Peuvent-ils faire plus bas ? Ils essaient...

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Peuvent-ils faire plus bas ? Ils essaient...

Il y a un effondrement objectif de la qualité de la diplomatie du bloc BAO, – ou dit autrement, on veut bien pour cette fois, de la “diplomatie occidentale”. Nous voulons signifier ceci : que l’on aime ou que l’on déteste l’Occident, cet Occident-là dans la perspective historique que lui impose son choix de la modernité ; que l’on critique férocement l’œuvre accomplie par ce même “Occident” moderniste, et notamment ses effets des dernières décennies conduisant à sa politique actuelle, et notamment cela du côté américaniste ; que l’on condamne absolument un Kissinger ou un Brezinski, comme cela serait justice de le faire selon ce point de vue qui est honorable… Tout cela est concevable. Il reste qu’il faut admettre le savoir-faire, les capacités, voire certaines traditions qui se signalaient dans ces diplomaties par ailleurs brutales et concentrées sur les effets et l’efficacité exigés par la modernité. L’intelligence n’en était pas absente, non plus, et même l’élégance teintée de cynisme dans certains cas (notamment le cas britannique).

Le spectacle de ce qu’il reste de tout cela, les successeurs, la situation, la logique, la “vision”, ce spectacle va au-delà du concevable pour ce qui concerne l’aspect qualitatif de la démarche diplomatique saccagée absolument par les nécessités du Système. Ce constat est particulièrement bien symbolisé par une prise de position d’un expert d’un rang important, écrivant ès qualité sur le site de l’organisation, du Council of Foreign Relations, le “prestigieux CFR”… Effectivement, quoi que l’on en dise et que l’on en pense, – et des tonnes sont possibles à cet égard, chacun le sait, – le CFR a toujours prétendu tenir un rang “prestigieux” et se comporter comme une organisation du plus haut standing imaginable.

Voici donc Ed Husain, Senior Fellow for Middle Eastern Studies, écrivant sur le site du CFR à la gloire d’al Qaïda, le 6 août 2012.

«The Syrian rebels would be immeasurably weaker today without al-Qaeda in their ranks. By and large, Free Syrian Army (FSA) battalions are tired, divided, chaotic, and ineffective. Feeling abandoned by the West, rebel forces are increasingly demoralized as they square off with the Assad regime's superior weaponry and professional army. Al-Qaeda fighters, however, may help improve morale. The influx of jihadis brings discipline, religious fervor, battle experience from Iraq, funding from Sunni sympathizers in the Gulf, and most importantly, deadly results. In short, the FSA needs al-Qaeda now. […]

»Al-Qaeda is not sacrificing its "martyrs" in Syria merely to overthrow Assad. Liberation of the Syrian people is a bonus, but the main aim is to create an Islamist state in all or part of the country. Failing that, they hope to at least establish a strategic base for the organization's remnants across the border in Iraq, and create a regional headquarters where mujahideen can enjoy a safe haven. If al-Qaeda continues to play an increasingly important role in the rebellion, then a post-Assad government will be indebted to the tribes and regions allied to the Jabhat. Failing to honor the Jabhat's future requests, assuming Assad falls, could see a continuation of conflict in Syria.

»Thus far, Washington seems reluctant to weigh heavily into this issue. […] But the planning to minimize al-Qaeda's likely hold over Syrian tribes and fighters must begin now as the Obama administration ramps up its support to rebel groups. Of course, these preparations should also include efforts to locate and control Assad's chemical weapons. The months ahead will not be easy.»

• L’excellent site The Moon of Alabama (Moa) présente un extrait de ce texte, le 7 août 2012, avec cette simple phrase de présentation : «Who would have expected this from the prestigious Council of Foreign Relations?». Paul Joseph Watson, du site très engagé et très polémiste Infowars.com, présente le même texte, là aussi sur le même ton, ce 7 août 2012. (La dernière phrase, en référence à Winston Smith, un des personnages de 1984, de George Orwell.)

«Senior Council on Foreign Relations fellow Ed Husain has hailed the presence of Al-Qaeda terrorists in Syria, praising their fighting prowess in aid of FSA rebels while also lauding the increasing number of successful bombings carried out by Al-Qaeda fighters. In case you didn’t get the memo – Al-Qaeda – the same group the United States accuses of carrying out the most devastating terrorist attack on U.S. soil in history, is now our ally in Syria.Terrorist attacks carried out by Al-Qaeda in Syria are inherently moral and good. Down is the new up.

»Winston, we were never at war with Eurasia!»

• M K Bhadrakumar, lui, considère l’intervention du CFR sous la forme de l’analyse de Ed Husain comme un exposé clair et net de la politique américaniste en Syrie. (Sur son site Indian PunchLine, le 7 août 2012.) Il se veut, de ce point de vue, extrêmement réaliste, sans poser de jugement de valeur, tout en observant que cet exposé est d’abord le constat d’un échec total de la stratégie initiale du bloc BAO parce que les “rebelles” sponsorisés au départ par la corruption du bloc se sont avérés complètement inefficaces et d’une piètre valeur combattante.

«What the CFR scholar espouses is in fact the US policy on Syria. Simply read up and ponder over today’s dispatch in the Washington Post. The US’s estimation is that the agenda of ‘regime change’ in Syria is getting stuck in mud. The Syrian regime is intact. Therefore, what is needed is a military push. The name of the game is to achieve a ’soft landing’ in Damascus without spilling American blood – as WaPo says. Now that the US and its allies have got rid of the nuisance of Kofi Annan, the path ahead is clear…»

M K Bhadrakumar rappelle que cette “stratégie” exposée par le Senior Fellow du CFR est une resucée de la même stratégie utilisée par Brzezinski en 1979 (voir encore le rappel de cette stratégie, le 7 août 2012) : «Got it? It’s as simple as that. Wasn’t that the agenda that Zbigniew Brzezinski also espoused — in cohort with another Saudi KIng and a Pakistani military dictator — for Afghanistan circa 1980 and successfully executed?» La différence, multiple et à diverses facettes, est bien entendu que Brzezinski n’avait pas exposé son plan à l’avance ; que son plan concernait le piège de la mise en place d’une défense préventive et provocatrice contre une invasion qu’il s’agissait de susciter (l’URSS en Afghanistan) alors qu’on se trouve ici dans une “stratégie” de conquête d’un pouvoir en place ; que son plan n’impliquait nullement les USA comme acteurs directs alors qu’ils devront l’être dans ce cas et d’une façon décisive pour liquider leurs alliés actuels (al Qaïda) qui se montrent meilleurs que toutes les forces anti-Assad mises en jeu initialement, lesquelles devront être nécessairement, et l’on se demande comment, les instruments d’une telle liquidation ; que ce même plan, diversement repris depuis au moins 2001 sous l’une ou l’autre forme tordue selon les circonstances, a toujours abouti à des catastrophes pour les USA et qu’il est lui-même, après tout, la mécanique principale qui, de 1979 à 2012 en passant par 2001, a réussi à installer comme une force efficace une structure terroriste qui reste fondamentalement antiaméricaniste et antiSystème. (…Cerise sur le gâteau et remarque à prolongements psychologiques intéressants, faite en passant : on ne manquera pas d’observer l’enthousiasme et le zèle avec lesquels le Senior Fellow for Middle Eastern Studies Ed Husain glorifie et magnifie les capacités de combat, l’ardeur, la foi des combattants d’al Qaïda. Nous dirions bien, nous, que le Senior Fellow ne serait plus très loin de s’engager lui-même dans les cohortes d’al Qaïda...)

Quoi qu’il en soit, il s’agit de revenir au point de départ de cette intervention du CFR adoubant un “plan” d’une telle bassesse du point de vue de la politique et de la diplomatie classiques, et caricature complète de la machination initiale de Brzezinski. Si la politique et la diplomatie américanistes furent toujours à finalité déstructurante, elles montraient une certaine forme et une structure solide qui constituaient des garanties d’efficacité autant que d’une certaine qualité dans sa démarche. Aujourd’hui, elle n’est rien d’autre, dans son opérationnalité, qu’une variante du crime organisé rapidement badigeonnée d’une communication de circonstance (démocratie, droitdel’hommisme). Que le CFR en vienne à soutenir cette méthode est une indication convaincante de l’effondrement du Système. (Un Kissinger et un Brzezinski, au moins, ne se gênent pas pour juger à mesure l'extraordinaire médiocrité et l'exceptionnelle stupidité de cette politique.) La chose est signée et authentifiée, et la catastrophe plus que jamais around the corner, grâce à l’étonnante maladresse, l’étonnante ignorance psychologique, l’étonnant aveuglement politique et culturel des forces du Système dans le maniement de ces machinations sans fin et sans but réel sinon celui de l’entropisation. Le CFR pose sur l’effondrement du Système l’estampille finale de son “prestige” perdu, – comme l’on dit de la vertu d’une fille s’avisant soudain de l’attrait de la débauche. Bienvenu au club.

…En attendant, l’“hyperpuissance”, la “nation indispensable”, est passée à la contre-offensive de contrôle que recommande l’avisé Senior Fellow. Elle avertit qu’il ne faut pas se laisser aller dans la voie du sectarisme et de la violence en Syrie. Il est assuré qu’al Qaïda aura entendu avec la terreur qui convient la voix autorisée d’Hillary Clinton, et servira rapidement et sur un plateau, à l’intention du Système, la Syrie devenue république populaire islamiste, démocratique et libérale.


Mis en ligne le 8 août 2012 à 09H11