraient en Allemagne.
Que disent de cette affaire l’un et l’autre experts interrogés par Stars & Stripes? Peu d’enthousiasme, sinon une complète dérision.
«“It is coming from Germany,” said Jan Filip Stanilko, an analyst at the Warsaw-based Sobieski Institute, a political think tank. “It was settled during previous negotiations.”
»The previous negotiations were under the Bush administration, which had agreed as part of its ballistic missile-defense posture to place 10 ground-based, long-range missile interceptors on a base in Poland. The Patriot battery was an add-on, said John Pike, director of globalsecurity.org. The intent of the Patriot was to guard and defend the missile base from potential Russian attack, Pike said. But the Obama plan scrapped the Polish interceptors. Instead, it calls for sea-based interceptors in the Mediterranean.
»So it’s not clear to Pike and others just what the Patriot battery would now protect. “It’s totally nonsense,” Stanilko said. “One battery doesn’t change anything. It can defend one district (of a city.) From a military point of view, it’s irrelevant; it won’t defend Poland at all. It’s a symbolic gesture.” Pike seconded the opinion. “A complete waste of everybody’s time in order to save face,” he said.»
Furieux, le Polonais Stanilko rappelle qu’il faudrait au moins entre 10 et 15 batteries de Patriot pour prétendre esquisser une défense sol-air de la Pologne, alors qu’on n’en envoie qu’une, et épisodiquement. Ce que voudrait l’expert, c’est une présence permanente : «What the Polish government really seeks, Stanilko said, is American boots on its ground and permanent bases, to tie U.S. defense to the country with a small military and a long history of being invaded. “Americans can move this installation and move out. We wanted something entrenched, unmovable,” he said.»
Stanilko pense la même chose des missiles SM-3 que les USA ont promis pour la Pologne en 2015 – on est d’ailleurs bien loin de leur déploiement, et d’une promesse tenue – mais même cette mesure n’aurait aucune réelle valeur de protection pour la Pologne, ni d’engagement US. D’où sa conclusion, qu’il faut garder à l’esprit:
«“America has no ability to help us,” he said. “There are no strategic plans for central Europe. Even if the U.S. wanted to help us during a Russian invasion, hypothetically. We have no infrastructure, no ports, no airport big enough to receive troops. There are no procedures, no plans, no war games. It’s absurd to promise defense without the ability to do that.”»
L’article note tout de même que tout le monde ne partage pas cette analyse. Il cite une analyse de Stratfor.com, imperturbablement géopoliticienne et imperturbablement confiante dans la puissance US … «But not everyone agrees. An analysis by Stratfor, a private geopolitical intelligence group, concluded that Biden’s Poland visit “reasserted American commitment to (Polish) security and promised the delivery of other weapons such as Patriot missile batteries, an impressive piece of hardware that really does enhance regional security …,” according to its Web site.»
Il nous paraît évident depuis un certain temps déjà que l’affaire des Patriot est un simple arrangement “de communication” pour faire passer la pilule de la liquidation du réseau BMDE. Cette affaire avait été mise en avant d’abord par le futur ministre des affaires étrangères polonais Sikorski, lorsqu’il avait encore un pied (au moins) chez ses amis neocons de l’American Enterprise Institute (voir notre F&C du 15 novembre 2007). L’idée avait été fortement appuyée par Zbigniew Brzezinski, comme étant un argument décisif pour l’engagement US en Pologne et la sécurité de la Pologne. Pour nous, cette affaire a toujours été liée à la base BMDE en Pologne, d’un point de vue opérationnel (Patriot pour protéger cette base à la suite de l’annonce du possible déploiement de missiles russes SS26 Iskander) – avec toutes les réserves qui s’imposent, principalement quant à l’illusoire efficacité du Patriot.
Politiquement, il nous paraît évident que l’arrangement-Patriot est effectivement une mesure pour “sauver la face” des USA dans une occurrence où la décision d’abandon du BMDE ne peut être interprétée que comme l’abandon – justifié, bienvenu, etc. – de la “politique de l’idéologie et de l’instinct” de la période GW Bush. Comme nous l’avons déjà écrit, s’il y a une chose à reprocher à l’administration Obama dans cette occurrence, c’est de s’être considérée dans l’obligation de “sauver la face”, ce qui lui a fait rater l’occasion d’un acte diplomatique éclatant. Si cette administration avait proclamé qu’elle abandonnait le BMDE parce que la politique qui l’avait installé était stupidement provocatrice et mauvaise, elle aurait pu établir des relations beaucoup plus riches et fécondes avec la Russie, que celles, pourtant améliorées et pacifiées, qu’elle a établies.
Mais il nous semble que l’enseignement de cette passade stupide que constitue la farce des Patriot et de la Pologne va plus loin. Il est résumé effectivement par les deux remarques citées plus haut:
• Celle de Stratfor.com sur la visite de Biden en octobre, et la décision de faire “transiter” en Pologne une batterie de Patriot: «Biden’s Poland visit “reasserted American commitment to (Polish) security and promised the delivery of other weapons such as Patriot missile batteries, an impressive piece of hardware that really does enhance regional security…”»
• Celle de l’expert polonais Stanilko, ridiculisant l’affaire des Patriot, considérée comme une mascarade, et concluant : «America has no ability to help us. There are no strategic plans for central Europe. Even if the U.S. wanted to help us during a Russian invasion, hypothetically. We have no infrastructure, no ports, no airport big enough to receive troops. There are no procedures, no plans, no war games. It’s absurd to promise defense without the ability to do that.»
Du point de vue de cette remarque citée, comme de bien d’autres analyses réalisées par cette équipe, on observe combien le site fameux Stratfor.com, qui se veut absolument gouverné par le réalisme de la géopolitique, suit en réalité la ligne exactement inverse de la géopolitique transformée par la communication. Espérer nous faire croire qu’une batterie de missiles Patriot est une «impressive piece of hardware that really does enhance regional security» révèle une croyance aiguë dans la puissance de la communication du système de l’américanisme, et nullement dans la puissance du point de vue de la géopolitique. Le Patriot n’a jamais protégé personne, il a déclenché des catastrophes diverses, abattu plus souvent des amis que des ennemis, et ainsi de suite. L’aspect ridicule du jugement que, du point de vue opérationnel, la présence épisodique d’une batterie de cette chose puisse renforcer la sécurité d’une région telle que l’espace polono-russe, est largement mis en évidence par les jugements furieux de l’expert polonais Stanilko. Cela signifie que Stratfor.com appuie l’essentiel de son jugement soi-disant géopolitique sur la projection de l’image de puissance que signifierait ce déplacement épisodique d’une batterie de Patriot. Ce n’est pas de la géopolitique, c’est de la com’.
…Et c’est de la com’ un peu courte, comme le relève Stanilko. De quelle “image de puissance” parle-t-on, alors qu’il apparaît effectivement évident que cette farce des Patriot représente exactement le contraire, c’est-à-dire un complet aveu d’impuissance? Les USA n’ont rien d’autre à mettre sous la dent des Polonais que de faire faire du tourisme à une batterie de Patriot d’une façon épisodique: ni réserves, ni infrastructures, ni logistique, ni bases, ni, ni, ni… L’expert conclut donc par l’implacable énoncé de l’exacte réalité: «America has no ability to help us. There are no strategic plans for central Europe…» Cela, c’est, si l’on veut, de la géopolitique pure et dure, de la comptabilité de quincaillerie, de capacités militaires, de bases de soutien et ainsi de suite.
Le résultat de l’opération, malgré les analyses ronflantes des géopoliticiens installés dans leurs bureaux de Washington D.C. ou de Dallas, Texas, c’est de signaler aux Russes, et de faire savoir aux Polonais, que la présentation publique épisodique d’un démonstrateur de “quincaillerie”, présenté avec verve et entrain par les spécialistes de la communication, ne remplace en aucune façon la réalité de la puissance, à un point où elle démontre plutôt le contraire. Le Pentagone a sans doute “sauvé la face” de la puissance US pour les discussions dans les cocktails de la capitale US mais a révélé au contraire aux acteurs qui comptent (les Polonais et les Russes) l’abaissement formidable de sa puissance. In illo tempore, dans les années 1974-1990, quand les USA voulaient démontrer leur puissance et leur résolution par rapport à l’Europe, le Pentagone instituait les exercices annuels (chaque automne), dits ReForGer (Reinforcement Forces in Germany): le transport en quinze jours de deux à trois divisions des USA en Allemagne pour démontrer la capacité de renforcement des 150.000 hommes de l’U.S. Army d'ores et déjà stationnés en Allemagne, face au Groupe des Forces Soviétiques en Allemagne. A cette époque, la géopolitique existait encore et l’OTAN, quoi qu’on en pense par ailleurs, signifiait une réelle capacité de puissance. Aujourd’hui, nous en sommes à la farce des Patriot et aux analyses de Stratfor.com, et à l’époque où la géopolitique est devenue une simple facette de la communication.
Il n’empêche que l’avis de l’expert polonais est intéressant. Il est manifeste que Stanilko n’est pas un tendre ni un mou. Il ne se prive pas de rappeler, dans ses interventions, combien la Pologne ne perçoit qu’une seule menace, et que c’est la Russie. Il observe également que son gouvernement a lâché la proie (une tentative réelle de renforcement des capacités polonaises) pour l’ombre (les promesses et la com’ US). La seule solution qui s’ouvre à lui, dans son raisonnement, avec un certain temps pour y arriver certes, c’est que la Pologne devra s’accommoder du voisinage russe, éventuellement en recherchant quelques garanties complémentaires là elle peut les trouver, c’est-à-dire chez les puissances européennes proches. Cette sorte de raisonnement devrait dessiner l’évolution de la politique polonaise, mais aussi des hypothèses qui sont soulevées depuis que les USA ont confirmé le retrait de leur système BMDE: notamment un arrangement européen avec la Russie, passant par un axe Paris-Berlin-Varsovie qui entretiendrait, grâce aux bonnes relations des Français et des Allemands avec les Russes, ces mêmes bonnes relations avec la Russie.
Là aussi, mais d’une façon plus importante et plus large, on veut dire portant sur la situation politique et de sécurité de l’Europe et de l’espace transatlantique, il s’agit bien du “crépuscule des ‘années neocons’”, selon l’idée déjà mentionnée à propos de l’Ukraine, et en référence à l’absurde politique américaniste (et occidentaliste) de l’époque qui s’achève. Dans ce cas, effectivement, le niveau est plus élevé car ce crépuscule est aussi celui de la puissance US, dans le constat que les USA ne sont plus capables de tenir leurs engagements de puissance hégémonique, même à l'intérieur de leur principale alliance. L’Histoire retiendra cela, et les Polonais avec.
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