Postmodernité en action : interventionnisme, migration, hyperdésordre

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Interventionnisme, migration, hyperdésordre

On peut désormais considérer que la Grande Crise de la Migration est commencée pour le bloc BAO, et en-dedans lui, pour l’Europe (l’UE) elle-même. (Les deux grands composants du bloc sont ainsi plongés dans cette crise, les USA ayant la leur, massive et désormais institutionnalisée, sur leur frontière Sud avec le Mexique.) On désigne les évènements en Europe autour de la crise des migrants venus d’Afrique et du Moyen-Orient et provoquant un grand émoi dans les réunions de l’UE autant que le désordre-chaotique à Calais comme une partie de la “Grande Crise” du domaine (la migration) parce qu’il s’agit d’autre chose que d’une partie d’un flux régulier depuis des années, parce qu’il s’agit d’une sorte de “migration forcée” par des évènements extérieurs pressants, notamment des situations de guerre civile, de terrorisme à l’échelon régional et pratiqué selon des actions de guerre, etc. Les pays touchés par ces mouvements de migration notamment vers l’Europe trouvent leur exemple référentiel dans le cas de la Syrie, où la guerre dure depuis plusieurs années, ne cesse de s’aggraver par le nombre d’acteurs, le soutien des pays extérieurs, etc., suscitant des souffrances innombrables et des déplacements de populations, puis l’émigration inévitable ; ou bien encore dans la Libye dont on connaît encore plus nettement le martyre chaotique qu’on a lui a fait subir et qui se poursuit, les coupables, les victimes et les conséquences.

Les derniers évènements pour l’UE avec les réunions de crise, les quotas d’accueil, les positions des uns et des autres avec les chicayas sans fin, la situation extrêmement grave en Grèce et en Italie du point de vue de cette “immigration forcée”, la situation en France avec la situation particulière de Calais où les migrants veulent passer en force en Angleterre et constituent désormais un facteur majeur de déstabilisation de cette situation, avec des “zones de non-droit” sinon des “zones de guerre”, des perturbations considérables dans l’Eurotunnel et les trains TGV entre France et Royaume-Uni, etc. Les gouvernements français et britanniques, chacun placés devant des exigences absolument contradictoires, considèrent de concert et selon une entente touchante et inhabituelle pour eux que la crise de Calais est aujourd’hui la question de gouvernement la plus importante pour eux. Dans le contexte mondial et en fonction des évènements catastrophiques en cours, on croit rêver d’une part, on se demande comment ils pourraient faire autrement qu’annoncer cela d’autre part. Ainsi en est-il, aujourd’hui, de l’art de gouverner, coincée entre le marteau et l’enclume comme d’autres, notamment l’un ou l’autre président, le sont entre la poire et le fromage.

Là-dessus, il nous paraît opportun de laisser la parole au président tchèque Milos Zeman qui a quelques mots à nous dire. Zeman, qui n’a pas froid aux yeux et les tient grands ouverts, a l’habitude de ne pas systématiquement suivre les consignes, ni de l’Orque ni de la “Secte”. On l’a bien vu lorsqu’il s’est rendu le 9 mai à la commémoration de la victoire de la Deuxième Guerre mondiale, à Moscou, à l’invitation du président Poutine. Sur la Grande Crise de la Migration, voici donc Zeman, repris par Sputnik-français, le 3 août 2015, – ou comment dire clairement et en quelques mots ce qu’il importe de garder constamment à l’esprit lorsqu’il est question de cette Grande Crise de la Migration...

«Le président tchèque Milos Zeman a fustigé les interventions au Proche-Orient, qualifiant ces initiatives de causes directes de la crise des migrants que connaît l'Europe Les Etats-Unis et les pays européens, qui ont participé à des interventions militaires en Irak, Syrie et Libye, sont coupables de l'afflux actuel des migrants en Europe, a déclaré dimanche dernier Milos Zeman dans une interview accordée au journal tchèque Blesk.

»“La vague actuelle de migration [en Europe] prend racine dans l'idée absurde de l'invasion de l'Irak, qui était censé avoir des armes de destruction massive, mais finalement rien n'a été trouvé... [...] Elle est également provoquée par l'idée folle de restaurer l'ordre en Libye, et puis en Syrie”, a déclaré le président tchèque. À la suite de ces opérations militaires, des régimes terroristes ont surgi sur le territoire de ces pays, ce qui a déclenché un afflux incontrôlé de migrants clandestins en Europe, estime M. Zeman. Toujours selon lui, “les États-Unis ne sont pas les seuls responsables de cette situation. Ils partagent la faute avec leurs alliés de l'Union européenne qui ont aussi coordonné les opérations contre la Libye”.

»En outre, le président tchèque a exprimé son intention de proposer, lors de la session anniversaire de l'Assemblé générale de l'Onu en septembre prochain, la création d'unités militaires chargées de détruire les camps d'entraînement djihadistes. “Voici ce que nous devons faire pour l'instant, et pas pénétrer quelque part avec des chars, de l'artillerie et de l'infanterie”, a indiqué Milos Zeman...»

Ce que nous nommons “Grande Crise de la Migration” (disons GCM pour la facilité du texte) est l’événement majeur qui a commencé à être annoncé par les prévisionnistes, autour de la fin du siècle dernier et du début de ce siècle, en même temps que se précisaient les conditions de la crise générale de l’environnement, avec la crise climatique, la crise des ressources, notamment celles qui sont nécessaires à l’être humain, comme la nourriture et l’eau. La GCM était donc liée aux cortèges des innombrables “crises pseudo-naturelles” causées par les tensions environnementales confrontées aux exigences prédatrices et déstructurantes du Système, couronnées par des changements climatiques dont on débattit longuement, comme à propos du sexe des anges, pour savoir qui en portait la responsabilité, des humains ou de la Grande Mécanique du Monde en train de tourner un peu folle.

La GCM ainsi envisagée avait cette particularité de confronter directement de pauvres gens perdant leurs propres terres (les migrants, fuyant des régions devenues pourvoyeuses de mort pour des causes extérieures à eux) à des braves gens installés sur leurs propres terres (les habitants des pays où les immigrants débarquaient en masse en apportant avec eux, sans le vouloir, désordre et déstructuration). Il s’agit, par essence sinon par excellence, de la crise absolument insoluble, de la crise quasiment “objective” à force de la dilution de la responsabilité originelle jusqu’à oublier de n'en rien connaître. Pourtant, cette responsabilité originelle est fort bien connue puisqu’elle se trouve essentiellement sinon exclusivement dans les activités furieuse de surpuissance de ce Système dont on continue à prétendre imperturbablement qu’il constitue la voie quasi-parfaite pour la régulation du monde et l’installation dans ce monde d’un ordre durable et juste.

Les prévisionnistes les plus pessimistes de cette fin de siècle/début de siècle, ceux qui élaboraient des scénarios catastrophiques au niveau du climat, de l’eau, des ressources, etc., n’annonçaient pas cette GCM avant 2025-2030. (Les finauds de la CIA offraient effectivement 2025.) Les cas envisagés flirtaient avec l’apocalypse, comme la disparition sous les eaux, du fait de la montée des océans, de zones extrêmement peuplées, entraînant une migration massive. Le fait est qu’ils se trompaient tous, que la GCM les a tous pris de court, grâce à l’activité humaine la plus convenue, celle dont le bloc BAO (car il s’agit bien de lui) est le plus fier, – qui est la politique d’interventionnisme humanitariste, selon notre jargon, prônée avec un inlassable enthousiasme par les neocons plutôt à droite et les R2P (acronyme pour illettrés et diplomates postmodernes-BAO de Right To Protect) presque “plutôt à gauche”, rassemblés dans une vertueuse union qui supprime les clivages archaïques gauche-droite comme l’on dit dans les discours. Zeman, qui présente en général un visage assez bougon, ne prend pas de pincettes pour dire leur fait aux grands inspirateurs de cette politique interventionniste que sont les USA, la France, le Royaume-Uni, l’Allemagne, l’UE, la pensée-BHL, etc., pour ne citer que les plus essentiels. Il situe justement ce qu’on pourrait nommer lestement “la mère de toutes les conneries” dans le fait de la guerre irakienne de 2003, dont les USA continuent à montrer une certaine fierté. Pour autant, Zeman devrait appuyer avec plus d’insistance sur la date de 2010, la constitution décisive du bloc BAO, l’entraînement zélé des puissances occidentales à entrer dans la guerre-contre-Assad, à conchier l’Iran, à liquider Kadhafi dans les conditions humanistes qu’on sait pour libérer la Libye et la laisser à ses tendances naturelles de la démocratie créative ; parallèlement et pour compléter l’arsenal de leurs performances, l’activisme zélé du bloc BAO pour promouvoir, équiper, encourager, armer, etc., tout ce qui peut s’imaginer de plus extrémiste en fait d’islamisme, pour déboucher sur le Frankenstein-parfait qu’est Daesh/État Islamiste. L’ensemble a constitué bien entendu l’espèce de bombe même pas à retardement puisque l’effet est direct, qu’il est suffisant pour déclencher ce mouvement de migration massive, émigration des innombrables pays touchés, immigration vers les pays européens essentiellement, tout cela pouvant et devant être considéré comme le coup d’envoi de la Grande Crise de la Migration, notablement en avance sur l’horaire.

Il s’agit donc de ce que nous désignons comme la postmodernité en action dans la politique, et bouleversant complètement l’agenda mis en musique par la modernité finissante, en convoquant par avance les catastrophes provoquées par la seconde pour pouvoir mieux présenter le bilan si “globalement positif” de cette contre-civilisation aux abois. La postmodernité est fière de l’héritage de la modernité et entend l’assumer d’une façon active, au besoin en provoquant beaucoup plus rapidement ce qui devait arriver à une rapidité pourtant très élevée. Calais annonce le couronnement de la postmodernité en politique. Le roi est nu et s’engouffre dans l’Eurotunnel. Les philosophes et homme de grande connaissance dans le fait de la religion nous expliquent pourquoi.

... Cette transition pour nous conduire à nous intéresser à Jean-François Colosimo, avec son dernier livre Les hommes en trop : La malédiction des chrétiens d'Orient (Fayard, 2015) et à Régis Debray chargé de son Candide à sa fenêtre, Dégagements II (Gallimard, 2015), reçus par Michel Field dans son Historiquement Show, sur la chaîne Histoire, émission passant plusieurs fois à 19H25 dans la semaine du 27 juillet au 2 août 2015. (Il s’agit en fait d’une reprise pour l’été de l’émission du 4 février 2015, qui garde absolument tout son à-propos.) On y entend ce dialogue, où il est question de chiisme et de sunnisme, et des grands choix de la politique française, – par ailleurs, sujet introduit par nous par une citation de Colosimo concernant la politique russe de Poutine, présentée avec toutes les prudences d’usage, – mais tout de même et compte tenu de la vigilance policière, quelle belle audace...

Nous allons donner le verbatim le plus précis possible d’un passage qui nous parle donc de la politique de Poutine, rapidement, puis de l’Islam, des sunnites et des chiites, et pour finir des choix de la politique française à cet égard, ce qui nous ramènera dans notre commentaire du sujet que nous traitons, comme on le verra ; d’où il ressort que certains points qu’on considérerait de “détail” par rapport à l’évènement colossal des marées de migrants envahissant l’Europe, justifie par le haut (par l’esprit) l’adage anglo-français, exactement énoncé à l’inverse comme il est de rigueur entre Anglais et Français – “the devil is in the detail”, “le bon dieu est dans le détail” ...

Jean-François Colosimo : «... Oui, on peut tout à fait décrier la politique de Vladimir Poutine, il faut encore voir comment elle s’inscrit dans une histoire constituée où le phénomène religieux a sa part et où d’ailleurs, il faut le dire, au passage, ce n’est pas à sa gloire parce que c’est un fait russe, le Judaïsme, l’Hindouisme, l’Islam, qui sont des religions dites “historiques” en Russie, sont en quelque sorte mieux garanties qu’en France... Il y a ça aussi, voyez… Pays d’oppression, mais malgré tout …

(Sourire entendu et approbateur de Régis D., désormais “intellectuel dégagé” dont on connaît la proximité avec Chevènement.)

»... Et puis, évidemment, l’Iran et l’Islam chiite... C’est intéressant parce que, dans “Dégagement” on lira … que Régis Debray, s’il devait être musulman, serait chiite, et radicalement chiite d’ailleurs…»

Michel Field : «Ah, ben oui ! J’avais noté cette page … J’en avais parlé à la dernière émission où vous, expliquiez, vous Jean-François Colosimo, que, contrairement au syndrome iranien, l’Occident avait bien tort d’avoir joué en quelque sorte la carte des sunnites contre la carte des chiites, et je voudrais… Voilà ... “Si force était un jour de se convertir à Mahomet, écrit Régis Debray, je n’hésiterais pas faute de mieux à embrasser le chiisme et inviterais mes vieilles affinités de philosophe et d’hommes de gauche, tant […] cette branche hérétique est à la fois l’université et la gauche de l’Islam…”»

Jean-François Colosimo : «Eh bien justement, voyez, nos représentations de l’Islam essentialisée... Parce que, au lendemain du drame du 7 janvier, il s’est passé ce qui s’était déjà passé le 11 septembre, beaucoup de gens se sont réveillés islamologues et parlent de La Mecque, du Coran, de ceci, de cela, on ne sait pas d’où ils sortent tout cela… Parler de l’Islam comme ça, ça n’a pas grand sens … Mais moi je suis heureux de ce qu’il écrit… [désignant Debray] … Oh je pense qu’il va se convertir … non non, pure hypothèse intellectuelle !»

Michel Field : « “Si force était imposée un jour” !»

Régis Debray : «Non non, je ne cultive pas la soumission et j’aime résister à la force … Mais, à tout prendre, c’est vrai, les Iraniens me semblent un peu les Occidentaux, au fond de l’Orient … Bien sûr, bien sûr, parce qu’ils acceptent l’Imam d’abord, y compris celle du Prophète, parce qu’ils admettent le féminin, parce qu’ils admettent l’interprétation et la discussion … Autrement dit... Écoutez j’ai rencontré des Frères Musulmans, des sommités des Frères Musulmans, je n’ai pas réussi à établir un dialogue avec eux, ils m’ont fait un prêche, ils ont voulu m’endoctriner … Quand je parle avec des chiites, j’ai l’impression qu’une dialectique est possible, eux-mêmes sont rompus à la dialectique … Et donc on se retrouve en terrain familier. Étrange, non, vu d’ici ?

»Et le choix qu’on a fait de s’allier à l’Arabie qui est le pays le plus moyenâgeux et le plus réactionnaire du monde, nous République laïque, et de rejeter l’Iran, ou la Perse, du côté du diable, m’a toujours laissé perplexe. Ah, ça peut s’expliquer par la balance des comptes, d’accord, mais alors qu’on ne vienne pas nous parler ensuite droits de l’homme ou bien, ou bien … parler histoire, car historiquement nous avons beaucoup plus à faire avec l’Iran qu’avec l’Arabie Saoudite.»

Jean-François Colosimo : «C’est exact que nous sommes à contre-courant de l’histoire et à contre-courant d’une certaine intelligence française qu’a toujours eue notre diplomatie...»

Effectivement, et ce n’est pas rien : le naufrage de l’intelligence française au cœur de notre diplomatie et le cheminement contre l’histoire de notre équipe notariale actuellement aux commandes constituent un détail infiniment gravissime dans l’enchaînement des évènements à partir de 2010, conduisant aux catastrophes libyennes et syriennes, au développement accéléré de la folie terroriste sunnite qui doit beaucoup plus aux $milliards saoudiens qu’à la grâce d’Allah, c’est-à-dire conduisant au terme pour l’instant (il y en aura d’autres) de l’enchaînement, à l’ouverture prématuré de la GCM et au désordre chaotique de Calais. En effet, la France a joué un rôle considérable dans toutes ces affaires, puisque c’est elle, sous l’impulsion d’un Sarko-BHL excité comme une puce, qui a précipité l’attaque contre la Libye, et tenu un rôle de surexcitation extrémiste contre Assad et contre l’Iran dans les négociations nucléaires. Sa responsabilité est considérable à mesure, marquante, quasiment historique, et le désordre chaotique de Calais est le premier renvoi d’ascenseur de l’Histoire. (Nous laissons de côté le très-incertain 7 janvier qui a aussi bien arrangé les notaires-ministres qu’il ne les a dérangés dans leurs agendas, puisque permettant de monter une vaste fresque type-JeSuisCharlie parfaite pour épater le bourgeois.) La France est et reste un pays important pour les évènements historiques, elle constitue un facteur métahistorique considérable, même lorsque sa direction par ailleurs ignorante de la signification de ces choses a décidé de ne plus être ni l’un ni l’autre au nom de la France ; par conséquent, la malfaisance qu’elle produit par son action diplomatique est à la mesure du bien qu’elle devrait normalement dispenser quand elle est elle-même... Par conséquent, la France de Hollande compte, c’est-à-dire qu’elle nage avec vigueur (voyez ses résultats aux championnats du monde de natation, justement en Russie) “à compte-courant de l’histoire et de l’intelligence française”

Ainsi peut-on contempler l’accélération de l’Histoire avec l’éclatement de cette Grande Crise de la Migration, en même temps que le rôle tenu par le sapiens-Système. Ainsi peut-on mesurer combien le désordre causé par une direction française qui a trahi tous les principes qui constituaient la structuration immémoriale de la politique française s’est retournée dans un mouvement désormais classique, pour devenir l’hyperdésordre de Calais : la démonstration par le “désordre du désordre” de la catastrophe-permanente que constitue la production systématique du Système en action, lequel Système ne cesse de démontrer son action maléfique et d’activer par conséquent sa tendance autodestructrice en détruisant les structures qui sont à son service et en minant l’action des sapiens-Système qui le servent.

 

Mis en ligne le 4 août 2015 à 06H35