Il y a 2 commentaires associés à cet article. Vous pouvez les consulter et réagir à votre tour.
1823On connaît bien Paul Craig Roberts, ancien ministre-adjoint du trésor dans l’administration Reagan. Il campe dans une position d’imprécateur, annonçant régulièrement une issue apocalyptique à l’actuelle politique de Washington, dont on sait que nous l’identifions absolument comme la politique-Système, c’est-à-dire une politique directement issue du Système, lui-même étant l’opérationnalisation du déchaînement de la Matière symbolisé par l’idéal de puissance. Nous observons une suggestion d’explication fondamentale de la situation actuelle dans le dernier article de Paul Craig Roberts (PCR), où le chroniqueur se détache des seules conceptions économiques, politiques et stratégiques, – dont il juge, assez justement bien entendu, qu’elles sont “immatérielles” (voir ce 20 juin 2014).
... Ainsi PCR passe-t-il, sur la fin de son article qui concerne les conceptions, sinon les tentations de la guerre nucléaire (“domination stratégique”, “première frappe”, etc.) en cours actuellement à Washington, au domaine de l’“irréalité” dont il juge qu’il est une explication évidemment suffisante pour décrire la situation grotesque et sans précédent des USA, du Système et du monde en général. Ainsi prend-il la tangente du fameux film The Matrix. (Article du 18 juin 2014, sur le site PaulCraigRoberts.org.)
«Massive attacks by artillery and air strikes on homes and apartments in Russian Ukraine were conducted on the 25th anniversary of Tiananmen Square, while Washington and its puppets condemned China for an event that did not happen. As we now know, there was no massacre in Tiananmen Square. It was just another Washington lie like Tonkin Gulf, Saddam Hussein’s weapons of mass destruction, Assad’s use of chemical weapons, Iranian nukes, etc. It is an amazing fact that the world lives in a false reality created by Washington’s lies.
»The movie, The Matrix, is a true depiction of life in the West. The population lives in a false reality created for them by their rulers. A handful of humans have escaped the false existence and are committed to bringing humans back to reality. They rescue Neo, “The One,” who they believe correctly to have the power to free humans from the false reality in which they live. Morpheus, the leader of the rebels, explains to Neo:
»“The Matrix is a system, Neo. That system is our enemy. But when you’re inside, you look around, what do you see? Businessmen, teachers, lawyers, carpenters. The very minds of the people we are trying to save. But until we do, these people are still a part of that system, and that makes them our enemy. You have to understand, most of these people are not ready to be unplugged. And many of them are so inured, so hopelessly dependent on the system, that they will fight to protect it.”
»I experience this every time I write a column. Protests from those determined not to be unplugged arrive in emails and on those websites that expose their writers to slander by government trolls in comment sections. Don’t believe real reality, they insist, believe the false reality.
»The Matrix even encompasses part of the Russian and Chinese population, especially those educated in the West and those susceptible to Western propaganda, but on the whole those populations know the difference between lies and truth. The problem for Washington is that the propaganda that prevails over the Western peoples does not prevail over the Russian and Chinese governments.
»How do you think China reacts when Washington declares the South China Sea to be an area of US national interests, allocates 60 percent of its vast fleet to the Pacific, and constructs new US air and naval bases from the Philippines to Vietnam? Suppose all Washington intends is to keep taxpayer funding alive for the military/security complex which launders some of the taxpayers’ money and returns it as political campaign contributions. Can Russia and China take the risk of viewing Washington’s words and deeds in this limited way?
»So far the Russians, and only the Russians (and Chinese), have remained sensible. Lavrov, the Foreign Minister said: “At this stage, we want to give our partners a chance to calm down. We’ll see what happens next. If absolutely baseless accusations against Russia continue, it there are attempts to pressure us with economic leverage, then we may reevaluate the situation”...
L’idée générale du film The Matrix n’est évidemment pas nouvelle, – et pas moins pertinente pour autant. La référence qui vient à l’esprit est bien entendu la fameuse parabole de la caverne, de Platon, laquelle était déjà un emprunt, et laquelle désignait déjà le coupable : le verbe faussaire des sophistes. (Lucien Jerphagon, dans Histoire de la pensée, – D’Homère à Jeanne d’Arc : «[L]e fait que Platon ait utilisé cette image – qui lui vient des Orphiques et qui évoque aussi le poème d’Empédocle et la grotte d’Ida, en Crète – nous place dans une perspective initiatique : c’est dans cette caverne que se tenaient, dit-on, les mystères de Zeus, où Pythagore lui-même aurait reçu la grâce de l’initiation. [...] Par contraste, les montreurs d’ombre, dont s’enchantent les reclus [de la caverne], ce sont bien sûr les fameux sophistes, tel du moins qu’il [Platon] les voit, ces professeurs sans foi dont la parole est vide.») Au reste, l’appréciation de “nouveauté” ou pas n’a aucune importance, surtout dans ce cas où l’idée désigne la faiblesse et le risque fondamentaux de l’espèce sapiens, parlante et pensante, – faiblesse et risque de la représentation de la réalité, ou des “vérités de situation” comme nous disons nous-mêmes, et les possibilités de tromperie et de simulation. The Matrix avait remis la chose au goût du jour, qui est celui de la technologie triomphante, selon une réflexion qu’on retrouve dans nombre d’œuvres et d’esprits. (La nuance fondamentale qui doit être précisée, selon nous, étant que ce n’est pas la technologie qui est la cause de la situation faussaire décrite, mais que la technologie est l’outil permettant de pousser cette situation à son comble, sans que nous écartions l’idée que ce comble, qui est aussi une expression de la surpuissance, puisse engendrer l’autodestruction de la Matrix, – c’est-à-dire du Système, comme Morpheus dit à Neo : «The Matrix is a system, Neo. That system is our enemy.») Aussi bien l’intérêt du texte de PCR se trouve-t-il dans le fait que l’auteur ait employé la référence (The Matrix, dito la caverne, etc.) comme une explication fondamentale.
C’est en effet en référence aux habitudes rédactionnelles et conceptuelle de PCR que la remarque a de l’intérêt. Elle marque combien le tourbillon et, d’une façon qui s’affirme de plus en plus confirmée, l’absence de sens général des événements qui sont majoritairement influencés par la politique-Système du bloc BAO (des USA), finissent par conduire les commentateurs à rechercher des explications générales qui sortent des schémas convenus selon les thèmes courants des manœuvres oligarchiques, des plans conspirationnistes, des entreprises bellicistes et expansionnistes, etc. De plus en plus, on est conduit à accepter des hypothèses et des analyses sur des situations de systèmes, des influences dans ce cadre, qui portent sur les psychologies humaines mais ne sont pas nécessairement d’origine humaine, selon l'observation que la plupart des psychologies sont influencées par des pressions faussaires et des simulacres de représentation. Cette observation vaut certainement pour le bloc BAO? – pour Washington, et encore plus pour les institutions européennes. (Il règne actuellement dans ces institutions un véritable climat de terreur qui va crescendo, qui s’est installé de lui-même, sans la moindre consigne ni autorité, contre toutes les dérogations à la narrative officielle qui fait de la Russie la responsable à 100% de la crise ukrainienne. La situation bureaucratique y est sans précédent.)
Le schéma guerrier que privilégie Roberts est d’ailleurs de même orientation, puisqu’il s’agit de l’enchaînement des affrontements, avec “montée aux extrêmes” de l’escalade nucléaire, réplique au niveau des armements de la situation-Système générale qu’il observe. On pourrait même avancer que cette situation tend à s’étendre, y compris aux adversaires du bloc BAO, la Russie en l’occurrence, dans la mesure où il s’avère que la direction politique (Poutine) est de plus en plus contrainte par des pressions politiques internes d’envisager des mesures de force pour protéger la population du Donbass, alors que la stratégie de Poutine est justement de tenter d’éviter par tous les moyens une intervention ; là aussi, il s’agit d’un enchaînement à partir d’un effet indirect de l’action du Système en Ukraine.
Certes, on peut arguer que nombre de conflits ont commencé de cette façon, avec des enchaînements qui échappaient du contrôle humain. Mais ces situations étaient accidentelles, ou bien dissimulées, dans tous les cas très rarement documentées factuellement, identifiés et dénoncées comme telles par des observateurs indépendants, au moment où elles avaient lieu. Dans tous les cas, jamais elles n'ont formé une hypothèse fondamentale et documentée sur la situation générale, comme c'est le cas aujourd'hui ; aujourd'hui, en effet, il est possible d’occuper une place autour du Système et de son action, et de disposer des informations et de l’accès au système de la communication conduisant à l’analyse de plus en plus assurée, tenue à jour et quasiment en correspondance immédiate avec la chose observée, de la situation générale. Ces mêmes observateurs peuvent considérer et étayer l’hypothèse opérationnelle que les événements sont non seulement hors de contrôle, mais qu’ils assurent eux-mêmes le contrôle de leur propre évolution et qu’ils agissent sur les soi-disant acteurs de la crise, justement pour leur ôter tout rôle actif dans l’orientation générale et les cantonner dans une figuration faussaire (acteurs devenus figurants) installée dans une infrastructure artificielle ; on en arrive ainsi, grâce à cette position d’observation, à prendre en compte d’une façon acceptable l’interprétation métahistorique de la situation générale.
C’est une dynamique d’appréciation que nous avons de plus en plus privilégiée depuis l’attaque du 11 septembre 2001, qui marque symboliquement, à notre sens, l’installation de cette nouvelle capacité de l’observation humaine des événements. (Voir Chroniques de l’ébranlement, de Philippe Grasset, Mols 2003 : «D’abord, il y a ceci: en même temps que nous subissions cet événement d’une force et d'une ampleur extrêmes, nous observions cet événement en train de s’accomplir et, plus encore, nous nous observions les uns les autres en train d’observer cet événement. L'histoire se fait, soudain dans un déroulement explosif et brutal, nous la regardons se faire et nous nous regardons en train de la regarder se faire...») C’est à cette posture d’appréciation que semble arriver un Paul Craig Roberts, sans nécessairement noter combien le fait de pouvoir observer cet événement (la perte de tout contrôle de son destin par l’humain), de pouvoir l’identifier, de pouvoir le mesurer, représente également un fait extraordinaire et sans précédent, dont on ne peut vraiment ni mesurer ni identifier les effets et les conséquences, – y compris sur les psychologies aussi bien des observateurs que des acteurs-devenus-figurants, – sauf à savoir que ces effets et ces conséquences existent bien et qu’ils sont puissants. (Cette remarque ne décrit pas une situation à venir mais bien une situation déjà active depuis 9/11. Nous pouvons faire l’hypothèse que ce “fait extraordinaire” de l'observation des événements avec effets et conséquences sur nos psychologies est déjà en développement et actif depuis 9/11 et qu’il a fait effectivement sentir ses effets et ses conséquences sur l’évolution de la situation accélérant plus encore “la perte de contrôle de son destin par l’humain”.)
Mis en ligne le 21 juin 2014 à 05H47
Forum — Charger les commentaires